Jusqu’au 2 juillet 2025, les diplômés 2025 du MO.CO. Esba présentent « J’accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite » dans l’ancienne salle de dissection de la faculté de médecine. Une exposition dense qui mérite sans doute une visite.
On y découvre de nombreuses œuvres intéressantes, susceptibles d’ouvrir des pistes de travail à venir. La céramique est particulièrement représentée, probablement en lien avec l’installation d’un four à l’école.
On regrette cependant que les gélatines de l’installation « Camille » (2023) de Sylvain Fraysse n’aient pas été retirées. Il semble peu correct d’utiliser des éléments d’une œuvre antérieure sans l’accord de l’artiste, ce qui ne paraît pas être le cas ici. Par ailleurs, la lumière qu’elles diffusent pourrait s’avérer nuisible à certaines des œuvres présentées.
Le Prix de la Fondation du MO.CO. à destination des jeunes diplômés de MO.CO. Esba a été remis à Melika Sadeghzadeh par les mécènes et Françoise Pétrovitch, marraine du Prix 2025.
Ce qui suit regroupe quelques regards subjectifs sur certaines œuvres, à la suite d’une visite sans doute trop rapide. Il est possible qu’une autre visite fasse émerger d’autres propositions. Les textes cités sont extraits de la fiche de salle. On trouvera également le texte de présentation de « J’accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite », ainsi que le texte collectif rédigé par les étudiant·es en mars 2025.
Avec les œuvres de Laure Brioude, Paloma Calandra, Léa Cortiglia, Colombe Delacoste, Elisa Fabre, Tamara Gavrilov, Soline Le Courbe, Chloé Lefevre, Lilou Marquez, Nicolas Martin, Nuria Mokhtar, Arthur Monteillet, Jongeun Park, Léo Rump, Melika Sadeghzadeh, Hélène Sagnier, Sophia Schotel Olaso, Lou Semete, Dachi Siboshvili, Sarah Vozlinsky.
Commissaire invitée : Sophie Lapalu
En partenariat avec l’Université de Montpellier.
À voir jusqu’au 2 juillet 2025 à la Faculté de Médecine à Montpellier.
« J’accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite » – Regards sur l’exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
Sarah Vozlínsky – Presque-cris
Avez-vous déjà rêvé que vous cherchiez à crier, mais qu’aucun son ne sortait ? Les Presque-cris évoquent l’état de tension entre la tentative vocale et son incapacité : comment rendre compte par les formes de cette immobilisation tonique, des voix retenues ? Ici, c’est à partir de l’empreinte de ma dentition que j’explore la mémoire inscrite dans le corps.
Jongeun Park – Visages
Jongeun Park – Visages. Série de boules anti-stress, ballous jaunes, farines de blé, fils cotons noirs – Exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
Comment renverser le langage raciste à travers la couleur ? Il existe un mot raciste en français pour les Asiatiques, c’est « jaune ». Cette pièce est la tentative d’utiliser ce concept pour jouer et le subvertir de manière amusante, plutôt que d’être simplement impuissant·es. Prenez et senter les boules alignées sur la table de dissection. Ressentez ma présence.
Tamara Gavrilov – Sans titre
La première eau parfumée a été crée à Montpellier en 1370, pour la reine de Hongrie. Elle est présentée comme un remède contre les maladies pan Arnaud de Villeneuve, chimiste, professeur à l’Université de Médecine et du Jardin des Plantes, qui développa la distillation de l’alcool et des eaux florales.
Sarah Vozlínsky – La mue
Je crois que c’est un changement de peau qui advient à certaines époques de la vie. Il parait que la mue est à la fois perte et accomplissement. Comme la vie d’ailleurs. Alors, je me suis penchée sur le chantier de l’archéologie du temps qui vient et je n’y ai vu que des fouilles absurdes. Pourtant l’essentiel est encore là.
Chloé Lefèvre – Ti fleur fané ou La maison chemin Motais
Chloé Lefèvre – Ti fleur fané ou La maison chemin Motais. Orchidées séchées, résine, ruban dentelle – Exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
«Quand je suis partie elle a commencé à disparaître
Aujourd’hui il ne reste plus qu’un corps et nos souvenirs
Les napperons en dentelle et les orchidées du jardin»
Je pensais préserver les fleurs en les recouvrant de résine, finalement je les ai momifiées. Elles sont là et l’enveloppe ne bouge plus, mais les couleurs disparaissent, les pétales flétrissent. J’essaie de fixer des images et des souvenirs, mais quelque chose m’échappe toujours.
Melíka Sadeghzadeh – Le manque de toi est un rocher que je porte
Série de clés fondues dans la terre, donnant forme à l’ímpossibilité de retourner à la maison, comme une pierre serrée dans la paume, gardée précisément parce qu’elle rappelle constamment l’endroit laissé derrière. Un poids silencieux, à la fois ancre et fardeau, la mémoire d’un retour impossible, la possibilité détruite de récupérer le morceau de terre qui nous appartenait. La pierre et la clé se fondent l’une dans l’autre, se transforment, s’altèrent jusqu’à devenir indiscernables, comme la mémoire et la nostalgie. J’ouvre mon poing pour vous montrer ce qu’il contient, je sors les tiroirs pour que vous puissiez voir ce qu’il y a dedans.
Arthur Monteillet – Sans titre
Arthur Monteillet – Sans titre. Céramiques émaillées – Exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
Elles sont ici et là, proches de nous, elles s’immiscent, menaçantes ou envoûtantes, oscillant entre le rêve et le cauchemar…
Arthur Monteillet – Unicorn’s cut
La licorne est une créature légendaire dont la représentation a su traverser les siècles. Son origine, controversée, résulte de multiples influences, en particules de descriptions d’animaux tels que le rhinocéros et l’antilope, issues de récits d’explorateurs. Figure ambiguë, elle est à la fois féerique, médiévale, queer, mais aussi animale de guerre on étalon auquel on est venu sertir une forme phallique chargée de magie. La licorne est ici disséquée pour tenter d’en saisir les multiples facettes.
Léo Rump – Les battements
L’instrument que vous voyez ici, que je vous invite à essayer, est une tentative de copie d’un orgue saisissant qui s’étendait sous une vallée entière. Je me promenais sur un versant couvert de plantes semblables au genet, au dessus d’Esiflon, quand j’entendis des cris, des râles, des plaintes et des murmures résonner d’une colline à l’autre à travers la vallée. Le Jour s’achevait, le son provenait du sol. C’est seulement le lendemain que je pus voir la bête, sous le col qui mène à lok. Une dizaine de personnes travaillait à la faire sonner, pompant et pompant comme pour réveiller le monde entier.
Leo Rump – Cartes de Selamar (1103GV)
Les cartes de Selamar forment un ensemble regroupant plusieurs dessins et éditions. Cartes topographiques d’une région imaginaire, elles reprennent de nombreux codes de la cartographie classique. Pourtant, ces cartes ne servent pas à contrôler le territoire qu’elles figurent : elles sont les supports aux récits qui s’y racontent, qui circulent de villes en villages, le long de la côte en remontant les rivières.
Laure Brioude – La machinerie des archives
Au retour d’un long voyage, des chercheur·euses naturalistes, cinéastes et artistes font face à la difficulté d’ouvrir leurs sacs emplis de souvenirs épars. Dans leur chambre comme dans un laboratoire scientifique et merveilleux, iels vont alors imaginer un processus d’archivage qui permet de faire frictionner les domaines de recherche ensemble, produisant ainsi une mémoire commune.
Léa Cortíglía – Pardon mon amour
Léa Cortíglía – Pardon mon amour. Grès émaille, porcelaine, textile – Exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
Le chocolat contient de la phényléthylamine, une molécule de la famille des endorphines, ces messagères chimiques que l’on nomme aussi molécules de l’amour.
Offrir une boîte de chocolats me semble être le cadeau le plus impersonnel que l’on puisse faire à sa moitié, quelle que soit l’occasion. Ici, elle prend une allure grotesque, à la fois séduisante et dérangeante. Ces chocolats, aussi imposants que fragiles, mettent en lumière les fissures de nos relations. Pourquoi demander pardon, quand on peut dise je t’aime ?
Ici, « je t’aime plus que tout » remplace les excuses. On croque dans les chocolats comme on avale les paroles, pour adoucir, pour oublier. On les consomme comme un pardon. Et le chocolat vient anesthésier nos coeurs.
Paloma Calandra – Ba
Je m’intéresse peu à peu à la sono-thérapie et à l’effet des vibrations sur les corps. L’idée est de voir l’ancien monte-corps comme l’entrée principale de la salle de dissection. Car ce sont sur ces Corps-Sujets que les étudiantes s’appliquent à disséquer.
Le Gong est là comme un accueil, une prière d’apaisement ; le tissu rappelle les rites funéraires égyptiens d’embaumement.
Soline Lecourbe – SDB
C’est une salle de bain où l’eau n’a jamais coulé du lavabo et où la douche a disparu
J’ai vraiment en tête cette histoire de poissons rouges que certaines personnes jettent dans les toilettes quand ils sont morts, puis tirent la chasse d’eau. Bon et bien là, c’est un un peu comme s’ils étaient tous remontes en même temps par les canalisations, Aussi, je connais une personne qui, un jour, a voulu faire trop de choses en même temps et a commandé des mains sur internet afin d’en faire plus. Envahissantes, elles le faisaient trébucher. Incontrôlables, elles renversaient les tasses de café. Un matin, elle les attacha toutes.
Texte présentation de « J’accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite », l’exposition des diplômés 2025 du MO.CO. Esba
« J’accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite » est une traduction d’une citation de John Cage découverte lors d’un atelier d’écriture collective. Lors de cet atelier, le texte de l’exposition a été rédigé en commun.
« L’ancienne salle de dissection de la fac de médecine a fonctionné de 1957 à 2017. Donc ça fait à peine 8 ans qu’elle n’est plus fonctionnelle mais, malgré ce que toustes mes amix disent, moi je ne ressens plus trop les corps à l’intérieur. Même s’il reste 28 tables en marbre et de la poussière et des craies, rien de macabre en moi ne résonne. J’ai l’impression que les corps n’ont jamais été là.
– Mais s’ils n’ont jamais été là, à quoi pourraient bien servir ces tables ?
-…table de billard, table à langer, table de chevet, table de jardin, table basse, table à manger, table de massage, table à repasser, table de ping-pong, table ronde, table des matières, tables de multiplication… »
Texte collectif des diplômés 2025 du MO.CO. Esba:
– Heu…ben …hum..en fait.. »soupir
– On invente des histoires aux lieux: de base y’a rien, juste du carrelage, des tables en pierre et l’eau courante. C’est bizarre, parce que la médecine, ça me semble être très froid, très détache, et nous on rajoute presque toujours des émotions.
– Analyser, triturer pour comprendre ou juste par curiosité. Classifier par ordre, par date. Tout figer. Et si ça ne se fige pas on ajoute du formol. Même dans la mort y’a plus d’espoir d’évasion.
– Serrer contre soi un bel objet à la forme presque humaine, quasi animale, prendre en main, déplier un son et tracer des lignes en un corps-à-corps anormal.
– C’est plus facile de supporter ce lieu en lui inventant des histoires.
– L’ancienne salle de dissection de la fac de médecine a fonctionné de 1957 à 2017. Donc ça rob ni fait à peine 8 ans qu’elle n’est plus fonctionnelle mais, malgré ce que toustes mes amix disent, moi je ne ressens plus trop les corps à l’intérieur. Même s’il reste 28 tables en marbre et de la poussière et des craies, rien de macabre en moi ne résonne. J’ai l’impression que les corps n’ont jamais été là.
– Maís s’ils n’ont jamais été là, à quoi pourraient bien servir ces tables ?
…table de billard, table à langer, table de chevet, table de jardin, table basse, table à manger, table de massage, table à repasser, table de ping-pong, table ronde, table des matières, tables de multiplication…
– J’ai entendu dire que les étudiant·es en médecine sont angoissé·es de ouf. Peut-être que si on passe les doigts sous la table, on tombe sur des vieux chewing-gums ayant servi à détendre les plus anxieux ses d’entre elleux. Donc des chewing-gums destinés à faire passer l’angoisse sont classés monuments historiques; on ne peut plus les enlever, tout le monde vient les visiter.
– Tout ça semble faire partie d’un mauvais scenario.
– On m’a dit un jour que toutes les cellules du corps se renouvellent au bout de sept ans.
– Il nous reste deux ans pour être totalement renouvelé·es depuis qu’on s’est rencontré·es.
– On est un assemblage.
– Tout être vivant est composé de parties oscillantes entre mort et régénération. Est-ce qu’on ne serait pas constamment dans un état de transition?
– En surplus de corps.
– En surplus de chair.
– Tout objet vivant est composé de plus petites entités dont le rythme de vie diverge de son propre rythme, qui accueille avec plaisir tout ce qui viendra ensuite.
– Absolument rien.
– Absolument tout.
– Il serait d’ailleurs peut-être plus juste de parler de fragments d’inconnu.
– Ainsi, ces merveilles étaient si près de nous et on ne le savait pas!
– Elles sont parties depuis longtemps et n’ont laisse derrière elles que des cendres.
Les cendres chaudes des bons souvenirs. Et la douleur du bois brûlé jusqu’à la moelle.
– Et le silence.
– Le jour de notre rencontre, on était sur des tabourets, aligné·es et espacé·es d’un mètre.
– Un peu comme les tables de cette salle finalement.
– C’est un espace hors du temps, un lieu silencieux, une grande pièce pleine de poussière et d’activité passée. Remplie de traces et d’indices. Le temps ne s’y écoule plus, le plan en est figé.
– C’est peut-être la dernière fois qu’on forme un groupe, un corps entier. Un lieu sans corps, ça marche bien pour ça.
– On est une assemblée.
– Comment tu veux transcender à côté du seau à têtes ?
..je…hmmm…bah..pff.. soupirs
Texte collectif rédigé par la promotion en mars 2025 lors d’un atelier d’écriture en collaboration avec la curatrice.