La présentation de « Petites peintures sur papier » de Bram van Velde dans le cadre du Festival du Dessin d’Arles suscitait naturellement l’intérêt de celle et ceux qui connaissent et estiment l’œuvre du peintre néerlandais. Hélas, l’accrochage et l’organisation de l’exposition posent de sérieuses questions.
Les expositions consacrées à Bram van Velde restent rares, et les quelques œuvres conservées dans les collections publiques sont peu accessibles. L’événement était donc attendu par les amateurs de cet artiste souvent qualifié à tort de « difficile », et devenu aujourd’hui une référence presque mythique pour un certain nombre de peintres et d’amateurs. Ces visiteurs trouveront sans doute de quoi satisfaire leur attente à la Fondation Lee Ufan Arles. Mais pour d’autres, l’accrochage risque d’engendrer incompréhension et déception.
Rainer Michael Mason, incontestable spécialiste de l’œuvre de Bram van Velde, signe ici un commissariat qui restera comme l’un des plus discutables de cette édition du Festival du Dessin.
Le parcours s’ouvre dans la grande salle du deuxième étage de l’hôtel Vernon avec une vingtaine de gouaches de petit format réalisées entre 1970 et 1981 à La Chapelle-sur-Carouge (Genève) et à Grimaud. Le commissaire adopte un parti pris qui ignore volontairement toute chronologie et en partie ainsi que les lieux ou les circonstances dans lesquelles les œuvres ont été produites.
Dans une présentation très dense, les gouaches sont souvent accrochées à touche-touche, à des hauteurs parfois absurdes, contraignant le visiteur à baisser les yeux, à se pencher ou à se mettre sur la pointe des pieds. De manière étonnante deux d’entre elles sont perchées plus en hauteur, comme si elles n’avaient pu trouver leur place dans cet alignement…
Face à ce foisonnement, l’œil a du mal à ne pas papillonner et l’attention peine à se fixer pour permettre au regardeur d’« entrer » dans chaque œuvre.
Il est difficile de comprendre la logique qui sous-tend un tel choix d’exposition. En examinant l’accrochage sur les trois autres murs, une hypothétique tentative d’harmonie chromatique se devine, sans pour autant convaincre.
Les défauts d’éclairage aggravent la situation : malgré l’occultation des ouvertures, des effets de miroirs et des reflets perturbent malheureusement la contemplation.
Les quelques lignes introductives de Rainer Michael Mason n’apportent guère de repères au visiteur non averti. Rien n’indique que l’exposition se prolonge à gauche dans deux autres salles. Comme ce premier espace est partagé avec l’exposition consacrée à Nadia Léger, la majorité du public passe rapidement devant les gouaches de Bram van Velde pour se diriger vers cette la seconde proposition. Puis, ils quittent ce deuxième étage de l’hôtel particulier sans accorder un autre regard à ces « Petites peintures sur papier »…
Les plus aventureux auront toutefois remarqué que derrière le grand mur qui a du mal à contenir les onze gouaches qui y sont accrochées, il y a une suite à l’exposition…
Dans une construction antéchronologique, on découvre dans une première salle une superbe série d’encres de la fin des années 1960, réalisées à La Chapelle-sur-Carouge. Elles sont mises en regard avec deux œuvres datant du séjour de l’artiste à Fox-Amphoux dans le Haut Var à la fin des années cinquante.
Deux gouaches marouflées sur toile des années d’avant-guerre conduisent à une troisième salle où sont présentées des œuvres réalisées à Montrouge et à L’Amélie en Gironde (1938-1940). Le mur du fond rassemble de petites peintures mêlant fusain, graphite et aquarelle, datant du court séjour de van Velde à Worpswede (1922-1924).
Ce n’est qu’au terme de ce parcours que l’exposition trouve une cohérence et que le texte introductif prend son sens. On comprend alors que les quarante-cinq « Petites peintures sur papier » réunies par Rainer Michael Mason permettent « de suivre en quelques étapes, au-delà des discontinuités, le développement de l’œuvre » de Bram van Velde.
Dans un texte érudit pour le catalogue, le commissaire précise ainsi son intention :
« L’articulation de la sélection arlésienne indique de la sorte dans le devenir de l’œuvre des phases (marqueurs d’individuation stylistique, au nombre de quelque cinq) — liées à des lieux et à des temps identifiés Worpswede, au nord de Brême ; Paris et L’Amélie, dans la Gironde ; Fox-Amphoux, en Haute-Provence ; enfin La Chapelle-sur-Carouge (Genève) et Grimaud, dans le Var. Se dessinent certains moments de cristallisation du langage (à ses débuts), puis d’affirmation distinctive du discours désormais propre à Bram (pour ne pas parler de “maturité”). »
Puis il ajoute : « Est privilégié le plus possible le fait plastique. Non le récit existentiel, souvent teinté de misérabilisme, qui animait certaines plumes (on ne niera pas pour autant le vécu poignant de l’homme) »…
Les trois dessins proches de la cheminée illustrent la période de Worpswede, moment où « le jeune peintre hollandais formé à la décoration bourgeoise et au mimétisme pompier (…) découvre aussi une autre culture [qui lui] offrent des repères neufs qu’on ne qualifiera pas forcément toujours d’expressionnistes ».
Les œuvres suivantes, réalisées à Montrouge et à L’Amélie après l’installation de Bram à Paris en 1924, montrent comment son langage pictural s’affirme dans les années 1938-1940. Le commissaire s’interroge les influences à propos de ce tournant qu’il nous invite à observer.
« Faut-il, par delà l’inéluctable débat Matisse/Picasso, désigner quelques autres paramètres dans l’air du temps – tels que l’art africain, l’objet cubiste mis à plat, le surréalisme analogique d’un Joan Miró, les arts décoratifs alarmés sur les bords de la Seine en 1937 par l’Exposition internationale des arts et techniques ? »
La visite se poursuit avec les œuvres réalisées à Fox-Amphoux, où van Velde s’est réfugié dans les années 1950 pour fuir les tensions liées à la guerre d’Algérie. Une grande gouache verticale et une encre lumineuse témoignent de cette période intense de création pendant ces quinze mois qu’il passe dans le Haut Var, parfois en compagnie de Pierre Alechinsky et de Jacques Putman.
Face à ces œuvres, le parcours présente ensuite une superbe sélection d’encres réalisées entre 1968 et 1970 à La Chapelle-sur-Carouge près de Genève. À propos de ce passage au « noir », le commissaire interroge « l’apparition, une “commande” de la part de Jacques Putman — quelques petites pages pour un ouvrage à lithographies ». Puis, il souligne :
« Cette suite de 1968 donne de mieux observer que Bram commence la peinture par quelques plages tonales diaphanes, ici plus en aplat et là plus linéaires. La liquidité du médium qui s’infléchit dans l’espace reste toujours sensible. Sur ces pans et filets d’air de l’eau (…), le pinceau construit une première esquisse, sur quoi vient se poser, à la faveur d’une solution d’encre moins aqueuse et bientôt pure, une “forme” qui tient la surface. »
Cette « série » introduit parfaitement l’ensemble présenté dans la première salle – qui aurait sans nul doute du être la troisième séquence de cette exposition – sur laquelle Rainer Michael Mason s’interroge ainsi :
« L’ample volet des gouaches de format réduit créées à La Chapelle-sur-Carouge (Genève) et à Grimaud entre 1970 et 1981 – sans oublier quelques unes vraisemblablement faites à Paris -, constituent-elles un chant du cygne ou, à tout le moins, un œuvre de vieillesse qui trahirait le tremblement du temps, offrent-elles la synthèse – et la clef – du “génie” de Bram van Velde ? »
Il propose ainsi de considérer ces « “petites gouaches” de Bram comme autant de “prédelles” liées au grand œuvre auquel Bram n’a cessé de travailler »…
Le choix d’un parcours antéchronologique reste incompréhensible.
Rien n’interdisait de consacrer le premier espace aux œuvres de Worpswede, puis de suivre l’affirmation de son langage, depuis Montrouge et L’Amélie jusqu’à Fox-Amphoux. Les deux petites salles auraient sans doute permis l’accrochage des encres de 1968, puis des petites gouaches créées à La Chapelle-sur-Carouge et à Grimaud entre 1970 et 1981…
L’ensemble aurait ainsi permis au plus grand nombre d’interroger la cohérence « délicate, tâtonnante, parfois paradoxale, de la nature de l’art de Bram van Velde »…
On peut également s’interroger sur le rapprochement de « Petites peintures sur papier » de Bram van Velde avec le « réalisme socialiste » de Nadia Léger…
Une cohabitation avec les œuvres de Francine Simonin aurait sans doute été plus pertinente.
Le catalogue publié aux éditions Les Cahiers dessinés, de taille modeste et prix élevé, rassemble des témoignages sous le titre Voix, regards sur Bram van Velde et un essai érudit de Rainer Michael Mason, La peinture, pour ne pas laisser se dessiner l’inenvisageable.
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