Jusqu’au 22 mars 2025, la galerie chantiersBoîteNoire accueille Jason Cook, artiste franco-américain basé à Montpellier qui présente avec « Ghost in the machine » sa première exposition en solo sur le sol français.
Dans une atmosphère tamisée, Jason Cook a installé avec la complicité de Christian Laune un joyeux capharnaüm technologique, une sorte de hackathon fantomatique où les machines ont pris le contrôle – ou l’ont peut-être perdu… mais avec style !
Bazar ludique, poétique et parfois espiègle, où l’on ne sait jamais si l’on doit sourire, s’émerveiller ou s’inquiéter légèrement, « Ghost in the machine » apparaît comme une proposition surprenante et inattendue. Des sculptures animées d’une étrange vitalité, comme si elles avaient absorbé l’âme d’un savant fou sous influence surréaliste, font étrangement écho avec la saison Art & Science du MO.CO.
Dans le texte qui accompagne l’exposition, Chritian Laune, après avoir cité en exergue Les champs magnétiques Breton et Soupault, justifie ainsi le titre choisi et la nature de ce que l’on peut y découvrir :
« Les sculptures sont animées avec précision, mais surtout habitées par quelque fantôme gourmand de cocktails doux-amers : un doigt de post-structuralisme, un zeste d’irrationnel, sur une base ludique… »
Plus loin, il ajoute : « Shy away, Morning bell, Ode to Rath, Angel hair, Smoke screen,… sont autant de formules magiques associant le temps, l’espace, la lumière – à l’imagination, au rêve, à la folie et la libre association d’éléments hétéroclites en action ».
Certaines œuvres évoquent des références bien connues. Ode To Rath (2024) et son œil insaisissable rappellent l’univers dystopique de Brazil, réalisé par Terry Gilliam en 1985 et qui semble aujourd’hui se matérialiser chaque jour un peu plus…
Shy Away (2023) fait un clin d’œil à L’Indestructible objet de Man Ray. L’œil enfermé dans la cloche de verre est-il celui d’un être aimé ? Les héritiers des Jarivistes de 1957 vont-ils investir à la galerie chantiersBoîteNoire pour y dérober cette pendule borgne ?
Et que dire de Spindle Stitch (2024) et de son filament LED rouge, qui semble marquer une déférence discrète aux Stoppages étalon de Duchamp ?
Quant aux plumes d’autruche de Lulu White (2024), doit-on les interpréter comme un hommage à Rebecca Horn, un clin d’œil au truc en plume de Zizi Jeanmaire ou à l’interprétation qu’en fit Lady Gaga sur les quais de Seine l’été dernier, un soir de pluie ?
Chaque pièce est une énigme, un terrain de jeu pour l’imagination, un déclencheur de souvenirs et de spéculations. Que vous soyez geek, collectionneur, rêveur ou juste curieux, il y a de fortes chances que vous repartiez avec des étoiles dans les yeux et le sourire aux lèvres… et peut-être l’envie de casser votre tirelire…
Celles et ceux pour qui modules ESP32-S3, écrans TFT, Raspberry Pi ou lazy susan font sens trouveront éventuellement dans « Ghost in the machine » l’envie soudaine de bricoler leur propre fantôme mécanique…
Si vous aimez les expériences artistiques, où l’imaginaire flirte avec la technologie, où le bricolage poétique côtoie l’informatique et la robotique et où chaque œuvre semble habitée par un esprit malicieux, alors n’hésitez pas, Jason Cook et ses créatures vous attendent à la galerie chantiersBoîteNoire. Et si une sculpture vous fixe un peu trop longtemps… fuyez, ou engagez la conversation, sait-on jamais !
À lire, ci-dessous, Leba pale la ki o papa, le texte d’introduction de Christian Laune.
On reproduit également la présentation de chacune des pièces de l’exposition par Jason Cook
En savoir plus :
Sur le site de la galerie chantiersBoîteNoire
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Sur le site de Jason Cook
Leba pale la ki o papa (1)
L’opérateur, pour photographier certaines plantes, est obligé de tenir un éventail et doit faire semblant de danser.
A.Breton et P. Soupault, 1919, Les champs magnétiques, Hôtels
Jason Cook se saisit du merveilleux, du désir et des rêves de l’Homme en construisant des machines extrêmement sophistiquées, séduisantes, drôles et angoissantes…
Les sculptures sont animées avec précision, mais surtout habitées par quelque fantôme gourmand de cocktails doux-amers : un doigt de post-structuralisme, un zeste d’irrationnel, sur une base ludique…
Jason Cook est adepte de la French theory, il est aussi familier de la culture Vodou qu’il a fréquentée à La Nouvelle Orléans.
Cette culture Vodou alimente des conceptions du monde visible et du monde invisible, elle formule et diffuse des théories sur l’existence de phénomènes surnaturels, sur la place d’entités non-humaine, sur les rapports qui existent entre les humains et celles-là.
Jason Cook est un artiste-constructeur issu de l’Art Institute of Chicago, son oeuvre repose sur le potentiel du mouvement physique, des comportements cinétiques et de l’animation en général. La robotique, la mécanique, la programmation et l’électronique sont ses compétences de base.
Les machines de Jason Cook sont terriblement séduisantes. Dangereuses ?
En s’approchant d’elles on peut percevoir une petite musique très actuelle : les technologies numériques, l’i.a, les prothèses, les implants, peuvent-ils faire de nous des robots immortels ? 2
Pour autant, Shy away, Morning bell, Ode to Rath, Angel hair, Smoke screen,… sont autant de formules magiques associant le temps, l’espace, la lumière – à l’imagination, au rêve, à la folie et la libre association d’éléments hétéroclites en action.
« Était magique, pour Breton, l’image – picturale ou poétique – qui, par le rapprochement fortuit et inopiné de mots, de formes, de couleurs, de matières, fait jaillir cette étincelle
susceptible de réenchanter le monde, ne fusse que le temps d’un éclair, et de donner ainsi un sens à la vie ». Christian Laune
1 Leba, parle maintenant, papa
Extrait d’une chanson créole de Rafael Cisnero Lescay, Haïti
2 « Créer disent les grands textes fondateurs, c’est partager et départager : entre des mortels et des immortels, entre des humains et des bêtes, entre un Dieu éternel et des êtres éphémères, entre un corps périssable et une âme immortelle… »
F. Hartog, 2024, Départager l’humanité, Gallimard
Ghost in the machine Jason Cook
Morning bell, 2025
Moteurs, composants imprimés en 3D, laiton, électronique personnalisée, bague collectrice, ESP32-C2. 38 x 24 x 12 cm
Morning Bell utilise de multiples extraits de chants d’oiseaux enregistrés pendant le confinement de 2020. A cette cette époque, seuls les bruits d’oiseaux étaient entendus pour annoncer le matin de chaque jour qui passait.
Le mécanisme complet est activé lorsqu’un changement brusque de lumière atmosphérique se produit dans la pièce. Le résultat cinétique est une aile parfaitement aligné avec l’axe central de l’objet qui tourne comme une ballerine.
Ode to Rath, 2024
Tube cathodique, moteurs pas à pas, bois et acrylique découpés au laser, aluminium, composants imprimés en 3D, collecteur tournant, plateau tournant, électronique personnalisée, Raspberry Pi, ESP32-C3. 43 x 43 x 56 cm
Ode to Rath est un objet design mêlant technologie vintage et nouvelles techniques numériques. Un signal vidéo est géré à l’aide d’un ordinateur embarqué. L’objet suit les mouvements d’un œil projeté sur l’écran. Il est capable de se déplacer dans toutes les directions sur un plateau tournant à 360°. Ode to Rath doit son nom à Alan Rath, artiste et ingénieur pionnier de techniques d’assemblage de robots avec des tubes cathodiques recyclés dans les années 1990.
Shy away, 2023
Cloche en verre, écrans TFT, lentilles en verre, composants imprimés en 3D, aluminium, moteurs pas à pas, électronique personnalisée, anneau coulissant, lazy susan, ESP32-S3. 24 x 15 x 15 cm
Shy Away est un objet exprimant à la fois l’auto-absorption et l’auto-pré-servation. Un œil bouge sans fin dans une cloche de verre comme s’il vivait dans sa propre bulle. Un microcontrôleur est programmé pour afficher de manière aléatoire plusieurs vidéos d’un œil regardant dans différentes directions. La pièce est autonome, elle fonctionne et existe entièrement sans aucune interactivité requise.
Angel hair, 2023
Filaments LED, bague collectrice, composants imprimés en 3D, aluminium, laiton, verre, électronique personnalisée, ESP32-S2, moteur brushless. 27 x 15 x 15 cm
L’inspiration de cette pièce est basée sur l’expérimentation matérielle utilisant de nouvelles formes de technologie d’éclairage. Un filament LED flexible qui se comporte comme une spaghetti prend la forme volumineuse d’un 8 lorsqu’il est alimenté. Les composants étant assez fragiles, le mécanisme est logé dans une cloche en verre pour le protéger.
Smoke screen, 2022
Écrans LCD, acrylique découpé au laser, bois, électronique personnalisée, ESP32
Smoke Screen est un projet inspiré de la littérature répandue dans les secteurs institutionnels de l’art et de l’innovation. Le panneau comporte plusieurs écrans avec diverses animations, affichant des mots français aléatoires parmi une liste de 600 se terminant par «aire». Tel un serpent qui se mord la queue, il prend des significations multiples et devient absurde. Le nom « Smoke Screen» est une traduction libre du mot français « enfumage», qui décrit des comportements verbaux pouvant être trompeurs.
Yolo Bolo, 2020
Ampoules LED, bagues collectrices, lazy susan, composants imprimés en 3D, laiton, aluminium, bois, électronique personnalisée, ESP32, moteurs DC. 165 x 165 x 38 cm
Yolo Bolo est une pièce luminaire inspirée par Laurent Bolognini. La machine comporte une ou plusieurs lumières tournant sur des axes moteurs, produisant des motifs spirographiques grâce à la persistance de la vision. Pilotable sans fil via une interface personnalisée sur tablette ou ordinateur. Cette pièce est un prototype qui peut être améliorée par l’apport de technologies Bluetooth pilotant l’intensité lumineuse et la vitesse de rotation du luminaire.
Sole inTension, 2023
Filament LED, bois et acrylique découpés au laser, aluminium, moteur pas à pas, bague collectrice, électronique personnalisée, Raspberry Pi Pico. 43 x 19 x 19cm
Sole inTension est un projet inspiré de l’expérimentation matérielle en testant les comportements et les limites de différents filaments LED. La sculpture est méditative, exprimant des intentions de beauté, de fluidité et d’élégance. Des moments de frustration surviennent parfois lorsque le filament poursuit ses mouvements au delà du prévisible, entraînant une tension, une impasse sous la forme littérale d’un nœud. La structure a été préparée pour s’auto-libérer avant que l’élément puisse aller trop loin et se causer des dommages.
Epiphany, 2024
Bois découpé au laser, écrans TFT, électronique personnalisée, ESP32-S3, peinture phosphorescente sur acrylique. 11 x 27 x 7 cm
Epiphany est issue d’une approche flux de conscience. La méthode du Cadavre Exquis pratiquée par les Surréalistes est employée à partir de matériaux trouvés pour créer une sorte de collage sans vraiment savoir quel en serait le résultat. Après avoir trouvé une configuration équilibrée de multiples pièces et techniques, je l’ai nommé « Epiphanie». L’œuvre est un triptyque animé un présentoir à gauche, une fenêtre en forme de ruche au centre, un présentoir agrandi à droite. En boucle constante, un homme court sur le premier écran. Le motif de la ruche au centre est éclairé. Le processus s’accélère progressivement. Une fleur s’épanouit comme résultat final. L’homme devient un squelette. Le cycle recommence alors. En termes simples, le processus complet parle du cycle de la création, de la vie et de la mort.
Lulu White V2, 2024
Plumes d’autruche, nylon, aluminium, bois, électronique sur mesure, gant, capteurs, servomoteurs. 34 x 25 x 90 cm
Lulu White évoque les frontières perçues entre spectateur et spectacle, souvent présentes lors des cérémonies d’ouverture traditionnelles (vernissages) des galeries, des musées, des festivals d’art ou des marchés. Lulu White est tactile : les plumes d’autruche représentent les doigts, invitant au contact avec les spectateurs. L’esthétique choisie, ainsi que le nom lui-même, redéfinissent « la machine», explorant les thèmes de la séduction et imprégnant la mécanique d’intimité et d’attrait humain.
Spindle Stitch, 2024
Filament LED, bois et acrylique découpés au laser, aluminium, moteur pas à pas, électronique personnalisée, Arduino. 36 x 16 x 19 cm
Spindle Stitch est un objet conçu qui appartient à une série explorant l’interaction entre les limites matérielles, l’esthétique visuelle et les possibilités cinétiques grâce à l’utilisation de filaments LED flexibles. Utilisant une robotique de précision, l’œuvre comporte une broche qui enroule et déroule en continu un filament luminescent pour créer une interaction dynamique entre l’ordre et le désordre. Ces deux éléments contrastés – un motif systématique et un motif apparemment chaotique – coexistent au sein de la pièce, chacun dépendant l’un de l’autre pour former un récit complet d’imprévisibilité structurée.
Variations of My Patience, 2025
Bois, acrylique, écrans TFT, affichage 7 segments, haut-parleur, électronique personnalisée, ESP32-S3. 15,5 x 34 x 7 cm
Variations of My Patience utilise plusieurs écrans TFT pour animer une gouttelette d’eau, présentée à la fois dans sa forme originale et dans une série de variations de couleurs – les teintes saturées jouent avec la répétition et la transformation de l’image. Les variation ont pour objectif d’amplifier la sensation d’attente. Tout comme l’impatience allonge le temps, les couleurs intensifiées renforcent la conscience du spectateur du passage lent et délibéré de chaque instant. Un haut-parleur renforce cet effet avec le son rythmé de l’eau qui coule, anticipation inévitable… Un affichage à sept segments fonctionne comme une minuterie énigmatique, décomptant de manière imprévisible l’apparition d’un événement inconnu.
Hypnosis, an experiment in electric aesthetics, 2025
Acrylique, peinture phosphorescente, laser violet, composants imprimés en 3D, aluminium, bague collectrice, moteurs pas à pas, électronique personnalisée. 30 x 30 x 15 cm
La sculpture utilise deux actionneurs (un rotatif et un linéaire) contrôlés par un microcontrôleur programmé pour créer une série de motifs en anneau. Ces dessins éphémères brillent brièvement avant de s’effacer, faisant écho au caractère éphémère du médium phosphorescent. Grâce à ce processus dynamique, Hypnose invite à réfléchir sur la beauté éphémère de la lumière et du mouvement.
Iris, 2023
Aluminium, bois, moteur sans balais, composants imprimés en 3D, électronique personnalisée, bague collectrice, ESP32-C2, Raspberry Pi. 127 x 50 x 40cm
Mon travail est souvent conçu à petite échelle, fragile et méditatif, j’ai cherché à contrebalancer cette tendance en introduisant de l’adrenaline et de la vitesse. A l’aide d’un moteur destiné à un drone, un affichage de lumières programmables oscille à différentes vitesses autour d’un axe central. Les techniques employées pour créer un dispositif destiné à la persistance de la vision sont dans ce cas certes excessives. Le résultat est une centrifugeuse colorée capable d’obtenir des vitesses extrêmes et inquiétantes.
Contortion, 2024
Aluminium, acier, pistons pneumatiques, ressorts, chambres à air, suspension par câble élastique, électronique personnalisée 65 x 90 x 90 cm (tous les pistons fermés) – 92 x 112 x 112 cm (tous les pistons ouverts)
Contortion représente une évolution dans l’exploration des structures pneumatiques, dépassant les contraintes de son prédécesseur, The Walking Cube. Conçu comme une forme manipulable et minimale, il cherche à défier la rigidité des structures conventionnelles, embrassant une identité fluide et adaptative. Son cadre trièdre juxtapose conformité et non-conformité, équilibrant la stabilité de l’ordre géométrique avec l’imprévisibilité dynamique de la transformation.
L’œuvre incarne des tensions réprimées, reflétant la lutte dystopique entre la conformité de l’existence mécanisée et le désir d’autonomie. Ses mouvements – contenus mais expressifs – deviennent des actes de rébellion contre les systèmes structurés, se remodelant continuellement dans la tension de l’expansion et de la restriction. Interactif et réactif, Contortion réagit à la présence avec des animations aléatoires, ses formes changeantes symbolisant le défi et la poursuite incessante de la liberté dans un ordre mécanique.