La disparition des lucioles, en Avignon : Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme !

Dans un précédent billet, nous avons souligné la richesse et l’intelligence de cette exposition qui permet aux œuvres exposées de construire des conversations, de faire écho avec le bâtiment de la prison Sainte Anne, tout en laissant au visiteur une place pour faire des liens et bâtir son histoire, son interprétation…

Prison Sainte Anne 02_1
Prison Sainte Anne Avignon. Mur d’enceinte, rue Migrenier.

Les impressions qui suivent ne relatent que le début d’une première visite lors de la présentation de presse, avant le vernissage, alors que l’accrochage n’était pas entièrement terminé.

De prochaines chroniques, après d’autres visites,  s’intéresseront  à la scénographie et aux autres sections du parcours qu’offre La disparition des lucioles.

Xavier Veilhan, Sans titre, 1993_1
Xavier Veilhan, Sans titre (Les policiers), 1993. Collection FRAC PACA

Accompagné par cinq policiers de Xavier Veilhan (Sans titre, 1993), le visiteur traverse la dernière zone de contact avec l’extérieur, les parloirs. Ces premiers lieux barrotés, qui ne sont pas encore des cellules, sont occupés entre autres par le film  Au-delà de cette limite, 1972 de Marcel Broodthaers, qui prend ici une dimension toute particulière et par Robert, 2001 de Zoé Léonard, étonnante évocation de son père, voyageur de commerce et de ses grands parents, parti pour les camps.

Dans un renfoncement, un néon clignotant de Ross Sinclair, citant Dante, prévient : Abandon All Hope, Ye Who Enter here, 2001 (Abandonnez tout espoir vous qui entrez ici…).

Le temps qui passe, le temps qu’il fait.

Commence alors dans le quartier des hommes, la première séquence du parcours autour du temps qui passe et du temps qu’il fait…

Rappelant le vers de Paul Verlaine « Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme ! », Eric Mézil  écrit dans le catalogue : « Ce « Temps suspendu« , leitmotiv dans les témoignages de tous les prisonniers accompagne ce parcours artistique pour redire qu’en prison les heures, les journées et les mois semblent n’avoir jamais de fin […]Ce temps, c’est aussi la fluctuation météorologique à laquelle les détenus étaient si sensibles dans cette prison avignonnaise. Orientée au plein Nord, nichée à l’ombre du Rocher des Doms, la prison était glaciale quand le mistral s’y engouffrait et très humide du fait de la proximité du Rhône. Aussi un simple rayon de soleil offrait une joie fugace, une promesse d’espoir…  »

Sur les 110 mètres de long de ce premier couloir, une œuvre sonore de Dominique Gonzalès-Foerster, Promenade, 2007, accompagne discrètement  la déambulation, en mixant divers sons naturels qui évoquent le temps météorologique.

Massimo Bartolini, Untitled (Wave), 1997-2000
Massimo Bartolini, Untitled (Wave), 1997-2000.

Dans une petite cour, dite des Encombrants, l’installation de Massimo Bartolini, Untitled (Wave), 1997-2000, vague sans fin et toujours recommencée, exprime particulièrement bien ce temps interminable, infini…

Un peu plus loin, sur une grande plaque de marbre, posée dans le couloir, Trisha Donnelly a gravé le relief de la montagne de Bolzano(Sans titre, 2009)… moment figé d’un paysage devenu invisible… stèle funéraire sur une liberté disparue.

C’est  à travers le judas d’une porte cellulaire que l’on découvre un projet de Bouteille à la mer, 1970-1971,de Marcel Broodthaers.

Dans le couloir, une étonnante photo de Mircea Cantor All the Directions, 2000, rappelle un départ  pour n’importe, la volonté de fuir avec urgence un univers devenu étouffant…

On retrouve le temps qu’il fait, et la lenteur du temps qui passe, avec Skies, 2009, de Markus Schinwald, métaphore du ciel, découpage de nuages dans des œuvres chinées aux puces… Découpes de méchantes fenêtres dans un ciel entraperçu.

Markus Schinwald, Skies, 2009
Markus Schinwald, Skies, 2009

Hommage à Duchamp, About the Motion of Astronomical Bodies,2010, camera obscura de Gusmao et Paiva  est aussi une évocation de la nuit, des songes et la naissance de la lumière.

Dans une petite cellule pour deux personnes, sur une table, quelques fruits parcheminés et recousus par Zoé Leonard (Sans titre, 2003) rappellent les flétrissures du temps qui passe, mais aussi de petites besaces qui renferment trésors ou messages qui doivent rester secrets…

Puis, dans une série de cellules transformées par l’administration en pièces pour l’infirmière et l’assistante sociale, on trouve :

Deux diptyques de Roni Horn, le fameux Dead Howl,1997, chouette empaillée qui suggère ici à la fois la nuit et la mort, fait face au double portrait de l’artiste enfant, Dead Howl v.2,1999, autoportrait androgyne, en chouette…

Roni Horn,Dead Howl,1997
Roni Horn,Dead Howl,1997
Roni Horn,Dead Howl v.2,1999
Roni Horn,Dead Howl v.2,1999

Above the Weather, 2011 de Jason Dodge est une pièce de tissu en laine, bleu nuit, dont le fil a une longueur (12 km) équivalente à celle qui sépare la terre de la stratosphère…  au-dessus du temps qu’il fait, au-dessus de la météo !
À côté, Into Black,2009, série de feuilles de papier photographique qui sont arrivées non exposées à la prison. Lentement insolées, elles sont de réelles captures de la lumière pénitentiaire et de sa temporalité…

Plus loin, un des grands tirages de Nan Goldin, commandé pour l’exposition la Beauté, en 2000, par Jean de Loisy. Bruce in the Smoke, 2000, à la Solfatara près de Pompei est une envoûtante suggestion du temps qui passe, comme du temps qu’il fait…

Nan Goldin, Bruce in the Smoke, 2000
Nan Goldin, Bruce in the Smoke, 2000

Dans le couloir dit du « pliage du linge »,  s’est échoué un bateau lesté de livres de plomb et de gravats de béton, d’Anselm Kiefer. Asche für Paul Celan, 2006, (Cendres pour Paul Celan) est ,sans doute, une œuvre importante de la Collection Lambert. On sait que Kiefer est né en 1945, l’année où Celan quitte les camps de la mort. Il rendra de multiples hommages au poète juif qui se suicida en 1970. Si cette pièce trouve sa place à l’endroit où elle est placée, on comprend moins bien sa résonance avec le thème de cette première section.

Anselm Kiefer, Asche für Paul Celan, 2006
Anselm Kiefer, Asche für Paul Celan, 2006

Il en va de même avec la série d’œuvres d’Ana Mendieta qui occupent la pièce suivante,  évocations à la fois de végétaux et de corps féminins…

À l’inverse, la très belle installation de Kiki Smith, Girl with a Globe,1998, fait ressentir avec force ce « temps suspendu » décrit  dans les témoignages de prisonniers !

Kiki Smith, «Girl with Globe», 1998, installation, courtesy Galleria Raffaella Cortese
Kiki Smith, Girl with Globe, 1998, installation, courtesy Galleria Raffaella Cortese

Sticks, 1975, un labyrinthe de Richard Long précède la captivante vidéo de Kimsooja, A laundry Woman, 2000, qui trouve toute sa place dans ce premier chapitre.

Spore Speakers, 2008 de Louis Gréaud est une oeuvre inquiétante, assemblage  d’aliens dégoulinants, luminescents et suspendus… Pour Eric Mézil, cette pièce rappelle à la fois sa découverte de la prison, mais aussi d’étranges et menaçantes lucioles…

Louis Gréaud, Spore Speakers, 2008
Louis Gréaud, Spore Speakers, 2008

Commandé à l’occasion de l’exposition, Cobaye, 2014 de Gloria Friedmann précède Limit of a projection II, 1967, une pièce de David Lamelas. Ces deux œuvres dialoguent de manière intéressante avec leur environnement (surtout celle de Gloria Friedmann). Mais on aurait tout aussi bien pu retrouver ailleurs, dans le parcours. On perçoit mal leur lien avec Le temps qui passe, le temps qu’il fait

Gloria Friedmann, Cobaye, 2014
Gloria Friedmann, Cobaye, 2014

En faisant un mauvais jeu de mots, on peut dire qu’avec l’installation de Spencer Finch, Blue (Sky over Los Alamos), 2000, le propos est plus lumineux. On retrouve dans cette pièce à la fois un rappel des lucioles, mais une suggestion du ciel étoilé, du temps chronologique et météorologique.

Spencer Finch, Blue (Sky over Los Alamos), 2000
Spencer Finch, Blue (Sky over Los Alamos), 2000

C’est avec cette œuvre que se termine la première séquence de l’exposition…

De lourdes grilles conduisent dans un premier quartier des isolés où commence le chapitre suivant de La disparition des lucioles, intitulé  « Surveiller et punir » en référence à l’ouvrage majeur de Michel Foucault, sous-titré Naissance de la prison

En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert en Avignon
Sur la page Facebook de la Collection Lambert en Avignon

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