Jusqu’au 29 septembre, Stephen Dock présente à Croisière « Échos : la photographie à distance du conflit », un des projets marquants de cette édition 2024 des Rencontres d’Arles. Pour cette exposition, il affirme vouloir se réapproprier son travail de photojournaliste, mais aussi nous interroger sur ce que peut signifier une image de guerre aujourd’hui..
Avec la complicité de la commissaire Audrey Hoareau, il pose un nouveau regard sur l’archive de ses images réalisées il y a une dizaine d’années. Il couvrait alors les conflits en Syrie, Jordanie, Irak et Liban ainsi que leurs conséquences migratoires à Lesbos et en Macédoine. À l’époque, certaines de ses photographies ont été publiées dans Newsweek, Le Figaro ou La Croix.
Dans un entretien avec Isabelle Chenu pour RFI, Stephen Dock raconte : « En 2015, il y a eu une rupture, selon moi, c’était la retransmission de la bataille de Mossoul sur Facebook Live. On avait franchi une étape, il y avait des chaînes sur lesquelles on pouvait voir en direct le tireur en train de viser depuis sa maison, c’était impressionnant. C’est là que je me suis dit que l’on était réellement passé dans une forme de consommation du conflit, de consommation des images produites, qui nous amène, à mon avis, à se poser beaucoup de questions. C’est-à-dire que la violence ne dérange plus. Vous avez l’impression de jouer à Call of Duty devant votre ordinateur en regardant cela. Je vais poser des mots qui seront : “La guerre n’est pas un fait divers.” ».
À partir de ce constat et du sentiment d’insatisfaction quant à l’utilité de ses images, il a développé progressivement le travail exposé aux Rencontres d’Arles.
Construit avec une rigueur implacable et un accrochage exemplaire, « Échos » propose un parcours qui s’articule en trois séquences ramassées et percutantes où ses images sont retravaillées, chaque fois de manière différente : À Distance, Capture et Réplique.
Dans la vidéo récemment publiée par les Rencontres, Stephen Dock explique : « À partir de 2021, je me suis lancé vraiment dans l’expérimentation même de l’image et du médium, en questionnant le support, c’est-à-dire le support-écran et le support papier parce que ce sont les deux canaux de diffusion de ces images. Et donc je les ai à la fois réorientés par un editing propre et singulier pour me réapproprier ce travail, pour qu’il soit mien. Et ensuite, je suis allé plus loin en l’expérimentant. Plus on progresse [dans l’exposition] en fait, plus l’image prend de la distance et plus l’image se déconstruit ».
Catalogue (non lu) édité par delpire & co avec « Du récit de guerre à la guerre du récit », un texte de Joan Fontcuberta.
À lire, ci-dessous, les textes de salle accompagnés de quelques vues de l’exposition et de quelques repères biographiques.
« Échos » est une exposition incontournable, sans doute une des plus réussies des Rencontres !
En savoir plus :
Sur le site des Rencontres d’Arles
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Sur le site de Stephen Dock
Stephen Dock – « Échos : la photographie à distance du conflit » – Regards sur le parcours de l’exposition
Dans une société dominée par l’image, inévitablement les guerres sont devenues des guerres d’images. La problématique de la représentation de la guerre, amplifiée par la crise du photojournalisme, la révolution numérique et l’explosion des nouveaux canaux de diffusion, se trouve au cœur d’Échos.
En 2011, âgé de 22 ans, Stephen Dock, jeune photographe français autodidacte, part sans commanditaire couvrir une guerre qui débute en Syrie. En plusieurs voyages, il réalise un corpus sur le terrain, dans les ruines d’Alep, la montagne Zawiya, à la pointe est du Rojava…
Il photographie les résistants syriens, les rues dévastées, les hôpitaux saturés, les mouvements de contestation, le quotidien tragique des populations civiles. Se poursuivant en Jordanie, en Irak, au Liban, à Lesbos et jusqu’en Macédoine, son parcours retrace, au-delà de l’épicentre du conflit, la crise humanitaire et migratoire qui en découle.
Plus d’une décennie plus tard, le photographe questionne cette archive de milliers d’images. S’éloignant de tout traitement documentaire, Stephen Dock s’affirme dans un processus de réinterprétation et de réappropriation de ses images. Il développe de nouvelles formes, en se concentrant sur la perception. Étirées, dépouillées, recadrées, le photographe qui hier tentait de capter au plus juste les faits, entrave aujourd’hui volontairement ses propres productions. Du bruit au silence, le photographe ne se tourne plus directement vers le sujet. Il n’obéit plus à l’obsession de faire des images, mais les dissèque et opère sur la matière organique.
Échos, dont le titre renvoie à la notion d’image rapportée, est le refus de nourrir une mythologie visuelle traditionnelle de la guerre qui n’est peut-être plus en phase avec la réalité du monde actuel. En tentant de déconstruire un registre photographique, Stephen Dock propose une image générique de la guerre moderne.
Audrey Hoareau, commissaire de l’exposition
À Distance
Le travail de réappropriation de Stephen Dock commence par des opérations d’édition réalisées sur sa propre archive. Dix ans après leur prise de vue, ces images décontextualisées trouvent ici une nouvelle place, un nouveau sens. Sélectionnées sur des critères formels, elles figurent des paysages désertés ou sinistrés. Seules quelques silhouettes les traversent et se tiennent à distance. Une distance que le photographe impose comme notion fondamentale dans Echos, et qu’il maintient à chaque étape de la création.
L’organisation dans une grille qui rappelle la planche contact ne tient ni compte des dates, ni des lieux des prises de vues. En s’affranchissant de ces données factuelles, Stephen Dock fait des six pays traversés (Syrie, Jordanie, Irak, Liban, Grèce, Macédoine) un seul et même territoire, celui de la guerre et de l’exil qui en résulte.
Capture
La révolte en Syrie constitue un tournant dans l’histoire de la photographie de guerre. La diffusion massive sur Internet, l’utilisation des téléphones portables, le rôle des réseaux sociaux et la digitalisation ont transformé cette iconographie et sa circulation. En version fixe ou animée, Stephen Dock rend visible l’omniprésence de la trame de pixels qui, désormais, recouvre tout ce qui nous est donné à voir.
La série Capture s’ouvre sur une image du peuple, saisie lors de manifestations publiques en Syrie, les mêmes mouvements qui furent les détonateurs du conflit. Stephen Dock oppose la masse au portrait recadré. Si la guerre se définit comme un phénomène de violence collective, ne peut-elle jamais se rapporter à l’individu ?
Sur le même principe de captation, l’installation vidéo réunit dans un double montage des séquences empruntées aux sources du Web. En étau, sous nos yeux se succèdent sur un même niveau explosions, discours, propagandes et scènes de guerre. Drones, satellites et systèmes infrarouges permettent de voir au-delà du visible. Offertes à la consommation sur Internet, ces images jettent le trouble et se confondent à l’univers du jeu vidéo.
Réplique
L’expérimentation atteint son paroxysme dans cette dernière partie où Stephen Dock applique sur ses photographies des traitements qui en transforment la substance. Matière de l’image digitale, le pixel est mis en évidence dans une œuvre-métaphore qui fait basculer la représentation dans l’abstraction. On ne voit plus rien de cette image réalisée en Syrie en 2012. Agrandie à l’excès, il n’en reste que les nuances carmin, dominante symbolique s’il en est.
La série Réplique présente un ensemble de scènes caractéristiques de la photographie de guerre. Stephen Dock évoque ici la reproductibilité inhérente à ces images initialement prises pour la presse.
En leur assénant des passages répétés par la photocopieuse, il en détruit sciemment la structure. La lecture rendue difficile exige un nouveau rapport physique à l’œuvre. Une distance devient indispensable, suggérant ainsi le même recul nécessaire face aux flux visuels déversés de toute part.
Repères biographiques
Né en 1988 à Mulhouse. Vit et travaille à Cambrai.
Stephen Dock est un photographe français autodidacte. En 2020, il est nominé pour le Prix Découverte Louis Roederer des Rencontres d’Arles et coup de cœur du Prix LE BAL de la jeune création en 2021. Son travail a été notamment exposé au musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône et à la Filature à Mulhouse en 2022.
Attaché aux traces que laissent tous types de conflits, réels ou larvés, de classes ou états de guerre sur ses contemporains, il affirme une écriture de plus en plus plastique qui se fonde sur sa rupture avec les milieux journalistiques de ses débuts.
Expositions individuelles / collectives*
2023 Festival Photo Saint-Germain, Paris
2023 Le CRI des Lumières, Lunéville
2022 La Filature – Scène nationale, Mulhouse
2022 Journées photographiques de Bienne, Suisse
2022 Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône
2020 Les Rencontres d’Arles, Prix Découverte Louis Roederer
2019 Festival MAP, Toulouse
2018 Leica Gallery, Paris
2018 1Cube Gallery, Marseille
2017 Visa pour l’image, Festival International du Photojournalisme, Perpignan
2016 CNAP, ministère de la Culture, Paris*
2015 Festival Printemps au Proche Orient, Périgueux
2013 Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre*
2012 Bibliothèque nationale de France, Paris*
2012 Quai d’Orsay, Paris*
2012 Tbilisi Photo Festival*
Prix / Résidences
2023 Festival PhotoSaintGermain, Paris, Résidence
2022 Grande commande photographique, ministère de la Culture, Lauréat
2022 La Filature – Scène nationale, Mulhouse, Résidence
2021 Prix LE BAL / ADAGP de la jeune création, Finaliste
2020 Rencontres d’Arles – Prix Découverte Louis Roederer, Nominé
2018 Prix Leica Oskar Barnack, Finaliste