Jusqu’au 28 septembre 2025, le Musée Cantini présente « Alberto Giacometti – Sculpter le vide », une exposition particulièrement aboutie, conçue en collaboration avec la Fondation Giacometti. Elle s’inscrit avec justesse dans la programmation des musées de Marseille, en résonance notamment avec Les Veilleurs d’Ali Cherri, présenté au [mac] musée d’art contemporain.
L’exposition retrace avec clarté la richesse du parcours de Giacometti à travers la diversité des formats, des matériaux et des figures qu’il explore jusqu’à sa mort en 1966. Les commissaires ont choisi d’aborder l’ensemble de son œuvre à travers la relation entre vide et plein, une tension présente tant dans ses sculptures que dans ses peintures et dessins, où la réserve joue un rôle fondamental.
Le parcours débute, dans les petits salons donnant sur le jardin, par Le vide et le plein, une section consacrée aux sculptures synthétiques, pleines et denses de la fin des années 1920, comme Le Couple (1926) et Femme cuillère (1927), qui témoignent de l’intérêt de Giacometti pour le cubisme et les arts extra-occidentaux.
La section suivante (La quête de l’invisible), installée dans la galerie, porte sur la période surréaliste. Y sont réunies des œuvres importantes, dont la peinture Le Palais à 4 heures du matin (1932) et les sculptures Fleur en danger (1932) et L’Objet invisible (1934–1935), également appelée Mains tenant le vide. Issues de visions oniriques ou fantasmées, ces œuvres s’éloignent d’une représentation directe du réel.
La grande salle, réaménagée avec élégance par la présence d’une cimaise courbe, accueille la troisième partie de l’exposition (Poétique de l’espace), consacrée à la période allant de l’après-guerre à 1966. Giacometti revient à la figure humaine avec volonté de traduire au plus près sa vision du réel. Il interroge les rapports d’échelle et de distance et explore les rapports d’une figure à son espace dans des œuvres comme Toute petite figurine (1937-1939), Femme au chariot (1943-1945), Le Nez (1949) ou Grande Femme I (1960).
L’exposition se clôt par une section pensée comme Un musée imaginaire. Elle réunit des dessins et estampes de Giacometti, des documents d’archives, ainsi que des objets antiques et extra-occidentaux issus des collections du Musée d’Archéologie Méditerranéenne et du Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens de Marseille. Cette dernière séquence met en lumière l’importance de ces références dans ses recherches sur l’espace et le vide.
L’ensemble du parcours se distingue par sa lisibilité. Sculptures, œuvres graphiques, quelques peintures et des documents d’archives particulièrement bien choisis sont agencés avec cohérence. À la place d’une biographie placée en ouverture ou en clôture d’exposition, de brefs repères chronologiques accompagnent chaque section, permettant ainsi de situer les œuvres dans l’évolution du sculpteur.
En début de visite, il est recommandé de commencer par le salon situé à droite, ce qui n’est pas le chemin le plus intuitif. Il était sans doute difficile pour les commissaires de ne pas placer Femme cuillère (1927) entre les deux colonnes d’inspiration ionique, où elle occupe une place centrale.
La dernière section, intitulée Un musée imaginaire, constitue une proposition particulièrement réussie. Elle évoquera peut-être à certains l’exposition Giacometti et l’Égypte Antique, présentée en 2021 avec la collaboration du Louvre. La mise en regard de dessins de Giacometti avec des objets des collections marseillaises offre des prolongements de lecture et ouvrent à de nouveaux regards sur les œuvres exposées dans le parcours « retour » de l’exposition…
Le commissariat très inspiré est assuré par Louise Madinier pour le Musée Cantini, et par Inès de Bordas et Romain Perrin pour la Fondation Giacometti.
La scénographie, conçue par Valentina Dodi et Lucie Le Goff, s’appuie sur les caractéristiques propres à chaque espace et joue avec justesse des rapports entre pleins et vides, des perspectives et des hauteurs sous plafond. Un emploi judicieux de tirages photographiques en « papier peint » rythme habilement le parcours
Catalogue à paraître en en coédition avec les Éditions Snoeck. Les essais sont signés par Romain Perrin « Présence et absence dans L’Objet invisible », Inès de Bordas « Sculpter le vide » et Louise Madinier « Comme si l’espace avait pris la place du temps ». Des textes poétiques d’Alberto Giacometti (« Poème en 7 espaces », « Le rideau brun », « Charbon d’herbe », « Un sculpteur vu par un sculpteur ») et d’Emmanuel Laugier, (« Enclosure ») accompagnent le catalogue complet des œuvres.
Absolument incontournable !
Pour présenter ce parcours, il ne nous a pas semblé pertinent de paraphraser les textes d’introduction des sections ou les cartels, probablement rédigés par ou sous la direction des commissaires. On trouvera donc ci-dessous ces documents, accompagnés de photographies des œuvres et de l’exposition. Pour celles et ceux qui n’ont pas encore visité l’exposition, il peut être préférable d’en différer la lecture.
En savoir plus :
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Sur le site de la Fondation Giacometti
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« Alberto Giacometti – Sculpter le vide » – Parcours de visite
Alberto Giacometti (1901-1966) avait « l’obsession du vide » (Jean-Paul Sartre, « Les Peintures de Giacometti »). Il n’a cessé d’« éprouver l’espace », tentant de saisir une réalité mouvante. Appartenant aux collections des Musées de Marseille, Portrait de Diego (Tête noire), peint en 1957, témoigne des recherches, inlassables de l’artiste autour de la figure humaine. Le visage de son frère surgit de tracés réitérés, dans un halo dense et noir.
Aucune exposition n’avait encore été dédiée à Giacometti à Marseille, hormis quelques œuvres présentées à l’occasion d’une exposition collective en 1960.
Cet été, le musée Cantini et la Fondation Giacometti s’associent pour proposer une traversée poétique de l’œuvre du sculpteur et peintre suisse. Réunissant des pièces emblématiques, cette exposition met en lumière l’importance du vide dans les créations de Giacometti. Des sculptures de jeunesse aux œuvres surréalistes et aux silhouettes filiformes des dernières années, le parcours de l’exposition révèle son attention constante à l’espace enveloppant les figures, aux rapports d’échelle et à la distance entre les êtres et les choses.
Prolongeant ce parcours, les dialogues imaginés avec les collections patrimoniales marseillaises évoquent les sources majeures de son inspiration : les arts de l’Antiquité et d’autres continents. Ces rapprochements invitent enfin à de nouveaux regards, décloisonnés et sensibles, sur ces œuvres réunies dans un même espace, composant le musée imaginaire de Giacometti. (Texte de salle)
Le vide et le plein
Délaissant à la fin des années 1920 l’étude d’après nature pratiquée lors de sa formation à l’Académie de la Grande Chaumière, Alberto Giacometti expérimente d’autres voies pour saisir la figure humaine. Influencé par la statuaire de la Haute Antiquité, les arts des continents africain et océanien, et les recherches plastiques des cubistes, il décompose et simplifie les volumes, suggérant les corps par le jeu des surfaces et quelques signes.
Alberto Giacometti – Femme cuillère, 1927. Plâtre, 146,5 x 51,6 x 21,5 cm. Fondation Giacometti. Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Dans une lettre envoyée à ses parents après le Salon des Tuileries de 1927, Giacometti fait part de sa satisfaction à l’égard de cette sculpture, son premier succès public. Avec Femme cuillère, l’artiste s’éloigne de l’étude d’après nature et des représentations académiques pour saisir la figure humaine. Particulièrement influencé par les productions sculptées extra-occidentales, le corps alterne pleins et creux, volumes anguleux et circulaires. La sculpture rappelle les objets rituels à forme humaine provenant d’Afrique que Giacometti a pu voir exposés à Paris dans les années 1920. Le caractère géométrique et abstrait de la tête et des pieds de Femme cuillère montre combien il a assimilé, dans les années 1920, le vocabulaire du cubisme. (Cartel)
Dépourvues de détails, les formes épurées et lisses caractérisent ses sculptures à l’allure de stèles, qu’il qualifie de « plaques », animées par les creux qui affleurent à leur surface. Des incisions entament la matière, parfois légèrement évidée. Leurs profils amincis contrastent avec la plénitude de leurs volumes observés frontalement. L’alternance de masses anguleuses et de volumes circulaires crée une « accentuation rythmique du vide » selon la formule du poète Jacques Dupin. Ces expérimentations le conduisent à la lisière de l’abstraction. (Texte de salle)
Entre 1928 et 1929, Giacometti tend vers l’abstraction. Il réalise une série de sculptures plates, dont
Femme (plate V), qui n’ont qu’un rapport allusif à la réalité des corps. Ces œuvres épurées, aux formes lisses et denses, ont du succès et sont acquises par quelques premiers collectionneurs. Dans une démarche radicale, Giacometti réduit l’anatomie féminine à quelques traits gravés sur la surface d’une stèle massive. La lumière vient animer l’œuvre en jouant sur les creux et les pleins. Le traitement de cette sculpture rappelle les représentations du corps humain que Giacometti observe dans l’art archaïque, notamment des Cyclades et de l’actuelle Turquie. (Cartel)
Alberto Giacometti – Objet, 1931-1932. Marbre 36,7 × 28,2 × 12,5 cm – Femme (plate III), 1927-1929. Plâtre 36,6 × 17,7 × 8,8 cm – Le Couple, 1926. Plâtre 60,4 × 37,7 × 18 cm et Sans titre (tête), 1926. Pierre reconstituée 42,4 × 15,7 × 13,3 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Repères chronologiques :
1901-1918
Alberto Giacometti naît le 10 octobre 1901, dans le village de Borgonovo (Suisse, canton des Grisons), du peintre Giovanni Giacometti (1868-1933) et d’Annetta Stampa (1871-1964).
Suivent deux frères, Diego (1902-1985) et Bruno (1907-2012) et une sœur, Ottilia (1904-1937).
Initié à l’art par son père, Giacometti peint et dessine les environs des villages de Stampa et de Maloja, ainsi que les membres de sa famille.
1919-1921
Giacometti interrompt ses études secondaires et suit une année durant les cours d’écoles d’art de Genève. Invité par la Biennale, son père l’emmène à Venise. Le jeune homme s’enthousiasme pour l’art moderne et la peinture vénitienne (Tintoret, Titien). Afin de parfaire son apprentissage, Giacometti retourne en Italie. Il y séjourne près d’un an, d’abord à Florence, où il découvre l’art égyptien puis à Rome, chez des membres de sa famille, et visite Assise, Naples ainsi que les sites de Pompéi.
1922 – 1927
En janvier 1922, Giacometti s’installe à Paris pour étudier la sculpture à l’Académie de la Grande Chaumière auprès d’Antoine Bourdelle, ancien praticien d’Auguste Rodin. Il dessine et sculpte d’après modèle vivant.
Fin 1926, il s’installe au 46, rue Hippolyte-Maindron au sein du quartier de Montparnasse, dans l’atelier qu’il conservera toute sa vie.
Femme cuillère, sa première sculpture de grande taille, est exposée au Salon des Tuileries de 1927 aux côtés d’une œuvre de Brancusi.
1928-1929
Initié par Bourdelle et son entourage amical, Giacometti s’intéresse à l’Antiquité archaïque et aux arts d’autres continents en visitant le Louvre et le musée d’Ethnographie du Trocadéro. Il commence en 1928 un ensemble de Femmes plates, dont Tête qui regarde.
Le peintre André Masson, rencontré en 1929, l’introduit auprès de Georges Bataille et du groupe de la revue Documents dans laquelle l’écrivain et ethnologue Michel Leiris publie le premier article consacré à l’artiste. Les matériaux de ses sculptures se diversifient : à la terre crue et au plâtre, s’ajoutent la terre cuite, le bois, le marbre et le bronze. Le galeriste Pierre Loeb lui offre son premier contrat.
La quête de l’invisible
Alberto Giacometti est introduit dans les milieux surréalistes grâce à une première exposition à la Galerie Jeanne Bucher. En 1929, il se lie d’amitié avec les artistes proches de la revue Documents, et intègre l’année suivante le cercle d’André Breton dont il deviendra un membre actif. Les sculptures d’imagination qu’il conçoit semblent relever d’un même désir, formulé dans l’un de ses poèmes en prose : « je cherche en tâtonnant à attraper dans le vide le fil blanc invisible du merveilleux qui vibre et duquel s’échappent les faits et les rêves avec le bruit d’un ruisseau sur de petits cailloux précieux et vivants ». Il concentre alors ses recherches sur l’évocation d’affects et de visions oniriques.
Rappelant la série des « plaques », Objet (1931-1932) conserve encore une forme pleine et compacte. D’autres sculptures se déploient en compositions plus ouvertes dans lesquelles le vide joue un rôle structurant, à l’instar de Femme couchée qui rêve (1929) ou de la fragile Fleur en danger (1932). Au cours de ces années, Giacometti élabore un dispositif de cage qui permet de contenir la sculpture dans l’espace et d’en accroître la densité, comme en témoigne Boule suspendue (1930-1931). Cette démarche trouve un point d’achèvement avec l’espace vacant contenu entre les mains de la figure de L’Objet invisible (1934-1935), aussi appelée « Mains tenant le vide ». (Texte de salle)
Alberto Giacometti – Femme qui marche (I), 1932-1936. Plâtre 152,1 × 28,2 × 39 cm. Fondation Giacometti et Le Mannequin, Vers 1932. Archives Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Femme qui marche a été présentée en 1933 à l’« Exposition surréaliste » de la galerie Pierre Colle comme un mannequin. Sans socle, sa tête était faite d’un manche de violoncelle et ses bras se terminaient par une fleur pour l’un et des plumes pour l’autre : un assemblage disparate autant que poétique, comme ceux que les artistes du groupe surréaliste pouvaient produire.
En 1936, Giacometti retravaille le mannequin, supprime la tête et les bras puis ajoute un socle. Ainsi dégagée de ses éléments surréalistes, la sculpture renvoie bien plus à une œuvre antique. La frontalité de cette figure et l’esquisse d’un mouvement de marche rappellent la statuaire de l’Égypte ancienne que Giacometti admire. Le socle sur lequel elle repose détermine l’espace à l’intérieur duquel la figure s’inscrit. Ce socle deviendra par la suite un moyen pour l’artiste de contenir ses silhouettes face au vide qui les entoure. (Cartel)
Repères chronologiques :
1930-1931
Son frère Diego s’installe définitivement à Paris et l’assiste dans son travail.
Giacometti commence à créer des objets d’arts décoratifs que lui commandent des décorateurs comme Jean-Michel Frank.
Lors d’une exposition collective à la galerie Pierre en 1930, la sculpture Boule suspendue attire l’attention de Salvador Dalí et d’André Breton. Giacometti est intégré au groupe surréaliste et participe activement aux expositions et publications.
1932-1934
La galerie Pierre Colle organise sa première exposition personnelle à Paris.
Giacometti crée des œuvres oniriques, certaines à connotation érotique et violente, comme Objet désagréable (1931).
La mort de son père, à l’été 1933, l’affecte profondément. Il se rend en Suisse pour de longs séjours afin de régler la succession. Son amitié avec André Breton se renforce, nourrie par une intense correspondance.
La galerie Julien Levy lui consacre une exposition personnelle à New York.
1935-1938
Alors qu’il entame une nouvelle recherche autour de la représentation de la figure humaine d’après nature, Giacometti est exclu du groupe surréaliste. Il conserve cependant des liens avec certains amis et continue de participer aux expositions. Diego et le modèle professionnel Rita Gueyfier posent pour lui chaque jour à l’atelier.
Giacometti rencontre Isabel Rawsthorne, artiste et modèle britannique, avec laquelle il entretient une relation amoureuse épisodique sur plusieurs années.
Sa sœur Ottilia meurt en donnant naissance à son premier enfant, Silvio, en 1937.
Cette peinture représente une des plus célèbres sculptures de la période surréaliste de Giacometti : Le Palais à 4 heures du matin (Museum of Modern Art, New York). Comme ses camarades surréalistes, Giacometti s’intéressait alors aux écrits sur l’interprétation des rêves du psychanalyste Sigmund Freud.
L’artiste a raconté que cette œuvre lui était apparue en songe. Il y décrit la sculpture en laissant libre cours à sa pensée. Le palais se présente comme une scène de théâtre faite de cages à l’intérieur desquelles sont disposés des éléments énigmatiques : une épine dorsale, un squelette d’oiseau, une femme en robe. Chacun d’eux joue un rôle symbolique pour Giacometti. Comme dans un rêve, leur signification n’apparaît pas clairement et laisse la possibilité d’interprétations équivoques. La structure claire, ajourée, traversée par le vide, dessine un espace ouvert aux désirs et au mystère. (Cartel)
Christian Zervos – « Quelques notes sur les sculptures d’Alberto Giacometti ». Cahiers d’art, n° 8-10, 1932 – Alberto Giacometti – « Notes sur la sculpture ». Minotaure, n° 3-4, décembre 1933. Archives Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Alberto Giacometti – Fil tendu (Fleur en danger), 1932. Plâtre, métal 52,2 × 78 × 18,5 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Brassai – La Cage, Vers 1936 – Marc Vaux – Femme, tête, arbre, Vers 1930 et Groupe de quatre sculptures en plâtre : Homme et femme, Apollon, Femme couchée qui rêve, Trois Personnages dehors, Vers 1929. Tirage moderne. Archives Fondation Giacometti
André Breton – « Équation de l’objet trouvé ». Documents 34, juin 1934 – Alberto Giacometti – « Objets mobiles et muets ». Le Surréalisme au service de la Révolution, n° 3, décembre 1931 et « Poème en 7 espaces », « Le rideau brun », « Charbon d’herbe ». Le Surréalisme au service de la Révolution, n° 5, 15 mai 1933, p. 15. Archives Fondation Giacometti
Alberto Giacometti – Tête crâne, 1934. Plâtre 18,4 × 19,9 × 22,3 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Alberto Giacometti – Pointe à l’œil, 1931-1932. Plâtre, métal 13,5 × 59,5 × 31 cm. Fondation Giacometti. Reconstitution partielle – éléments originaux : la pointe et la tige ; reconstituée en collaboration avec la Alberto Giacometti-Stiftung – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Dernière œuvre de la période surréaliste de Giacometti, cette sculpture a suscité de nombreux commentaires. André Breton, le premier, a raconté comment le visage aurait été inspiré à l’artiste par un masque de la Première Guerre mondiale. Parmi les sources qui auraient influencé Giacometti, les historiens de l’art ont rapproché cette sculpture tant de la statuaire médiévale, égyptienne que de celle de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le geste des mains rend cette œuvre énigmatique. Les titres qui lui ont été donnés, d’abord « Mains tenant le vide » puis « Objet invisible », soulignent le rôle central que joue ici le vide : l’absence laisse la place à l’imagination du spectateur. (Cartel)
Poétique de l’espace
À partir de 1935, Alberto Giacometti revient à une forme de réalisme. Il travaille à nouveau d’après modèle vivant, se concentrant exclusivement sur la réalisation de têtes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’artiste retrouve une représentation du corps dans son entier. Il s’intéresse aux rapports d’échelles qu’implique la perception d’un être à distance. Le socle intégré à la figure sculptée permet de suggérer l’espace environnant, en particulier pour des œuvres d’une taille infime comme Toute petite figurine (1937-1939).
Dans l’immédiat après-guerre, Giacometti développe des dispositifs qui délimitent l’espace autour des figures. Placées à l’intérieur d’une cage, d’une boîte, ou sur un plateau, elles acquièrent une présence nouvelle, composant de petits théâtres énigmatiques.
Dans les années 1950-1960, les figures féminines solitaires à la silhouette longiligne, les bras le long du corps, trouveront de multiples variantes comme autant de tentatives pour saisir la réalité d’un corps perçu dans l’espace. (Texte de salle)
Repères chronologiques :
Eli Lotar – Alberto Giacometti modelant dans la chambre de l’hôtel de Rive à Genève, Vers 1942-1944 – Anonyme – Annette Arm à Genève, Vers 1945 – Exposition Alberto Giacometti à la galerie Maeght, Paris, juin 1951, 1951 – Annette Giacometti – Yanaihara posant pour Alberto Giacometti dans son atelier, 1960 – Anonyme – Alberto et Annette Giacometti et Caroline à La Villa, rue Bréa, Paris, Vers 1962 – Ernst Scheidegger – Alberto Giacometti peignant dans l’atelier, 1959 – Anonyme – Alberto et Annette Giacometti avec les Femmes de Venise dans la cour de la Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence, 1964. Archives Fondation Giacometti
1939-1941
Invité par Bruno à réaliser une sculpture en plein air pour le pavillon de la mode de l’Exposition nationale suisse en 1939, Giacometti réalise une toute petite sculpture installée sur un grand socle. Cette proposition est refusée par les organisateurs.
Au début de la guerre, il fréquente assidûment Pablo Picasso ainsi que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre.
En décembre 1941, Giacometti quitte la France pour retrouver sa mère en Suisse. Diego reste à Paris, où il garde l’atelier.
1942-1945
Giacometti passe le reste de la guerre en Suisse (Stampa, Maloja et Genève). Il retrouve une partie de ses amis artistes qui y sont réfugiés. L’éditeur Albert Skira l’invite à participer à sa nouvelle revue Labyrinthe.
En 1943, il rencontre Annette Arm (1923-1993), qui deviendra son épouse et son modèle.
Durant cette période, ses sculptures deviennent de plus en plus petites.
En rentrant à Paris en septembre 1945, Giacometti retrouve le milieu artistique et littéraire d’avant-guerre.
1946-1951
La peinture et le dessin prennent de plus en plus d’importance dans sa pratique. En 1948, le fils d’Henri Matisse, Pierre, galeriste à New York, le représente et lui offre sa première exposition personnelle depuis la guerre. Ce projet stimule sa création et aboutit à de nouvelles sculptures caractérisées par l’élongation et l’amincissement, qui marqueront son style d’après-guerre.
Le galeriste Aimé Maeght lui consacre une exposition en 1951; d’autres suivront en 1954, 1957 et 1961.
1952-1956
Ses premières sculptures, La Cage (1949-1950) et Table (1933), intègrent les collections publiques françaises.
Après un premier article dédié à Giacometti en 1948, Sartre lui consacre un nouveau texte pour la revue Derrière le miroir, dans lequel il le qualifie « d’artiste du vide » en 1954.
Invité à exposer dans le pavillon français de la Biennale de Venise pour l’édition de 1956, Giacometti réalise un ensemble de figures féminines appelées Femmes de Venise.
La même année, il se lie d’amitié avec Isaku Yanaihara, professeur de philosophie au Japon en visite en France. Celui-ci sera son modèle jusqu’en 1961.
1958 – 1960
Giacometti rencontre Caroline Tamagno en 1958, avec qui il aura une liaison. Celle-ci pose de 1960 à 1965.
À la fin de la même année, l’architecte Gordon Bunschaft lui commande une sculpture pour décorer la Chase Manhattan Plaza à New York. Giacometti imagine une Grande Tête, une Grande femme et un Homme qui marche. Après de nombreux essais le projet est abandonné en 1960. Les œuvres réalisées seront toutefois montrées dans ses expositions.
1961-1966
Giacometti est opéré d’un cancer dont il guérit en 1963, mais sa santé demeure fragilisée par son rythme de vie. Sa mère décède l’année suivante, en janvier.
Inaugurée en 1964, la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence reçoit de nombreuses œuvres, dont il supervise la présentation. Le Prix Carnegie (1961) et le Grand Prix de sculpture de la Biennale de Venise (1962) lui sont décernés tandis qu’une importante rétrospective lui est consacrée au Kunsthaus de Zurich (1962), première d’une série qui se poursuivra à New York, Londres et au Danemark en 1965.
Giacometti initie un long projet éditorial avec le critique d’art italien Luigi Carluccio, réunissant ses copies d’œuvres d’art de géographies et d’époques diverses, qui sera publié à titre posthume en 1967 (Le copie del passato).
Giacometti décède à l’hôpital de Coire le 11 janvier 1966. Il est enterré au cimetière de Borgonovo.
Alberto Giacometti – Femme au chariot, 1943-1945. Plâtre, bois 163,5 × 38 × 36 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Alberto Giacometti – Toute petite figurine, 1937-1939. Plâtre 4,5 x 3 x 3,8 cm. Fondation Giacometti © Succession Alberto Giacometti ADAGP, Paris 2025
Lorsqu’il reprend son travail d’après modèle à la fin des années 1930, Giacometti est confronté à un problème qu’il a déjà rencontré dans sa jeunesse : l’échelle de ce qu’il voit ne correspond jamais à celle réelle des objets. L’artiste constate que s’il s’éloigne, pour en avoir une vision d’ensemble, leur taille diminue inévitablement à cause de la distance.
Ainsi, quand il essaie de restituer le plus fidèlement possible les figures telles qu’il les voit, leur dimension se réduit « malgré lui ». Le socle devient alors un outil fondamental pour les rendre plus visibles. C’est aussi cet élément qui permet de révéler le vide entourant la figurine tout en lui donnant une monumentalité, malgré sa très petite taille. (Cartel)
Depuis les années 1930, Giacometti développe une production d’arts décoratifs qui lui permet de subvenir à ses besoins. Bien qu’utilitaires, ces objets sont traités comme des sculptures et font très souvent écho à son travail artistique.
Les figures filiformes de cette lampe évoquent le motif de la femme aux bras levés que Giacometti représente dans la première version de La Cage. La composition générale n’est pas sans rappeler les modèles trouvés dans l’art de l’Égypte antique que Giacometti connaissait bien, ou inspirés par certaines productions africaines étudiées par son ami Michel Leiris et vendues par son galeriste Pierre Matisse.
Alberto Giacometti – La Cage, première version, 1949-1950. Bronze 90,5 × 36,5 × 34 cm et
Dessin pour La Cage, Vers 1950. Reproduction par sérigraphie, agrandie. Dessin original : encre sur papier. 21 x 13,6 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Cette œuvre reprend un dispositif inventé par Giacometti au tout début des années 1930 : l’insertion d’une sculpture dans une cage. Celle-ci détermine un espace où se joue une scène dont la signification échappe. Une figure féminine filiforme, debout, ouvre les bras ; une tête masculine, figurée à une échelle plus grande, surgit du plateau. L’effet des deux silhouettes se détachant dans le vide est souligné par la structure de la cage en même temps qu’elle les contient. Dans ses peintures et ses dessins, Giacometti utilise fréquemment ce principe de cadre qui rend sensible la distance et accroît la densité de l’espace qui environne l’objet ou le sujet représenté. (Cartel)
Au centre :
Alberto Giacometti – Grande Femme (I), 1960. Bronze. 272 × 34,9 × 54 cm. Fondation Giacometti
La dimension monumentale de cette œuvre est inédite dans la carrière de Giacometti. Elle s’explique par sa destination première : une sculpture conçue pour être exposée à l’extérieur de l’immeuble de la Chase Manhattan Bank à New York. Insatisfait, Giacometti n’a jamais livré les éléments de sa composition qui comportait une grande femme, une tête monumentale et un homme qui marche. Il les fera pourtant fondre en bronze et les exposera indépendamment à partir de 1961.
Comme pour les autres sculptures du type « Femmes debout », réalisées au cours des années 1950-1960, tout détail est abandonné en faveur d’une compréhension plus générale de la figure humaine. Le corps élancé s’inscrit dans l’espace d’un socle étroit, ramenant la figure à une silhouette se découpant dans le vide.
Sur sa droite :
Sur sa gauche :
Alberto Giacometti – La Forêt, 1950. Bronze 57 × 61 × 47,3 cm ; Trois hommes qui marchent (petit plateau), 1948. Bronze 46 × 32,7 × 34,1 cm et Quatre Femmes sur socle, 1950. Bronze 73,8 × 41,2 × 18,8 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Giacometti rencontre Caroline (Yvonne Poiraudeau, 1938-2015) dans l’un des bars de nuit du quartier de Montparnasse, en 1958, et entame avec elle une liaison. Elle est son dernier modèle féminin, et pose dans son atelier de 1961 à 1965.
Comme pour les autres portraits des années 1960, l’attention de Giacometti est de plus en plus concentrée sur la tête, élément le plus déterminant de la figure humaine. Le visage est travaillé avec davantage d’insistance, jusqu’à devenir dense et noir, surgissant d’innombrables traits, rapides et discontinus. La tête est mise en valeur par un halo ocre, se détachant du fond blanc de la toile, tandis qu’un cadre noir vient cerner la composition en contenant le vide autour du modèle. Le tracé de cette délimitation produit un effet similaire à ses « cages » sculptées. (Cartel)
Alberto Giacometti – Tête d’homme, c. 1953. Plâtre peint.1 10,9 × 4,9 × 8,2 cm ; Tête d’homme, 1948-1950. Plâtre. 15 × 6,5 × 10,5 cm ; Tête d’homme, 1948-1950. Plâtre peint. 25,8 × 8,5 × 9,5 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Alberto Giacometti – Buste mince sur socle (dit Aménophis), 1954. Plâtre 39,7 × 33,1 × 13,7 cm. Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Un musée imaginaire
« Tout l’art du passé, de toutes les époques, de toutes les civilisations, surgit devant moi, tout est simultané comme si l’espace prenait la place du temps », écrivait Giacometti en 1965.
La copie de la statuaire antique et des arts d’autres continents n’a cessé d’accompagner ses recherches. Giacometti saisit par le dessin la structure et l’aspect d’œuvres venues du passé et d’ailleurs, capables de restituer avec intensité le réel et la vie. Il se nourrit des créations de l’Égypte antique, d’Afrique et d’Océanie qu’il considère avec la même sensibilité, sans construire de hiérarchie.
Voisinant avec ses dessins, les pièces issues des collections du Musée d’Archéologie Méditerranéenne et du Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens de Marseille reflètent un monde de formes et de représentations que l’artiste a pu étudier dans des musées et collections privées, et principalement dans des revues, Cahiers d’art et Documents, et des livres, en particulier le Musée imaginaire de la sculpture mondiale d’André Malraux (1952). Loin de retracer de manière exhaustive les sources de sa création, la présentation simultanée de ces pièces dessine une cartographie imaginaire et ouvre à de nouveaux dialogues avec l’œuvre de Giacometti.
Loin de retracer de manière exhaustive les sources de sa création, la présentation simultanée de ces pièces dessine une cartographie imaginaire et ouvre à de nouveaux dialogues avec l’œuvre de Giacometti. (Texte de salle)
Cette figure de gardien de reliquaire, appelée éyéma byéri, devait surmonter une boîte en écorce cousue, réceptacle des ossements des défunts du lignage, ainsi préservés par leurs descendants. Le culte des ancêtres byéri est fondamental pour la vie sociale et spirituelle des Fang, source de fécondité et de prospérité. Les byéri, constitués par la statuette anthropomorphe et la boîte-reliquaire, font l’objet de libations destinées à renforcer leur efficience, et sont également employés lors des rituels du melan dédiés à l’initiation des jeunes hommes.
L’agencement de cette figure Fang, au cou allongé, aux jambes fléchies et aux mains jointes sur le torse, est proche de la morphologie d’une statuette Baoulé de République de Côte d’Ivoire gravée à l’eau-forte par Giacometti pour illustrer un recueil poétique. Cette statuette Baoulé appartenait à la collection de Michel Leiris, écrivain et ethnographe proche des surréalistes, ami de Giacometti. La copie, gravée sur une plaque de métal, souligne par son trait la verticalité et la compacité de ces formes synthétiques. (Cartel)
Alberto Giacometti – Sculpture Baoulé sur la commode – illustration pour Vivantes cendres, innommées de Michel Leiris (1961, Jean Hugues), 1957-1958. Eau-forte
Michel Leiris – Objets rituels Dogon. Minotaure, n°2, septembre 1933. Archives Fondation Giacometti – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Les Kotas vivant au sud-est du Gabon conservent les reliques des ancêtres dans de grands paniers en vannerie, surmontés de la partie supérieure, seule visible, d’une figure sculptée de gardien des reliques nommée mboy. Associés à des rituels funéraires, les paniers sont préservés à l’abri des regards, dans une hutte réservée aux initiés. Les rites accomplis permettent en premier lieu d’éloigner les défunts du lignage dont le corps est emporté en forêt tandis que la tête, fumée, est placée dans le reliquaire. Ils ont également pour fonction d’honorer ces ancêtres, afin de bénéficier de leur protection. La partie inférieure de la figure sculptée est intégrée au panier et sert ainsi d’élément de fixation. Lors de certaines cérémonies, le reliquaire seul, tenu par cette base en forme de losange, peut également être brandi.
Giacometti avait acquis auprès de son ami suisse Serge Brignoni une statue de reliquaire Kota, visible dans une photographie de son appartement-atelier rue Hippolyte-Maindron à Paris en 1927, l’une des rares pièces provenant d’autres continents qu’il ait possédées. L’esquisse rapide sur la page d’un catalogue d’une figure très similaire reflète son regard, des décennies plus tard, sur ce type de production.
Cuillère à riz Baoulé, République de Côte d’Ivoire, fin XIXe siècle – début XXe siècle. Bois sculpté 7,6 × 18,5 × 5 cm. Donation Léonce, Pierre, Michel Guerre Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, inv. 1988.1.32 – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Cette cuillère à riz en bois, au manche sculpté, appartient à une typologie de pièces produites par les Baoulé (ou Baule), au centre de la République de Côte d’Ivoire, employées lors de rituels liés à la fécondité et à l’occasion de repas clôturant certaines cérémonies. De telles cuillères sculptées peuvent être décernées en l’honneur des meilleures hôtesses, dont la générosité est valorisée à travers l’objet. Alternant les formes concaves et convexes déployées dans l’espace, qui évoquent la matrice d’un corps féminin, les sculptures épurées, lisses et denses de Giacometti, telles que Femme cuillère
(1927) et Femme couchée (1929) ont des parentés avec la structure de ces cuillères rituelles. Le sculpteur suisse avait pu connaître des productions similaires collectionnées ou reproduites dans les revues, notamment des pièces utilitaires et des instruments de musique à l’apparence humaine.
Dans la culture Dan, à laquelle participent les Dan Guerzé, ce type de masque aux traits humains stylisés matérialise et incarne la présence d’esprits, souvent les plus dangereux de la forêt. Il possède ainsi une forte charge spirituelle. Les porteurs de ces masques, gle-zo, sont guidés par les visions communiquées par les esprits des masques lors des danses rituelles. De tels masques ont également pour fonction de signifier le positionnement au sein d’une hiérarchie sociale, politique et religieuse. Les revues Cahiers d’art et Documents ont offert à Giacometti un réservoir d’images de masques produits sur le continent africain dont l’observation attentive a nourri son imaginaire autour de la représentation de la figure dans l’espace ses recherches trouvent une expression singulière dans Le Nez (1947-1949).
Malangan marratampirivit – Mannequin funéraire et crâne surmodelé, Île de Nouvelle-Irlande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, fin XIXe siècle – début XXe siècle. Crâne surmodelé, bois sculpté, coquillages, fibres végétales, pigments 98 × 17 × 16 cm. Ancienne collection Henri Gastaut Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, inv. 1989.1.39
Masque, Papouasie-Nouvelle-Guinée, XXe siècle. Bois sculpté, peint 59,2 × 20,5 × 6,5 cm. Don Christine Forani. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, inv. 1991.5.3 – Alberto Giacometti – Sculpter le vide au Musée Cantini, Marseille
Ce mannequin doté d’un crâne surmodelé a été conçu dans le cadre de rites funéraires accomplis autour des images d’ancêtres uli, incarnations du pouvoir nourricier. Sur le plateau Lelet de I’lle de Nouvelle Irlande, les crânes des morts sont provisoirement enterrés, puis exhumés et surmodelés avec une pâte à base de noix de Parinarium. Ils sont ensuite présentés sur des figures sculptées à l’expression inquiétante, nommées malangan marratampirivit (« l’assemblage qui fait peur »). Ces mannequins, funéraires, ainsi constitués, sont exposés à proximité d’autels formés de coquilles de bénitiers remplies d’eau. Leurs yeux sertis d’opercules irisés de coquillages de turbo leur confèrent un regard fixe, d’une troublante étrangeté. Dans les cérémonies malagan, les chants funéraires dédiés aux crânes d’ancêtres appelés kovabat (« têtes-pluie ») doivent permettre de faire tomber la pluie. (Cartel)
Ce masque en bois enduit de peinture a été produit dans la région du fleuve Sépik au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Destiné à la commercialisation, il n’a sans doute jamais été utilisé dans un cadre cérémoniel. La fréquentation du musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris, les collections privées constituées par ses amis à l’instar d’André Breton ou de Serge Brignoni, ainsi que les expositions surréalistes, les numéros de
Cahiers d’art et les ouvrages qu’il consultait ont donné l’occasion à Giacometti d’observer des masques d’Océanie, en bois et en vannerie. Une copie à l’encre d’un masque de Papouasie-Nouvelle-Guinée, reproduit dans Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale d’André Malraux (1952), témoigne de son intérêt pour ces productions, dont il restitue, dans un entrelacs de traits, l’ossature et la proéminence du nez en bec d’oiseau. (Cartel)
Production caractéristique de l’actuelle région italienne de l’Ombrie, cette statuette votive figure un homme nu, en position d’offrant. L’épure et la stylisation de cette silhouette filiforme aux proportions équilibrées, dont les traits sont à peine esquissés, lui donnent l’aspect d’une ombre.
Giacometti avait pu observer des collections d’art étrusque lors de ses voyages à Florence et à Rome ainsi que des bronzes longilignes reproduits dans la revue Documents (1930). Bien que les sculptures dépouillées et élancées de Giacometti rappellent la statuaire étrusque, celle-ci n’apparaît jamais, à travers ses propos, comme une référence majeure dans ses recherches sur la représentation de la figure humaine.
Une copie d’après un ouvrage d’art qui appartenait à la bibliothèque de son père conserve néanmoins la trace d’un certain attrait pour l’art de la civilisation étrusque : il esquisse ainsi le profil d’une jeune femme, Velia Spurinna, représentée dans la fresque de la Tomba dell’Orco, l’une des tombes peintes de la nécropole de Tarquinia.
Dotée d’oreilles étendues ornées d’anneaux, cette figurine féminine en terre cuite dite « à tête d’oiseau » porte dans ses bras un jeune enfant. Son corps en forme de fuseau, aux hanches larges et aux jambes resserrées, est décoré d’incisions linéaires formant une frise autour des bras, de la taille et du bassin. Retrouvé dans les sépultures de L’île de Chypre, ce type de représentation d’influence probablement syrienne, devait être associé à un culte de la fécondité. Des figures féminines chypriotes de l’âge du Bronze (2300-800 av, notre ère), d’une morphologie similaire, ont été copiées dans les années 1930 par Giacometti, qui en reproduit fidèlement les volumes et les creux, accentués par les effets d’ombre et de lumière, sur les pages d’un carnet.
Figurant un homme accroupi, les genoux remontés vers la poitrine et les bras croisés, cette statue-cube présente sur sa surface gravée une brève biographie du personnage, gouverneur de la région du Fayoum en Égypte. L’inscription comporte également une invocation au dieu Sobek, un appel aux vivants et une offrande alimentaire. Le large pagne dont le corps est ceint laisse apercevoir en bas-relief la main droite tenant une fleur de lotus.
Apparues au Moyen Empire (2033-1650 av. notre ère) et utilisées jusqu’à l’époque ptolémaïque (305-30 av. notre ère), les statues-cubes, conçues pour être disposées dans des temples, ont une fonction funéraire. Elles sont réservées à des particuliers, essentiellement des hommes. Cette typologie emblématique de la statuaire égyptienne est connue de Giacometti, qui s’intéresse à leur forme dense et massive, tributaire du bloc de pierre dans lequel la statue est taillée, d’où émerge la tête. Dérivant du volume parfait d’un cube, la sculpture Tête crâne (1934) à l’aspect mortuaire, alternant les pleins et les creux, témoigne du regard de Giacometti sur ces artefacts égyptiens. (Cartel)
Vêtu d’un pagne court et plissé, cet homme en marche, la jambe gauche projetée en avant, est la représentation d’un défunt dont la statue pouvait être déposée autour d’un sarcophage, dissimulée aux vivants. Le mouvement de marche manifeste l’animation de la figure sculptée, dépositaire du ka, force vitale des hommes et des dieux. Dans ses dessins, Giacometti a esquissé à plusieurs reprises cette attitude de la « marche apparente », caractéristique de la statuaire égyptienne, qu’il pouvait notamment contempler au musée du Louvre et dans les illustrations photographiques d’ouvrages d’archéologie.