« Mille Projectiles » d’Anna Solal est sans aucun doute une véritable déflagration artistique qui a fortement marqué la saison estivale à Montpellier et au-delà. Cette proposition majeure et incontournable continuera très certainement à s’imposer jusqu’à la fin décembre. Dans un univers où la poésie côtoie la colère, où la beauté se mêle à l’horreur, Anna Solal nous invite à regarder et à méditer sur les contradictions et les agressions de notre monde.
Comme l’explique Marine Lang, commissaire de l’exposition, cette première grande monographie d’Anna Solal « renvoie autant à la matérialité des œuvres, faites de bricolage rassemblant débris du monde contemporain et dessins flamboyants, qu’à la nature des thématiques abordées, exprimant le potentiel de violence de l’humanité tout comme une possibilité de rédemption ».
« Mille Projectiles, comme mille explosions, mille symboles, mille matériaux, mille couleurs et mille poèmes », écrit Marine Lang dans un très beau livret qui accompagne l’exposition.
Comme le suggère le titre, Anna Solal nous propose une explosion de formes, de couleurs et de matières. Les débris de notre monde contemporain sont ici transformés en véritables projectiles, en autant de fragments d’une réalité que l’artiste déconstruit et reconstruit. Chaque œuvre est un collage, une superposition de strates, un métissage de techniques qui témoigne d’une grande liberté créatrice.
Avec une rare inventivité, Anna Solal réussit à transcender ces objets du quotidien et les débris de notre société consumériste pour leur insuffler une nouvelle vie. Ces matériaux, qui auraient pu sembler dérisoires, deviennent sous ses doigts des objets d’art poétiques, chargés de sens, comme si chaque fragment racontait une histoire, chaque projectile devenait un vecteur de réflexion. « (…) ils prennent presque vie en grimpant sur les murs du Frac, formant comme une procession de fantômes dignes de mangas japonais », nous dit Marine Lang.
L’exposition frappe par la manière dont Anna Solal aborde la déshumanisation, non seulement des animaux, réduits à des logos, à des créatures de plastique, mais aussi des êtres humains, asservis par leur image. Les « selfies », où les visages sont remplacés par des masques, sont l’expression de cette préoccupation contemporaine du paraître sur les réseaux sociaux. « Le vide de notre soif d’admiration se cache sous ces cocottes de papier », souligne Marine Lang avec une précision désarmante. Nous devenons les « icônes religieuses de notre propre obsession à exister numériquement », oubliant le sens de la vie et la relation avec le vivant.
Et pourtant, à travers cette critique acerbe de la société, une lueur d’espoir semble émerger. Anna Solal, dans ses œuvres, suggère la perspective d’une « rédemption », d’une transformation encore possible. Les figures suspendues, les créatures abîmées, tout paraît indiquer qu’une métamorphose pourrait être en cours.
L’artiste « nous renvoie à notre incapacité à voir l’absurdité des objectifs existentiels que nous nous sommes donnés », mais elle ne nous enferme pas dans une vision nihiliste. Au contraire, ses œuvres évoquent la possibilité d’un miracle, d’une renaissance, comme un papillon qui éclot au milieu du chaos.
Ce miracle potentiel se matérialise dans l’exposition par des références culturelles et littéraires subtiles qui vont de la poétesse coréenne Kim Hyesoon à Jean Genet, en passant par Edmond Jabès. Chez Anna Solal, la poésie et la brutalité se mêlent dans une danse singulière, créant des œuvres qui, au-delà de la contemplation esthétique, interrogent l’âme humaine.
« Mille Projectiles » est une exposition nécessaire, à la fois troublante et étrangement belle. Elle nous confronte à nos peurs, à nos désirs, à notre humanité. Elle nous met face à nous-mêmes, à notre société et à notre rapport au vivant.
Anna Solal s’impose comme une artiste incontournable. Il faut impérativement aller à la rencontre de ses œuvres capables de transformer les déchets du monde en une source de poésie et d’espoir.
L’exposition « Mille Projectiles » fait suite à l’acquisition récente de deux œuvres de l’artiste @suite1717, 2023, et Le Cerf-volant siamois, 2019. Elle s’inscrit dans une nouvelle programmation imaginée par Éric Mangion qui souhaite faire de la galerie du Frac à Montpellier un lieu pour accompagner les artistes dans leur parcours, leurs pratiques ou leurs liens avec le monde professionnel. L’exposition est coproduite avec l’Académie de France à Rome – Villa Médicis (où Anna Solal fut pensionnaire entre 2022 et 2023), Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers (Anna Solal a reçu une bourse de production en 2022) et air de Midi (dans le cadre de son programme de soutien à des collaborations entre structures au sein de son réseau en Occitanie).
Ci-dessous, quelques regards photographiques sur l’exposition. Certaines œuvres sont accompagnées de commentaires extraits du livret d’exposition. Un entretien d’Anna Solal avec Marine Lang au printemps 2024 complète ces images. Ce document est tiré du dossier de presse.
En savoir plus :
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Sur le site d’Anna Solal et sur Instagram
Regards sur l’exposition
Le Cerf-volant siamois, 2019
Le Cerf-volant siamois, 2019, ressemble, comme son nom l’indique, à un cerf-volant dédoublé dont chaque partie est imbriquée l’une dans l’autre, façon siamoise, prolongée d’une queue qui traîne sur le sol. Il est composé d’écrans d’iPad cassés, de métaux divers, de stickers, de semelles de baskets, de fils et de cordes, d’un rétroviseur, d’outils de cuisine, de peignes et de barrettes pour cheveux. Une phrase en arabe est inscrite sur la structure. Elle signifie « siamois sportifs ». L’artiste l’a trouvée sur une paire de baskets alors qu’elle était en résidence à la Friche la Belle de Mai à Marseille au moment où elle a réalisé l’œuvre. Le tout est assemblé par des fils de fer.
« Le fait de coudre me permet de revenir à l’étape antérieure sans avoir à détruire le matériau, cela me donne une immense mobilité entre l’usage de ces matériaux jusqu’au moment où je décide de « sceller » la création. J’utilisais beaucoup cette technique à ce moment-là. Elle me permet ainsi d’inclure les tâtonnements et les tremblements avant le geste définitif. Ces hésitations font partie de mon processus de travail. » (Extrait d’un entretien réalisé avec l’artiste à l’occasion de l’écriture de ce texte.)
La balayeuses, 2023
Tournesol et abeilles de verre, 2023
Tournesol et abeilles de verre, 2023, rejoue un thème classique de la peinture, celui de la nature morte. Dans l’histoire de l’art, le tournesol est la plante tourmentée et habitée par excellence, associée très fortement aux œuvres de Vincent Van Gogh. On retrouve ici la déformation de la fleur inhérente au travail du peintre postimpressionniste, qui vient cette fois côtoyer d’autres éléments plus actuels, comme un diagramme représentation statistique qui, dans l’œuvre d’Anna Solal, se rapporte symboliquement au monde de l’économie et à son omniprésence dans l’organisation humaine. Cette œuvre est exemplaire de ce qu’aime faire Anna Solal en croisant sujets classiques et symbolisations contemporaines. Les couleurs peuvent être celles d’un ciel orageux comme on peut en trouver dans les marines, et côtoient plus bas, butinant sur ce Tournesol, des Abeilles de Verre, qui renvoient à l’œuvre littéraire du même nom d’Ernest Jünger, une des grandes références d’Anna Solal. Dans ce roman dystopique de 1957 qui imagine un futur totalement mécanisé, le héros s’aperçoit que les abeilles butinant son jardin sont des abeilles robotisées en verre. S’ensuit une réflexion sur le devenir éthique de l’Homme dans cette automation du monde, influencée par l’expérience de l’auteur qui vit lors des guerres mondiales l’apparition et la multiplication des armes blindées.
Tournesol, 2019
Filtre Instagram II, 2024
Dans Filtre Instagram II, 2024, œuvre nouvelle dévoilée dans l’exposition Mille Projectiles, la figure humaine fait son retour avec de grands dessins à échelle 1 où des personnages, souvent en groupe, apparaissent; leurs postures rappelant celles que prennent les familles ou bandes d’ami-es pour immortaliser des moments partagés. Ici, les têtes sont recouvertes de grandes cocottes en papier, reprenant les principes de filtres Instagram surgissant sur les visages absorbés par les écrans. Ces formes, éléments fantastiques évoquant les mathématiques dans l’univers symboliste d’Anna Solal, illustrent la place prise par les algorithmes dans notre société.
Ces nouvelles règles plus ou moins implicites régissant notre monde, nous imposent un hyper contrôle de l’image de soi par rapport aux autres. Le filtre Instagram est un masque, et les tableaux d’Anna Solal inscrivent ces accessoires d’un nouveau type de carnaval dans une certaine histoire de la peinture. Malgré la fantaisie de ces masques, ceux-ci s’ouvrent sur du vide. Le vide d’une existence d’esclave virtuel, réalité incarnée ici également par cette micro-architecture en forme de bouteille d’absinthe, associée à des écritures mystérieuses et usées de runes numériques.
Filtre Instagram I et III, 2024
Sainte Lydwine, 2024
Sainte Lydwine, 2024. Le mysticisme a une place centrale dans le travail d’Anna Solal; bien souvent, ses œuvres font penser à des icônes ou s’inscrivent dans une histoire symboliste de la peinture religieuse, La possibilité d’un miracle, de son avènement ou de son non-avènement, est aussi une thématique essentielle dans l’œuvre de l’artiste. En creux, се miracle serait celui de la possibilité pour l’humanité de résoudre ses propres contradictions, de contrarier son esprit autodestructeur. La mystique hollandaise Lydwine eut une vie extraordinaire; elle se blessa à 15 ans en faisant du patinage, puis ses blessures pourrirent et gangrenèrent pendant trente ans, ce qui l’obligea à rester alitée. Joris-Karl Huysmans, une des références littéraires favorites d’Anna Solal, en écrivit un portrait.
Bien qu’immobile et souffrante, elle accédait à Dieu par la pensée qui lui offrait extases et ravissements. Le corps malade, invalide, accidenté, associé à la temporalité très particulière de la convalescence, est représenté à plusieurs reprises dans Mille Projectiles, Ici, celui de Lydwine est scandé de pommeaux de douche, éléments récurrents dans les œuvres récentes d’Anna Solal. Ce sont des formes ambiguës: mi-étoiles, mi-têtes de mitraillettes, à nouveau, ces objets incarnent l’ambivalence de notre monde.
The Donkeys, 2023
The Donkeys, 2023, est avant tout une histoire d’ânes, une fiction picturale. Marie était la tendre complice de l’âne, personnage principal du film Au hasard Balthazar de Robert Bresson, 1966. Ici, ce sont Durpan, Magdalena et Virdiana qui font office de camarades d’un groupe de trois ânes. Sauf qu’ici, on ne sait rien de ces trois femmes, si ce n’est qu’elles ont été inventées par Alix Prada, une amie de l’artiste. Elles n’existent que par l’évocation de leur prénom. Dans le film de Bresson, après de multiples maltraitances, Balthazar finit par mourir sous les coups des hommes. Alix Prada a imaginé une suite au récit : l’âne se réincarne en larme et cette larme de tristesse fait le tour d’une Europe dévastée. Comme dans @suiterry, on trouve dans The Donkeys des traces de pas et des débris d’ordinateurs. On y trouve aussi des CAPTCHA, ces phrases/codes qui permettent de différencier l’homme de la machine quand on souhaite accéder à des informations numériques sensibles: What code is in the image? On peut aussi lire dans le corps d’un des trois ânes : iStock by Getty Images, entreprise-monstre qui thésaurise aujourd’hui des millions d’images pour mieux les contrôler, pour mieux les vendre, très loin de l’âme sensible de Balthazar…
@suite1717, 2023
@suite1717, 2023, est une peinture au format horizontal qui montre un paysage post civilisation, mi-bleu mi-sombre, occupé par des représentations du pourtour dessiné d’un lavabo, de nuages dans un ciel tourmenté, de corbeaux, d’une horloge numérique en panne inscrivant une heure atemporelle, et, selon l’artiste, de batteries pour appareils électroniques et d’une timeline de type YouTube qui se déploie comme un serpent. Les seules présences humaines sont des traces de pas et le portrait d’une jeune femme. Cette dernière est l’Argentine Amalia Ulman, l’une des premières artistes qui s’est fait connaître sur Instagram en 2014 avant d’exposer en vrai quelques années plus tard symbole générationnel d’un basculement de la visibilité, fin d’une époque, début d’une autre, dans laquelle l’image de soi prend définitivement le pouvoir. Le titre de l’œuvre est d’ailleurs le nom du compte Instagram d’Amalia Ulman. Dans le tableau d’Anna Solal, la représentation d’Amalia Ulman insérée dans la peinture, la tête affublée d’une couche pour bébé, en mode selfie dans un miroir éclairé par le flash de son smartphone, est celle d’un être résolument narcissique alors qu’il ne reste plus grand-chose du monde qui l’entoure.
Entretien d’Anna Solal avec Marine Lang
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis une artiste de 35 ans, je vis en région parisienne et pratique la sculpture et le dessin. Dernièrement, j’ai passé un an en résidence à la Villa Médicis à Rome où j’ai été pensionnaire. Je présente régulièrement mon travail dans des centres d’art, musées ou galeries depuis une dizaine d’années en France et en Europe.
Quelles sont les thématiques qui infusent le plus souvent votre travail artistique ?
Quand j’habitais à Pantin, la vie et l’urbanité dites « de banlieue » étaient très présentes dans mon oeuvre ; depuis, mon travail a pris de nouvelles directions. Mes oeuvres sont figuratives : on y voit des formes animales ou végétales qui fonctionnent comme des allégories inspirées de la littérature. On peut souvent y trouver des motifs célestes comme des oiseaux ou des soleils. Dans les oeuvres les plus récentes, la figure humaine, voire le portrait, émerge fortement.
Quelle place réservez vous à la poésie et à la littérature dans votre pratique ?
Je me sens quelquefois plus inspirée par des médiums comme la musique ou la littérature que par les arts plastiques. Il n’y a pas de règle absolue. Quand quelque chose lu, vu ou entendu me frappe, cela peut mettre des années à réémerger. C’est comme si l’on avait parlé pour moi, mais mieux que ce que j’aurais pu faire moi-même, cela procure comme un soulagement. Avec le temps, cela fait peu à peu autant partie de moi que si j’en avais été l’autrice, comme de précieux minéraux qui renforcent mon imaginaire et l’aident à se développer.
Pouvez-vous nous dire quel rapport vous entretenez à l’atelier ?
J’y travaille tous les jours qui, pour l’heure, est une pièce chez moi. L’année dernière, lors de ma résidence à la Villa Médicis, j’ai eu la chance d’avoir un très grand atelier qui était celui d’Ingres, et j’ai pu expérimenter de plus grands formats. L’atelier n’est pas une bulle isolée du reste du monde, il est presque l’inverse, une sorte de catalyseur de la société, ou plutôt le lieu de sa dissection. Cet isolement temporaire n’est pas un but en soi, mais un outil qui permet la concentration nécessaire à cette opération de dépeçage.
Comment créez-vous/construisez-vous vos œuvres ? Quel en est le mode d’assemblage ?
Pas à pas, en mêlant différentes méthodes. Beaucoup de choses précèdent l’acte de créer comme celui d’observer le réel, c’est presque la moitié du travail. La méthode est une question de fond. Pour mon cas il n’y pas qu’une seule méthode mais différentes méthodes qui cohabitent. Chacune d’entre elles fonctionne avec ses spécificités.
L’acte de dessiner pourrait consister à tout oublier pour se concentrer uniquement sur l’aller-retour entre l’œil et la main. C’est un acte bien différent de celui du collage par exemple. Le collage utilise des formes préexistantes, des objets et matériaux glanés, qui possèdent leur propre halo de significations découlant de leur histoire, avec laquelle il faut s’arranger, qu’il faut sélectionner, creuser, pour nuancer leur pouvoir évocateur.
Les relations humaines et les relations liées à notre environnement sont importantes dans votre travail. Pourquoi ?
Ces deux typologies de relations définissent notre destin en tant qu’humains. À échelle personnelle, l’expérience de l’amitié est tout aussi périlleuse, si ce n’est davantage que l’expérience de l’art, peut-être plus précieuse encore.
Plus largement, quel constat faites-vous des liens à la nature que tisse l’humanité d’aujourd’hui ?
Des constats pessimistes. Nous avons décidé d’empiéter sans vergogne sur le territoire des végétaux et des animaux et nous risquons de nous en mordre les doigts. Depuis trois ans, certaines orques d’Europe ont décidé d’attaquer des bateaux sans qu’on n’en connaisse véritablement la raison, peut-être qu’un des bateaux aurait blessé involontairement leur matrone ce qui aurait créé cette révolte organisée. J’habite désormais à Clamart, toujours en banlieue parisienne, commune où il y a énormément de corbeaux particulièrement peu farouches. Cela me donne l’occasion d’imaginer ce que générerait ce même genre de révolte avec ces être ailés, une séquence d’Hitchcock à l’échelle d’une ville.
Pouvons-nous parler de paysage pour votre peinture ?
L’écran et les réseaux sociaux c’est aussi ça notre paysage quotidien qui devient donc très mental, très spéculatif. Techniquement, j’utilise un peu la peinture, mais davantage le dessin et le collage. Le paysage est une piste que je n’explore que depuis quelques années en essayant d’y inclure les différentes natures de gestes dont je parlais plus haut.
Pourquoi intégrez-vous des objets-rebuts de notre société technologique et de consommation, comme des écrans de portables ou des puces électroniques ?
J’intègre ce que je trouve à ma disposition. Les qualités qui me poussent à collecter certains objets tiennent à leur forme, leur texture, leurs couleurs ou leur sens, en général, une combinaison de plusieurs dimensions.
Quelle place occupe la spiritualité dans votre travail ? Je ne dirais pas que la spiritualité au sens de la religiosité est forcément présente, bien que je ne sois pas tout à fait sûre non plus qu’elle en soit totalement absente, mais je dirais plutôt que c’est l’acte même de créer qui est fervent. Fanny Lederlin parle admirablement de la dimension existentielle du bricolage dans son livre Éloge du bricolage : « C’est en prenant les choses, que le bricoleur, est à son tour “pris en main par les choses”. Il se fait prendre avant de comprendre. »
Pouvez-vous nous citer quelques artistes qui appartiennent à votre cosmogonie ?
Oui. J’aime beaucoup Paul Thek, Carol Rama, Le Greco. Je me laisse aussi influencer par la musique avec des groupes comme Current 93, Coil ou James Ferraro. Des livres comme Sombre Printemps d’Unica Zürn, L’homme qui penche de Thierry Metz ainsi qu’Autobiographie de la mort de Kim Hyesoon m’ont beaucoup nourrie.
Enfin, en quoi l’exposition au Frac constitue-t-elle une nouvelle étape dans votre démarche ?
Je n’ai jamais autant donné de place à la figuration humaine que dans cette exposition. La mise en compétition inhérente au système capitaliste ne donne pas seulement lieu à une rivalité entre les individus mais également à un combat contre soi-même. Cette exposition parle de ce combat intérieur, non pas celui qui vise à devenir la meilleure version de soi-même, mais celui qui consiste à trouver sa juste place par rapport aux choses et aux autres.
Nous croulons sous les injonctions aussi nombreuses que paradoxales à plus de disponibilité, plus de performance, plus d’authenticité comme s’il s’agissait d’un produit proche d’un parfum qu’on pourrait diffuser à échelle industrielle à l’aide d’un pulvérisateur aérosol. Le présent semble aplati sous le rouleau compresseur du long continuum du grand théâtre sans fin de sa représentation. Ce que l’époque a gagné en liberté, elle l’a également gagné en perversité dans des outils de contrôle et de formatage qui s’immiscent un peu partout. L’ouvrier fait des gestes moins douloureux mais la surveillance de ces gestes est exacerbée. La pression est d’une autre nature. Pour revenir au champ de la création, je dirais que je me sens proche d’Annie Le Brun quand elle oppose avec fermeté l’illimité de l’offre dans la société de consommation à l’infini du désir de vie.
Anna Solal interviewée par Marine Lang au printemps 2024