Maxime Sanchez – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep


Jusqu’au 21 octobre 2023, Diego Bustamante présente « Regain Cozmic » de Maxime Sanchez, une incontournable et dérangeante exposition après laquelle la Galerie de la Scep fermera définitivement ses portes.

La découverte de « Regain Cozmic » est une expérience étrange et inquiétante. Certaines pièces s’imposent immédiatement par le magnétisme de leur esthétique, la puissance de leur vitalité et l’énergie qu’elles semblent dégager. C’est notamment le cas pour Techno-Fight sur laquelle on bute en pénétrant dans la galerie, mais aussi pour l’importante installation Swangas qui se développe au pied des escaliers en se mêlant au totem As the world turns slow.

Maxime Sanchez - Techno-fight, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Techno-fight, 2023. Support tour de CD, cailloux, arbre à cardan cannelé, 29 x 17 x 20 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

D’autres sculptures sont plus énigmatiques. Le texte de Guillaume Heuguet qui accompagne l’exposition offre quelques indices. Mais la conversation avec le galeriste est souvent irremplaçable pour en comprendre toute la richesse, la complexité, les multiples références et niveaux de lecture. Ceux-ci risquent en effet d’échapper à celles et ceux qui ne sont pas de la même génération que Maxime Sanchez et/ou qui ne partagent pas les mêmes repères culturels.

Dans une conversation avec Annabelle Ténèze, alors directrice des Abattoirs et du Frac Occitanie-Toulouse en 2021, Maxime Sanchez expliquait que sa pratique exclusivement tourné vers la sculpture était fortement marqué par la ruralité, par des processus propres à divers travaux alimentaires, mais aussi par des passions comme le Tuning et le Rap existantes depuis son adolescence.

Dans la présentation de l’artiste sur le site de sa galerie, Diego Bustamante souligne : «  Comme un rappeur (Maxime Sanchez est un auditeur acharné de Rap, on pourrait le considérer comme un spécialiste du sujet), il place des références pour appuyer un propos qui les dépassent. Ces références sont souvent liées à des individus qui sont allés au bout de leur idée, quitte à déranger, à être politiquement incorrects, ou socialement refusés ».

Créées spécifiquement pour « Regain Cozmic », les sculptures exposées à la Galerie de la Scep multiplient et superposent les échos au village d’Ailhon en Ardèche où Maxime Sanchez travaille, la figure d’un oncle disparu, celles de quelques personnalités historiques de la techno de Detroit ou du rap de Houston, la slab culture et divers produits toxiques…

Maxime Sanchez - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Guillaume Heuguet conclut son texte avec ces lignes qui résument assez bien ce que l’on peut ressentir dans « Regain Cozmic » :
« Les fétichistes du terroir sont alertés : le lointain est toujours plus proche qu’on ne le pense. Tout est d’ici, mais tout est traversé d’inorganique, d’industrie et d’Amérique. (…) Une affinité à distance, qui laisse aussi des traces plus profondes : derrière la perversion des structures, le magnétisme des surfaces, il y a la perception de l’époque et des vies esquintées. »

Celles et ceux qui suivent le travail de Maxime Sanchez depuis plusieurs années ne manqueront pas la découverte de ses nouvelles sculptures. Pour les autres, on ne peut que leur conseiller de passer impérativement par la Galerie de la Scep et se confronter aux œuvres d’un artiste qui s’affirme d’exposition en exposition comme une figure importante de sa génération.

À lire, ci-dessous, quelques regards sur « Regain Cozmic » et le texte de Guillaume Heuguet.

En savoir plus :
Sur le site de la Galerie de la Scep
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Sur le site de Maxime Sanchez
Écouter la playlist « Regain Cozmic » sur Spotify

« Regain Cozmic » de Maxime Sanchez : Regards sur l’exposition

Techno-fight (2023)

Installé au sol, au milieu de l’espace qui ouvre sur la rue, Techno-fight (2023) impose que l’on s’agenouille pour apprécier la complexité de cette petite sculpture haute de 30 centimètres. Au centre, un arbre à cardan cannelé – organe assure la transmission entre la prise de force d’un tracteur et un outil attelé – sert d’axe à la pièce. Posé verticalement, il s’appuie sur quelques cailloux assemblés par un mortier qui sont en équilibre sur un engrenage à cliquet. L’ensemble est enveloppé par une grille métallique découpée dans une tour de rangement de CD.
La collision entre ces objets du monde agricole et ceux en voie de disparition pour la diffusion de la musique interroge…

Maxime Sanchez - Techno-fight, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Techno-fight, 2023. Support tour de CD, cailloux, arbre à cardan cannelé, 29 x 17 x 20 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Le titre, comme souvent chez Maxime Sanchez, donne quelques indications. Ce combat technologique évoque les manifestations de citoyens et d’activistes qui s’opposent au développement des antennes 5G dans plusieurs zones rurales… Dégradation du patrimoine et des paysages, inquiétudes sanitaires et environnementales, transmissions radio, engrenage incontrôlable, retour en arrière impossible, remplacement de la matérialité des musiques enregistrées au profit de la virtualité du streaming…

Try again (2023)

Accroché en haut du mur, un fauteuil de jardin en plastique interpelle…
Que fait -là ? Qui est le personnage imprimé sur un tee-shirt noir dont la figure semble se dissoudre ?

Maxime Sanchez - Try again, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Try again, 2023. Fauteuil PVC, tee-shirt Aaliyah, powertex, 50 x 56 x 50 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Le titre, Try again (2023), offre, une fois encore, une piste à celles et ceux qui ignorent qui fut Aaliyah. Les amateurs de R&B identifieront sans doute immédiatement cette icône de la fin des années 1990, morte à 22 ans dans le crash d’un avion aux Bahamas, après une carrière aussi courte que fulgurante. Le titre de la sculpture est également celui d’un des morceaux les plus célèbres interprétés par la chanteuse, extrait de la bande originale du film Roméo doit mourir où elle jouait un des rôles majeurs. Maxime Sanchez n’avait que neuf ans au moment de disparition d’Aaliyah, en 2001… La suite de l’exposition confirmera son vif intérêt pour les scènes rap et techno de Detroit, de Houston et du Dirty South des années 90 et pour ses héros disparus.

Maxime Sanchez - Try again, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Try again, 2023. Fauteuil PVC, tee-shirt Aaliyah, powertex, 50 x 56 x 50 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Les penchants musicaux de Maxime Sanchez expliquent sans doute la présence fantomatique de ce visage sur un tee-shirt noir, aux plis figés par un durcisseur textile. Faut-il pour autant l’interpréter comme une sorte de linceul dans une ascension fatale ? Doit-on y voir l’expression d’un « culte » rendu à une artiste qui demeure inoubliable pour son public, mais aussi les figures du hip-hop, notamment français, qui lui rendent fréquemment hommage ?

Il est plus difficile de comprendre le rôle du siège en PVC. Symbolise-t-il l’avion funeste ? On apprend par le galeriste que ce fauteuil était déjà présent dans ce qui fut une porcherie avant de devenir un atelier de réparation et, sans doute, celui de l’artiste. Son état et sa « patine » témoignent certainement d’une longue histoire. Évoque-t-il un autre personnage proche de Maxime Sanchez ? Quelqu’un qui l’aurait encouragé à persévérer, à essayer encore ? Quelqu’un dont la disparition aurait été tragique ?

Museum (2023)

Avant d’atteindre l’escalier qui mène au sous-sol, la sculpture intitulée Museum (2023) semble surgir du mur. Un cadre métallique, soudé à partir d’éléments où subsistent quelques traces de peinture bleue, enferme une boucle de plastique vert acide. Celle-ci est maintenue par deux pièces en acier munies de dents affûtées. Sur sa face interne, on reconnaît un morceau d’étiquette d’un déboucheur de canalisation…

Maxime Sanchez - Museum, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Museum, 2023. Glacière rigide, acier, autocollant, section faucillée, cire d’abeille, 86 x 34 x 10 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep


Quel sens donner à cet assemblage ? Le recours au cartel s’avère encore une fois utile pour tenter une interprétation…

Un écho à la ruralité semble probable à travers les deux pièces qualifiées de « sections faucillées ». Seuls les spécialistes des machines agricoles n’auront peut-être pas trop de difficultés à identifier ici des éléments d’une barre de coupe pour une moissonneuse-batteuse ou une faucheuse…
Le bleu des montants utilisés pour le cadre pourrait également rappeler la carrosserie de certaines marques d’engins agricoles.

Maxime Sanchez - Museum, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Museum, 2023. Glacière rigide, acier, autocollant, section faucillée, cire d’abeille, 86 x 34 x 10 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

La lecture du cartel nous indique que la bande de plastique a été découpée dans une glacière…
Quant au titre, Museum, il ne peut que laisser perplexe…
Seuls les fins connaisseurs de l’histoire de la musique techno originaire de Détroit auront probablement associé celui-ci à un des morceaux de l’album Minimal Nation enregistré en 1994 par Robert Hood. Considéré comme le fondateur de la techno minimale et épurée, il reste associé au label Underground Resistance, connu sous le sigle UR, créé en 1989 avec Jeff Mills, Mad Mike et Darwin Hall.

Maxime Sanchez - Museum, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Museum, 2023. Glacière rigide, acier, autocollant, section faucillée, cire d’abeille, 86 x 34 x 10 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

La bande découpée dans la glacière serait-elle l’expression des boucles sonores manipulées par le DJ de Detroit ? L’étiquette du déboucheur renvoie-t-elle aussi à cette expression musicale ? Le cadre métallique et les dents acérées évoquent-ils les frictions ou les complicités du monde rural avec cette musique à travers des raves et les free parties ?

Swangas (2023)

Au sous-sol, une imposante installation occupe toute la surface de la première salle.
Autour de deux cerclages en fer posés au sol sont éparpillés des morceaux de bois dont les extrémités sont équipées de plaques d’acier ajustées avec soin. Celles et ceux qui fréquentent, ou ont fréquenté, les cours de ferme, les hangars agricoles ou les brocantes auront sans doute reconnu les éléments démembrés de roues provenant d’un char à bancs ou d’un autre chariot hippomobile…

Maxime Sanchez - Swangas et As the world turns slow, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Swangas et As the world turns slow, 2023 – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

L’origine ardéchoise de ces objets semble assez évidente. Le titre Swangas (2023) renvoie lui à la slab culture, une expression singulière née à Houston et qui n’a jamais quitté le Texas.

Le slab que certains définissent comme « Slow, Loud And Bangin’ » rassemble étroitement deux pratiques artistiques, l’une musicale, l’autre lié au tuning.
Le « Screwed » ou « Screwed and Chopped » est un genre dérivé du rap, nommé d’après son créateur, DJ Screw, aux rythmes ralentis et hachés que les amateurs écoutent défoncés à la codéine en buvant du Sizzurp (sirop contre la toux vendu sur ordonnance, mélangé à du soda).
À ce style musical est associé un tuning extravagant sur de grosses berlines américaines ou des cabriolets, aux couleurs candy (peinture irisée multicouche brillante et vibrante) dont les roues sont équipées de jantes chromées à rayons rallongés et saillants, les « Wire Wheels » ou « Swangas ».

Photo de l’article ALL YOU NEED TO KNOW ABOUT SLAB CAR CULTURE de Rowan Horncastle sur le site Top Gear Magazine (août 2022)

On connaît l’intérêt de l’artiste pour le tuning. On se souvient de son utilisation d’images hydrographiées (impression par transfert propre à la customisation automobile) sur des écussons-massacres ou des vases en céramique. Sa série des Dust plows (2020), un ensemble de versoirs de charrue hydrographiés avec des images d’archives du Dust Bowl rapprochait la Grande Dépression américaine avec la genèse du tuning. Dans le portfolio de Maxime Sanchez, un texte souligne : « Des véhicules avaient alors été boostés et allégés afin de supporter de longs trajets et fuir le Dust Bowl, ces énormes tempêtes de poussière qui ont suivi le surlabourage des terres par les fermiers. L’activité agricole de nombre d’entre eux avait ainsi migré vers la mécanique et la carrosserie, leur faisant délaisser moissonneuses et charrues enfouies sous des amas de poussière »…

Maxime SanchezSwangas, 2023. Rayons et cerclage de char à bancs, acier. Dimensions variables – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Les roues démembrées d’un char à bancs sont-elles les vestiges de ces outils agricoles abandonnés au profit de bagnoles clinquantes équipées de « Swangas » dans lesquelles on roule lentement en écoutant à fond du des morceaux de rap au ralenti, en sirotant du Sizzurp ?

As the world turns slow (2023)

Ce totem en hommage à DJ Screw se confond assez logiquement avec Swangas. Le titre de la sculpture reprend celui d’un album posthume publié en 2002, deux après la mort du créateur du Screwed and Chopped, à la suite d’une surdose de codéine.

Maxime SanchezAs the world turns slow, 2023. Lambourde en châtaignier, vis sans fin de hachoir, mousse PVC, bouteille de déboucheur surpuissant, agrafe cavaliers pour clôture, masque, 190 x 27 x 20 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep


L’œuvre est composée d’une poutre en châtaignier dont une face a longtemps reposé sur une tôle larmée. Au sommet de ce poteau, on remarque une vis sans fin récupérée dans un hachoir, évocation évidente du chopped-up, mais aussi des boulons de la pochette du CD. Au pied, une forme en plastique semble avoir glissé le long du totem après l’avoir sans doute protégé des intempéries. Elle a été découpée dans un masque de Hulk, personnage certainement important pour Maxime Sanchez, dont on retrouve plusieurs morceaux un peu plus loin.

À l’emplacement de sa bouche est agrafé un bidon ouvert et retourné d’un déboucheur chimique surpuissant. La couleur violette de l’intérieur évoque de manière flagrante celle du Purple Drank ou Sizzurp, Lean ou encore Texas Tea

Épandage du progrès (2023)

Maxime Sanchez - Épandage du progrès, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Épandage du progrès, 2023. Cruche de mesure en polypropylène, vitre de cabine pour tracteur, acier 86 x 98 x 20 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

L’accès à la seconde salle est soumis au passage par l’Épandage du progrès (2023), un portillon composé par une vitre de cabine pour tracteur sur laquelle est collée une cruche de mesure en polypropylène dont le logo parlera à tous.

Maxime Sanchez - Épandage du progrès, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Épandage du progrès, 2023. Cruche de mesure en polypropylène, vitre de cabine pour tracteur, acier 86 x 98 x 20 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

L’objet a été légèrement modifié pour ressembler à la cafetière de Carleman ou cafetière pour masochiste dont le bec verseur et la poignée se trouvent dans le même alignement…
Le titre de cette pièce est inspiré en partie par la Complainte du progrès de Boris Vian, satire féroce de la société de consommation.

Verdure & libido (regain cozmic) (2023)

Maxime Sanchez - Verdure & libido (regain cozmic), 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Verdure & libido (regain cozmic), 2023. Arbre à cardan cannelé, brosse araignée, élément de balais de voirie, fibre synthétique, agrafe à chaud, 43 x 25 x 10 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Un peu plus loin, posé au sol, Verdure & libido (regain cozmic) semble, par sa construction autour d’un arbre à cardan, faire écho à Techno-fight. Sur cette pièce métallique est collée une brosse à cheveu en plastique jaune fluo dont la structure rappelle pour l’artiste les traces laissées sur le sol par un tracteur… Son manche, remplacé par une branche de balais de voirie repeinte à l’aérographe, est fixé par des agrafes de carrossiers.

Le titre évoque un album de Billy Ze Kick et les Gamins en Folie sur lequel on pouvait entendre Serial pollueur, Round Up… Le sous-titre renvoie lui en partie à un album de musique électronique, Cozmic Jam de Quadrophonia. Ce dernier, associé au Regain – repousse après une première coupe d’une prairie – donne son titre à l’exposition…
Beaucoup de choses sont greffées et taraudés dans cet assemblage !

Maxime Sanchez - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime SanchezRegain Cozmic à la Galerie de la Scep

La musique et le docteur Robert Bruce Banner, alias Hulk, sont au cœur de la plupart des autres pièces de l’exposition.

Zone de danger (2023) est composé d’un boitier de protection d’une batterie destinée à alimenter une clôture électrique d’élevage. Il sert de vase aux branches vert fluo arrachées au balai d’un éboueur parisien. Sur ses côtés, sont tagués les titres de l’album Danger zone de K-Rino, autre rappeur de Houston. De la poignée s’échappe un pouce de Hulk…

Maxime SanchezZone de danger, 2023. Boitier électrificateur berger, aérographe, balais type bruyère, cire d’abeille, pouce de Hulk en PVC, 110 x 60 x 23 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Screens dropping (2023) assemble des morceaux de canne à pêche avec du raphia et du mastic à greffer. Cette petite sculpture murale reprend les couleurs de la pochette de l’album de l’album Againt the grain du rappeur Wood, dont le graphisme est signé par l’entreprise pen & pixel.

Maxime Sanchez - Screens dropping, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Screens dropping, 2023. Canne à pêche, raphia, mastic à greffer, 23 x 23 x 3 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Au sol, une auge en pierre, tapissée de bandes de plâtre, recueille des fragments des mains de Hulk (Le pansé, 2023)

Maxime Sanchez - Le pansé, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Le pansé, 2023. Auge arrondie en pierre, bandes plâtrées, mains de Hulk en PVC, 15 x 37 x 29 cm – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

Accrochée au mur, Against the grain (2023) est construite à partit d’une chaise pliante rabotée pour être à l’épaisseur d’un boitier de CD. Deux loges évoquent avec une certaine malice les River table. Si l’une est remplie de résine polyester qui rappelle l’époxy des tables de rivières, l’autre aux dimensions d’un CD accueille un morceau emprunté à la main d’Hulk…

Maxime Sanchez - Against the grain, 2023 - Regain Cozmic à la Galerie de la Scep
Maxime Sanchez – Against the grain, 2023. Chaise pliante tribale, résine polyester, mains de Hulke – Regain Cozmic à la Galerie de la Scep

« Regain Cozmic » de Maxime Sanchez : Présentation par Guillaume Heuguet

Depuis le train qui file vers Valence, les rectangles de tôle froide et de béton armé se détachent des grandes herbes sèches et scandent l’horizon. C’est un paysage absolument horizontal. Entrepôts, anciens magasins, usines ou garages à tracteurs : autant de bâtiments isolés, pas vraiment en ruine, plutôt suspendus entre deux histoires. Près d’Ailhon, après quelques virages risqués et alors que la torpeur nous gagne, on s’aengouffre sur un chemin de cailloux. Arrivés chez Maxime Sanchez, c’est un nouveau bloc de ferraille qui nous accueille : la carcasse d’une vieille Mercedes, qui trône sur l’herbe jaunie.

Là, près d’un garage à engins agricoles, il a débarrassé une ancienne porcherie devenue entre-temps atelier de réparation. D’un ménage de printemps obstiné, plusieurs éléments sont restés. Comme les herbes qui repoussent de plus belle et font le meilleur foin après le premier tour de fauche – c’est le sens original du regain – douze pièces sont nées de ces rebuts, et de glanages alentours.

Sur une barre de métal compacte, aux reflets irisés, est venue se ficher une brosse de plastique jaune qui rappelle les traces de pneu d’un tracteur ; une tôle larmée a laissé des marques qui dessinent un rythme hypnotique sur une longue colonne de bois massif ; une chaise de jardin suspendue au mur est couverte d’un tee-shirt au drapé improbable ; des conteneurs plastiques tiennent en équilibre instable ; un flambeau de branchages vert fluo s’échappe d’un boitier électrificateur, tout droit sorti d’une bergerie. S’ajoutent çà et là des apparitions discrètes – le visage fantomatique d’Aaliyah en sa période de Reine des damnées, des dents de scie en écho à la stridence des premiers Robert Hood – et d’autres plus frontales – le tracklisting intégral du Danger Zone de K-Rino, classique underground du rap de Houston, ou des cerclages de chars à bancs, rémanences de la ride et de la slab culture.

Pas de rupture ici entre ce qui relève de l’appropriation d’objets trouvés, de l’assemblage de matières contraires, ou du bricolage de précision. On devient attentif à un coin du Sud qu’on oublie souvent de regarder pour ce qu’il est (aussi) : une terre de travail avec ses machines usées mais flamboyantes, un théâtre ordinaire où le mécanique et le végétal rivalisent, une trame baroque où les arbres alternent avec les pylônes, entre autres collusions faussement banales. C’est aussi un espace d’inquiétudes et même une zone de danger, liées aux surtensions électriques, aux effluves toxiques, ou à la défiance que signalent les clôtures un peu partout.

Les fétichistes du terroir sont alertés : le lointain est toujours plus proche qu’on ne le pense. Tout est d’ici, mais tout est traversé d’inorganique, d’industrie et d’Amérique. Les logos collent aux empreintes d’impacts et aux marques d’usure. Plus on y regarde, plus s’accumulent les indices d’une proximité avec le fatalisme cramé de Dj Screw et de sa Screwed Up Click, leur goût du bitume et des friches. Une affinité à distance, qui laisse aussi des traces plus profondes : derrière la perversion des structures, le magnétisme des surfaces, il y a la perception de l’époque et des vies esquintées.

Guillaume Heuguet, 2023

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