Dernier regard sur l’édition 2024 des Rencontres d’Arles avec Michel Medinger et son inoubliable « ordre des choses » à la chapelle de la Charité…
Comment ne pas saluer une dernière fois ce camelot au regard désabusé et peu convaincu qui tente de nous fourguer sa potion qui nous promet – en trois en un – de lubrifier les rouages de l’âme et du monde ?
Comment ne pas entendre une fois encore les éclats de rire de celles et ceux qui se tournent vers la chaire à prêcher après avoir regardé bouche bée l’invraisemblable cabinet de curiosités imaginé par Sylvie Meunier, la commissaire de l’exposition.
Comment ne pas revoir avec émerveillement les assemblages incongrus, iconoclastes, cocasses, poétiques et souvent très drôles, exposés dans cet amoncellement de caisses noires qui cachent l’autel baroque de la chapelle à l’exception de son couronnement flamboyant ?
Comment ne pas succomber une dernière fois aux charmes de cette carotte allongée sur une feuille de chou que reluquent deux yeux globuleux (Les voyeurs, 1994) ?
Comment ne pas rester songeur devant ces poires volatiles malhabiles (Poires avec des ailes II, 2004) ou cauchemarder après avoir croisé cette poupée androgyne et ailée qui observe avec un étrange sourire le squelette d’un échassier ?
Comment oublier le sourire moqueur de ce petit singe en céramique face au crâne d’un congénère (Réflexion sur Darwin, 2013) ? Regard interrogatif sur l’auteur de L’Origine des espèces ou image du ridicule de cette question qui turlupine certain·es avec Hamlet ?
D’autres tirages enfermés dans leurs caissons lumineux resteront dans notre mémoire comme le Ballet des grenouilles (2001), l’Hirondelle coincée (1989), le Sourire de la raie (1997), Les mains de l’innocence (2001) ou encore l’Aubergine albinos (2007) et l’hilarant Hommage à Rackham le Rouge (2016)…
Merci à Michel Medinger pour cet extraordinaire et jubilatoire moment suspendu dans l’été photographique des Rencontres 2024 !!!
Merci à Lët’z Arles pour la production de cette remarquable exposition !
Merci à Sylvie Meunier pour ce commissariat inspiré !
Après le 29 septembre, il restera quelques souvenirs et la publication Michel Medinger – Lord of Things avec de nombreuses reproductions et les textes de Cyrille Putman, Paul di Felice et Florence Reckinger-Taddeï…
À lire, ci-dessous, quelques repères biographiques à propos de Michel Medinger, la présentation de « L’ordre des choses » par Sylvie Meunier et ses réponses aux trois questions de Lët’z Arles et les textes qui accompagnaient le parcours de l’exposition. Ces documents sont extraits du dossier de presse.
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Michel Medinger – Repères biographiques
Né en 1941 au Luxembourg, Michel Medinger se passionne d’abord pour la peinture, avant de se consacrer à la photographie à partir des années 1960. Il débute comme photo-reporter pour la fédération luxembourgeoise d’athlétisme, lui-même étant un athlète accompli : il a notamment participé aux Jeux Olympiques de 1964 à Tokyo en demi-fond. Travaillant pour les laboratoires de l’État luxembourgeois, il met à profit ses connaissances étendues en chimie pour expérimenter de multiples procédés photographiques. Sa pratique artistique s’affirme dans les années 1980 et constitue un corpus d’oeuvres remarquables, tant par sa maîtrise parfaite des techniques que par la singularité de ses compositions très soignées.
Exposées au Luxembourg (à la Galerie Clairefontaine puis au CNA en 2018 avec Les Univers photographiques de Michel Medinger), en France, aux États-Unis, en Chine ou encore au Japon, ses photographies font partie de collections privées et publiques, luxembourgeoises et internationales.
À propos de Sylvie Meunier, commissaire de l’exposition
Née en 1973 à Paris, France. Vit et travaille à Sète, France. Après des études à l’Université Paris VIII dans la section « Arts & Technologies de l’image », elle sort diplômée d’un DEA en Esthétique de l’image. Tout en conservant une pratique artistique autour de l’expérimentation de l’image, elle travaille en tant que scénographe, directrice artistique et commissaire d’expositions dans le champ de la photographie contemporaine.
Elle scénographie les expositions du festival Portrait(s) (Vichy) depuis de nombreuses années et collabore avec des galeries, artistes et institutions. Son travail plastique se développe autour de la réappropriation de photographies anonymes qu’elle collecte depuis de nombreuses années. Ses recherches portent sur la matérialité de l’image et se déploient sous de multiples formes (installations, expositions, mais aussi objets édités, livres et jeux), qu’elle expose régulièrement en France et à l’étranger.
Présentation de « L’ordre des choses » par Sylvie Meunier
Alchimiste extravagant, ancien sportif olympique, Michel Medinger est aujourd’hui l’un des plus importants photographes luxembourgeois. Autodidacte, il puise ses références dans l’âge d’or de la peinture néerlandaise, en faisant un détour du côté des surréalistes ou encore des dadaïstes.
Au cours des quatre dernières décennies, la nature morte a été une obsession jubilatoire pour ce grand explorateur de toutes les techniques photographiques, qui a développé tous ses tirages dans son laboratoire et a expérimenté de très nombreux procédés, du Cibachrome en passant par le transfert polaroïd ou encore le platinotype.
Chacune de ses photographies est le fruit d’une mise en scène soigneusement élaborée, qu’il compose à partir de sa fabuleuse et fantasque collection d’objets accumulés année après année dans sa maison, où chaque recoin accueille une part de son univers créatif. Ses tiroirs sont remplis de vieux outils, squelettes d’oiseaux, fleurs fanées, crânes, bibelots ou encore de fruits et légumes anthropomorphes. Tout un abécédaire, dont il emprunte les éléments symboliques au genre pictural des vanités et qu’il manie avec humour et un brin d’irrévérence.
Les associations d’objets, étranges et incongrues, qu’il imagine, fabriquent des images surprenantes, parfois inquiétantes. Des photographies où la fantaisie, l’érotisme et la mort se côtoient en permanence.
Un objet banal du quotidien prend soudain forme humaine et nous pointe tout l’intérêt que l’artiste porte aux grandes questions de la condition humaine. Ses œuvres-allégories célèbrent à la fois la précarité, la fragilité et la beauté de l’existence.
L’exposition-installation réunit une sélection d’une cinquantaine de ses photographies, dont certaines inédites, et les objets de sa collection, sous la forme d’un monumental cabinet de curiosité.
Sylvie Meunier
Trois questions de Lët’z Arles à Sylvie Meunier
Vous avez découvert le travail de Michel Medinger spécifiquement pour ce projet d’exposition. Qu’est-ce qui vous a semblé singulier, en premier lieu, dans son univers créatif, avant de vous pencher plus largement dans ses archives ?
Je crois que j’ai réellement compris le travail de Michel Medinger à partir du moment où je suis rentrée dans son atelier. Sur chaque étagère, dans tous ses tiroirs, du sol au plafond, accrochés sur chacun de ses murs, j’avais sous les yeux des objets. Des objets étranges, incongrus, une accumulation hétéroclite. De petits objets pour la plupart. De vieux outils, des fleurs fanées, des jouets en plastique, des squelettes d’animaux, des légumes séchés, des cônes en métal, des tirages… Un univers entier, à part. Et très vite, on sourit, on s’émerveille, on s’interroge. Michel Medinger n’est pas collectionneur, mais collecteur. On comprend qu’il a passé sa vie à glaner et réunir tous ses objets. On retrouve la grenouille séchée clouée au mur, on la croyait grande, on la découvre toute petite. On reconnaît le singe, qui ne mesure que quelques centimètres. On se prend au jeu, on regarde et on s’amuse à reconnaître tous les acteurs de ses photographies. Ils sont tous là.
L’artiste a conservé dans ses archives de nombreux tirages, toutes époques, toutes thématiques et toutes techniques confondues. Qu’est-ce qui a guidé le choix de sélectionner certaines séries en particulier pour cette exposition ?
J’ai passé beaucoup de temps dans l’atelier de Michel Medinger, à regarder ses tirages, à m’imprégner de son travail, de son univers, à découvrir ses multiples expérimentations. J’ai rencontré ses amis photographes, sa famille, les personnes ayant travaillé avec lui. Et je suis restée sur ma première impression, celle de cette incroyable relation aux objets, indissociable pour moi de son œuvre. Chaque photographie est le résultat d’une mise en scène soigneusement pensée, préparée et étudiée. Il lui faut parfois des mois avant qu’un objet ne trouve sa place et que la photographie existe. En collectant, il photographie déjà ; en accumulant, il construit déjà ses prochaines compositions. En convoquant les objets et en les détournant de leur fonction première, l’artiste nous surprend par les jeux d’associations qu’il propose. Il fait dialoguer les objets entre eux, ils se parlent, se répondent. Tout cela avec jubilation, humour, gravité et une pointe d’irrévérence. C’est cela que j’ai souhaité faire découvrir au public, en invitant ses objets et ses photographies à dialoguer dans ce magnifique lieu de la chapelle de la Charité.
Les objets ont une place importante dans le travail de l’artiste et « habitent » littéralement son environnement quotidien : quelles typologies d’objets ou quels motifs reviennent de manière récurrente dans son travail ?
Michel Medinger puise ses références dans la peinture classique et les vanités du XVIIe siècle, son attrait pour le vernaculaire est indéniable. Les objets qui composent ses photographies sont utilisés pour leurs pouvoirs symboliques. Nous retrouvons beaucoup de figures présentes dans les vanités, tels que le crâne et les squelettes d’animaux, qui symbolisent la mort ; les fleurs fanées et légumes desséchés qui sont des métaphores de la fragilité de la vie et du temps qui passe. Le motif de l’œil est une référence aux surréalistes. Les objets religieux, figurines et jouets en plastique lui permettent de créer des situations incongrues et décalées. Il tisse avec malice des liens entre des objets et les symboles. C’est en apparence léger et drôle, mais à y regarder de plus près, c’est une fenêtre grande ouverte sur sa vision du monde et ses questionnements.
Parcours de l’exposition
Les natures mortes
« Ce que j’aime c’est la lenteur de photographier avec la chambre. Regarder plus et perdre son temps. C’est comme la célébration d’une messe. » Michel Medinger
Les associations d’objets improbables et incongrues que Michel Medinger imagine dans ses natures mortes sont le fruit d’une longue réflexion et d’une mise en scène soigneusement élaborée. En s’amusant à détourner les objets de leur fonction première, ceux-ci prennent de nouvelles significations. Il en ressort des œuvres inquiétantes et surprenantes pour certaines, poétiques pour d’autres, dans un registre flirtant entre le magnifique et le mystérieux. Ces « objets-acteurs » déplacent notre regard, convoquent notre imaginaire et nous pointent tout l’intérêt que l’artiste porte aux grandes questions de l’existence, telles que la mort, l’érotisme et la condition humaine. Les natures mortes que l’artiste n’a eu de cesse de photographier pendant plus de quarante ans sont devenues emblématiques de l’œuvre de Michel Medinger.
Le cabinet de curiosité
« (il y a) de l’humour noir dans mes créations, car j’aime le non-sens apparent, l’absurde à la façon de Max Ernst et des surréalistes. » Michel Medinger
Les objets exposés dans ce cabinet de curiosité proviennent de la maison de Michel Medinger à Contern (Luxembourg). Année après année, l’artiste a collecté et accumulé de manière obsessionnelle des objets étranges et incongrus. Vieux outils, fleurs fanées, figurines en plastique, objets religieux, poupées, squelettes d’animaux, légumes séchés forment un abécédaire hétéroclite qui lui permet de composer ses photographies, parfois en se mettant lui-même en scène dans des portraits surprenants et plein d’humour. En convoquant les objets et en les déplaçant de leur contexte habituel, l’artiste nous surprend par les jeux d’associations inattendus qu’il propose. Il tisse avec malice et poésie des liens entre les objets et les symboles.
L’envers des choses
« Le choix des objets ainsi que leur emplacement font partie de ma démarche créative. J’aime utiliser des fleurs fanées d’abord parce que formellement, cet état m’intéresse, mais aussi parce que j’aime montrer l’envers des choses. Je suis particulièrement sensible aux changements, aux décompositions… Les hommes font trop souvent semblant de ne voir que la beauté éternelle. » Michel Medinger
En 1960, Michel Medinger débute sa pratique artistique par la peinture, avec diverses reproductions de tableaux de renom, notamment des natures mortes. C’est son admiration pour la peinture classique et les vanités du XVIIe siècle qui sont à l’origine de ses mises en scène photographiques de natures mortes. Ces compositions de fleurs fanées permettent à l’artiste d’évoquer l’un de ses sujets favoris : la fragilité de la vie et du temps qui passe. Beauté et flétrissement célèbrent à la fois la précarité et la préciosité de l’existence et nous invitent à une contemplation philosophique de notre condition humaine.
Les transferts couleur
« Athlète, j’étais rivé corps et âme à la ligne d’arrivée, au but à atteindre. Aujourd’hui, photographe, je suis hanté de même par un seul et unique dessein : explorer les potentialités de mon thème, le décliner et l’infléchir, le presser comme un citron dans l’espoir d’en extraire la vérité. » Michel Medinger
Grand amateur du laboratoire photographique et chimiste de formation, Michel Medinger développe ses tirages lui-même, guidé sans cesse par son sens du perfectionnisme tout à fait remarquable. Il expérimente dans son atelier des chimies de sa propre facture et revisite les techniques anciennes de tirages, telles que le cyanotype, le Cibachrome, le platinotype, la solarisation et teste les infinies possibilités chromatiques des virages au sélénium et à l’uranium. L’artiste a exploré les nombreuses déclinaisons techniques du film instantané Polaroïd et notamment celles du transfert polaroïd couleur. Ces natures mortes doivent leur beauté et leur esthétique à cette technique du transfert qui consiste à décoller l’émulsion afin de l’appliquer sur un support papier.