Jusqu’au 9 mars 2025, l’exposition « BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture » au MIAM de Sète propose une plongée inédite, déconcertante et fascinante dans les méandres de la peinture populaire et commerciale du XXe siècle. En réunissant un ensemble d’œuvres et d’artistes marginalisés par le monde de l’art contemporain et souvent ignorés et dénigrés par la critique, « BEAUBADUGLY » invitent à repenser les frontières de l’art et à (re)découvrir la richesse et la diversité d’un pan méconnu de la création picturale.
L’autre histoire de la peinture du XXe siècle
Au rez-de-chaussée, la première partie de l’exposition est une véritable réussite. Sous le commissariat conjoint d’Hervé Di Rosa et Jean-Baptiste Carobolante, elle nous offre un voyage dans l’histoire de la peinture populaire, à la découverte d’un univers pictural méconnu et parfois troublant. On y rencontre des peintres stars comme Vladimir Tretchikoff, dont la célèbre Green Lady (Chinese girl) a conquis le public international, ou encore Thomas Kinkade, le peintre le plus vendu aux États-Unis. On reconnaît plus facilement les « Clowns » de Bernard Buffet, les « Big Eyes » de Margaret Keane qui a intéressé Tim Burton ou les « Petits Poulbots » de Michel Thomas qui ont marqué l’imaginaire collectif. Quelques souvenirs ressurgissent face aux lithographies de Toffoli qui ont décoré les salles d’attente des cabinets médicaux et les séjours de nombreux français dans les années 1970… Quant aux images de Robin Koni, elles évoquent les décors de chambres d’ado dans les années 1980-90.
Organisée en cinq séquences (Le peintre star, Les représentations d’enfants, Les représentations féminines, Les paysages exotiques et La peinture fantastique), cette première partie est l’aboutissement de trois ans de recherche de Jean-Baptiste Carobolante à l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art), avec le soutien de la Fondation Antoine de Galbert. Elle rassemble des œuvres de Giovanni Bragolin, André Brasilier, Bernard Buffet, FRS Clemente, Lynette Cook, Leonor Fini, The Highwaymen, Margaret Keane, Thomas Kinkade, Robin Konieczny, Félix Labisse, JH Lynch, Charles Mc Phee, Louis Shabner, Stephen Pearson, Vera Pegrum, Bob Ross, Michel Thomas, Louis Toffoli et Vladimir Tretchikoff.
À propos de cette « peinture marchande », Jean-Baptiste Carobolante explique qu’il s’agit d’œuvres « qui ont été essentiellement véhiculées par les institutions de la société de consommation : supermarché, espaces touristiques, médias de masse, etc. Ce qui nous intéressait dès le début avec Hervé Di Rosa, c’était de défricher un territoire artistique dénigré, voire complètement inconnu par une grande majorité du public, car considéré comme trop populaire, trop littéral, trop “kitsch”, pour avoir le droit de s’insérer dans l’histoire de l’art canonique. Or, ces peintures que j’ai étudiées, et dont une grande partie figure dans l’exposition, ont marqué l’imaginaire occidental de façon décisive, devenant même pour une grande part du public la définition de ce qu’est la peinture ».
Cette première partie de «BEAUBADUGLY » ne se contente pas d’être une simple analyse thématique. Elle propose une véritable réflexion sur le statut de l’œuvre d’art et sur les rapports entre l’art et le marché. En montrant comment ces artistes ont su séduire un large public et comment leurs œuvres ont traversé les frontières sociales, « L’autre histoire de la peinture » nous invite à interroger les critères traditionnels de la valeur artistique.
L’intérêt majeur de ce projet – dans sa première partie – est de montrer qu’il existe un art qui n’a rien de commun avec ce qui est exposé dans les biennales et les foires d’art contemporain. S’il n’est pas pris en compte par les musées, la critique et par l’histoire de l’art, cet art « populaire » existe à travers un marché très prospère avec ses galeries dans les lieux touristiques, les stations balnéaires et les centres commerciaux. On ignore souvent que les originaux se vendent très cher à des collectionneurs. Leur mise en marché n’est sans doute pas très différente de celles des œuvres d’art « reconnues ». Toutefois, l’exposition comme le catalogue reste assez silencieuse à ce sujet. Leurs copies et leurs reproductions largement diffusées répondent, elles, à un modèle économique assez proche de l’industrie hollywoodienne.
Si le catalogue y fait une brève allusion, on peut s’interroger sur le fait que « L’autre histoire de la peinture » ignore l’aventure des Suites Prisunic, une tentative de diffusion grand public d’estampes d’artistes. Entre 1967 et 1972, Prisunic confie à Jacques Putman l’une des premières opérations de démocratisation de l’art : solliciter différents créateurs pour proposer du « beau au prix du laid » dans les rayons de ses magasins. Jacques Putman invite dix-huit artistes à participer au projet. Le principe est simple : réaliser une œuvre originale multiple, au format 65×50 cm. Toutes seront tirées à 300 exemplaires chez des imprimeurs parisiens réputés et seront signées, numérotées et vendues au prix de 100 F. Parmi les artistes se sont engagés dans l’aventure, certains sont proches de de l’école de Paris – Tal Coat, Bram van Velde ou Jean Messagier – d’autres du nouveau réalisme – Arman, Niki de Saint Phalle ou Jean Tinguely – ou encore de l’abstraction comme Jean Dewasne, ou de Cobra comme Pierre Alechinsky ou Asger Jorn… On aurait apprécier qu’une séquence de l’exposition soit consacrée à l’analyse de cette expérience…
On peut également regretter que cette première partie de l’exposition ignore l’aspect politique du sujet qui est toutefois abordé par Jean-Baptiste Carobolant dans le catalogue. À la fin de l’introduction de son essai – La fleur et l’orphelin – notes sur la peinture marchande, il écrit : « Aussi, il nous faut ajouter un dernier élément qui témoigne de l’aspect si particulier de ce sujet. Nombre des peintres que nous allons croiser ici ont publiquement affiché des positions politiques conservatrices. Qu’ils soient proches d’un parti fasciste, réactionnaires, amis avec des figures politiques conservatrices, beaucoup de ces peintres se situent à droite ou à l’extrême droite du spectre politique. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, et bien que nous ne souhaitions pas prendre parti face à ce phénomène, cet aspect est suffisamment récurrent pour pousser à la réflexion. Selon nous, cela dit quelque chose de ce qu’est la peinture commerciale et l’imaginaire consumériste en tant qu’idéologie de la réduction. Réduire les signifiants à des archétypes va souvent de pair avec une vision stéréotypée du monde, avec une opposition de blocs idéologiques qui s’excluent mutuellement… »
Appropriations et détournements
« Montrer l’importance de la “peinture marchande” dans l’imaginaire artistique contemporain ». Telle est l’ambition annoncée pour cette deuxième partie de l’exposition, au premier étage du MIAM… Colette Barbier et Nina Childress, commissaires associées, souhaitaient offrir à ce sujet « des réponses conceptuelles, ironiques, potaches, admiratives, décalées, d’artistes contemporains de générations et d’origines diverses »…
Dans une conversation avec Jean-Baptiste Carobolante, elles ajoutent : « L’esthétique de la peinture populaire marchande hante certainement la mémoire de tous les artistes contemporains. Ils y ont été forcément confrontés, sur le mode admiratif, répulsif ou ironique »… Colette Barbier précise : « Au départ Hervé et Jean-Baptiste souhaitaient montrer un gros corpus du travail de Nina. Mais nous avions tellement d’autres idées que nous avons préféré construire un scénario au fil de l’accrochage et utiliser les tableaux de Nina pour faire le lien entre nos propositions »… Après avoir indiqué que les œuvres de Gabriele Di Matteo et de Hsia-Fei Chang s’étaient rapidement imposées, Nina Childress rebondit en soulignant : « Colette a suggéré de déborder des cimaises avec les volumes de Pierre Ardouvin et Wilfried & Mille. Moi, j’ai tout de suite pensé à des artistes de ma collection ou à des proches, comme Piro Kao et Richard Fauguet »…
Pour Colette Barbier, il s’agissait de « retrouver certains artistes “historiques” traitant de la question ou d’autres, dont la virtuosité à peindre des sujets mainstream issus d’images ordinaires n’empêchaient pas une relecture critique ou humoristique. Et pour d’autres, nous les avons découverts à travers Instagram ! Tous ont une préoccupation commune : la peinture. (…) Nous voulions choisir des artistes pour lesquels l’imagerie populaire est une vraie source d’inspiration ».
À la suite de ce « ping-pong », les deux commissaires ont arrêté leur choix sur un ensemble d’œuvres de : Pierre Ardouvin, Josse Bailly, Hsia-Fei Chang, Nina Childress, Mathis Collins, Pablo Cots, Somaya Critchlow, John Currin, Gabriele Di Matteo, Bert Duponstoq, Cyril Duret, Richard Fauguet, Gérard Gasiorowski, Jef Geys, Piro Kao, Philippe Katerine, Pierre & Gilles, Ernest T, Ida Tursic et Wilfried Mille, Julia Wachtel, Janet Werner, Stéphane Zaech.
L’accrochage qu’elles ont imaginé s’articule en quatre séquences : Le peintre ce héros, S’approprier la peinture au couteau, Peindre coûte que c(r)oûte et Leurre du Kitsch…
Si certaines œuvres, comme celles de Gabriele Di Matteo ou de Hsia-Fei Chang, proposent une réflexion intéressante sur les rapports entre l’art et le marché, d’autres semblent moins convaincantes. On reste dubitatif sur l’approche que propose cette deuxième partie de «BEAUBADUGLY » qui semble rester souvent à la surface de son sujet…
Il y a sans doute un hiatus trop important entre l’approche historique de la première partie et les regards singuliers des deux commissaires sur les « appropriations et détournements » de l’esthétique populaire et marchande par les artistes exposés. On reste peu convaincu par leur démonstration de « l’importance de la “peinture marchande” dans l’imaginaire artistique contemporain ». L’ironie et le second degré de cette seconde partie semblent être en dissonance avec la méthode plus analytique développée dans « L’autre histoire de la peinture au XXe siècle ».
Ces réserves faites, « BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture » ne se contente pas de provoquer. L’exposition ouvre des discussions peut-être nécessaires et sans doute enflammées sur le rôle de l’art dans la société de consommation, et sur la manière dont l’histoire officielle de la peinture a occulté des courants populaires. De cette exploration des méandres de la peinture populaire et commerciale du XXe siècle, on retiendra qu’au bout du compte il y a peu en commun entre cet art – fait pour répondre aux demandes de son marché – et celui qui nous intéresse habituellement dans les chroniques publiées ici et dont les œuvres sont rarement crées pour un marché…
Avec cette exposition au MIAM, Hervé Di Rosa s’est-il délivré de ce sujet qui, dit-il, l’obsédait ? Était-ce celui de son « attirance pour l’esthétique commerciale de la peinture marchande » ou de ses interrogations sur ce qu’est le « vrai » art ? Dans le conversation avec Jean-Baptiste Carobolant reproduite dansle catalogue, il semble nous interpeller et sans doute se questionner : « Qu’est-ce qu’est le vrai art ? Qu’est-ce qu’est l’art faux, en l’occurrence est-ce qu’il y a un art faux ? » Avec une pirouette dont il a le secret, il répond… « Il n’y a pas d’art faux. Il n’y a que des relectures »…
Le catalogue bilingue (français/anglais) publié par les Éditions La Muette en coédition avec le MIAM est un complément indispensable à la visite de l’exposition dont il enrichit considérablement l’expérience. On peut y lire une conversation de Jean-Baptiste Carobolant avec Hervé Di Rosa et un entretien avec Colette Barbier et Nina Childress. Son essai La fleur et l’orphelin est particulièrement intéressant et ses notes sur les artistes constituent une documentation essentielle. L’historienne de l’art et critique Lydia Harambourg propose des contributions sur Bernard Buffet et André Brasilier. Stuart Webb signe un texte à propos de Louis Shabner et Cléa Patin s’intéresse à « La place des peintres figuratifs français dans les grands magasins japonais ». Pour la partie contemporaine, Andrea Viliani rapporte une conversation avec Gabriele Di Matteo et Salvatore Russo lors d’un voyage à Naples en 2004. Des notes biographiques sur les artistes contemporains complètent l’ensemble.
Ci-dessous quelques regards photographiques sur l’exposition accompagnés des textes de salle et des cartels. Celles et ceux qui n’ont pas encore vu « BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture » et qui ont l’intention de passer au MIAM pourront éviter cette lecture avant leur visite…
« BEAUBADUGLY » – Regards sur le parcours de l’exposition
Dans le couloir qui longe le jardin et qui conduit aux anciens chais, l’accrochage commence par un inévitable hommage à Ben.
En ouverture de « BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture », un papier peint reproduit la fresque Tomorrow Forever (1963) de Margaret Keane que les commissaires présentent comme un « un pied de nez historique »
Un voyage dans l’histoire de la peinture populaire
L’immense mur des anciens chais est tapissé par 316 peintures de vagues et de mimosas exécutées au couteau par des peintres-artisans de la baie de Naples. Résultat d’une chaîne de production mise en place par Gabriele Di Matteo, cet ensemble monumental, intitulé Le peintre salue la mer (2005), constitue une réflexion fascinante et particulièrement ingénieuse sur les rapports entre l’art et le marché. Par ailleurs, cette installation fait parfaitement le lien entre les deux parties de l’exposition.
Aboutissement des trois ans de recherche de Jean-Baptiste Carobolante, le première partie de «BEAUBADUGLY » se développe au rez-de-chaussée du MIAM et s’articule en cinq séquences qui sont essentiellement présentées sur la droite, sous la mezzanine.
Elles sont introduites par deux documentaires que l’on peut voir confortablement installé dans un salon assez kitch aux rideaux dorés… Le premier, From the Boy Who Threw a Stone (2004), a été réalisé par Gabriele Di Matteo. Il y montre les peintres-artisans employés pour Le peintre salue la mer dans la production d’un autre projet. Le second, Peinture fraîche, réalisé en 2002 par Pascale Thirode, montre un commercial vendant des tableaux de décoration chez des encadreurs…
Le peintre star
Les représentations d’enfants
Les représentations féminines
Les paysages exotiques
André Brasilier – Retour du soir, 2022, huile sur toile et Le rêve, 2021, huile sur toile. Collection Opera Gallery – BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture au MIAM
André Brasilier (n. 1929) André Brasilier est un artiste français né en 1929 et appartenant à ce qui est communément appelé la « nouvelle École de Paris » des années 1950, plus précisément du « réalisme parnassien ». Cette lignée de peintres, dont André Brasilier est sûrement le plus célèbre au XXe siècle, partage une même vision de la peinture : importance du « métier » ; défense de la tradition, notamment via les sujets picturaux (nu, nature morte, paysages français) ; intérêt pour les maîtres français proches (Bonnard, Matisse) ou lointains (Ingres, Poussin, etc.) ; apologie de la joie de vivre. Ce sont ces différents aspects qui font de l’œuvre de Brasilier un condensé de modernisme, et donc tout son intérêt à partir des années 1950. En 1958, il rencontre Chantal d’Hauterive, qu’il épouse la même année. Elle deviendra sa muse pour le restant de sa carrière de peintre. Durant cette décennie, tous les éléments qui vont structurer la pratique du peintre sont définis : l’intérêt pour ses paysages français, l’Anjou, mais aussi ceux dans lesquels il a des ateliers (Paris, Loupeigne et Vallauris) ; les scènes de musique classique ; les paysages avec chevaux ; les portraits de Chantal, sa muse ; et une forte spiritualité. Ce sont ces éléments, rattachés au style de vie de la bourgeoise française traditionnelle, qui ont su séduire un vaste public en France, mais aussi, et surtout, aux États-Unis et en Asie. C’est sûrement la dimension exotique et onirique qui a séduit dès les années 1980 le public japonais, où l’art français de l’École de Paris était notamment présent dans les grands magasins. Le rêve français, ou « francisant », donc exotique, a été plébiscité par des spectateurs cherchant des peintres capables de représenter une France et un art français éternel. (Texte du cartel)
La peinture fantastique
Jean-Émile Jeannesson, Portrait poème pour Leonor Fini, essai télévisuel, 57 minutes, 1968. Collection INA
Leonor Fini (1908 — 1996) Leonor Fini est née à Buenos Aires en 1908 et décède en région parisienne en 1996. Elle grandit avec sa mère à Trieste dans un milieu bourgeois et se dirige ensuite à Milan à 17 ans, puis à Paris, en 1931, où elle fréquente le mouvement surréaliste sans toutefois le rejoindre véritablement. C’est surtout après-guerre que le public la découvre, et cela notamment via sa présence dans les médias, ses activités dans le monde des arts de la scène et ses nombreuses illustrations d’ouvrages classiques. Ses peintures représentent de nombreuses femmes aux crânes rasés, ou métamorphosées en sphinx, des femmes-mystère, des sorcières ; des figures qui, elle le revendique, perpétuent les vieilles traditions de la vision populaire de la femme. Dans une esthétique proche des peintres de la Renaissance, elle représente des énigmes dans lesquelles, souvent, les portraits de célébrités sont présents. Surtout, elle est connue pour ses très nombreuses toiles de chats, pour ses dessins érotiques et pour ses scènes de saltimbanques. Ses sujets sont des tropes du fantastique : sphinx, squelettes, femmes sorcières, le double, l’androgynie, etc. Tout comme Félix Labisse, son imaginaire est finalement proche de celui du New Age : en creusant les stéréotypes, elle cherche à retrouver une origine mythique de l’humanité. Le 25 janvier 1968, une émission entière de près d’une heure, produite par Jean-Emile Jeannesson, lui est consacrée : Portrait poème pour Léonor Fini sur la 2ème chaîne. Elle y est très théâtrale, très sorcière, très « insolite ». Elle affirme son décalage avec le monde normal. On la filme dans son monastère du XIIIe siècle à Nonza en Corse, qu’elle avait acheté en ruine et y vivait proche de la nature, proche de l’état sauvage. La musique est dissonante, inquiétante. Elle dit qu’on la considère comme une « vampire », elle parle de rêves, de contes, de mythologie. On la voit costumée comme une nymphe ou une déesse devant la mer. Comme l’un de ses personnages finalement car c’est bien de ça qu’il s’agit : elle incarne ses peintures, et c’est ce que le public attend.
Partie contemporaine
Le peintre ce héros
Le mythe du peintre reste bien présent. Aujourd’hui il n’est plus maudit et solitaire mais plutôt ridiculement conquérant, comme chez Nina Childress, voire ringard dans les photos de vernissages d’Ernest T. On l’imagine devant un chevalet de Pierre Ardouvin, défiant la matière pour un réalisme photographique bluffant. Gérard Gasiorowski doute de l’identité du peintre mais pas de Peinture – sans article, comme on parlerait d’une déesse. Il est peintre de la destruction et de la création. Le héros de Stéphane Zaech est une peintresse (Tracy Emin à la sauce Picasso), alors que Josse Bailly accumule les autoportraits en peintre du dimanche se débattant avec les forces de la Bad Painting. (Texte du cartel)
S’approprier la peinture au couteau
L’artiste conceptuel Gabriele Di Matteo met en place une chaîne de production : il a l’idée, et des peintres mercenaires l’exécutent. Près de trois cents peintures de vagues et de mimosas réalisées à la chaîne et au couteau tapissent le grand mur latéral du MIAM. Le Flamand Jef Geys, artiste activiste, a été l’un des premiers à détourner des peintures commerciales en les sortant de leur contexte. La présentation, l’air de rien, de deux petits canevas ordinaires, pulvérise le clivage entre haute et basse culture. Richard Fauguet revendique l’esthétique mémère quand il retourne des travaux d’aiguilles ou choisit une assise de chaise en formica comme support à un bas-relief. Mathis Collins tend vers des pratiques artisanales et collectives. Il se sculpte en Poulbot faisant pipi sur Notre-Dame en flammes, ces mêmes Poulbots que Pablo Cots télescope avec des logos high-tech, renforçant l’anachronisme entre high et low, entre new et old. La juxtaposition forcée d’une frite Végétaline et d’un tableautin de brocante permet à Piro Kao de violenter la peinture avant de l’abandonner définitivement. Hsia-Fei Chang n’est pas peintre mais pose pour tous les artistes de la butte Montmartre. Ce visage au fusain démultiplié dévoile bien des tics artistiques derrière le piège à touristes. (Texte du cartel)
Peindre coûte que c(r)oûte
Pour Somaya Critchlow comme pour Philippe Katerine pas de complexe à avoir, le tableau tend vers la croûte, pourquoi pas ? Aborder un sujet profond comme la condition des femmes, des hommes, des animaux n’empêche pas un certain détachement du pinceau et beaucoup de malice. Bert Duponstoq entrerait dans cette même catégorie si on ignorait qu’il est un artiste fictif, c’est cucul, mais au deuxième degré, alors ça passe très bien. Quand Cyril Duret peint son oncle C. Jérôme, il n’est pas encore le portraitiste mondain qu’il est devenu. Le Fan Art s’aligne sur l’art commercial avec son aura de poster. Janet Werner délaisse les figures féminines pour des animaux attendrissants, sa touche délicate à la Manet est celle d’un grand peintre qui aurait mal tourné. (Texte du cartel)
Leurre du Kitsch
Le sujet, dans la peinture de Ida Tursic & Wilfried Mille, est un leurre dans tous les sens du terme : il trompe et il appâte car leur véritable sujet est la peinture. Ici elle ne prend plus la forme de tableaux mais de chiens géants. En agrandissant aussi son sujet, Julia Wachtel effectue un rappel à l’ordre esthétique : cette virago de carte de vœux vintage, sans son phylactère, désamorce la blague et ne sait plus ce qu’elle dit, ni à qui. John Currin, agace ou séduit ; il saisit l’instant où la beauté et le grotesque s’équilibrent en une tension frisant le décadent ou le ridicule. Il navigue entre techniques classiques, culture populaire, et stratégies WASP. Personne mieux que lui ne dégoûte et ravit à la fois. En peignant sur leurs tirages comme les photographes portraitistes en Inde, Pierre & Gilles floutent la frontière entre kitsch et beauté, réconciliant art populaire et art tout court, irrévérencieux, les fesses à l’air. (Texte du cartel)