Jusqu’au 29 septembre 2024, Luma Arles présente « Judy Chicago : Herstory » dans les espaces du Magasin Électrique au Parc des Ateliers. Cette imposante rétrospective consacrée à l’emblématique artiste féministe a été coproduite avec le New Museum de New York où elle a été exposée l’automne dernier.
Le mot « herstory » associé au nom de l’artiste s’imposait sans doute comme titre pour cette exposition. Construit sur un jeu de mots en anglais, intraduisible en français, « herstory » indique une manière d’écrire l’histoire selon un point de vue féministe avec notamment l’ambition de mettre en valeur les vies et les actes des femmes qui ont été négligées ou oubliées. Il aurait pour origine un article écrit par Robin Morgan, une des figures du féminisme, au début des années 1970. Certain·e·x ne manquent pas de trouver le renouveau récent de ce terme trop réducteur, trop « féministe blanc » ou trop enfermé dans une vision binaire. Toutefois, il paraît parfaitement pertinent pour une rétrospective consacrée à une icône de l’art féministe dont une grande partie du travail fait référence à l’effacement des femmes dans les récits dominants et à leur absence dans les musées.
« Judy Chicago : Herstory » est logiquement organisé de manière chronologique. Le parcours de l’exposition s’articule en onze séquences qui couvrent plus de soixante ans de création. Il retrace son histoire depuis ses expériences des années 1960 dans le domaine du minimalisme, puis son art féministe révolutionnaire des années 1970 jusqu’à des séries plus récentes.
Dans une première partie, l’exposition rassemble des œuvres légendaires. On y retrouve notamment l’installation Rainbow Pickett (1965), présentée en avril 1966 au Jewish Museum dans « Primary Structure : Younger American and British Sculptors », l’exposition qui a consacré le tournant minimaliste de la sculpture contemporaine.
Suivent des photos et des films de ses Atmospheres, performances radicales initiées en 1969 où Judy Chicago utilisant des fumées colorées et des feux d’artifice pour activer plutôt que marquer le paysage.
Une suite d’abstractions visionnaires des années 1970 – telles que Through The Flower (1973) et quelques œuvres de la Great Ladies Series (1973) illustrent l’iconographie de Chicago enracinée dans la théorie féministe. Ces œuvres accompagnent une évocation de l’installation The Dinner Party (1974-1979), œuvre capitale dans le parcours de Chicago, une tentative de refaire l’histoire et l’art contemporain à la lumière du féminisme. Si les visiteur·euses de « Judy Chicago : Herstory » au New Museum de New York pouvaient aller voir The Dinner Party au Brooklyn Museum, il faut bien évidemment se contenter ici d’un grand tirage photographique, d’une vidéo et d’un ensemble de dessins préparatoires.
Le parcours se poursuit avec l’annonce que Chicago a fait paraître dans Artforum pour notifier son changement de nom en 1970 et quelques photographies du début de cette décennie. Ces documents introduisent une importante séquence consacrée aux archives de la Womanhouse, légendaire projet imaginé en 1972 avec plus de vingt étudiantes dans un manoir abandonné d’Hollywood, une expérience réalisée dans le cadre du Feminist Art Program que l’artiste avait fondé avec Miriam Schapiro à l’université d’État de Californie.
Ces archives cohabitent avec quelques œuvres du Birth Project, un cycle commencé en 1980 combinant travaux d’aiguille et peinture en collaboration avec plus de 150 brodeuses pour célébrer le processus de la naissance. Après The Dinner Party, Chicago continuait d’affirmer son intérêt pour les médiums historiquement féminins et des pratiques coopératives qu’elle conçoit comme une forme de rébellion contre les hiérarchies établies.
Cette première partie de « Judy Chicago : Herstory » se termine avec une reconstitution de la Feather Room de 1967.
Ces œuvres historiques sont rejointes dans la suite du parcours par des séries plus récentes telles que PowerPlay (1982-87) ou Resolutions : A Stitch in Time (1994-2000). L’exposition se termine avec The End : A Meditation on Death and Extinction (2012-1018) et The Female Divine (2022).
Après les œuvres brillantes et percutantes de la première partie, celles-ci paraissent plus émoussées, faisant preuve d’un didactisme un peu lourd qui laisse peu d’espace de réflexion au public. Certaines critiques new-yorkaises n’ont pas hésité à parler de « pensée simpliste qui réduit des sujets complexes à des morales et des dichotomies surdéterminées »…
Cet essoufflement est renforcé par la disparition à Arles de The City of Ladies, exposition dans l’exposition, dans laquelle Chicago avait rassemblé à New-York des œuvres de quatre-vingt-cinq femmes artistes, écrivains et philosophes dans un « musée personnel ». De cette installation, il ne reste que les onze bannières monumentales de The Female Divine, créées pour la présentation de la collection Dior printemps 2020, au musée Rodin à Paris. Si ces œuvres conçues par Chicago et richement brodées par des femmes de la Chanakya School of Craft à Mumbai sont imposantes et élégantes, les questions qu’elles posent « Et si les femmes dirigeaient le monde ? » laisseront sans doute songeur·euses et dubitatif·ves plusieurs visiteuses et visiteurs…
Sont également absentes à Arles les œuvres de l’Holocaust Project, quelques séries comme les Rejection Drawings et les deux installations participatives du New Museum.
« Judy Chicago : Herstory » présente plusieurs entorses à sa logique chronologique. Sans doute imposées par des contraintes d’accrochage et de mise en espace, elles peuvent troubler la lisibilité du propos. C’est notamment le cas pour les 140 dessins de Autobiography of a Year (1993-1994) qui ouvrent l’exposition. Rien dans le cartel développé explique les raisons de commencer par cet ensemble qualifié de « chronique d’une période extrêmement difficile pour Chicago, marquée par la dépression et le doute de soi »…
La reconstitution de la Feather Room, une œuvre de 1966, au centre de l’exposition, aurait sans doute trouvé une meilleure place en début de parcours, à proximité des Atmospheres. Dans le catalogue qui accompagnait l’exposition « Los Angeles, les années cool » présentée par la Villa Arson à Nice en 2018, Géraldine Gourbe soulignait « l’intérêt de Chicago pour les environnements-performances qui préfigurent une orientation vers le light and space avec Feather Room (1967), Dry Ice Environment (1967) et la série land art des Atmospheres (1969) ».
N’aurait-il pas été plus pertinent d’évoquer The Dinner Party après avoir exposé les archives de Womanhouse et du Feminist Art Program ?
« Judy Chicago : Herstory » est sans aucun doute une exposition majeure qui éclaire les pratiques avant-gardistes féministes de l’artiste et la cohérence de sa démarche. Cependant, l’exposition n’évite pas toujours le défaut classique de la rétrospective qui tend parfois à l’hagiographie.
Les textes de salles et les cartels oublient de souligner combien ses œuvres souvent ont été rejetées par la critique et le monde de l’art. Ce fut notamment le cas lors de la réception de The Dinner Party. Si l’installation a été vue par 100 000 personnes lors de sa présentation au Musée d’art moderne de San Francisco en 1979, la critique a été majoritairement cruelle. Dans sa version américaine, Wikipédia en fait l’inventaire et cite en particulier Hilton Kramer qui écrivait dans le New York Times : « The Dinner Party réitère son thème avec une insistance et une vulgarité qui conviennent peut-être mieux à une campagne publicitaire qu’à une œuvre d’art ». Il qualifiait l’œuvre non seulement d’objet kitsch mais aussi de « grossière, solennelle et bornée », de « très mauvais art, […] d’art raté, […] d’art tellement embourbé dans les poncifs d’une cause qu’il ne parvient pas à acquérir une vie artistique indépendante »…
Si la critique féministe Lucy Lippard a défendu l’œuvre dans le Woman’s Art Journal, d’autres ont été particulièrement sévères (Maureen Mullarkey, Maria Manhattan, Amelia Jones ou encore Hortense J. Spillers et Alice Walker).
Après l’exposition au SFMOMA, de nombreuses institutions ont annulé leurs projets. The Dinner Party n’a pu être vue que par l’engagement et la détermination de Judy Chicago et de ses amis. L’œuvre est restée en caisse pendant des années avant d’être exposée de manière permanente en 2007 au Brooklyn Museum. Les menaces et les critiques haineuses en réaction à l’œuvre ont fortement affecté l’artiste, la plongeant à l’époque dans une profonde dépression.
Le commissariat à Arles est assuré par Vassilis Oikonomopoulos, directeur des expositions et des programmes.
Au New Museum, l’exposition a été conçue par Massimiliano Gioni, directeur artistique, Gary Carrion-Murayari, curateur senior, Margot Norton, curatrice au Berkeley Art Museum & Pacific Film Archive, et Madeline Weisburg, curatrice assistante, avec l’aide de Ian Wallace.
La version arlésienne de « Judy Chicago : Herstory » bénéficie du soutien de Christian Dior Parfums.
Catalogue non traduit en français aux éditions Phaidon (non consulté).
Judy Chicago est également exposée à Londres par la Serpentine Gallery dans « Revelations », un solo show qui tire son nom d’un manuscrit enluminé inédit que Chicago a rédigé au début des années 1970 lors de la création de The Dinner Party (1974-79). Organisée de manière thématique autour des chapitres du manuscrit, l’exposition se concentre sur le dessin, un médium que Chicago explore depuis plus de six décennies.
Au-delà des quelques critiques formulées ci-dessus, « Judy Chicago : Herstory » est bien entendu une exposition incontournable qui mérite un passage par Arles cet été.
Ci-dessous, quelques regards photographiques sur l’exposition accompagnés des textes de salle. À éviter pour celles et ceux qui n’ont pas encore vu cette rétrospective et qui comptent le faire…
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À lire le dossier de presse de « Los Angeles, les années cool », toujours disponible sur le site de la Villa Arson, et notamment le texte de Géraldine Gourbe.
« Judy Chicago : Herstory » – Regards sur l’exposition
Autobiography of a Year
Réalisé peu après l’achèvement du Holocaust Project (1985-1993), l’ensemble de 140 dessins intitulé Autobiography of a Year [Autobiographie d’une année], réalisé en 1993-1994, est la chronique d’une période extrêmement difficile pour Chicago, marquée par la dépression et le doute de soi. L’artiste venait de s’installer à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, et traversait une crise de confiance quant à la portée de ses réalisations artistiques. Désireuse de trouver un moyen immédiat de s’exprimer, elle se tourne vers une méthode de dessin impulsive, traduisant des sentiments très personnels à travers l’aquarelle, les crayons Prismacolor et le papier. Tout au long de l’année consacrée à ce projet, Chicago utilise la couleur pour exprimer ses émotions, développant un système où des teintes particulières correspondent à des humeurs, le jaune indiquant le bonheur, le rouge la colère, et le bleu la tristesse. Les dessins varient en tonalité et en contenu, allant de tendres portraits de ses chats bien-aimés à des silhouettes tordues, tourmentées par l’anxiété et la rage. Ensemble, ces dessins offrent un accès brut et sans filtre aux pensées et aux sentiments les plus intimes de Chicago, tout en dévoilant une partie de son processus artistique. (Texte de salle)
Minimalist and Early Feminist Periods
Parallèlement à son éveil féministe au début des années 1970, Judy Chicago réoriente sa production artistique pour refléter son engouement grandissant pour les idées et les actions liées au mouvement des femmes, et s’attèle désormais à exhumer l’histoire marginalisée des femmes artistes, autrices et penseuses. Cette salle présente le travail de l’artiste à cette époque florissante, notamment des séries significatives de sa période minimaliste et de ses débuts féministes. (Texte de salle)
Pasadena Lifesavers [Les sauveteurs de Pasadena] est un ensemble de peintures abstraites lumineuses de formes géométriques dans des tons bleus, jaunes et rouges. Jugeant le langage artistique du Minimalisme dominé par les hommes, elle cherche à s’en émanciper à travers un vocabulaire formel et coloré qui reflèterait l’évolution de ses points de vue sur l’identité et la sexualité. En expérimentant avec les contrastes et les gradations, Chicago souhaite communiquer la « sensation de dissolution » de l’orgasme féminin. Des vues de l’installation originale montrent les œuvres rayonner sur fond de murs assombris, leurs formes circulaires ouvertes en leur centre évoquant des bouées de sauvetage, des bonbons, des yeux, des bouches ou encore le « O » de l’extase et de la délectation. (Cartel)
Entre 1964 et 1973, Chicago produit plusieurs séries de dessins, peintures et sculptures explorant la couleur à travers un vocabulaire géométrique resserré. Bien que cette œuvre soit restée méconnue jusqu’au début des années 2000, la sculpture de Chicago Rainbow Pickett [Structures primaires] (1965/2021) est montrée dans l’exposition historique Primary Structures au Jewish Museum de New York en 1966. La sculpture originale, nommée d’après le chanteur de soul Wilson Pickett, n’existe plus. Célèbre pour avoir consacré le Minimalisme au sein du monde de l’art new-yorkais, Primary Structures présente le travail de quarante-deux artistes étatsunien·nes et britanniques, dont seulement trois femmes. Chicago ne se retrouve pas seulement en minorité face aux hommes, elle est aussi utilisée comme point de comparaison entre les côtes Est et Ouest – une dichotomie qui disqualifie les œuvres issues de Los Angeles comme relevant du « Finish Fetish » et n’admet que quelques artistes new-yorkais·es dans le canon de « l’Art Minimal ». Chez Chicago, l’usage exubérant de la couleur et le soin porté à élaborer l’iconographie explicitement féministe qui en découle l’isolent des œuvres apparemment plus objectives d’autres artistes tels que Donald Judd et Robert Morris. (Cartel)
Au milieu des années 1960, Chicago sculpte principalement des formes minimalistes, et reçoit une formation précoce dans ce qu’elle appelle les « arts machistes », qui comprennent la construction navale, la carrosserie et la pyrotechnie. Elle s’inscrit à des cours de carrosserie automobile – seule femme parmi 250 étudiants hommes – pour apprendre la peinture au spray aérosol. S’ensuit la série des Hoods [Capots], (1964-1965), exemplaire de sa fascination pour les procédés industriels, les formes préfabriquées, et la culture automobile en Californie du Sud. Des capots de voiture produits en série, que Chicago décrit comme « le plus masculin des objets », sont recouverts d’impressionnants motifs de Rorschach réalisés à la peinture aérosol, à la fois biomorphes et minutieusement décoratifs. Bien consciente de l’association du Minimalisme avec la gravité masculine, et en dialogue avec les styles librement affiliés des artistes du Light and Space et Finish Fetish – dont le travail met en avant les qualités perceptives de l’air, de l’espace et de la surface – Chicago associe une chatoyante palette de teintes sorbet ou acidulées à des formes industrielles léchées. Bien que son usage expressif de la couleur ait conduit certains critiques à juger son travail « trop féminin », c’est justement sa compréhension aigüe des associations genrées liées aux choix de ses palettes et de ses formes qui différencie la pratique de Chicago de celles de ses pairs masculins. De ce point de vue, cet ensemble d’œuvres peut être considéré comme une mise en cause prémonitoire des liens stylistiques entre le Minimalisme et des personnalités masculinistes, malgré les prétentions de ce courant à une neutralité objective. (Cartel)
Au début des années 1970, alors que Chicago dirige le Feminist Art program à l’université d’État de Fresno, elle poursuit ses expérimentations formelles avec la peinture aérosol. Dans les séries Flesh Garden [Jardin de chair] et Fresno Fans [Fans de Fresno], toutes deux réalisées en 1971, elle fait référence à la chair et au paysage à travers des formes rectangulaires peintes à la bombe sur de l’acrylique blanc. L’atelier de Chicago est spécialement organisé pour permettre la production de ces œuvres en grand format, qui emploient des techniques développées par l’artiste au cours de la création des Pasadena Lifesavers (1969-1970). Avec leurs nuances vibrantes qui s’estompent peu à peu vers le blanc, les agencements géométriques semblent se déployer du centre vers les bords par couches successives, une forme de composition innovante que Chicago continuera de développer dans de futurs tableaux comme Through the Flower [A travers la fleur] (1973).
Les formes carrées et rectangulaires réapparaissent dans la série des Flesh Garden (1971), où la présence du corps imprègne la grille minimaliste, l’œil étant attiré par un « noyau central » autour duquel Chicago structure sa composition. À travers le langage visuel de l’abstraction, les deux séries compliquent les oppositions binaires entre dureté et douceur, force et vulnérabilité, fermeture et ouverture, chacune porteuse de connotations genrées que le travail de Chicago vient perturber. Bien que les deux séries témoignent plus explicitement de l’importance du corps pour Chicago, elles reflètent aussi son désir d’identification au-delà du sexe et du genre, avec des références à l’environnement naturel, au ciel, au soleil et à la terre. (Cartel)
À partir du milieu des années 1960, Chicago explore les possibilités de jeu avec les rôles et performances de genre, pour les subvertir et les parodier. Stimulée par le mouvement global de libération des femmes qui émerge à la fin de la décennie, et en riposte directe à un monde de l’art encore principalement dominé par les artistes, critiques et galeristes hommes, Chicago déploie des formes qui renversent joyeusement les hiérarchies genrées de l’histoire de l’art. Convoquant le tabou de l’érotisme féminin, elle défie à la fois le récit historique patriarcal dominant et les notions traditionnelles de féminité.
Judy Chicago – Multicolor Rearrangeable Game Board, 1965-1966 ; Moving Parts, 1967/2022 ; Polished Stainless Steel Domes, 1968 – « Judy Chicago : Herstory » à Luma Arles
Dans la composition sur table Multicolor Rearrangeable Game Board [Plateau de jeu réogranisable multicolore] (1965-1966), Chicago adapte des formes minimalistes rappelant ses sculptures monumentales pour créer des simulacres de pièces de jeu, dans une double subversion de la verticalité picturale et de la monumentalité sculpturale. L’échelle réduite des objets en Plexiglas et aluminium de Chicago amoindrit aussi l’héroïsme présumé de la sculpture minimale et du land art, qu’elle transforme en jeux de société pour maison de poupée. Dans la même veine, la série de dômes miniatures Polished Stainless Steel Domes [Dômes en acier inoxydable poli] (1968), est recouverte de peinture aux teintes psychédéliques, évoquant aussi bien des figurines de Vénus mégalithiques que des ovnis de l’ère spatiale utopique. Par ailleurs, Chicago utilise et affine son iconographie du « noyau central », qu’elle identifie dans les œuvres d’artistes femmes historiques comme Georgia O’Keeffe, Agnes Pelton et Hildegard de Bingen. Chicago mêle à cette iconographie des formes de fleurs et de papillons, qu’elle déploie dans ses dessins, peintures et céramiques, faisant aussi allusion à la résurgence des mythes matriarcaux et du culte de la déesse chez les communautés féministes de l’époque. (Cartel)
Atmospheres
Judy Chicago réalise initialement sa série de performances Atmospheres [Atmosphères] entre 1968 et 1974, après s’être formée à la pyrotechnie. Des panaches de fumée colorée, parfois même des flammes, sont créés au moyen de machines à fumée, de feux d’artifice et de feux d’avertissement routiers, et sont documentés dans des films et des photographies saisissantes. Dans la sensuelle Purple Atmosphere (1969), de denses nuages de fumée jaillissent parmi le paysage de Santa Barbara, brouillant la distinction entre terre et mer. Les treize performances originales de Chicago, connues sous le nom de California Atmospheres, sont présentées au public dans des environnements à la fois naturels et architecturaux autour de Los Angeles et dans d’autres zones de la Californie du Sud. Ces premières œuvres dynamiques activent le paysage à travers un usage expressif de la couleur, proche de ses sculptures minimales et de ses peintures formalistes antérieures cette fois sous une forme plus libérée. Pour l’artiste, Atmospheres « marque le moment de transition, lorsque les combinaisons colorées particulières et les méthodes [que j’ai] développées pour fondre la surface et le sol […] se libèrent de ces contraintes ». (Texte de salle)
Les œuvres en fumée plus tardives de Chicago intègrent des performeuses dont les corps nus sont souvent peints de pigments éclatants et évoquent d’anciennes figures de déesses.
Ces dernières années, un intérêt renouvelé pour la pratique de Judy Chicago a permis à l’artiste de reprendre sa série des Atmosphères dans des performances réalisées à travers les États-Unis et le Canada. Dans son ensemble, la série saisit la portée expérimentale, exubérante et ambitieuse de la vision sociale radicale de Chicago, et son désir de réimaginer l’univers tout entier selon une nouvelle écologie féministe. En 2012, Judy Chicago fait son retour à la pyrotechnie avec la performance A Butterfly for Pomona [Un papillon pour Pomona]. Depuis, Chicago continue de travailler avec la fumée et les feux d’artifice à des échelles diverses, allant de spectacles pyrotechniques de grande ampleur dans l’espace public à des interventions plus intimes dans des jardins privés, comme avec sa récente série Garden Smoke [Fumée de jardin] (2020).
Créée durant la pandémie de COVID-19, Garden Smoke présente une série de sculptures en fumée de petite taille, réalisées dans les jardins de l’artiste à Albuquerque et Belen. Pour ces œuvres, Chicago déclenche d’ondoyants nuages de fumée qui prennent vie parmi les feuillages et les massifs de fleurs, générant de puissants contrastes de couleur et de texture. Le mari de Chicago, Donald Woodman, enregistre ces événements dans des photographies accompagnées de mots décrivant l’expérience contraignante du confinement, comme « réprimé·e », « cerné·e », « parqué·e » ou « confiné·e ». En prolongeant l’une de ses séries antérieures les plus radicales, Chicago propose de nouvelles modalités d’activation du paysage, qu’elle investit de significations émotionnelles à travers des juxtapositions colorées de terre et de fumée.
The Dinner Party
Judy Chicago acquiert une reconnaissance publique considérable dans les années 1970 avec son projet légendaire, The Dinner Party (1974-1979) : un banquet cérémoniel colossal en l’honneur de femmes importantes de l’histoire. Aujourd’hui installée de manière permanente au musée de Brooklyn, elle est sans doute l’œuvre la plus célèbre de l’artiste. L’élément central de l’installation de Chicago, conçue à l’échelle d’une salle, est une table de banquet triangulaire dont chacun des trente-neuf couverts est dédié à une femme illustre, de la Préhistoire au vingtième siècle. Chaque couvert comprend un jeté de table minutieusement brodé et une assiette de porcelaine peinte décorée de motifs de vulve. L’œuvre est le fruit d’un exigeant travail de production ayant nécessité de nombreuses étapes successives, de la recherche, des croquis, maquettes et essais, jusqu’à la réalisation finale des éléments de l’installation. (Texte de salle)
Pour chaque assiette, Chicago crée des dessins préparatoires détaillés, dont les trente-neuf sont présentés ici. Ces dessins ont ensuite été transposés sur porcelaine par des artisan-es bénévoles ayant collaboré avec Chicago pour ce projet. Chaque assiette est spécialement conçue pour refléter le parcours spécifique, le contexte historique et les accomplissements des personnalités représentées. Par exemple, l’assiette dédiée à l’abbesse médiévale Hildegard de Bingen évoque un vitrail, tandis que celle de Georgia O’Keeffe propose une interprétation sculpturale de sa peinture Black Iris (1926). L’expérience des artistes femmes et des artisanes travaillant collectivement à réimaginer l’histoire depuis le point de vue des femmes fait partie intégrale de l’orientation féministe de l’œuvre. Les croquis et les éléments préparatoires de Chicago rendent visible les coulisses de ce chantier collaboratif.(Texte de salle)
Cette série de cinq peintures sur porcelaine, d’une importance historique, préfigure le chef-d’œuvre de l’artiste, The Dinner Party. Les papillons sont des symboles de métamorphose, de vol et de liberté. Emblématiques de la beauté féminine et de la joie orgasmique, les assiettes à papillons font également un clin d’œil ironique au premier roman de Margaret Atwood, The Edible Woman, ainsi qu’aux œuvres d’autres linguistes astucieux. À une époque où l’art ignorait la céramique et où Playboy dévoilait tout, Chicago n’a pas hésité à mettre l’érotisme féministe sur la table et à renverser les hiérarchies traditionnelles de l’art et de l’artisanat. (Cartel)
Les assiettes de papillons incarnent les signatures stylistiques de la peinture de Chicago. Elles sont d’une précision étincelante, utilisent des couleurs arc-en-ciel et des transitions ombrées, et présentent son écriture selon la méthode Palmer. Artiste au concept et au design élevés, Chicago était obsédée par le perfectionnement de ses compétences dans divers modes de peinture. Elle a fréquenté une école de carrosserie pour apprendre à peindre au pistolet dans une classe de 600 hommes. Elle s’est ensuite formée à la peinture sur glacis dans les cuisines d’une poignée de femmes. (Cartel)
Bien que Chicago ait assez tôt interprété sa pratique artistique sous l’angle du genre et de l’identité, ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’elle commence à s’impliquer activement dans le mouvement de libération des femmes et à revendiquer le caractère explicitement féministe de ses œuvres. À partir de The Great Ladies Series [La série des grandes dames] et de The Reincarnation Triptych [Le triptyque de la réincarnation] en 1973, Chicago prend l’histoire et le canon comme sujets de ses propres travaux. Mus par l’impératif pédagogique de rétablir l’histoire culturelle des femmes à travers des formes abstraites audacieuses et vivement colorées, les tableaux de Chicago commémorent des monarques, des figures politiques et des écrivaines. Chicago entame sa recherche sur l’histoire culturelle des femmes à la fin des années 1960 dans un besoin désespéré, dit-elle, « de comprendre si d’autres femmes avant moi avaient rencontré le genre d’obstacles auxquels j’étais confrontée ».
Alors qu’elle parcourt les États-Unis pour donner des conférences, elle passe au crible les étagères de librairies d’occasion isolées, dénichant des livres de poche à un dollar et des recueils négligés d’histoire des femmes édités par des suffragettes à la fin du dix-neuvième siècle. Elle intègre ce genre de travail de récupération au cursus du Feminist Art Program. Pour The Great Ladies Series et The Reincarnation Triptych, Chicago explore à la fois les effets symboliques de formes abstraites centralisées et l’idée d’utiliser des œuvres d’art pour symboliser ou faire référence à des femmes importantes de l’histoire – les remettant ainsi sur le devant de la scène.
Considérée comme l’apogée de la première période féministe de Chicago, Through the Flower [À travers la fleur] (1973) incarne la transformation des structures formelles minimales de l’artiste en un vocabulaire combinant une iconographie abstraite aux principes de ses idéaux féministes. Réalisé à la peinture acrylique pulvérisée, le tableau montre une succession de formes rappelant des pétales assemblés autour d’un orbe de lumière brillante, évoquant un moment d’éveil ou de naissance. L’œuvre témoigne de la manière dont Chicago se revendique plus explicitement comme une artiste féministe, attachée à recouvrer les expériences des femmes restées dans l’ombre de la culture et de l’histoire. Depuis les années 1970, cela se traduit notamment par la revalorisation de motifs délaissés, car considérés comme féminins et exclusivement décoratifs, comme les fleurs et les papillons.
En 1973, Chicago et la peintre Miriam Schapiro cosignent un article intitulé « Female Imagery » [Imagerie féminine] pour le Womanspace Journal, dans lequel elles appellent à une réappropriation de l’appareil génital féminin réifié par l’histoire de l’art. Reconnaissant dans les formes biomorphes présentes dans les œuvres de Georgia O’Keeffe, Barbara Hepworth et Lee Bontecou des signes codés de féminité et de sexualité, elles développent aussi l’expression d’iconographie de la « cavité centrale » [central core] – formule que Chicago appliquera à la plupart de ses œuvres abstraites tout au long des années 1970. Elle développe alors une esthétique fondée sur les abstractions circulaires, que l’artiste oppose aux formes phallocentriques qui envahissent la culture visuelle.
Womanhouse
Le programme d’études du Feminist Art Program du Fresno State College se distinguait nettement de l’enseignement artistique traditionnel en atelier, tout particulièrement par la pratique de la performance comme outil d’apprentissage génératif. Bien que Chicago n’ait pas une grande expérience dans ce domaine, elle considère que la performance – développée en tandem avec des séances de sensibilisation qu’elle appelle « circling » [encerclement] – est une méthode efficace pour aider les étudiantes à développer leur sujet. La réputation radicale de cette méthodologie attire nombre de personnes curieuses venues des quatre coins des États-Unis, y compris des militantes féministes renommées comme Ti-Grace Atkinson. Dans le film Judy Chicago and the California Girls, on peut voir Atkinson accueillir des étudiantes costumées incarnant des « Cuntleaders ». Les performances des étudiantes du Feminist Art Program de Fresno et de CalArts, telles que Rivalry Play (1970-1971) et Ablutions (1971), abordent toute une série de sujets relatifs à la vie des femmes, notamment les dynamiques interpersonnelles entre les femmes ou les expériences de viol. Pendant la durée de Womanhouse, le salon du manoir se transformait en un espace dans lequel les étudiantes présentaient des performances de longue durée, exécutant des tâches domestiques ou composant des œuvres qui interrogeaient la construction de la féminité. (Texte de salle)
En 1970, Chicago fonde le Feminist Art Program à l’université d’État de Californie, Fresno, comme un moyen radical de transformer l’éducation artistique et de répondre à la marginalisation rencontrée par les femmes en écoles d’art. Il n’accepte que des candidates femmes et encourage les étudiantes à développer leurs pratiques artistiques à travers des actes de sensibilisation et de militantisme politique. L’année suivante, Chicago relocalise le programme à l’Institut des Arts de Californie à Valencia, en codirection avec Miriam Schapiro. Ce programme emblématique donne lieu à plusieurs projets légendaires, comme la Womanhouse [Maison des femmes] (1972), une exposition imaginée par Chicago, Schapiro et plus de vingt étudiantes dans une demeure délabrée d’Hollywood. Ensemble, le groupe s’attèle à la rénovation de la maison, transformée en une installation totale remplie d’œuvres d’art à l’échelle des pièces, et de performances qui explorent les constructions de la féminité, de la domesticité et la dévalorisation de l’expérience des femmes dans une société patriarcale. (Texte de salle)
La Womanhouse a joué un rôle précurseur de par son usage de la performance, de l’installation et des techniques artisanales, mais aussi en affirmant que l’expérience des femmes pouvait constituer un matériau et une ressource artistiques. Au cours de l’histoire de l’art, les arts domestiques, l’artisanat et la décoration – spécifiquement considérés comme du travail « féminin » ou « de femme » – ont longtemps été dévalorisés par rapport à d’autres formes artistiques comme la peinture et la sculpture. Dans la sphère privée de la Womanhouse, les participantes bénéficient d’un espace pour présenter des œuvres au sujet de la maison et du corps – dans le cadre d’une stratégie déterminée pour défaire les hiérarchies entre les contenus – et se réapproprier de manière subversive des pratiques genrées. Ouverte pendant un mois, la Womanhouse attirera plus de dix-mille visiteur·euses. En insistant sur les rapports entre sexualité, identité et architecture, la Womanhouse annonce certains des débats cruciaux d’aujourd’hui autour de la construction sociale des rôles de genre. (Texte de salle)
Avant de créer les mythiques espaces domestiques qui garnissent le manoir hollywoodien abritant Womanhouse [La maison des femmes], les étudiantes du Feminist Art Program ont restauré la structure délabrée. Dans une ambiance digne d’un camp d’entraînement, Chicago et Schapiro ont supervisé plusieurs mois de travaux, au cours desquels les artistes et leurs étudiantes ont décapé les murs, remplacé les fenêtres, monté des cloisons, poncé les sols, fabriqué des meubles et installé des éclairages. Ces efforts ont permis la présentation audacieuse d’installations telles que Bridal Staircase [Escalier de la mariée], Crocheted Environment [Environnement crocheté], Lipstick Bathroom [Salle de bain rouge à lèvres], Nurturant Kitchen [Cuisine nourricière] et Menstruation Bathroom [Salle de bain des menstruations]. « L’un des objectifs du programme était d’apprendre aux femmes à utiliser des équipements électriques, des outils et des techniques de construction », explique Chicago. « Les étudiantes devaient accomplir un travail physique exigeant, utiliser des outils qu’elles ne connaissaient pas […] travailler à une échelle bien plus grande que celle à laquelle la plupart d’entre elles étaient habituées. » Womanhouse a ouvert ses portes le 20 janvier 1972 et les a fermées le 28 février, avant que la maison ne soit démolie, comme prévu initialement. (Texte de salle)
Birth Project
Dans les années 1980, l’investissement de Chicago dans le mouvement féministe et l’histoire culturelle rencontre d’autres thèmes, idées et motifs. À cette époque, elle se consacre à une autre réalisation de grande envergure, le Birth Project [Projet de naissance] (1980-1985), qui combine recherche et travail sur le terrain, études des matériaux, fabrication complexe et publication. Ce vaste cycle, réalisé en collaboration avec plus de 150 brodeuses, décline des images relatives aux naissances qui, selon l’artiste, sont trop rarement représentées dans l’art et la culture populaire, et conjugue diverses techniques de travaux d’aiguille pour illustrer les différents aspects du processus d’accouchement. Chicago s’est intéressée aux médiums historiquement féminins que sont le textile, les travaux d’aiguille et la peinture sur porcelaine dès les années 1970, et développe une pratique réfléchie et judicieuse de ces techniques, qu’elle conçoit comme une forme de rébellion contre les hiérarchies établies.
En représentant la naissance et la maternité une tâche historiquement dévolue aux hommes plutôt qu’aux femmes elles-mêmes sous forme de travaux d’aiguille, le Birth Project recourt à un médium stéréotypé et traditionnellement genré, délaissé par les milieux artistiques depuis des siècles. Ce choix met en lumière les réalités sociales des femmes à travers le monde. « Lorsque j’ai de nouveau abordé ce sujet pour préparer le Birth Project, je suis allée à la bibliothèque pour y chercher des images d’accouchement », écrit Chicago dans son livre Birth Project de 1985. « J’ai été stupéfaite de constater que mes recherches ne donnaient presque aucun résultat. Pourtant, il est évident que la naissance est une expérience humaine universelle, centrale dans la vie des femmes. Pourquoi n’y avait-il donc aucune image ? » (Texte de salle)
Judy Chicago – Smocked Figure, 1984 et Birth Trinity Needlepoint 1, 1983 – Birth Project – « Judy Chicago : Herstory » à Luma Arles
Les formes en dentelle de Birth [Naissance] (1985) ont été confectionnées en crochet-filet – une méthode combinant des mailles ouvertes et pleines – et représentent une femme sur le dos en train d’accoucher. Crochetée par Dolly Kaminski, cette œuvre d’environ six mètres de long montre la naissance comme un acte archétypal de fécondité féminine, tout en soulignant la rareté des représentations de l’expérience des femmes dans l’histoire de l’art. Comme l’a fameusement formulé Chicago, « si les hommes mettaient eux-mêmes au monde leurs enfants, on trouverait des milliers d’images de leur accouchement. » (Cartel)
Feather Room
Judy Chicago – Feather Room, 1966, reconstituée en 2024 pour « Judy Chicago : Herstory » à Luma Arles. Installation in situ, structure en bois, toile diffusante, 36 projecteurs LED, duvet de canard (sans allergène et produit dans le respect du bien-être animal)
Judy Chicago a créé la Feather Room [Salle aux plumes] en collaboration avec Lloyd Hamrol et Eric Orr. Ensemble, les trois artistes formèrent de manière informelle « The Rooms Company », un nom évoquant leur souhait de concevoir des environnements à l’échelle d’une pièce. Après les structures géométriques et les surfaces lisses de ses premières pièces, la Feather Room marque un tournant dans la carrière de Chicago, inaugurant une série d’œuvres environnementales au sens strict du terme. Baptisées Atmospheres [Atmosphères], ces créations proposent des expériences sensorielles et éphémères. En modifiant l’atmosphère d’une œuvre, Chicago cherche à féminiser un monde patriarcal. La Feather Room présente une esthétique diffuse et fluctuante, grâce à l’utilisation d’un matériau organique léger, contrastant nettement avec les matières solides et les formes angulaires de ses sculptures minimalistes précédentes. Les angles se délestent de leurs saillies et les compositions picturales se désordonnent. Les lignes de l’architecture s’adoucissent et s’estompent, conférant à l’espace une sensation de dilatation, accentuée par un éclairage uniforme et diffus. Pour l’artiste, l’échelle immersive de l’œuvre est essentielle en raison de son impact puissant sur le public, qui se retrouve enveloppé de lumière et de plumes. (Texte de salle)
Resolutions: A Stitch in Time
Créée en collaboration avec un groupe de couturières émérites, dont beaucoup avaient déjà travaillé avec Chicago sur des projets antérieurs, la série Resolutions: A Stitch in Time [Résolutions : un point dans le temps] a été réalisée entre 1994 et 2000. Conçue dans le contexte d’une société de plus en plus mondialisée et multiculturelle, marquée par des débats passionnés sur des questions telles que l’avortement, le mariage entre personnes du même genre et le rôle de la religion dans la vie publique, Resolutions s’articule autour des thèmes du renforcement du sentiment d’appartenance à une communauté, de l’activisme social et des valeurs que sont la tolérance, le respect, la compassion et la coopération. Adoptant les codes de l’illustration narrative, chaque œuvre de la série propose une interprétation contemporaine d’un adage, d’un proverbe ou d’un aphorisme populaire : « Home Sweet Home » [Qu’on est bien chez soi], « A Chicken in Every Pot » [Un poulet dans chaque casserole], « Live and Let Live » [Vivre et laisser vivre], et ainsi de suite. Comme pour le Birth Project (1980-1985), Resolutions fait appel à des médiums historiquement dévalorisés ou associés à l’artisanat, en particulier les travaux d’aiguille, et à des formes de langage populaires. Ce mode didactique, destiné au grand public, s’inscrit dans la continuité des décennies d’engagement de Chicago en faveur de l’éducation et du changement social. D’un point de vue stylistique et narratif, la série s’inscrit ouvertement dans la tradition des muralistes des États— Unis et des peintres régionalistes — des références à l’histoire de l’art rarement évoquées dans les sphères de l’art contemporain. Si les valeurs qu’elle exprime sont intemporelles, le titre de la série traduit la détermination de Chicago à contribuer à leur concrétisation dans un avenir proche. (Texte de salle)
PowerPlay
Avec une série telle que PowerPlay (1982-1987), réalisée en collaboration avec son mari, Donald Woodman, Chicago étoffe ses réflexions percutantes en abordant les représentations de la masculinité, la guerre et la destruction. PowerPlay s’inspire des voyages de Chicago en Italie en 1982, lors desquels elle découvre de nombreuses peintures monumentales de la Renaissance. À partir d’études détaillées du nu masculin sur des modèles vivants, elle met au point une nouvelle technique de peinture, utilisant une base de gesso transparent et une sous-couche d’acrylique pulvérisée, recouverte de fines couches d’huile sur du lin d’origine belge.. Cette méthode lui permet d’imiter la luminosité vibrante d’une fresque. (Texte de salle)
Alors que la série s’intéresse au trope classique du nu masculin, les personnages des peintures comme Rainbow Man (1984) sont animés d’une attitude excessivement instable : ils grimacent, s’empoignent, reculent et projettent des sécrétions de sang ou d’urine. En s’appropriant et en inversant le « regard masculin », qui a dominé les représentations de femmes réalisées par des hommes tout au long de l’histoire de l’art occidental, la série montre que les conséquences d’une masculinité toxique s’exercent comme une forme abusive de pouvoir sur les personnes et la nature. Dans son ensemble, PowerPlay examine la masculinité comme une construction visant à justifier la colère, la rage ou la violence. Chicago explique que cette série traduit son intérêt pour « les sentiments que le corps masculin peut être amené à exprimer » et « les raisons pour lesquelles les hommes agissent de manière si violente ». (Texte de salle)
The End, Mortality and Extinction
Plusieurs séries récentes de l’artiste regroupées dans cette salle saisissent l’anxiété liée à la mortalité humaine, animale et planétaire. Elles révèlent aussi les méditations de l’artiste sur la création et la destruction, la vie et la mort, et l’avenir de l’humanité et de la planète. Avec The End : A Meditation on Death and Extinction [Fin : méditation sur la mort et l’extinction] (2012-2018), Chicago combine une approche résolument ouverte à la confession intime avec un profond désir de mettre son art au service du changement social. La plupart des œuvres consistent en des images figuratives et des textes de l’artiste réalisés avec de la peinture sur verre noir, travaillé avec la technique du fusing, ou verre fusionné. Le choix de ce support historique témoigne de la volonté de l’artiste de mettre en valeur des formes d’art marginalisées, mais richement complexes, pour traiter de questions contemporaines urgentes. La délicatesse du matériau symbolise également la fragilité de la vie et les processus de transformation liés au vieillissement, à la mort et au changement climatique qui sont au cœur de la série. (Texte de salle)
Judy Chicago – Mortality Relief, 2018 et Mortality series (Panel: Mortality), 2015 – 2016 – The End, Mortality and Extinction – « Judy Chicago : Herstory » à Luma Arles
La série intitulée Mortality [Mortalité] se concentre sur les propres angoisses de Chicago à ce sujet, chaque panneau peint répondant à la question « Comment vais-je mourir ? » par une réponse illustrée différente. Les images montrent ses peurs avec une précision implacable, tout en étant animées d’un sentiment de dignité face à ces questions universelles. (Texte de salle)
Judy Chicago – Mortality series ( Panel: Extinction), 2015 – 2016 et Extinction Relief, 2018 – The End, Mortality and Extinction – « Judy Chicago : Herstory » à Luma Arles
Extinction évoque la disparition d’espèces entières, une crise qui affecte l’ensemble de la planète. Tant par l’image que par le texte, ces œuvres font preuve d’une grande franchise dans leur description de la brutalité humaine à l’égard d’innombrables espèces non-humaines. Chicago s’inscrit ici dans une perspective écoféministe qui plaide pour une réévaluation urgente de la relation entre les êtres humains et non-humains. L’artiste synthétise ses ambitions en ces termes : « Nous ne pouvons rien contre notre propre mort […], mais il est possible d’agir contre les horreurs que nous infligeons aux autres créatures ». (Texte de salle)
The Female Divine
En 2020, Chicago réalise The Female Divine, une installation architecturale monumentale en forme de déesse paléolithique dotée d’une poitrine volumineuse et d’un ventre rond, conceptualisée pour la première fois en 1977. Installée dans le jardin derrière le musée Rodin à Paris, cette architecture accueille la présentation de la collection printemps 2020 de la marque de mode Dior, au sein d’un environnement total conçu par l’artiste. La surface blanche et sobre de l’extérieur contraste avec les murs dorés lumineux et la majestueuse moquette aux motifs mille-fleurs à l’intérieur. Lors de la présentation de l’œuvre à Paris, la pièce maîtresse se compose d’un ensemble de vingt-et-une bannières conçues par Chicago et confectionnées par des femmes de la Chanakya School of Craft à Mumbai, une organisation à but non lucratif qui soutient les femmes artisanes en Inde. Suspendus au plafond, ces textiles brodés richement ouvragés encadraient un panneau central où l’on pouvait lire, dans l’écriture cursive caractéristique de Chicago, la question suivante : « Et si les femmes dirigeaient le monde ? » Les bannières avoisinantes soulevaient des questions hypothétiques sur ce à quoi pourrait ressembler un monde où les femmes seraient au pouvoir.(Texte de salle)