L’exposition photographique « Extraits de grandeur » d’Anaïs Calas est présentée jusqu’au 12 novembre à la galerie Jam-Teery à Ollioules.
L’occasion de découvrir le regard singulier d’un jeune talent qui fait de la ville son terrain de jeu favori. Entretien par Marie Godfrin-Guidicelli.
Quel a été votre parcours depuis votre découverte de la photographie à l’âge de 14 ans ?Anaïs Calas : Après mon baccalauréat, je suis partie faire une école d’art à Lyon, l’École de Condé, pendant trois ans durant lesquelles j’ai rencontré des professionnels de la photographie. Notamment Jacques Damez (fondateur de la galerie Le Réverbère, ndlr) avec qui j’ai eu la chance de faire un workshop sur la ville. Après mon diplôme obtenu en 2023, je suis partie vivre huit mois au Canada, le temps de créer autre chose, de chercher concrètement ce que je voulais faire en photographie.
Une manière de chercher une nouvelle inspiration…
Anaïs Calas : J’ai cherché l’inspiration, mais surtout je ne voulais pas faire des travaux dans la continuité de mes études. J’avais tout juste 21 ans et c’était le moment de partir et « de voir ailleurs si j’y étais ! ». C’était aussi une recherche de renouveau.





Anaïs Calas – série « Errance Solitaire »
Pourquoi cet attrait si jeune pour la photographie et comment s’est-il formalise ?
Anaïs Calas : Avant la photographie, c’est l’art de manière générale, car ma mère, dès mon plus jeune âge, m’a emmenée dans les plus beaux musées de France et d’Europe. J’avais 9 ans quand j’ai découvert le Guggenheim de Bilbao par exemple ! L’art a toujours fait partie intégrante de mon éducation. En fait, la photographie est arrivée un peu par hasard, car j’étais très nulle en arts plastiques. Un jour, en classe de 4e, ma professeure d’arts plastiques m’a mis un appareil photo dans les mains et m’a dit « écoute, moi je veux t’aider parce que tu es une bonne élève, je te propose de travailler avec cet appareil ». Quelque temps plus tard, je suis rentrée chez moi et j’ai dit « je veux faire de la photo ». Le Noël suivant j’ai eu mon premier appareil, et à la fin de la seconde, j’ai dit à mes parents « arrêter tout, je ne serai pas vétérinaire, je serai photographe !
Quels ont été vos premiers travaux, qu’aviez-vous envie de photographier ?
Anaïs Calas : Ce fut d’abord la maison de mes parents, de mon enfance, ma balançoire… ce côté réconfortant que l’on a dans ces maisons-la. En même temps, ce fut aussi la ville, comme une sorte de combat intérieur entre la campagne et ce lieu immense qu’est la ville, pleine de rebondissements autant par son architecture, son urbanisme que les gens qui y vivent.
Il s’agissait de villes en particulier ?
Anaïs Calas : La première ville dans laquelle j’ai vraiment ressenti cela, c’est Francfort et son quartier des affaires. J’ai toujours aimé l’architecture contemporaine, autant dans la façon de la regarder que dans le travail de l’architecte. Aujourd’hui on cherche encore a la faire progresser. Je la trouve sans limites : c’est pour moi un terrain de jeu qui offre de nombreuses possibilités.
Et après Francfort, y a-t-il eu d’autres villes en France ?
Anaïs Calas : Paris, bien sûr, et son quartier de La Défense, mais aussi Marseille avec sa tour CMA-CGM de Zaha Hadid, c’est une vague pour moi qui m’a toujours impressionnée. Et également la tour de Jean Nouvel.

Aujourd’hui vous exposez la série américaine « Extraits de grandeur » chez Jam-Teery. De quoi s’agit-il ? Il y a des fois les mots « grandeur » et « extraits » qui pourraient paraître antinomiques…
Anaïs Calas : Justement, cette dimension de grandeur est paradoxale, car on ne peut jamais regarder l’architecture en entier. Personnellement, quand je suis au pied des immeubles, je ne peux pas les avoir intégralement dans mon champ de vision ! Ils s’offrent à moi au fur et à mesure de mes déplacements. D’où le titre « Extraits de grandeur ».
Dans quelles villes précisément les photos ont-elles été prises et quelle est l’importance – ou non – des détails infimes qui nous apparaissent et font de ces photos un canevas d’abstractions géométriques ?
Anaïs Calas : Elles ont été réalisées en Amérique du Nord, a Toronto, Chicago, Ottawa et New York, ville de la création. Ce sentiment d’abstraction, c’est un jeu en fait. J’aime ce sentiment ou l’on ne peut pas se fixer sur un lieu, se dire que l’on connait ce bâtiment en particulier. On le connait finalement qu’à travers ce que je montre, à travers mon image ; la déformation et le reflet créent une sensation qui n’existe que dans ma photographie. Sur le papier.

Est-ce un peu le moyen de créer une autre architecture, plus personnelle ?
Anaïs Calas : Oui, c’est un peu comme si je créais un univers qui n’existe pas, qui est propre a celui ou celle qui regarde mes images. Et à l’interprétation qu’il ou elle peut en faire. On m’a parfois demandé s’il y avait des visages dessinés par les nuages, c’est intéressant.
En les scrutant de près, on découvre des détails infimes que l’on n’aurait jamais remarqués dans vos photographies. C’est une dimension qui compte pour vous ?
Anaïs Calas : Il y a des détails qui surviennent, bien sûr, il y a une part de cela, mais mon objectif est avant tout d’offrir un jeu sur la sensation et de laisser la possibilité au spectateur de rentrer dans une nouvelle forme de vision, plus que d’aller à la recherche d’un détail.
En savoir plus :
Sur le site de la Galerie Jam-Teery
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Sur le site d’Anaïs Calas
Présentation de l’exposition « Extraits de Grandeur » par Anaïs Calas
Dans cette série “Extraits de Grandeur” comme dans d’autres projets menés auparavant, ce qui m’intéresse le plus n’est pas ma vision de ce lieu, mais la sensation tirée de mon expérience visuelle.
Cette série ne comporte aucun montage ni aucune superposition d’images. Je procède à la transformation du sujet par l’émergence d’une sensation photographique. Le point de départ de cette série est le quartier de La Part Dieu à Lyon en 2022.
Ce quartier, en plein évolution, se hérisse toujours un peu plus de tours. Depuis le XIXe siècle, avec l’industrialisation et la mondialisation, les villes montrent leur puissance par des quartiers d’affaires s’imposant dans le paysage comme s’imposaient autrefois les cathédrales gothiques et les donjons. Je regarde ces immeubles contemporains, fascinée par leur taille et cherche comment les photographier.
En effet, comment proposer un regard nouveau sur ces tours et ces immeubles ? Les images frontales de façades d’immeubles d’habitations de Stéphane Couturier me viennent à l’esprit. Je reprends ma réflexion dans le Financial District de Toronto et le Loop de Chicago lors de mon séjour au Canada en 2024. Les œuvres de Piet Mondiran exposées à l’Art Institute of Chicago sont un déclencheur. S’il est possible d’enfermer des aplats de couleurs entre des lignes alors je peux y enfermer des reflets.
L’usage généralisé du verre sur les façades des architectures contemporaines offre au passant et au photographe un jeu infini de reflets. La ville se réfléchit sur elle-même en se déformant, troublant les limites des bâtiments, intégrant et absorbant l’extérieur de la rue vivante et changeante dans leurs structures immobiles. C’est cette ville mouvante qui m’attire, celle qui me fait perdre mes repères et qui se joue des apparences. La photographier devient alors un jeu : je me laisse surprendre et surprends à mon tour en captant cette réalité suspendue dans l’instant. Si les lignes permettent de garder un lien avec la réalité de la structure des bâtiments, les reflets qui naissent entre elles invitent à l’imaginaire. Le spectateur voit et interprète ce qu’il souhaite : un lieu, un effondrement, des formes, une mise en abîme de la ville… J’ai joué aussi avec la distance entre les bâtiments. Celle-ci à un rôle important dans la colorimétrie des images. Selon l’écart entre eux, le ciel s’invite ou disparaît, perturbant la perception et les repères de l’espace réel. Alors, on ne voit plus que les couleurs de la ville.
“Extrait de grandeur” est ainsi un travail sur la notion de hors-champs. Le cadrage serré et le rendu pictural des photos créent l’apparition d’un nouvel immeuble qui n’existe que sur l’image. Le spectateur ne peut identifier le lieu photographié et se laisse, lui aussi, aller à l’expérience visuelle. Celle qui interroge et qui pousse à la contemplation ». Anaïs Calas
Repères biographiques
Anaïs Calas est une artiste photographe originaire du Var (France) qui puise son inspiration dans ses différents voyages en Europe et en Amérique. Durant ses années d’études à l’École de Condé à Lyon, elle a eu l’opportunité de participer à diverses collaborations et projets.Notamment, elle a pris part à un workshop de plusieurs semaines en collaboration avec la galerie Le Réverbère (en 2022). Cette expérience lui a permis d’approfondir sa pratique et d’élargir ses horizons. Elle a également travaillé en partenariat avec la Chambre des Métiers et de l’Artisanat du Rhône en exposant ses œuvres lors d’une exposition collective à la Foire de Lyon en 2023.
Sa démarche photographique explore la ville, espace social avant tout, reflet de l’histoire de sa population et de ses choix. Depuis des siècles, celle-ci n’a cessé de se réinventer. Elle aborde cet objet photographique sous ses diverses dimensions : l’architecture, la rue comme espace d’expression citoyenne ou festive, les inégalités sociales, les choix urbanistiques, ou encore la ville nocturne, solitaire. Ces thèmes constituent le socle de sa créativité qu’elle exprime aussi bien en reportage qu’en photographie picturale, faisant appel à l’imaginaire du spectateur.
