Dans le cadre du projet Avignon Terre de culture 2025, célébrant les 25 ans d’Avignon – Capitale Européenne de la Culture, la Collection Lambert propose « Même les soleils sont ivres ».
Sous-titrée Histoires de vent, l’exposition présente jusqu’au 25 mai 2025 un ensemble d’œuvres – installations, vidéos, photographies, sculptures, peintures – avec l’ambition de raconter « la relation sensible que les êtres entretiennent avec le territoire qu’ils habitent, imprégné par les particularités d’un climat que le vent affecte, irrémédiablement »…
L’exposition emprunte son titre à une phrase d’Albert Camus issue de La Postérité du soleil, un ouvrage né de l’amitié qui le lia à René Char après la Libération. Le poète et résistant fait connaître le Luberon à Camus qui s’y installe à la fin des années 1950 après avoir reçu le prix Nobel de littérature. Au texte d’ouverture de René Char, répondent des fragments poétiques de Camus accompagnés par des photographies noir et blanc d’Henriette Grindat venue rencontrer Char à L’Isle-sur-la-Sorgue…
Avec un commissariat qui s’affirme comme collectif et réunissant les acteurs de la Collection Lambert, « Même les soleils sont ivres » est une remarquable réussite. Son parcours construit avec précision alterne avec bonheur les séquences intenses et sonores et les propositions plus poétiques et méditatives dans un ensemble particulièrement cohérent.
Parmi les moments d’exception, on retiendra Prototype pour scanner (2006) de Céleste Boursier-Mougenot, la fascinante création électroacoustique de Julie Rousse (AURAL, wild is the wind, 2025) dans la cour de l’Hôtel de Montfaucon, l’expérience kinesthésique des Flügel Klingen de Susanna Fritscher et les seize Fountains de Zilvinas Kempinas qui occupent l’intégralité du premier étage.
« Même les soleils sont ivres » s’affirme comme une très belle surprise de ce début d’année. Par la qualité des œuvres exposées et par l’habileté et l’intuition de leur mise en espace offre une expérience rare où entremêlement poésie, création sonore et plastique.
À voir et à revoir jusqu’au 25 mai prochain.
A lire, ci-dessous, quelques regards sur el parcours de l’exposition.
En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert
Suivre l’actualité de la Collection Lambert sur Facebook et Instagram
« Même les soleils sont ivres » – Regards sur l’exposition
Massimo Bartolini et Gustave Vidal
L’exposition débute avec In a Landscape (2017) de Massimo Bartolini, installé au centre du grand salon de l’Hôtel de Caumont. Son imposante structure en bois à douze faces fait songer à un puits.
Elle cache un orgue et un carillon de concert qui jouent les dix premières mesures d’une célèbre pièce musicale de John Cage (In a Landscape, 1948). Le mécanisme est un hybride entre la boîte à musique et l’orgue de Barbarie. Des petits blocs de bois actionnent un petit pédalier qui libère du vent d’un compresseur d’air, qui souffle dans les tubes de l’orgue qui forment la paroi de la sculpture…
L’œuvre a été créée pour le St Carthage Hall au château de Lismore en Irlande avec l’idée que l’espace fonctionne comme une caisse de résonance et délivre les sons d’une manière singulière.
À son sujet, Bartolini affirmait dans la revue Elephant, « pour In a landscape , il faut regarder et écouter un puits, et on comprend que le paysage n’est rien d’autre que le mécanisme qui produit le son ». Dans la présentation de son travail par la Frith Street Gallery, on peut lire : « Le paysage est un thème récurrent dans son travail – pour l’artiste, un paysage est un espace d’abstraction autant que la nature, un lieu de méditation sur la permanence et l’impermanence ».
In a Landscape appartient à une série d’orgues imaginés par l’artiste dont certains étaient rassemblés dans le Pavillon italien à la dernière Biennale d’art de Venise.
Composée à l’été 1948 au Black Mountain College, l’œuvre pour piano solo ou harpe de John Cage a été écrite pour accompagner une chorégraphie de Merce Cunningham et dansée par Louise Lipold, à qui la pièce est dédiée. À cette époque, Cage s’intéressait beaucoup à la musique d’Erik Satie, en particulier à sa « musique d’ameublement », une musique à laquelle l’auditeur ne doit « pas prêter attention et se comporter comme si elle n’existait pas »…
Grand classique de la musique minimaliste contemporaine, In A Landscape est souvent présentée comme un voyage dans l’infini, hors du temps, dans lequel la répétition cyclique des motifs invite à la contemplation…
Autour un ensemble de paysages provençaux, parfois marqué par le vent, du peintre avignonnais Gustave Vidal fait un étonnant contraste avec l’installation minimaliste de Massimo Bartolini.
Sur un mur, on peut lire cet extrait du roman expérimental Les vagues de Virginia Woolf :
« Birds swooped and circled high up in the air. Some raced in the furrows of the wind and turned and sliced through them as if they were one body cut into a thousand shreds. Birds fell like a net descending on the tree-tops. Here one bird taking its way alone made wing for the marsh and sat solitary on a white stake, opening its wings and shutting them.
Les oiseaux tournoyaient en plein ciel, ou fondaient sur leur proie. Ils couraient sur les traces du vent, tourbillonnaient et se séparaient comme s’ils n’étaient que les mille fragments d’un même corps. Ils s’abattaient sur la cime des grands arbres comme un filet palpitant. Çà et là, un oiseau se dirigeait tout seul vers la lande, et, perché sur un poteau blanc, ouvrait et refermait alternativement ses ailes en pleine solitude ».
Perrine Lacroix – Claude Marie Gordot
Dans la première salle à droite du hall d’accueil, on découvre un envoûtant et mystérieux voile blanc filmé par Perrine Lacroix. Avec Winfried (2013), elle rend hommage à la dernière victime du mur de Berlin qui, en mars 1989, s’est évadé par les airs à bord d’un ballon de fortune fabriqué en polyéthylène. Sur de site documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes, elle précis : « Cet envol tragique est évoqué ici à travers la fragilité de son matériau, les volumes et les mouvements qu’il suscite dans le souffle d’un courant d’air. L’image du rideau appelé par le vent ouvre le cadre sur celui de la fenêtre. Un glissement s’opère entre l’aspect sculptural de la voile gonflée et son échappée picturale vers la fenêtre, la veduta ouverte vers d’autres perspectives, d’autres histoires, ici sur celle de la fuite de Win(gagner)fried(paix) »…
Face à cette vidéo, une huile sur toile de Claude Marie Gordot, conservée par Cavaillon Hôtel d’Agar, évoque le premier envol d’un aérostat, ou montgolfière, à Avignon, le 25 avril 1783. Diverses sources permettent à l’équipe de l’Hôtel d’Agar d’en résumer ainsi l’histoire :
« Après plus de six mois de travail, les deux frères Joseph (1740-1810) et Jacques Montgolfier (1745-1799), concrétisent le rêve du docteur Joseph Galien d’Avignon (1755) avec une toute nouvelle expérience, réalisée sous la protection de Victoire-Henriette Villeneuve Martignan de Sade (1715-1799), femme de tête et d’esprit. La cour d’honneur de l’Hôtel Villeneuve-Martignan (actuel musée Calvet) est transformée en laboratoire d’aérostation. Les Montgolfier habitent à deux pas, au bout de la rue Joseph Vernet au n° 18 rue Saint-Étienne. Pratique !
Ils installent un dispositif de chaufferie et un ballon blanc de taille moyenne : une toile en coton d’une douzaine de mètres de diamètre découpée en fuseaux assemblés entre eux, doublée de feuilles de “papier Montgolfier”, le tout solidement tenu par quatre personnes. Le poids du ballon était d’environ 225 kg/800 m³. Le feu est activé, le ballon s’envole. Le vent du sud souffle fort ! Le ballon captif soulève les quatre hommes à plus d’un mètre du sol ! Pas le choix, on lâche ! Il flotte à plus de 400 mètres et se pose sur l’autre coteau du Rhône, à Villeneuve-lès-Avignon »…
Mircea Cantor
L’espace que certains appellent la « chapelle » accueille Monument For The End of The World (2006) de Mircea Cantor. Dans cette maquette de la ville de Pusan ou Busan en Corée, la Tour au sommet du parc Yongdusan, un des symboles de la ville, semble être remplacée par une imposante grue… Celle-ci soutient un carillon harmonique qui sonne dans l’air brassé par un ventilateur…
Ce tintement paraît avertir qu’un événement pourrait advenir… Fait-il entendre une menace frémissante ?
Au plafond, l’artiste a dessiné avec la fumée d’une bougie les mots Ciel Variable. Cette intervention créée à la même époque a été reproduite à plusieurs occasions, et notamment dans la salle Sol LeWitt de la Collection Lambert, il y a une dizaine d’années…
On observe que l’œuvre in situ de Niele Toroni peinte sur les deux murs de l’abside reste visible alors que jusqu’à présent, le lieu ne pouvait accueillir une autre œuvre en même temps, selon la volonté de l’artiste et d’Yvon Lambert. Un dispositif de cloisons mobiles devait masquer le travail de Toroni, chaque fois que cela est nécessaire…
Dans l’atrium un peu vide de l’Hôtel de Montfaucon, le parcours se prolonge avec un exemplaire de La Postérité du soleil. En regard d’une photographie d’Henriette Grindat montrant un cyprès courbé par le vent, on peut lire ces mots de Camus : « Seigneur farouche, le mistral souffle en maître sur ses terres. Même les soleils sont ivres. Le cyprès résiste ou rompt. Mais le long frissonnement des peupliers déplie la force du vent, et l’use. L’un enseigne l’honneur, les autres l’obstination de la douceur. Que ferions-nous de vos villes et de vos écoles ?»
Dans l’atrium un peu vide de l’Hôtel de Montfaucon, le parcours se poursuit avec un exemplaire de La Postérité du soleil.
Albert Camus – La Postérité du soleil. Photographies d’Henriette Grindat. Itinéraire de René Char Editeur Gallimard – Novembre 2009 – Même les soleils sont ivres à la Collection Lambert
En regard d’une photographie d’Henriette Grindat montrant un cyprès courbé par le vent, on peut lire ces mots de Camus : « Seigneur farouche, le mistral souffle en maître sur ses terres. Même les soleils sont ivres. Le cyprès résiste ou rompt. Mais le long frissonnement des peupliers déplie la force du vent, et l’use. L’un enseigne l’honneur, les autres l’obstination de la douceur. Que ferions-nous de vos villes et de vos écoles ?»
On peut s’interroger sur l’absence ici de quelques tirages d’Henriette Grindat de sa série qui avaient été présentée en 2023 par la Fotostiftung Schweiz à Winterthur et il y a plus de quinze ans à Hôtel Campredon de L’Isle-sur-la-Sorgue…
Céleste Boursier-Mougenot – Roger Gilbert-Lecomte
Prototype pour scanner (2006) de Céleste Boursier-Mougenot occupe la première salle de l’Hôtel de Montfaucon. Un ventilateur posé au sol propulse un ballon équipé d’un micro sans fil qui explore l’espace. Ses mouvements génèrent des effets larsen ou feed-back produits les par huit haut-parleurs suspendus au plafond. Ce son est analysé en temps réel, synthétisé et rediffusé en direct par un processeur audio faisant varier en permanence sa hauteur et son timbre en fonction de son amplitude. Cette modulation des effets larsen génère une musique indéterminée, en perpétuelle recomposition… Les visiteur·euses libres de se déplacer dans l’installation peuvent interférer sur le mouvement du ballon, mais aussi sur les sons produits. L’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot fait écho à la Pendulum Music (1969) de Steve Reich et à certaines compositions de John Cage ou d’Alvin Lucier…
Autour de cette installation, on peut lire sur les murs les vers du poème L’incantation perpétuelle de Roger Gilbert-Lecomte extrait du recueil La vie, l’amour, la mort, le vide et le vent (1933).
Ce masque atroce instantané
La stupeur-solitude
Le fige à la surface
Du vieux torrent de chairs en chairs accidentelles
Ce masque atroce instantané
De stupeur-solitude
Ta face
Que la grande rafale l’efface en fasse
Un néant brillant un vide éclatant
aveugle-voyant des ténèbres blanches
Être à jamais la proie du vent.
Un peu oublié aujourd’hui, « Roger Gilbert-Lecomte a fait dans ce siècle une brève apparition, de 1907 à 1943. Il fut un de ces poètes météores qui se hâtent vers le rendez-vous que leur a donné la mort. Ils seraient fâchés de la faire attendre », écrivait François Bott dans Le Monde, décembre 1977.
Emily Dickinson – Spencer Finch – Roni Horn
La séquence suivante met à l’honneur Emily Dickinson, dont toute l’existence fut dédiée à la poésie. De sa vie, il y a peu à dire. Passée la trentaine, elle cesse de quitter la propriété familiale à Amherst, dans le Massachusetts. Peu à peu, elle se retire davantage, restant confinée dans la maison, observant le monde uniquement depuis sa fenêtre…
À l’entrée de la salle, on peut lire « The Wind – tapped like a tired Man », un poème (non traduit) d’Emily Dickinson (F621 – 1863).
The Wind – tapped like a tired Man
And like a Host – ‘Come in’
I boldly answered – entered then
My Residence within
A Rapid – footless Guest
To offer whom a Chair
Were as impossible as hand
A Sofa to the Air
No Bone had He to bind Him
His Speech was like the Push
Of numerous Humming Birds at once
From a superior Bush –
His Countenance a Billow –
His Fingers, as He passed
Let go a music as of tunes
Blown tremulous in Glass
He visited – still flitting –
Then like a timid Man
Again, He tapped – ’twas flurriedly –
And I became alone
Au centre de l’espace, Wind (through Emily Dickinson’s window, August 14, 2012, 3:22pm de Spencer Finch recrée une brise estivale soufflant par la fenêtre de la chambre de la poétesse américaine. L’installation met en œuvre un ventilateur et un variateur programmable sur la base de mesures prises avec un anémomètre à Amherst.
Cette pièce dialogue avec trois sculptures des Dickinson Works que Roni Horn a dédié à la poétesse. Deux sont issues de la série « Key and Cue » (Pain-Has an éléments of blank, 1994-2006 et Is heaven a Physician?, 1994-2005). La troisième appartient à l’ensemble « White Dickinson » (A Blossom Perhaps is an Introduction, To Whom-None Can Infer, 2006-2007).
Roni Horn – Key and Cue, No. 1270 (Is heaven a Physician?), 1994-2005 – Key ans Cue, No. 650 (Pain-Has an éléments of blank), 1994-2006 et White Dickinson, A Blossom Perhaps is an Introduction, To Whom-None Can Infer, 2006-2007. Courtesy Galerie Xavier Hufkens, Bruxelles – Même les soleils sont ivres à la Collection Lambert
Sur le site d’AWARE (Archives of Women Artists, Research & Exhibitions), un superbe article de Marjorie Micucci (Roni Horn et ses doubles littéraires) analyse ce travail et la relation empathique de l’artiste avec Emily Dickinson.
L’ensemble est complété par deux photographies de Spencer Finch (Mistral (Avignon), 2009), deux images du mistral soufflant à la surface d’une piscine à Montfavet que de nombreux artistes ont fréquenté…
Joan Jonas – Maurice Costa – Jacques Réda
La salle suivante présente Wind (1968), un film historique de Joan Jonas. Dans ces mini-performances, Jonas met en scène un groupe d’interprètes dans un paysage balayé par le vent, entre champs enneigés et bord de mer, devant la caméra de Peter Campus. Ce film en 16 mm, muet, en noir et blanc, saccadé et accéléré évoque les débuts du cinéma alors que son contenu le situe clairement dans le minimalisme de la fin des années 1960. Les acteurs dans leurs manteaux flottants luttent sans cesse contre les rafales d’un vent qui, bien que silencieux et invisible, définit explicitement la nature de l’œuvre.
En regard du film de Joan Jonas, on découvre un ensemble étonnant de tirages de Maurice Costa, photographe de presse au journal La Marseillaise, puis l’agence avignonnaise du Provençal.
Maurice Costa – Expérimentation de patins « à voile » rue du Duc-de-Cumberland, quartier Barbière – Grands-Cyprès, Années 1970. Archives municipales d’Avignon, 182Fi1233 – Même les soleils sont ivres à la Collection Lambert
Dans cette série, il illustre avec humour et tendresse les expérimentations de patins « à voile » par un groupe d’enfants et de jeunes ados au cœur du quartier Barbière-Grands Cyprès dans les années 1970. Le dialogue de ces gamins avec les performeurs de l’artiste américaine est à la fois surprenant, cocasse et particulièrement pertinent…
L’ensemble est accompagné par un très beau poème de Jacques Réda, écrivain prolifique, grand amateur et chroniqueur de jazz, et directeur de « La Nouvelle Revue française » dans les années 1990.
Il me faut donc chercher ailleurs l’impulsion du vent.
Sans doute dans l’échange entre les masses d’air mouvant
Selon leur poids qui les soumet aux forces d’inertie,
Les oblige à s’entreposer l’une l’autre, si bien
Qu’elles semblent ainsi, dans leur théâtre aérien,
Danser. (Car la musique à ce niveau, timide, balbutie.)
D’où naîtront l’onomatopée et le langage humains
Qui chercheront, avec le vers, stable, d’autres chemins
Que l’Arbre pour apprivoiser, indomptable, le rythme,
Car il n’obéit qu’à sa propre et sauvage rigueur.
Ce que le vent, un jour furie et l’autre tout langueur,
Alterne, c’est conjointement que l’opère le rythme,
Comme le pas du vers rebondit à la rime.
Giono – Pétrarque
Un extrait de Que ma joie demeure de Giono se développe avec élégance et simplicité le long du mur de la galerie qui ouvre sur la cour de l’ancien hôtel particulier… Le vent apporte aux « voyageurs immobiles » du plateau de Valensole les formes et les couleurs des nuages, des sons et des odeurs qui laissent aller leur imagination.
« Le vent bleu monta de la mer. Il est chargé de nuages. Il souffle seulement au printemps. Il traîne sous lui la pluie et la chaleur. Il couche de grandes ombres sur les prés, sur les terres où le blé pousse, sur les bosquets d’arbres. Ces ombres, épaissies par le reflet des sèves nouvelles. sont les plus bleues de toutes les ombres. Le ciel est entièrement habité d’un bout à l’autre par d’immenses nuages à forme d’hommes monstrueux, ou de bêtes, ou de chevaux. Le vent les emporte, les traîne et les pousse et surtout il les anime d’une grande vie qui n’est pas enfermée dans chaque nuage, homme, bête ou cheval, mais qui passe de l’un à l’autre sans barrière… »
Il faut à cette occasion souligner le remarquable travail de graphisme du studio Jauneau Vallance et ses « mises en page » recherchées des œuvres littéraires choisies par les commissaires.
Au milieu de cette galerie, face à la cour, un petit et précieux ouvrage imprimé en 1555 est ouvert à une page où Pétrarque dépeint les beautés de Laure. La première chose qu’il perçoit c’est le vent dans ses cheveux…
François Pétrarque – Toutes les œuvres vulgaires de Françoys Pétrarque… mis en Françoys par Vasquin Philieul… En Avignon – Imprimerie de Barthélemy Bonhomme, 1555 – Même les soleils sont ivres à la Collection Lambert
La BNF propose sur son site une adaptation du sonnet de Pétrarque par Gérard Genot.
Julie Rousse
La cour de l’hôtel de Montfaucon accueille une création sonore électroacoustique de Julie Rousse, réalisée en partenariat avec le GMEM (Centre national de création musicale de Marseille).
C’est sans aucun doute une des expériences les plus puissantes qu’offre « Même les soleils sont ivres », une de celles qui imposent un passage à la Collection Lambert.
Sa pièce (AURAL, wild is the wind, 2025) est composée à partir d’éléments naturels et notamment des captations ces derniers mois de vents du sud et du Mistral qui se sont ajoutés aux vents enregistrés un peu partout dans le monde.
L’œuvre est diffusée dans un format multicanal 8.1 assez complexe qui a nécessité la création de haut-parleurs spécifiques au GMEM et la réalisation d’enceintes sur mesure avec la collaboration de Sophie Dejode.
Susanna Fritscher
Dans la salle dite de grande hauteur, Susanna Fritscher a installé trois étranges lustres constitués de tubes en verre acrylique équipés de membranes sonores (Flügel Klingen). Dans une chorégraphie imaginée par l’artiste, les hélices se lèvent, s’ouvrent, se ferment et produisent des harmoniques grâce à l’air qui les traverse. Leur mouvement est assuré par des moteurs rotatifs pilotés par un automate dont le programme a été spécifiquement développé pour cette salle. Le ballet des trois « sculptures » et la boucle sonore de sept minutes génèrent un effet d’envoûtement irrésistible qui magnifie l’espace et semble lui donner un volume et des dimensions nouvelles. Il est étonnant de constater la vitesse avec laquelle plusieurs visteur·euses s’approprient l’œuvre en s’allongeant sur le sol ou en esquissant des pas de danse…
Avec la création sonore de Julie Rousse, ces Flügel Klingen de Susanna Fritscher est une des œuvres majeures de l’exposition…
Zilvinas Kempinas
Les moments d’exception s’enchaînent avec les seize Fountains de Zilvinas Kempinas qui occupent l’intégralité du premier étage de l’hôtel de Montfaucon. C’est la première fois que l’œuvre est exposée depuis son installation initiale à Reykjavik (Islande), il y a dix ans. Baignées par la lumière changeante qui traverse les fenêtres, elles paraissent animées d’un vent perpétuel qui évoque le mistral balayant les eaux tumultueuses du Rhône…
Au centre de la première travée, une étrange formule (VL v₁€] 0:00 [) est encadrée par « tout est vent » et « rien est vain », propos qui semblent tout droit sortir de l’Ecclésiaste.
En face, on découvre un texte qui de toute évidence est une réflexion extraite du Qohélet (ou L’Ecclésiaste), un livre de la Bible hébraïque faisant partie des Ketouvim :
La formule du Qohélet est énigme parmi les énigmes :
הבל הבלים הכל הבל
ainsi dite dans la Septante, la Vulgate, la Bible de Segond :
ματαιότης ματαιοτήτων τὰ πάντα ματαιότης
vanitas vanitatum omnia vanitas
vanité des vanités, tout est vanité.
Or ces traductions induisent un jugement de valeur là
où il est observation de fait. Tout n’est pas vain : tout est vent.
Poursuite du vent.
Car הבל (habel) est d’abord signe de l’évanescent : vapeur,
buée. Le nom d’Abel, une brume légère aussitôt dispersée.
Dit en algèbre: la vitesse d’évanouissement de tout monde
ϑL , peut être infinie, ne s’éteindre jamais.
Au fond de la seconde travée, le statement de Lawrence Weiner – ÉCRIT SUR LE VENT / WRITTEN ON THE WIND (2013) – s’imposait pour accompagner les mouvements des bandes magnétiques qui semblent jaillir perpétuellement des ventilateurs et dont la vitesse d’évanouissement, peut être infinie, paraît ne jamais s’éteindre…
La traversée des Fountains de Zilvinas Kempinas mérite à elle seule un passage par l’hôtel de Montfaucon.
Chantal Akerman
À l’entrée du sous-sol, un moniteur vidéo diffuse un court extrait du film Un jour Pina a demandé… (1984) de Chantal Akerman.
Pendant cinq semaines, la cinéaste a suivi Pina Bausch et ses danseurs du Tanztheater Wuppertal à Venise, Milan, Avignon… Au travers de scènes extraites des spectacles, de séquences de répétition et de préparation, la réalisatrice évoque par l’image l’univers artistique et imaginaire de la chorégraphe.
De juin à août 1983, la cinéaste accompagne Pina Bausch et ses danseurs dans des tournées de Wuppertal à Milan, Venise (Italie) et Avignon (France). Elle enregistre les performances, les répétitions et les situations en coulisses. À Avignon, Pina Bausch présente Nelken dans la cour du Palais des Papes. Les 16 secondes choisies montrent sur le plateau de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, un champ d’œillets aux couleurs pastels qui se balancent dans la brise… Les danseurs s’assoient autour de ce décor…
Francis Alÿs
Dans Tornado, Mexico City (Milpa Alta), Mexico, 2010, Francis Alÿs tente d’entrer dans un tourbillon de poussière soulevé par le vent dans les champs brûlés à la fin de la saison sèche, sur les hauts plateaux au sud de Mexico… Tel Don Quichotte, combattant des moulins à vent, l’artiste, caméra à la main, s’efforce de pénétrer la zone de paix à l’épicentre de la tornade…
Cette projection dans la première salle du sous-sol bénéficie d’une restitution sonore particulièrement soignée dans un format multicanal 5.1 qui donne toute sa puissance à l’œuvre de Francis Alÿs. On aimerait que cette exigence soit plus fréquente dans les expositions…
Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
La seconde salle de projection accueille Histoire du vent (2010) de Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Cette œuvre de commande du Cnap et du Fresnoy a été produite à l’occasion du 64ème Festival d’Avignon et présenté en juillet 2010 dans les locaux de l’Ecole d’art avant que l’Hôtel de Montfaucon ne soit confié à la Collection Lambert en 2015.
Pour répondre à la commande d’une œuvre sur la mémoire, les deux artistes expliquaient ainsi leurs intentions : « Comment rendre compte de l’Histoire, des traces et de la création contemporaine du Festival d’Avignon ? Le mistral, souvent présent durant les représentations dans la Cour d’honneur du Palais des papes, nous a semblé être une piste intéressante. Les manifestations du vent altèrent les spectacles, les magnifient ou les détruisent, mais laissent une trace durable dans l’esprit des spectateurs. Le vent apparaît comme un double écho : d’une part, à la représentation théâtrale en Avignon avec ses spécificités et d’autre part, aux enjeux de l’écriture d’une histoire du spectacle vivant. Notre proposition artistique consiste en une installation montrant une composition photographique de la Cour d’honneur de 3 m x 2 m qui agit comme un écran translucide sur lequel est effectuée une double projection. D’un côté, le témoignage de certains acteurs de cette histoire du vent et de l’autre, des images d’archives de spectacles où le vent s’est manifesté et qui ont été retravaillées numériquement pour être replacées dans la Cour d’honneur comme un souffle passager, un rapport transcendant, une trace d’histoire… »
Jean Epstein – Joseph Vernet
Un peu peu loin, le court-métrage fantastique de Jean Epstein (Le tempestaire, 1947) raconte l’histoire d’une jeune fille qui s’inquiète de l’absence de son fiancé parti en haute mer. Elle s’en va trouver le tempestaire, un mage qui, selon une antique croyance, a le pouvoir de calmer le mauvais temps avec sa boule de cristal…
Fallait-il accompagner cette projection avec le Naufrage pendant la tempête (1788) de Joseph Vernet ? Ici aussi, la présence du tableau de la collection Jacques Doucet conservé au Musée Angladon répond sans doute au cahier des charges du projet Avignon Terre de culture 2025…
Le parcours se termine avec la reproduction sur le mur du couloir des vers en provençal de Lou Mistrau de l’incontournable (?) Frédéric…