Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille


Jusqu’au 19 novembre 2023, la Galerie Territoires Partagés présente «Plossu Expérimental» une exposition qui pourrait surprendre celles et ceux qui croient connaitre le travail du photographe.

L’association du nom de Plossu avec le mot « Expérimental » pourrait aussi étonner certains lecteurs des textes de Michel Poivert ou Marc Lenot sur la photographie expérimentale.

Le projet présenté par Stéphane Guglielmet s’appuie sans doute sur la publication d’un numéro hors-série de la revue Mettray en septembre 2022 intitulé « Plossu expérimental ? ! »

Nombre des photos reproduites dans cette publication se retrouvent en effet sur les murs de la Galerie Territoires Partagés. Le texte de Patrick de Haas fait écho à sa découverte, chez Bernard Plossu à La Ciotat, d’une boîte avec la mention « Expérimental » qui réunissaient des photographies pour la plupart inédites. À partir de l’idée de « photos ratées-réussies » et de la formule « un photographe a le hasard qu’il mérite » exprimées par Plossu, Patrick de Haas tente d’analyser le contenu de cette boîte. On retrouve assez logiquement certains des regroupements qu’il propose dans l’accrochage proposé par cette exposition dans le cadre du Festival Photo Marseille 2023.

Pour le programme du Festival, Bernard Plossu exprime ainsi son reagrd sur cette série atypique :

« Faire des bonnes photos, c’est bien, bien sûr ! Mais tout casser, c’est nécessaire encore plus, expérimenter les pires délire et les pires blagues, c’est encore mieux ! Comme je dis souvent: les mauvaises photos peuvent être les bonnes ! Le hasard y joue son rôle fascinant ! Se remettre en question tout le temps… »

Dans un entretien avec Stéphane Guglielmet qui sert de feuille de salle, il ajoute :

« Le mot expérimental veut dire rébellion, rébellion contre moi-même. Je sais faire des bonnes photographies, je viens du reportage, je ne viens pas du milieu artistique. Avec un objectif 50 mm, j’arrive à une grande sobriété d’image classique, ce que j’appelle classique-moderne et ensuite, il y a le reste. Ce que j’appelle le reste, c’est quand il y a des moments de délires, des défauts de tirages, des photos que tu as prises sans t’en rendre compte. Tout ça, c’est la nécessaire et saine rébellion contre ce qui est trop bien. C’est souvent dit comme une boutade « les mauvaises photos sont les bonnes » ! Il y a un peu de ça, mais ce n’est pas que ça. Il y a aussi l’idée de jouer, de casser, de triturer, de se mettre à faire autre chose. Ce n’est pas mon langage habituel, sobre au 50 mm comme quand j’ai photographié Marseille, la Sainte Victoire. Cette série, c’est des choses qui vont un peu au-delà de moi-même ».

Les « photos ratées-reussies » du « Plossu expérimental ? ! » mises en lumière par le hors-série de la revue Mettray ont été très brièvement exposées en septembre dernier par L’Atelier 36 Bastille, en collaboration avec la Galerie Les Yeux Ouverts, à Paris.

La Galerie Territoires Partagés nous offre l’occasion de découvrir ces photos qui se rebellent ou Plossu « laisse la matérialité du film interférer avec les images » et la manière avec laquelle « il transforme les planches contact en storyboards illogiques, pour raconter des histoires comme dans un film ».

Stéphane Guglielmet et Emma Jacolot proposent un accrochage inspiré et très bien construit qui illustre avec brio la volonté de Plossu de montrer avec ses « photos ratées-réussies » qu’« un photographe a le hasard qu’il mérite »…

Incontournable, «Plossu Expérimental» mérite à l’évidence un passage par le 81 de la rue de la Loubière.

Avec «Plossu Expérimental», la Galerie Territoires Partagés signe sa troisième collaboration avec le photographe. Au début de l’année 2021 avec « Marseille Inédit », Stéphane Guglielmet avait présenté des images faites en 1991 quand Plossu arrivait à Marseille dont une série prise avec un Agfamatic et tirée pour la première fois en couleur. À la fin de la même année, la galerie avait offert une carte blanche à Bernard Plossu qui avait alors choisi de montrer des œuvres de Melania Avanzato, Solange Triger, Benoit Guillaume, Jacques Filiu, Fred Pereira et Claude Klément.

Du 2 décembre prochain et jusqu’au 13 janvier 2024, la Galerie Territoires Partagés proposera une deuxième exposition dans le cadre du Festival Photo Marseille 2023 en réunissant des photographies que Bernard Plossu avait réalisées à l’atelier Cézanne et au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence avec des peintures du plasticien Patrick Sainton. On reviendra probablement sur ce projet.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite de «Plossu Expérimental».

En savoir plus :
Sur le site de la Galerie Territoires Partagés
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Bernard Plossu sur documentsdartistes.org

« Plossu Expérimental » : Regards sur l’exposition

Quatre photogrammes extraits du film Le voyage Mexicain – tourné en 1965 en 8 et super-8mm – ponctuent et rythment l’accrochage.

Plossu Expérimental à la Galerie Térritoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Le parcours de «Plossu Expérimental» est introduit par deux citations. La première extraite d’un entretien avec Christophe Berthoud (Bernard Plossu, L’abstraction invisible, 2013) qui, après avoir proposé les termes de « photo-aste et ciné-graphe » pour évoquer le travail de Plossu, annonce que « Les photogrammes n’ont pas ici le statut de documents qui suppléent à l’absence de l’œuvre filmée, mais celui d’images de Bernard Plossu à part entière, nouvelles et pourtant inaugurales, qui attendaient que les conditions techniques et l’opportunité se présentent pour paraître. »

La seconde empruntée à Carlo Emilio Gadda (Saint-Georges chez les Brocchi, un des récits de Des accouplements bien réglés, 2015) prévient-elle les regardeur·euse·s  de qu’il vont découvrir? « Les images, obsession, délire, s’accumulaient sur la plaque sensible de l’âme et se confondaient l’une dans l’autre, comme des photographies qui se superposent pour peu qu’on oublie de faire tourner la pellicule. »

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Tout commence avec un morceau d’amorce voilée qui cache la moitié de la première photo d’un film… C’était « en Grèce, avec cette très jolie fille qui marchait, donc j’ai fait une photo. Et quand j’ai reçu le film, il y n’y avait que la moitié de la photo », raconte Bernard Plossu

Suivent un éclat de lumière qui semble surgir de la perforation du négatif pour illuminer des chaussures bien cirées perdues dans l’ombre d’une silhouette à Madrid, puis la vitrine d’un commerce marseillais qui annonce « … hygiène… animaux… photo » !

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

La séquence suivante présente d’étonnants diptyques qui émergent des planches contacts. Ainsi, dans une suite prise au Prestinox en 1993, un panoramique horizontal semble curieusement prolongé par le suivant qui est vertical… « Sur l’image 35, il y a le bas d’une vitrine et sur la 36 il y a un poteau électrique exactement dans la continuité de l’image d’avant ». Deux tirages plus loin, une composition similaire se reproduit.

Bernard Plossu - Paris au Prestinox, 1985
Bernard Plossu – Paris au Prestinox, 1985

Plossu raconte : «  j’ai revécu la même chose à Murcia en Espagne avec deux balustrades qui ont l’air de n’en faire qu’une. Deux photos qui se suivent sur le négatif ».

Bernard Plossu - Murcia, Espagne 2002
Bernard Plossu – Murcia, Espagne 2002

Sur des planches contacts de 1980, deux images tête-bêche se succèdent (Joshua Tree Park, Californie, 1980), même chose avec New Mexico où les positions du nuage et du sol s’inversent… « C’est la vie à l’envers. (…) la même photo qui a été faite dans les deux sens. Ce sont des idées comme ça. Le nuage est en haut, le nuage est en bas ».

Cette séquence se termine avec l’enchainement deux images qui empruntent au champ/contrechamp du cinéma… « Une nuit à Milan, je prends cette jolie photo de cette fille qui a le pied sur son scooter et on avance. Je passe de l’autre côté et elle est encore là. Je la reprends en photos. Elle est de face et de dos… (…) C’est une double image qui est la même. Ce n’est pas recto verso, c’est avant, après ».

«Plossu Expérimental» regroupe ensuite six photographies autour d’un imprévu, d’un accident qui sont reçus comme des hasards heureux par le photographe.

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Parmi elles, on retrouve l’image utilisée pour le carton d’invitation au vernissage. Dans sa conversation avec Stéphane Guglielmet, Plossu réagit ainsi face à cette photographie : « Ah génial ! C’est une photo de Marseille, mais le négatif a plié. C’est exactement ça dont je parlais. Et le fait que négatif pli donne quelque chose de beaucoup mieux qu’une photo de Marseille. C’est la dimension au-dessus. Quand je parle d’expérimental, c’est de ça que je parle, quand cela dépasse le langage normal.»

Bernard Plossu - Marseille, 1991
Bernard Plossu – Marseille, 1991

Sur la droite, Plossu a joué avec son appareil et une paire de jumelles pour faire émerger dans un rond au centre de l’image, le même paysage en réduction. « J’étais en refuge de montagne, le Chatelleret, et j’ai mis les jumelles devant l’objectif. Du coup, il y a ce que voient les jumelles et ce que voit l’objectif. Il faut avoir l’envie de faire ça. Plus que de l’envie, c’est du besoin. Il faut casser les codes ».

Bernard Plossu - Refuge du Chatelleret, 1995
Bernard Plossu – Refuge du Chatelleret, 1995

À gauche, d’étranges taches blanches heptagonales apparaissent sur un paysage inondé de lumière. « Sur celle-ci, c’est pareil. C’est une colline de sable en Sardaigne, à San Pietro, et au moment d’enlever mes lunettes de soleil, il y a deux taches lumineuses qui se sont créées par réverbération ! »

Bernard Plossu - Sardaigne, Italie 2008
Bernard Plossu – Sardaigne, Italie 2008

Dans cet ensemble, un autre hasard permet à Plossu, installé dans un train qui traverse la gare TGV d’Aix, de photographier ses images de la Sainte Victoire qui y sont affichées…

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Sur le mur du fond de la galerie, dans un accrochage en nuage, «Plossu Expérimental» propose plusieurs autoportraits parfois métaphoriques du photographe.

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Les plus allégoriques et les plus aboutis ne seraient-ils pas ceux où, lecteur du Voyage mexicain, il photographie les pages 53 et 54 de son livre dans la lumière ? Dans cette surprenante mise en abîme, le hasard semble lui offrir une formidable aubaine… « En feuilletant Voyage Mexicain à la lumière, il y avait une page, la 53, dans laquelle se découpait l’image de derrière, la 54. Dans le visage à l’ombre de la femme page 53, on voyait le visage à la lumière de la femme page 54. J’ai photographié les deux côtés bien sûr ».

De Florence à Arles, en passant par Modène, Almeria et la Californie, «Plossu Expérimental» se poursuit avec des photos-sandwichs.

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

« Le sandwich, c’est quand ta photo glisse sur ta pellicule. Il y a des photographes qui le font exprès, mais moi, c’est des accidents. Des accidents heureux et là ça marche. Je ne sais pas pourquoi il y a des photos-sandwichs qui marchent et d’autres qui n’ont pas d’intérêt. Là, c’est une en Californie et il y a une fille au milieu des voitures, on ne sait pas trop ce qu’elle fait là ».

Bernard Plossu - Southern California, 1974
Bernard Plossu – Southern California, 1974

Parfois, ces surimpressions découvertes sur les planches-contacts restent énigmatiques pour le photographe. « Et celle-là, j’ai jamais compris ! Il y a une photo du Maroc, une photo de Bruxelles, une photo du Mexique ! Comment elles se sont retrouvées toutes les trois sur mon truc, je ne sais plus… Mais quand j’ai vu ça sur ma planche contact, je me suis dit génial ! »

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Quelques-unes ne sont pas toujours le fruit du hasard. Ainsi pour l’image titrée Southwest Road (1983), Plossu raconte : « En général, je travaille avec un Nikkormat, mais pendant deux, trois ans aux États-Unis, on m’avait donné un petit Nikon que je devais nettoyer parce qu’il prenait la poussière. On était sur la route vers l’Utah, en Arizona. En enlevant l’objectif, je me suis rendu compte qu’on voyait le paysage dans l’appareil. J’ai donc photographié le paysage dans l’optique de l’appareil ».

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Superpositions et sandwichs se prolongent avec la photo d’un camion dans les nuages du Southwest américain et celle d’un livre à Athènes.

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Un captivant collage rassemble les regards de Bergman et d’Antonioni. « C’était un bouquin sur l’histoire du cinéma. Les deux regards étaient en couverture. Ça m’a tellement plus que j’ai fait moitié-moitié. J’en ai fait un seul visage ».

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille


Plossu ose aussi des mises au point audacieuses comme cette image d’un cordon de tirage pour rideaux qui s’impose devant un immeuble flou.

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

La dernière séquence débute avec un curieux poème de Plossu en forme d’inventaire surréaliste et une citation de Wols :

Pour savoir voir
il ne faut rien savoir
sauf savoir voir

If you’re to know how to see
you have to know nothing
exept to know how to see

Plossu semble accorder une grande importance au travail photographique assez peu connu du peintre allemand : « Pour moi, la grande révolution de la photographie a été faite par Wols, le peintre allemand, qui a fait des photos de rien. De petits morceaux de sucre sur une table. Il y a aussi les très bonnes photographies expérimentales de Magritte et ça, ça me plaît. Mais le maître incontesté, c’est Wols. C’est rien, une petite table avec des objets placés, ça a la rigueur d’un tableau de Braque, c’est très très fort »

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

Plusieurs hommages à des artistes (Braque, Domela, Jawlensky) accompagnent des collages de négatifs ou de morceaux de planches contact ou encore des amorces de pellicules. L’exposition se termine avec une photographie intitulée Maison de Picasso à Huerta (2019). A son propos, Plossu explique : « Pour cette image, j’étais dans une randonnée sur les traces de Picasso à Barcelone. Sa maison, cachée dans la forêt, est complètement fermée, impossible d’y rentrer. À un moment, derrière, il y avait un trou dans le mur. Impossible de voir ce qu’il y avait, donc j’ai collé l’objectif dans le trou, j’ai mis un temps de pose de 7 à 8 secondes ouvert à 1,4 et il est sorti cette image qui est merveilleusement cubiste sans que je ne l’aie voulu ! »

Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés - Marseille
Plossu Expérimental à la Galerie Territoires Partagés – Marseille

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