Le bestiaire magique de Niki de Saint Phalle à l’Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence


Du 30 avril au 5 octobre 2025, l’Hôtel de Caumont présente « Le bestiaire magique » de Niki de Saint Phalle, une exposition très attendue qui met en lumière l’influence des animaux et des créatures imaginaires dans l’œuvre de l’artiste, en proposant une lecture de son parcours à travers le prisme de la représentation animale.

Imaginé comme un parcours initiatique inspiré du conte de fée, le parcours de l’exposition invite les visiteurs à « déambuler parmi les créatures facétieuses avant d’accéder à un monde imaginaire où l’ensemble des êtres vivent dans une harmonie féerique »…
Il s’organise en quatre temps :

Il était une fois
Bêtes maudites et symboles rédempteurs
Le bestiaire fantastique
Un rêve plus long que la nuit

« Le bestiaire magique » de Niki de Saint Phalle explore notamment l’importance des monstres et des dragons, symboles récurrents des angoisses de l’artiste, dès les années 1960.

Niki de Saint Phalle, Tyrannosaurus Rex (Study for King Kong), 1963, Assemblage d’objets, de jouets en plastique et de divers éléments en bois et en papier mâché collés, plâtrés et peints sur panneau de bois 198 x 122 x 25 cm, FGA-BA-SAINT-0002
Niki de Saint Phalle – Tyrannosaurus Rex (Study for King Kong), 1963, Assemblage d’objets, de jouets en plastique et de divers éléments en bois et en papier mâché collés, plâtrés et peints sur panneau de bois 198 x 122 x 25 cm, FGA-BA-SAINT-0002. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris. Crédit photographique : © Fondation Gandur pour l’Art, Genève, Photographe : André Morin

L’ambivalence du serpent et la présence de l’araignée – à la fois figure de protection et image menaçante de la mère tentaculaire de l’artiste – précèdent la figure de l’oiseau, motif qui revient fréquemment dans son œuvre.

Niki de Saint Phalle - Oiseau de feu / Sun God, 1982 Polyester peint, 40 × 44 × 18 cm Niki Charitable Art Foundation
Niki de Saint Phalle – Oiseau de feu / Sun God, 1982 Polyester peint, 40 × 44 × 18 cm Niki Charitable Art Foundation. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris; Photo: © 2025 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION,
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Le monde fantastique de l’artiste et sa représentation de rêves et de cauchemars est évoqué par Last Night I had a dream (1968) que l’on avait vu l’an dernier à la Villa Datris et par la projection du film Un rêve plus long que la nuit, réalisée en 1976. Entre temps, l’exposition aura montrer comment ses Nanas ont repris le pouvoir.

Niki de Saint Phalle - Last Night I Had a Dream, 1968. Exposition Faire corps à la Villa Datris, 2024 - Photo ©Bertrand Michau
Niki de Saint Phalle – Last Night I Had a Dream, 1968. Exposition Faire corps à la Villa Datris, 2024 – Photo ©Bertrand Michau

Le commissariat de cette exposition est assuré par Lucia Pesapane, historienne de l’art dont les recherches portent sur le travail des artistes femmes depuis le début du XXe siècle.
En 2014, elle a assisté Camille Morineau pour la rétrospective Niki de Saint Phalle au Grand Palais. Puis, en 2022-23, elle était co-commissaire de l’exposition « Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990. L’art en liberté » aux Abattoirs à Toulouse. L’an dernier, elle était commissaire de la rétrospective présentée au Mudec de Milan.

Le catalogue, sous la direction de Lucia Pesapane, réunit trois essais scientifiques signés respectivement par la commissaire, Claude d’Anthenaise et Raphaëlle Saint-Pierre. Ils sont complétés par un abécédaire des animaux de Niki de Saint Phalle écrit par Domitilla Dardi.
Cet ouvrage revient sur la place de la figure animale dans les objets usuels (lampes, vases), ainsi que dans les grandes sculptures et œuvres publiques de Niki de Saint Phalle.

L’exposition est réalisée avec le soutien de la Niki Charitable Art Foundation qui conserve les œuvres et les archives de Niki de Saint Phalle et en détient les droits de propriété intellectuelle.

À lire, ci-dessous, une présentation du parcours de l’exposition, des passages des entretiens avec la commissaire et avec Bloum Cardenas, petite-fille de l’artiste et curatrice de la Niki Charitable Art foundation, ainsi que de l’abécédaire du catalogue. Ces textes ainsi que les repères chronologiques sont extraits du dossier de presse.

Chronique à suivre après un passage à l’Hôtel de Caumont.

En savoir plus :
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Sur le site de la Niki Charitable Art foundation

« Le bestiaire magique » de Niki de Saint Phalle – Parcours de l’exposition

Il était une fois

L’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle (1930-2002) a, tout au long de sa carrière, peuplé ses œuvres d’animaux et de créatures facétieuses. Son bestiaire fascine car il mêle symboles, ésotérisme et récit autobiographique.

Niki de Saint-Phalle - Le Dragon Rouge, 1964 Assemblage de plâtre, grillage, tissu, peinture aérosol, ficelle, cheveux et figurines en plastique, 87 × 132 × 58 cm Courtesy galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois
Niki de Saint-Phalle – Le Dragon Rouge, 1964 Assemblage de plâtre, grillage, tissu, peinture aérosol, ficelle, cheveux et figurines en plastique, 87 × 132 × 58 cm Courtesy galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris, Crédit : André Morin photographe

Niki de Saint Phalle aime les contes de fée car ils mettent en scène des peurs et des rites universels transmis depuis la nuit des temps. Dans ces histoires merveilleuses certains animaux alliés vont guider le personnage principal à travers sa quête, tandis que les monstres terrifiants vont servir tantôt d’obstacle, tantôt de passage pour accéder à une fin qu’on espère être heureuse. Enfant, l’artiste passe ses vacances dans le château familial de Huèze, dans la campagne nivernaise, qu’elle évoque comme un premier décor à sa fantaisie créatrice.

Bêtes maudites et symboles rédempteurs

La monstruosité chez Niki de Saint Phalle prend des formes diverses. Elle adopte l’apparence d’un dragon ou d’un homme et se niche dans l’intimité des émotions. Dès ses célèbres tableaux-tirs des années 60, qui vont lui apporter la reconnaissance internationale, l’artiste affronte ses tourments en faisant saigner les toiles qui prennent parfois la forme de bêtes effrayantes grâce à des assemblages d’objets divers recouverts de plâtre blanc. « Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. C’était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail 1 » disait-elle. Chez Niki de Saint Phalle, la dualité est au cœur de la symbolique du monstre : elle lui accorde une dimension positive grâce à sa capacité à incarner des peurs pouvant être dominées, il devient le mal quand il exprime les méchancetés des êtres humains.

Niki de Saint Phalle, Tyrannosaurus Rex (Study for King Kong), 1963, Assemblage d’objets, de jouets en plastique et de divers éléments en bois et en papier mâché collés, plâtrés et peints sur panneau de bois 198 x 122 x 25 cm, FGA-BA-SAINT-0002
Niki de Saint Phalle – Tyrannosaurus Rex (Study for King Kong), 1963, Assemblage d’objets, de jouets en plastique et de divers éléments en bois et en papier mâché collés, plâtrés et peints sur panneau de bois 198 x 122 x 25 cm, FGA-BA-SAINT-0002

Américaine par sa mère, Niki de Saint Phalle est pétrie de références outre-Atlantique, comme la fascination pour les dinosaures et les jouets de la pop culture. Sa passion pour le cinéma lui inspire de nombreuses créatures, notamment les dragons de l’imaginaire post-atomique japonais, tandis que son attrait pour la littérature fait émerger dans ses assemblages des personnages de fiction, tels que Frankenstein ou Gilles de Rais. Ce dernier, qu’elle présentait fièrement comme son ancêtre, est un personnage historique tristement célèbre pour avoir commis les pires atrocités et inspiré la légende de Barbe bleue. L’artiste montre la peur et les vices de l’homme sous forme de bêtes fabuleuses et l’art est un moyen redoutable de les affronter.

Le bestiaire fantastique

Niki de Saint Phalle rêve d’un monde qui ne soit pas seulement dominé par l’homme et invite à une communion entre tous les êtres vivants. La femme occupe une place centrale dans cette utopie en prenant la forme de la Grande Mère, renouant ainsi avec sa nature divine mise en avant dans les civilisations pré-patriarcales. Ses Nanas ont repris le pouvoir.

Niki de Saint Phalle - Bailarina, 1966, Résine polyester polychromé 120 × 143 × 55 cm, C-1088-B Colección Banco Santander
Niki de Saint Phalle – Bailarina, 1966, Résine polyester polychromé 120 × 143 × 55 cm, C-1088-B Colección Banco Santander. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris

Le corps féminin se fait hybride et englobe le monde des vivants. Enlaçant un oiseau, allongée avec une queue de sirène ou chevauchant une licorne ou un dauphin, la femme est le point d’équilibre entre nature et culture. L’amour et le respect des animaux, mais aussi et surtout la manière de penser le vivant, sans séparation et sans hiérarchie, sont des approches qu’elle partage avec les écoféministes. Pour atteindre ce but elle a besoin d’alliés et de figures totémiques protectrices ; ce sont les oiseaux, symboles de son monde spirituel.

Niki de Saint Phalle - Déesse de la lumière, 1981, Résine polyester peinte, socle en fer, éléments électriques et ampoules, 163 × 90 × 34 cm, Paris, musée des Arts décoratifs
Niki de Saint Phalle – Déesse de la lumière, 1981, Résine polyester peinte, socle en fer, éléments électriques et ampoules, 163 × 90 × 34 cm, Paris, musée des Arts décoratifs. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris Crédit : ©Paris, MAD / Laurent Sully-Jaulmes

L’univers qu’elle fabrique lui permet de conserver une relation privilégiée avec son être d’enfant. « La nature, les dragons, les monstres, les animaux de mon univers imaginaire me maintenaient en contact avec mes émotions d’enfant. En moi, l’enfant et l’artiste sont indissociables 2. » Une part de Niki de Saint Phalle est toujours restée enfant, l’autre s’est seulement entraînée à devenir un peu plus grande.Des personnages historiques et littéraires aux monstres du cinéma américain et japonais, en passant par les divinités des mythes fondateurs, les figures animalières sont omniprésentes dans la fantaisie de Niki de Saint Phalle qui sait mêler le naturel et le surnaturel.

Un rêve plus long que la nuit

Sculptrice, performeuse et metteuse en scène, Niki de Saint Phalle réalise en 1976 un long-métrage intitulé Un rêve plus long que la nuit, conte fantasmagorique féministe qui explore, d’une manière sombre et parfois comique, l’éveil sexuel et la mémoire traumatique au travers d’un récit tordu et surréel ayant pour trame un conte de fée.

En retraçant le processus d’initiation du personnage principal (interprété par la fille de l’artiste), le film explore la place de la femme et le thème du traumatisme dans un monde violent dominé par des hommes ineptes. Au début du film, la fillette Camélia dessine un dragon vert, puis s’endort et commence à rêver. Elle se retrouve au royaume des dragons où elle est accueillie comme une princesse et danse avec le monstre qui la protège. Tout semble se dérouler dans la paix et l’harmonie jusqu’à ce que le dragon se rebelle et devienne féroce.
Camélia prend la fuite et se retrouve en face d’un séduisant homme-oiseau. La petite fille rencontre une sorcière qui va exaucer son vœu de devenir grande. La fillette devenue jeune femme doit faire son initiation.

Ce film a été restauré par la cinémathèque de Bologne en 2024 grâce au soutien de Dior, et est ici présenté pour la première fois dans sa nouvelle version en France.

1 Niki de Saint Phalle, Traces. Une autobiographie, Remembering 1930-1949, Lausanne, Acatos,
2 IIbid., p. 71.

Entretien avec Lucia Pesapane

Madame Lucia Pesapane, est historienne de l’art spécialiste de Niki de Saint Phalle et a notamment organisé les rétrospectives de l’artiste au Grand Palais en 2014, aux Abattoirs à Toulouse en 2022-23 ainsi que l’exposition au Museo delle Culture à Milan en 2024. Elle a travaillé pendant quinze ans dans les institutions françaises et a organisé, parmi d’autres, les expositions « Women House et Kiki Smith » à la Monnaie de Paris ainsi que « Pionnières, artistes des années 20 » avec Camille Morineau au Musée du Luxembourg. Ses recherches portent sur le travail des artistes femmes du début du XXe siècle jusqu’à nos jours.

Y a-t-il des animaux plus importants que d’autres dans l’univers de Niki de Saint Phalle ?

Lucia Pesapane : La triade des animaux les plus importants est constituée par l’oiseau, le serpent et le dragon.
Le dragon est l’antagoniste principal. Le dragon de l’Apocalypse est le serpent antique, il crache des flammes car il est Satan. Cette créature diabolique est souvent opposée à celle, angélique, d’une princesse ou d’une vierge, qui symbolise la pureté et l’innocence, comme dans l’œuvre Nana et Dragon, 1993 où la fille est menacée par un grand dragon avec la bouche ouverte.

Niki de Saint Phalle - Nana et Dragon, 1993
Niki de Saint Phalle – Nana et Dragon, 1993

Symbole de péché et de vie nouvelle, le serpent est l’animal rédempteur, mais aussi bête maudite. Au travers du serpent, ce sont les tentations et l’effroi du masculin dont les Nanas-boa se jouent avec leurs corps puissants. Depuis l’enfance cet animal exerce sur Niki de Saint Phalle à la fois terreur et attraction. Il représente pour elle la vie même, une force primitive indomptable.

L’oiseau, symbole de légèreté et des relations entre la terre et le ciel, s’oppose au serpent qui est une image du monde terrestre. L’oiseau rappelle les anges, la quête vers un état de grâce. Il revient tout au long de la carrière de l’artiste : tantôt oiseau de feu, tantôt rossignol ou aigle, recouvert de peinture, de miroirs ou de mosaïques ; les oiseaux figurant sur la fontaine Stravinsky sont un hommage au ballet l’Oiseau de feu et à l’opéra Le Rossignol de Igor Stravinsky. Pour Saint Phalle cet animal représente la liberté.

Niki de Saint Phalle - Le Rossignol - Photo Clement Dorval - Marie de Paris
Niki de Saint Phalle – Le Rossignol – Photo Clement Dorval – Marie de Paris

Parmi les œuvres présentées dans l’exposition, quelles sont celles les plus remarquables ou rarement exposées ? Pourriez-vous nous présenter une œuvre en particulier ?

Lucia Pesapane : Le titre Château du monstre et de la mariée (1955) rappelle d’horribles créatures emprisonnées dans l’édifice et montre une jeune femme avec un voile de mariée tenu par une fillette (la fille de l’artiste, Laura) hors de l’enceinte, libre. La princesse a vaincu le dragon et s’en va au loin.

Un ou deux serpents sont esquissés dans la composition : il s’agit du serpent tentateur, de biblique mémoire, symbolisant une menace ou un péril. L’un des plus anciens souvenirs de Niki de Saint Phalle est l’image de deux serpents lui coupant la route et le sentiment de peur éprouvé. Dès lors le serpent a toujours été pour elle un objet d’attirance et de répulsion, un symbole du mal mais aussi une force de renouveau, un animal salvateur et une bête maudite : « Je suis née avec la terreur des serpents. Les serpents sont imprégnés d’un mystère envoûtant. Au zoo, j’avais plaisir à trembler devant eux. Pour moi ils représentaient la vie même, une force primitive indomptable. En fabriquant moi-même des serpents, j’ai pu transformer en joie la peur qu’ils m’inspiraient. Par mon art, j’ai appris à dompter et à apprivoiser ces créatures qui me terrorisaient. »

À titre personnel, quelle fut votre principale découverte en travaillant sur cette exposition ?

Lucia Pesapane : J’ai voulu montrer une artiste profondément ancrée dans le Moyen Âge et fascinée par l’univers des contes de fées. En fait, c’est au Moyen Âge que les bestiaires voient le jour, constituant ainsi l’un des genres littéraires les plus célèbres de la culture occidentale. Pour Saint Phalle, les animaux sont le support de la pensée symbolique, comme ils l’étaient au XIVe siècle, et l’art est un moyen de les affronter. Les figures fantastiques sont omniprésentes dans son œuvre, le naturel et le surnaturel se mêlent, comme pour l’homme médiéval aux yeux duquel il n’existait pas de frontière entre le visible et l’invisible.

Niki de Saint Phalle aimait les contes de fées parce qu’ils utilisent un langage polysémique constitué d’images issues de récits populaires, de ballades, de chants traditionnels et de l’imagination des conteurs. Le conte lui convient parce qu’il est mélange et hybridation, qu’il conjugue savoirs savants et croyances populaires et s’adresse à tous, riches ou pauvres. C’est ainsi que procède l’artiste qui mêle et unit dans ses œuvres le sacré et le profane, le sérieux et le facétieux, les monstres et les dragons, les rebelles, ceux qui s’opposent et cherchent des voies alternatives.

Entretien avec Bloum Cardenas

Bloum Cardenas, petite-fille de l’artiste et trustee de la Niki Charitable Art foundation

Selon vous, qu’est ce qui caractérise le lien de Niki de Saint Phalle avec les animaux : quelles sont les relations entre les hommes, les femmes et les animaux?

Bloum Cardenas : Peut-être le partage de l’Eden ? La liberté des animaux victimes des délires de pouvoir de l’homme. Ils sont des victimes innocentes, réduits à des trophées de chasse. Le délire de pouvoir, du contrôle, cette obsession de vie et de mort sur la nature. Les animaux chassent mais ne se font pas la guerre. Il y a une forme d’innocence que Niki a perdue trop tôt mais préservée dans son œuvre.

Niki de Saint Phalle est connue du grand public pour ses Nanas principalement, mais si on regarde bien les animaux sont très présents et importants.

Bloum Cardenas : Selon moi la présence des animaux dans l’œuvre de Niki vient d’abord de son éducation judéo-chrétienne. Elle a fait partie de la première génération qui a grandi avec des livres tels que Babar, les livres de Edward Gorey. Niki a gardé l’enfant en elle toute sa vie. Elle a soutenu cet aspect de sa personnalité, particulièrement son imagination. Souvent les contes et livres pour enfants utilisent les animaux comme symboles ou métaphores. C’est une manière universelle de parler du merveilleux et pour les enfants qui ont grandi dans les villes avant la télévision et l’internet, c’était un grand espace imaginaire. Les animaux sont une manière de faire référence au merveilleux, à notre belle planète et sa nature si vaste et précieuse.

Niki de Saint Phalle - The Unicorn, 1994 Résine polyester peinte (peinture polyuréthane et flash vernis) sur socle en métal, 96 × 38 × 138
Niki de Saint Phalle – The Unicorn, 1994 Résine polyester peinte (peinture polyuréthane et flash vernis) sur socle en métal, 96 × 38 × 138. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris; Photo: © 2025 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION, All rights reserved

Quelles sont les missions principales de la NCAF (Niki Charitable Art Foundation) ?

Bloum Cardenas : La mission de la fondation est de soutenir et partager l’œuvre de Niki auprès de tous les publics. L’œuvre de Niki est généreuse et accessible de différentes manières à différents âges. L’art étant un espace de liberté et un potentiel de réalisation pour de nombreuses personnes qui ne trouvent pas leur place. Une alternative à la violence ou la folie. Où les deux…

Niki de Saint Phalle - Tree of Liberty, 2000-2001 Résine polyester peinte et feuilles d’or 48 x 50 x 54 cm, Niki Charitable Art Foundation
Niki de Saint Phalle – Tree of Liberty, 2000-2001 Résine polyester peinte et feuilles d’or 48 x 50 x 54 cm, Niki Charitable Art Foundation. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris; Photo: © 2025 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION, All rights reserved

Quel est selon vous l’apport de cette exposition dans la reconnaissance de son œuvre ?

Bloum Cardenas : Cette exposition est la première à faire un focus sur les animaux dans son œuvre. Ils sont juste absents dans sa période des Tirs. Sinon ils sont là avant et après. Très rapidement elle a le projet de L’arche de Noé qu’elle réalisera à la fin de sa vie et qui se trouve dans le zoo de Jérusalem. Les animaux, les monstres, les dinosaures… Cela fait également partie de son éducation anglo-saxonne. Le Chat Noir ou The Raven de Edgar Allan Poe faisaient partie de ses favoris. Niki insistait sur l’importance des contes de fées. Encore un monde où les animaux (le loup, le chat botté, l’oiseau de feu etc.) sont des messagers.
Godzilla, King Kong, Doctor Jekyll & Mr. Hyde sont aussi comme des contes contemporains…

Niki de Saint Phalle - L'Arche de Noé (Le Bélier), Jérusalem, 1994
Niki de Saint Phalle – L’Arche de Noé (Le Bélier), Jérusalem, 1994

Extrait de l’abécédaire du catalogue

Araignée

Animal qui construit lui-même sa maison, une demeure assez particulière et fascinante, sans toit ni espace intérieur, suivant un plan ramifié et tissé à partir de ses propres sécrétions, aux nombreuses significations. En effet, la toile d’araignée est un lieu élastique où habiter, mais c’est de surcroît un piège pour les proies. L’araignée est ainsi identifiée depuis toujours selon cette double acception : d’un côté, une créature « magique » capable de fabriquer son propre habitat vital, signe de sa grande capacité de travail et de son ingéniosité architecturale ; de l’autre, un être astucieux et sournois, aussi rusé que trompeur, dont la puissance est accrue par son venin. Dans la mythologie grecque, Arachné est la tisseuse qui ose défier le pouvoir divin et qui, pour ce péché d’hubris, est punie et métamorphosée en araignée.

Niki de Saint PhalleBlack Widow Spider, 1963 et La Promenade du dimanche, 1971 – Photo Patrick Scemama

En psychanalyse, l’araignée est souvent associée à la figure maternelle étouffante : sa présence constante dans l’œuvre biographique de Niki de Saint Phalle peut être interprétée sous cet angle. Comme une araignée, sa mère l’a dévorée et l’artiste à son tour avoue avoir dévoré ses enfants. En effet, à plusieurs reprises, il est fait référence à la menace de la figure maternelle, manifeste dans des œuvres comme Black Widow Spider (1963), l’un des tableaux contre lequel l’artiste tire, tuant symboliquement la mère. La mère dévorante réapparaît plus tard dans les années 1970 comme dans l’œuvre La Promenade du dimanche (1971) ou dans le livre The Devouring Mother (1972) aux côtés d’une imposante araignée et d’un personnage masculin secondaire écrasé. Ce groupe semble tiré d’un scénario où le grotesque le dispute à la terreur. Dans les années 1980, l’araignée évoque pour Saint Phalle la menace mortelle du sida, peste de l’époque moderne. Enfin, l’animal est également présent dans Le Jardin des Tarots où l’on trouve une colonne recouverte d’araignées et d’insectes de tout genre dans le patio de la sculpture de L’Empereur.

Dragon

Gardien de secrets et de trésors cachés, le dragon est un agent au service du mal qui rend ardu le triomphe du bien. Dans l’hagiographie chrétienne, le dragon le plus célèbre est celui que combat saint Georges, guerrier et martyr, qui précisément incarne l’éternelle lutte du bien contre le mal, sujet d’un tableau célèbre de Carpaccio très apprécié de Saint Phalle qui en propose une interprétation dans la carte de La Force du Jardin des Tarots : « Une jeune fille mène par la main un féroce dragon par un fil invisible. Le monstre que la jeune fille doit mater se trouve à l’intérieur d’elle-même. Elle doit conquérir ses propres démons. À travers cette épreuve difficile elle découvrira sa propre force. ». Terrasser le dragon signifie vaincre l’animalité sauvage par le pouvoir du raisonnement lucide et vertueux.

Niki de Saint Phalle - Carte de la La Force du Jardin des Tarots
Niki de Saint Phalle – Carte de la La Force du Jardin des Tarots

Cette créature diabolique est souvent opposée à celle, angélique, d’une princesse ou d’une vierge, qui personnifie la pureté et l’innocence, comme dans l’œuvre Nana et Dragon(1993), dans laquelle le personnage féminin est menacé par un dragon à la bouche ouverte. Pour autant, le dragon est lui aussi un animal mythologique binaire : sa dangerosité manifeste et enflammée se conjugue avec une esthétique morphologique d’une grande fascination. L’œuvre Tu es mon dragon(1968), adressée à son amant, exprime à la fois le charme sous lequel elle est tombée et la menace potentielle qu’il peut induire.

Niki de Saint Phalle - Tu es mon dragon, Sérigraphie, 40 × 60 cm, FNAC 30423 Paris, Centre national des arts plastiques
Niki de Saint Phalle – Tu es mon dragon, Sérigraphie, 40 × 60 cm, FNAC 30423 Paris, Centre national des arts plastiques

En Extrême-Orient, le dragon possède des vertus positives et symbolise la fortune, la fertilité (la pluie) et l’activité, comme dans le signe du Dragon du zodiaque chinois. Reptile magique, sa peau recouverte d’écailles se prête à des représentations iridescentes, comme ses crêtes et ses pointes que Saint Phalle a fréquemment choisi de sculpter (Dragon rouge, 1964). Quant à sa polychromie, elle s’étend des tons naturalistes de verts aux revers fantastiques des flammes pourpres qui créent des effets fluos des plus spectaculaires. Pour l’artiste, les véritables dragons sont intérieurs, comme geôliers d’une éclatante vertu expressive et dont la présence signifie libération et émancipation de l’ombre.

3. Niki de Saint Phalle, Le Jardin des Tarots, Lausanne, Acatos, 1999, p.14.

Oiseau

D’une manière générale, l’oiseau est un symbole positif dans la quasi-totalité des cultures. Dans la tradition catholique, il est lié logiquement à l’idée d’ascension de l’âme vers le ciel, d’où l’iconographie de l’ange aux ailes emplumées. En 1980, l’artiste fait allusion à cette idée en déclarant : « Quand je déploie ses ailes, je respire.4 » Sans parler du pouvoir salvateur du Phénix, symbole absolu de résurrection et de rédemption des péchés. Dans la culture indienne, Garuda, l’oiseau s’élève au-dessus des bas instincts, souvent représentés par le serpent.

Niki de Saint Phalle - Carte du Soleil au Jardin des Tarots
Niki de Saint Phalle – Carte du Soleil au Jardin des Tarots

La carte du Soleil au Jardin des Tarots prend la forme d’un oiseau aux ailes déployées : « J’ai conçu le Soleil comme un oiseau proche de ceux qui se trouvent dans les légendes indiennes et mexicaines. L’oiseau est la créature la plus proche du soleil. » Pour évoquer son mal-être et son adolescence vécue en « prisonnière » dans une tour d’ivoire symbolisée par les gratte-ciels de New York, Saint Phalle se comparait fréquemment à un oiseau en cage impatient de connaître le monde extérieur. De la même façon, vers la fin de sa vie, elle reprend cette analogie en déclarant : « I’m conscious of time – not just our time, but eternal time. I want to use the time left to me, for ME. I want to be a bird and fly everywhere please. I’m ready for new adventures of the spirit.»

4. Jean-Yves Mock (dir.), Niki de Saint Phalle, cat. exp. [Paris, Centre Georges Pompidou, 2 juillet-1er septembre 1980], Paris, Musée national d’Art Moderne, 1980, p. 80.

Repères chronologiques

1930
29 octobre : Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle naît à Neuilly-sur-Seine. Sa mère lui donnera le surnom de Niki. Deuxième d’une famille de cinq enfants, elle grandit dans une famille aristocratique franco-americaine à New York. Enfant, elle passe ses vacances dans le château familial de Huèze, dans la campagne nivernaise, qui sera une source d’inspiration pour des oeuvres évoquant des lieux imaginaires peuplés de créatures de contes de fées.
1949
6 juin : Elle se marie avec Harry Mathews, amateur d’art, poète et musicien avec qui elle aura deux enfants.
1955
Septembre : Lors d’un voyage en Espagne, Saint Phalle visite le parc Güell de Gaudí à Barcelone. C’est une véritable révélation, qui va l’influencer toute sa vie et faire germer dans son esprit l’idée de réaliser un jour son propre « jardin fantastique ».
1956
Août : De retour à Paris, elle s’installe dans l’atelier de son ami peintre James Metcalf, dans l’impasse Ronsin, alors que ce dernier est en voyage. Cette voie du 15e arrondissement abrite alors plusieurs ateliers d’artistes d’avant-garde.
1960
Saint Phalle se sépare de Harry Mathews et s’installe avec Jean Tinguely dans l’impasse Ronsin.
1961
Saint Phalle rejoint le groupe des nouveaux réalistes, fondé l’année précédente par Pierre Restany. Ayant en commun « de nouvelles approches perspectives du réel », ces artistes exposent du 6 février au 6 mars au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Niki de Saint Phalle étant la seule artiste femme présentée.
12 février : Elle inaugure sa série de « Tirs », à travers une première performance, donnée dans l’impasse Ronsin : armée d’un fusil 22 long rifle, Saint Phalle tire sur des reliefs recouverts de plâtre, faisant exploser des sacs de peinture cachés sous la surface qui éclaboussent le fond blanc. Les « Tirs » se poursuivent pendant deux ans, la rendant célèbre auprès du grand public et dans le monde entier. À travers cet acte, l’artiste tire sur les symboles masculins, les institutions, sa famille, l’Église, etc.
1964
Été : L’artiste crée ses premières Nanas. Elle puise alors dans une conception de la femme comme source de vie en harmonie avec la nature et le monde animal.
1979
Elle commence l’aménagement de son grand chef-d’oeuvre, Le Jardin des Tarots en Toscane, à Garavicchio (Capalbio), un projet visionnaire, auquel Niki de Saint Phalle dédie le reste de sa vie. Des sculptures, certaines pénétrables, représentant vingt-deux arcanes majeures du jeu de tarots, vont peupler ce jardin.
1983
Saint Phalle s’installe pour quelques années à l’intérieur de la sculpture de L’Impératrice au Jardin des Tarots, qui a été aménagée avec une chambre, une salle de bains, une cuisine et un salon-atelier. Pour assurer financièrement la construction du Jardin des Tarots, elle crée du mobilier et lance un parfum qui porte son nom. La première sculpture publique de l’artiste sur le territoire des États-Unis est créée, baptisée Sun God.
1993
Octobre : À la suite d’hospitalisations régulières en raison de problèmes respiratoires, elle décide de quitter la France pour San Diego qui offre un climat plus doux.
2002
Elle contracte une pneumonie et est hospitalisée à San Diego.
21 mai : Niki de Saint Phalle décède des suites d’une insuffisance respiratoire.

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