Jusqu’au 31 mai 2015, le CRAC (Centre Régional d’Art Contemporain) de Sète présente dans ses salles du rez-de-chaussée, trois expositions monographiques de trois femmes : Enna Chaton (Le bleu du ciel), Nina Childress (Magenta) et Sylvie Fanchon (Chair). Avec une mise en espace remarquable, ces trois propositions se répondent avec sensibilité et pertinence autour de la nudité et de la représentation des corps.
Sylvie Fanchon, Chair
Avec Chair, Sylvie Fanchon nous présente quinze toiles récentes de divers formats et une grande peinture murale réalisée in situ, pour révéler le corps du tableau et mettre à nu la peinture.
Une couleur chair posée comme un fond de teint sur la toile, masquée par des bandes de scotch, puis recouverte par un noir profond… Sylvie Fanchon évoque la pose des bandes d’adhésif comme un dessin… Elle décrit leur arrachement comme une « métaphore du geste du peintre » qui permet de découvrir le tableau… Le grain de la toile ou le grain du mur donne chair à sa peinture.
L’accrochage joue subtilement avec la taille des tableaux, l’orientation des bandes de scotch et l’importance du «noir » pour donner un rythme à l’ensemble et faire relancer l’attention du visiteur. Un regard rapproché permet d’apprécier « l’évocation du corps au travers de la couleur, ici la couleur “chair”, dans toutes ses nuances allant du rose chair au beige fond de teint » souhaitée par l’artiste.
Les deux tableaux Moustaches sur fond vert complètent cet ensemble. Leur contraste vibrant avec l’ouverture magenta de l’exposition de Nina Childress attire avec intensité le regard vers celle-ci.
Nina Childress, Magenta
On pénètre donc dans l’exposition de Nina Childress, par cette embrasure peinte avec un rouge-magenta, complémentaire du vert…
Dès que l’on se retourne, on est étourdi par un imposant papier peint, Rideau Vert, 2015, qui couvre tout le mur. On perçoit immédiatement que l’exposition est construite comme une mise en scène théâtrale d’œuvres de Nina Childress, où le contraste et la complémentarité du magenta et du vert va jouer un rôle majeur.
Dans cette première salle, l’immense rideau sert de décor à un ensemble de peintures à dominante verte. Naturellement, il y est question de théâtralisation du corps. Le livret d’accompagnement précise que certaines toiles « ont pour images-sources le travail du mime Étienne Decroux, inventeur du » mime corporel dramatique » qui interroge la statuaire, la poésie et la musique ».
Dans la salle suivante, on découvre une sélection d’œuvres de sa série « Les nudistes », récemment montrée à la galerie Bernard Jordan. Ces petites toiles sont inspirées des « nudies », films à petit budget tournés dans des camps naturistes de la fin des années 1950 au milieu des années 1960.
Ces images peintes construites à partir de photographies de films interrogent le nu dans son rapport à la société mais il y est aussi question des relations entre peinture et photographie dans la représentation des corps. À leur propos, on lira avec intérêt Peindre des colonnes vertébrales (ou comment j’ai focalisé sur un détail anatomique dans Les nudistes de Nina Childress), un texte savoureux de Fabienne Radi, disponible sur le site du MAMCO.
Ces Nudistes sont accompagnés par deux grands formats qui représentent le même sujet. La première Crying, 2014 est une peinture sur papier kraft à coller, l’autre Crying, 2015 est un tirage numérique quatre fois plus grand, qui couvre presque tout un mur de la salle.
Dans les petites toiles des Nudistes, le grain de la toile se confronte au grain photographique, et la peinture montre sa volonté de ne pas reproduire l’image photographique.
Les couleurs imprécises de la grande impression Crying, 2015 montrent les limites de la reproduction numérique d’une peinture.
La voix d’un ténor sur un air de Bizet attire le visiteur vers l’installation Vœux 2015, dans la salle suivante.
Un rideau magenta fluo en papier découpé construit un espace occupé par une vidéo projetée sur une toile vierge. Des mannequins accoutrées de coiffes invraisemblables défilent au son de la voix du ténor. Une lumière rose fluo irradie dans toute la salle et nimbe un ensemble de petites toiles.
On remarque une stripteaseuse devant un Petit rideau rose de 27 x 35 cm. On quitte Magenta avec ce Petit rideau rose qui répond à l’imposant Rideau vert qui ouvrait le parcours.
Enna Chaton, Le bleu du ciel
Depuis le couloir où se termine Magenta, on découvre une perspective étonnante sur l’exposition d’Enna Chaton. Un moment remarquable dans le parcours de visite que nous propose le CRAC.
Le bleu du ciel présente, dans les trois salles qui lui sont consacrées, plusieurs installations photographiques réalisées in situ. Cette exposition d’Enna Chaton multiplie les points de vue inattendus, relance sans cesse l’attention du visiteur et lui offre selon son cheminement des dialogues renouvelés entre les œuvres !
L’ancienne salle de congélation rassemble les photographies les plus anciennes de la sélection. Au centre, une projection, Enna, Studio N°60, montre un autoportrait de dos avec reflet dans un miroir.
Réalisée lors d’une résidence en Californie, en 2013, l’image projetée dissimule Le bleu du ciel qui donne son titre à l’exposition. Elle dialogue avec la série Selfportrait, Parcs nationaux Californie où le corps nu de l’artiste joue avec les imposants paysages américains. Cette série ludique fait contrepoint aux sévères Maisons grises, Fabrègues, 2008-2010, où des nus statiques semblent servir de jalons au chantier de construction.
C’est dans la salle suivante que l’exposition offre au regardeur l’expérience la plus captivante. La série Polygones et couleurs montre un ensemble de photographies qui pourrait être extraites de performances dans lesquelles Enna Chaton fait jouer les corps nus des participants avec des formes plastiques, la couleur et les rapports d’échelle.
L’installation distribue ces « arrêts sur images » dans l’espace. Au visiteur qui se déplace, elle offre des perspectives troublantes qui donnent à ces images une présence singulière.
Ce dispositif place le regardeur dans une situation « instable », certainement proche de celle des spectateurs qui assistent aux performances qu’Enna Chaton réalise depuis 2010.
Dans la série Chantal et Enna, l’artiste et sa mère composent des tableaux ludiques, ici sur le thème de la Mesure et de la Fée électricité. Un fond noir partagé avec certaines images de Polygones et couleurs et quelques objets similaires font enter ces deux photographies dans le « jeu » de la performance simulée… Seul le portrait de groupe qui les accompagnent, fait écart avec la série des Polygones et couleurs.
Like a Waterfall est une remarquable installation qui clôture avec brio le parcours de visite. Vingt-neuf photographies sont assemblées dans une chute d’images fragile et délicate qui semble s’écouler doucement depuis le plafond de la salle.
Les images sont construites sur une composition très proche. Sur un fond noir, un corps de femme, photographié de dos, est mis en relation avec des éléments naturels, végétaux et minéraux…
Si le visiteur est maintenu plus à distance que dans Polygones et couleurs, l’ensemble fonctionne malgré tout comme un troublant miroir qui interroge sur « la nudité et la présence des corps ».
Cet ensemble d’expositions monographiques est remarquable par la forte personnalité des artistes présentées, mais aussi par un excellent travail de mise en espace et par un accrochage rigoureux et imaginatif qui offre au visiteur un parcours captivant. L’expérience de visite est enrichie par des dispositifs d’accompagnement simples et pertinents.
Le livret d’accompagnement remis aux visiteurs et disponibles en téléchargement depuis le site du CRAC est particulièrement bien conçu. On recommande ce document pour préparer ou prolonger la visite. On conseille également de visionner la présentation par les artistes de leur exposition dans une vidéo disponible sur le site du CRAC, et que nous intégrons ci-dessous.
Le service des publics propose une médiation en salle avec un accompagnement qui répond avec tact aux intérêts et aux questions du regardeur. Soulignons la compétence, la discrétion et le respect que ces personnes manifestent à l’égard des visiteurs.
Ce travail de médiation est le fruit d’une collaboration entre l’équipe du service des publics du CRAC et Un goût d’illusion.
Saluons le commissariat de Noëlle Tissier qui nous offre sans aucun doute une des plus belles propositions de ce début d’année.
Un passage par le CRAC avant la fin mai s’impose !
Au premier étage, Mïrka Lugosi présente Figure jusqu’au 3 mai.
Nous reviendrons éventuellement sur cette project room dans un prochain billet.
En savoir plus :
Sur le site du CRAC, les expositions d’Enna Chaton (Le bleu du ciel) de Nina Childress (Magenta) et de Sylvie Fanchon (Chair)
Sur la page Facebook du CRAC
Télécharger le livret d’accompagnement des expositions
Sur le site d’Enna Chaton
Sur le site de Nina Childress
Télécharger le livret d’accompagnement de la project room Figure de Mïrka Lugosi