Jusqu’au 26 octobre 2024, Arina Essipowitsch, artiste associée à La Compagnie, présente « Les roches fluides », une importante sélection de ses travaux les plus récents dans une remarquable installation.
L’exposition est une véritable invitation à une contemplation active et à l’interaction sensorielle. En alliant photographie, sculpture et chorégraphie, Arina Essipowitsch dépasse les frontières conventionnelles de l’image pour offrir une expérience où les visiteur·euses deviennent à la fois acteurs et témoins de l’œuvre. L’artiste crée un espace de jeu visuel et tactile, où l’image, loin d’être figée, se métamorphose par nos gestes, sous nos regards, dans un dialogue subtil entre corps et matière.
Les œuvres proposées, qu’il s’agisse des photographies modulables de Polyphonie, des cubes d’Image sans fin ou des robes à porter, chamboulent notre perception de l’image. Ici, celle-ci n’est plus uniquement visuelle, mais elle se vit par le toucher et le mouvement. En manipulant les œuvres, en les animant, les spectateur·rices donnent vie à ces fragments visuels, dévoilant ainsi leur potentiel infini. Arina Essipowitsch crée un univers labyrinthique où l’image devient une extension de nous-mêmes, comme une seconde peau à travers laquelle nous naviguons dans un désordre poétique.
L’exposition propose un terrain fertile à la création de nouvelles chorégraphies du quotidien, où les corps, les gestes et les photographies peuvent se mêler dans une danse silencieuse. Chaque manipulation, chaque agencement devient une exploration personnelle du rapport entre l’image et le réel. Les œuvres ne sont plus seulement des objets à contempler passivement. Elles peuvent se transformer en partenaires dans une chorégraphie collective où l’interaction entre l’image et le corps est essentielle pour en révéler toute la richesse et la profondeur.
Arina Essipowitsch – « Les roches fluides » à La compagnie, Marseille – Activation des Robes – Photo © Paul-Emmanuel Odin
« Les roches fluides » incarne l’idée d’une image en perpétuelle mutation, une image-puzzle qui se réinvente à chaque instant sous les mains des visiteur·euses. Arina Essipowitsch nous propose ainsi un espace où l’inattendu et l’imprévisible prennent le pas, où peuvent s’établir des ponts entre nos perceptions et notre imagination.
Une dernière performance d’Arina Essipowitsch dans « Les roches fluides » est programmée pour le finissage, le 26 octobre à 19 h.
À voir, ci-dessous, quelques photographies d’Arina Essipowitsch et de Paul-Emmanuel Odin sur les pièces exposées et sur la performance du 31 août. Certaines sont accompagnées de commentaires extraits du site de l’artiste. Le texte de Paul-Emmanuel Odin, « Regarder, mettre en mouvement l’image » pour « Les roches fluides » est également reproduit, ainsi que quelques repères biographiques.
En savoir plus :
Sur le site de La compagnie
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Sur le site d’Arina Essipowitsch et sur documentdartistes.org
Arina Essipowitsch – « Les roches fluides » : Regards sur les œuvres exposées
Dans la grande salle :
Image sans fin – Mimésis (autoportrait à Jaujac, 2024), 2024
« Arina Essipowitsch poursuit sa recherche jusqu’à cette dernière proposition : des cubes photographiques (qu’elle n’a pu appeler qu’Images sans fin, quitte à reprendre et citer Brancusi), et là encore, comme dans les pièces à modules pliables, des combinaisons deviennent possibles pour celle celui qui regarde, le monde se définit en un ensemble de blocs de corps dont les cubes photographiques résument l’impossible jointure en une unité, bien que la boucle infinie, l’espèce de ruban de Moebius dans lequel l’image tourne sur elle-même, en soit l’aberration initiale, c’est-à-dire : nébuleuse subjective, grains des rochers, chevelure des rivières.
Arina Essipowitsch – Image sans fin – Mimésis (autoportrait à Jaujac, 2024), 2024 – « Les roches fluides » à La compagnie, Marseille – Photo © Paul-Emmanuel Odin
Arina Essipowitsch introduit en quelque sorte un point de vue collant au corps des images par des suggestions de matières dont nous sommes l’origine et la fin, le mouvement de déboîtement, de pli, de tenue. La pluralité des objets partiels de l’image peut enfin faire corps avec nous, dans l’incohérence de ses déterminations matérielles : la chorégraphie des images est toujours en avance ou en retard sur notre temps, nous pouvons alors nous y perdre, retrouver des bouts de nous mêmes – quoi donc sinon des bouts d’avenir, c’est-à-dire que l’appel des possibles n’est jamais clos, qu’il est ce jeu infini où nous sommes l’implication d’un récit qui a perdu toute linéarité, qui n’est plus qu’un assemblage de rochers réduits à des carrés ou à une robe, et que nous éprouvons tout à coup nos corps comme des structures logiques désarticulées – quelque chose en eux vient du rubikcube, du jeu de kapla ou des dominos. » Extrait du texte de Paul-Emmanuel Odin
Robes, 2024
« Je distingue entre le terme « robe » et « costume ».
Mes pièces ne sont pas des costumes, par leur fabrication, il s’agit des images entières compactées rendues mobiles pour les performances.
Les prototypes de robes 1 et 2 ont été réalisés avec l’aide de Carine Kuntz pour la couture sur une photographie imprimée sur toile en septembre 2021. Le travail s’est poursuivi par un workshop avec les femmes de l’association « Une voix pour elle » et le centre social « Harpèges » pendant la résidence « artiste en territoire » en Pays de Grasse en 2021/2022.
Si le principe d’incisions et d’un pliage simple à partir d’une image originale qui peut être vue dans son entièreté sous sa forme plane est repris ici, l’impression textile, ses coutures et ses incisions apporte une dimension supplémentaire et interroge ainsi la potentialité d’habiter l’image, de se couvrir à partir d’elle, de la porter physiquement tout autant que porter l’intérieur d’une maison.» Texte d’Arina Essipowitsch à propos de Robe, Espace Intime, 2021 (Prototype 1) à l’occasion d’une Installation et performance filmée dans le Pays d’Aix et de Robe, (Prototype 2) à Gréolières-les-Neiges, en 2022.
Dans la salle à droite :
Polyphonie
Fold
« Fold est constituée d’une impression photographique double-face travaillée par une série d’incisions et de plis qui en font une image en perpétuelle recomposition. Sa dimension pliée est de 45x45x5,5 cm, dépliée en carré de 270×270 cm la pleine image de chaque face peut apparaître, ou encore, elle se déploie dans des configurations au sol et en volume en multipliant toutes ses dimensions dans un sens ou dans l’autre, la largeur pouvant aller jusqu’à 1170 cm. Le visiteur est invité à manipuler l’œuvre pour découvrir le jeu, quasi infini, de (re-dé)compositions. Dans le temps et dans l’espace il se produit un jeu labyrinthique et surprenant de montage, au sens cinématographique. Les modules carrés sont autant de détails des deux images (Mimesis I, un autoportrait de l’artiste à la Vesse, et Le Vent, un portrait de son ami Masso sur une plage de Fos-sur-Mer) qui semblent n’en former qu’une, à la façon d’un ruban de Moebius. Les corps photographiés, parce qu’ils sont à l’échelle 1, communiquent intimement avec le corps de la personne qui manipule ou qui regarde. L’artiste se réfère à l’idée de l’identité palimpseste comme à l’un des noyaux de son parcours et de sa recherche. La photographie elle-même sort de son cadre, pour devenir un pli du temps, un moment de passage toujours à réinventer. » – Paul-Emmanuel Odin, Septembre 2020
Palimpseste (Estérel)
Projet réalisé dans le cadre de résidence « artiste en territoire », Pays de Grasse, en collaboration avec Azur Fragrances. Image recto Roche (Autoportrait, Estérel), 2021, parfumée avec matière première odorante évoquant la roche. Image verso Roche (Estérel), 2021, parfumée avec matière première odorante évoquant le vent.
« Il s’agit d’une installation où j’interviens sur un tirage photographique double face, que j’incise et je plis avec un protocole stricte. L’œuvre crée un parcours olfactif. Au moment de l’activation de l’œuvre les deux odeurs se dégagent par les mouvement de modules. Le déplacements de la photographie ainsi que le mouvement du spectateur à l’intérieur de l’espace de l’exposition par conséquent prend un nouveau sens ».
Méandres n°1 + n°2 + n°3
Roche (tuffeau)
« Déplier l’image dévoile une série de photographies inédite réalisée par l’artiste dans la Loire et ses environs. S’inspirant du fleuve et de ses méandres, l’œuvre d’Arina Essipowitsch invite à voyager dans la vallée, depuis ses éléments minéraux et aquatiques jusqu’à son patrimoine architectural local, qui l’inspirent et la nourrissent. À l’occasion de cette exposition, le Château de Tours accueille une performance de l’artiste, invitée à réaliser une œuvre in situ. À travers ses photographies, l’artiste explore les notions d’identité et de déplacement, liées à son parcours de vie. Ses images saisissent des moments de son intimité avec les surfaces sensibles qu’elle habite : le sable, les rochers, les écorces ou les murs, avec le souhait de les faire perdurer dans le temps ». Source jeudepaume.org
Fugue
36 modules recto-verso, 2 tirages photographiques jet d’encre incisés, carton bois, 270 x 270 cm; 2024
Menhirs
Sur la mezzanine :
Image objet, 2024
Les roches fluides, 2024
Tirages sur papier baryté, 42,5 x 42,5 cm, 2014 -2024
Salle du fond :
Memory, 2023-2024
Jeu avec les photographies réalisées avec les usagers·eres du Contact Club, du CCO et de T’cap21
Arina Essipowitsch : Repères biographiques
Née à Minsk (Biélorussie), vit et travaille à Aix-en-Provence.
Elle a obtenu son diplôme de DNSEP en 2014 avec félicitation du jury à l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence, puis effectué son post-diplôme en 2017 à l’Académie des Beaux Arts de Dresde en Allemagne.
Elle enseigne dans le cadre d’un dispositif ART et ENSEIGNEMENT à l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence.
Avec la pièce FOLD elle a été lauréate du Prix Polyptyque 2021, Centre Photographique Marseille, du mois de la Photo de Grenoble 2021.
Grâce au soutien de la DRAC PACA elle est accueillie en résidence « artiste en territoire» en 2021/2022 et expose en 2022 au Musée International de Parfumerie à Grasse et à l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux.
Ses pièces ont été acquises par le FRAC Sud et le Fonds Communal de Marseille.
En 2023 elle expose au Jeu de Paume – Château de Tours avec une résidence au POLAU – Pôle Arts Urbanisme à St-Pierre-des-Corps et le soutien de la Mission Val de Loire.
La compagnie a déjà exposé et produit le travail d’Arina Essipowitsch lors des projets : Equinoxe (avec Maxime Chevalier en 2015), et Allochronotopie (avec Victor del (M)oral Rivera en 2020 dans le cadre de Manifesta)
« Regarder, mettre en mouvement l’image ». Texte de Paul-Emmanuel Odin
(à propos de « Les roches fluides » d’Arina Essipowitsch)
Arina Essipowitsch propose un espace de jeu où les visiteurs·ses sont invité·es à faire varier les formes photographiques à l’infini. Images pliables, robes photographiques à porter ou cubes à manipuler : les œuvres troublent la frontière entre image, sculpture, chorégraphie. Leur sens s’éveille et s’épanouit lorsqu’elles sont mises en action.
L’envie de recomposer des surfaces du monde dans lesquelles nous sommes nous-mêmes les corps qui animent les images, tel est le désir que l’artiste poursuit avec ses propositions labyrinthiques.
N’est-ce pas que ceux, celles qui regardent, mettent en mouvement la photographie ? Et là, comme pour la première fois, ces images à l’échelle de nos corps sont disponibles au sol. Ce jeu grandeur nature déploie un univers chaotique où nous expérimentons la résistance de la matière. Si l’image est notre deuxième peau, elle est aussi une image-puzzle infinie et ouverte.
Danse muette, bruissante – où nous avons l’impression de nous maintenir au monde.
Un dialogue a lieu, sans paroles, par gestes, entre les images et nous, avec ces bouts de corps et d’images qui se rencontrent, gesticulent ensemble, la frontière entre les images et nos peaux n’a jamais été aussi si mince. Est-ce moi qui manipule les œuvres ? ou n’est-ce pas que les œuvres d’Arina Essipowitsch sont déjà la réserve possible de mes images et de mes gestes, quand j’ignorai que ces images étaient non seulement les miennes, mais aussi celles où s’enchevêtrent des destins communs ? Qu’est cette chorégraphie sinon l’occasion du divers, du disparate dont on bouge les angles et déplace les frontières. Toutes les œuvres, et nous, font partie du même désordre, avec l’hétérogénéité de ses surfaces, ses incisions, ses plis, ses degrés de rigidité, ses capacités d’assemblages et de jointures à d’autres corps. Sculpture, photographie, chorégraphie. Objet mou-posé.
Si on pense que le monde d’aujourd’hui est celui d’un flux d’images interconnectées qui saturent nos regards, avec Arina Essipowitsch ce point de vue est dépassé ; la bascule est franche, le visible redescend dans le tangible, au sol, et cela avec légèreté. Il y a une invagination du regard sur le toucher, sur nos corps, sur le tactile, sur des mouvements inédits. Nos gestes, malgré nous, composent des agencements que nous n’avions pas prévu, et dans la coexistence et la multiplicité des chorégraphies, l’écoute et les réponses que nous nous faisons les uns les autres, l’envers et l’endroit communiquent, créent des ponts invisibles par dessus un unique horizon possible, opaque et furtif, comme si le temps pouvait s’escalader à l’horizontal et sur un escalier que l’on ne monte ni ne descend.
Il faut que l’espace soit nu, là à la compagnie, pour que cette dimension du dialogue chorégraphique avec les images trouve son expression maximale. C’est que les œuvres ne commencent vraiment à avoir du sens, à vivre, que lorsque les visiteur·euses les activent. Vous êtes invité·es à cette expérience à la fois intime et collective, à manipuler telle ou telle œuvre, à regarder celleux qui les manipulent, vous êtes invité·es à entrer dans cette chorégraphie dont vous êtes déjà les rouages ou le moteur, en somme vous êtes le lieu d’une transition, d’une porosité entre les corps et les corps des images. Et tous les montages, tous les collages, tous les corps-à-corps fragmentaires entre les œuvres sont possibles, superpositions, imbrications, chaînages en lignes comme des dominos, cavités et cachettes de la cabane miniature de notre enfance à un module de 45 cm. Qui aurait pu imaginer que cet organe ou ce corps n’est finalement qu’un carré ?
Les pièces photographiques dites «à modules», incisées et pliées, à échelle humaine, permettent ces mouvements où nous pouvons tout-à-coup, sans le savoir vraiment, toucher un ensemble d’images grâce auxquelles nous avons l’impression de nous maintenir au monde. Danse muette, bruissante, dans l’absence d’image unique où nous sommes traversé.es par un temps nouveau, et ce temps est disjoint. C’est-à-dire qu’une pression musculaire s’exerce là sur les coins du temps, là au bord de ces vides tout à coup colorés de la tonalité de notre humeur, la suspension, la béance intuitive qui nous manque tant avec les appareils connectés.
Aux pièces à modules s’ajoutent des robes faites en photographie, faites pour être portées par les visiteur·euses, ce qui suppose que tout fasse corps, ou plutôt que tout fasse ce flou du mouvement où les images n’ont fait toujours que passer.
Arina Essipowitsch poursuit sa recherche jusqu’à cette dernière proposition : des cubes photographiques (qu’elle n’a pu appeler qu’Images sans fin, quitte à reprendre et citer Brancusi), et là encore, comme dans les pièces à modules pliables, des combinaisons deviennent possibles pour celle celui qui regarde, le monde se définit en un ensemble de blocs de corps dont les cubes photographiques résument l’impossible jointure en une unité, bien que la boucle infinie, l’espèce de ruban de Moebius dans lequel l’image tourne sur elle-même, en soit l’aberration initiale, c’est-à-dire : nébuleuse subjective, grains des rochers, chevelure des rivières.
Arina Essipowitsch introduit en quelque sorte un point de vue collant au corps des images par des suggestions de matières dont nous sommes l’origine et la fin, le mouvement de déboîtement, de pli, de tenue. La pluralité des objets partiels de l’image peut enfin faire corps avec nous, dans l’incohérence de ses déterminations matérielles : la chorégraphie des images est toujours en avance ou en retard sur notre temps, nous pouvons alors nous y perdre, retrouver des bouts de nous mêmes – quoi donc sinon des bouts d’avenir, c’est-à-dire que l’appel des possibles n’est jamais clos, qu’il est ce jeu infini où nous sommes l’implication d’un récit qui a perdu toute linéarité, qui n’est plus qu’un assemblage de rochers réduits à des carrés ou à une robe, et que nous éprouvons tout à coup nos corps comme des structures logiques désarticulées – quelque chose en eux vient du rubikcube, du jeu de kapla ou des dominos. C’est une expérience comme celle d’être toujours ailleurs, c’est un cinématographe intérieur et ses points de montage, et tous les spectres reviennent par ce qui était depuis toujours nos peaux ou nos images, nos robes ou nos instantanés. La pensée nous vient que cet empiétement de l’image sur le corps ou l’inverse, a une force d’actualité, de prise sur le terrain où l’expérimentation invente une part de nous-mêmes. Avec ces disjonctions, ce redoublement et cette fragmentation du monde par les images, nous savons désormais les intervalles et les nuages de l’imagination créatrice, celle qui ne passe donc que par nos corps. Et entre les couches de notre double peau, se trouve une image-puzzle infinie et ouverte. Nous savons que c’est dans la coexistence de ces différentes chorégraphies qui en fait n’en font qu’une que s’invente un jeu inconnu de mises en perspectives, de constructions visuelles, d’assemblages incomplets. Et si le rêve de l’image complète et transitoire est celui où nous retournons momentanément—comment ? nous ne sommes donc pas capables de ne pas résister à l’appel de la totalité ? même là, quand le jeu de l’éclatement est si proche de nos enfances, quand les pièces de plusieurs puzzles se sont mélangées, quand l’identité enfin a été déchiquetée, et qu’une danse secrète nous relie au sol et à son centre mobile.
Le rêve de l’unité retrouvée de l’image : c’est que l’image non-morcellée, fixe, n’existe pas, et que ses parties sont toujours déjà en désordre, pleines de trous et de manques, pleine de divisions et de plis. D’ailleurs, il n’est plus question d’image, mais de matières d’image et on ne sent si bien ces matières d’image que par le papier dans nos mains qui nous fait toucher rochers, surface du fleuve, autoportraits.
Cet autre centre de gravité qui disperse les formes du moi comme autant de bouts de paysages ou d’architecture n’est peut-être que le mirage ou la lueur poursuivie inlassablement d’un désir, d’un cri, un diagramme de lumières et d’obscurités, la glu du temps auquel s’accrochent comme des algues les images combinatoires, celles que l’on ne voit pas parce que même l’immobilité relative où nous les laissons pour les regarder avec un peu de distance, respire, comme s’il y avait une chair vivante sous ses plaques photographiques. Quelle est l’odeur que secrète l’une des images (et ceci grâce à la collaboration avec Azur Fragrance pour que la pièce soit odorante, avec une odeur faite sur mesure) sinon tout juste celle que les mots ne retiennent pas dans leur bouée trouée? C’est que l’on ne peut toujours qu’imaginer une deuxième fois cette odeur de l’image, comme un souvenir ou la buée qui précède son objet et nos mains, le coup de dés où s’agglutinent les facettes de nos sensations, le tissu des images cousues à l’aide d’un souffle qui vient de nulle bouche.
Peut-être que l’agencement des images dans lesquels nous nous immergeons à l’invitation d’Arina Essipowitsch découle d’une préemption de rêve.
Puisque les décors de ma vie sont des films où je glisse sur une barque au milieu d’une grande photographie de fleuve en noir et blanc, puisque ma vie est une séance où la foule se tient debout dans une salle blanche, pour participer aux juxtapositions, aux collages de carrés d’images fragmentaires noir et blanc, il faut que la pluralité d’images disjonctives ainsi déployées soient là pour que nos corps et nos pensées différentes se rencontrent avec leurs présuppositions, leurs a priori et leurs erreurs, leurs anticipations.
Et ça trébuche, on se trompe toujours dans la façon d’aborder l’autre, c’est-à-dire l’image.
On ne part jamais de rien, on part d’un carré d’image au moins. Cette image n’est jamais la mienne, mais je ne fais qu’agir avec ce bout de corps tel qu’il ne peut être que le mien comme cette image dans mes mains et sous mes pieds ne peut être qu’à moi, puisque je l’anime.
Ces agencements sont des rouages fermés et raides, et pourtant ils introduisent du hasard, c’est-à-dire de la vie, de l’ouvert, de la disponibilité, de l’imprévu. C’est pour cela qu’Arina Essipowitsch utilise le mot « infini » à propos des possibilités ainsi mises en chantier.