Jesús Rafael Soto. Une rétrospective

Du 12 décembre au 30 avril 2016, le musée Soulages présente à Rodez une rétrospective consacrée à Jesús Rafael Soto, première rétrospective en France depuis presque 20 ans, pour cette figure emblématique du cinétisme.

Le parcours est construit autour d’une cinquantaine d’œuvres souvent spectaculaires par leurs dimensions et par leurs effets. Cette sélection témoigne de différentes périodes  de l’artiste, de 1950 jusqu’à sa mort en 2005 : spirales duchampiennes, carrés flottants, écritures abstraites, vibrations soutenues, polychromies avec tés, cubes aériens, volumes virtuels, Cuadrados…

Jesús Rafael Soto, doble progresion azul y negra, 1975 - Une rétrospective au musée Soulages. Photo : Rodez Agglomération
Jesús Rafael Soto, doble progresion azul y negra, 1975 – Une rétrospective au musée Soulages. Photo : Rodez Agglomération

Soto au musée Soulages apparaît comme une évidence…  Dans un avant-propos à  cette rétrospective (lire ci-dessous), Benoît Decron, directeur du musée, exprime avec justesse ce qui rassemble les deux artistes et la pertinence de cette exposition :

« Une utilisation immatérielle de la lumière d’une part, celle qui donne la vie aux grandes toiles de Soulages, celle qui joue dans les trames, entre les fils, entre les tiges chez Soto. Dans les deux cas, cette lumière est offerte au spectateur, metteur en scène qui visuellement et physiquement accorde cette lumière à l’œuvre proposée. D’où la subtile géographie de l’accrochage, le parcours ».

Cette rétrospective bénéficie de prêts de collections particulières et du concours essentiel de l’atelier Soto. Le Centre Pompidou apporte quelques œuvres importantes, provenant notamment de la donation – dation Soto.

Le commissariat a été confié à Matthieu Poirier qui fut, avec Serge Lemoine, commissaire de « Dynamo », une mémorable exposition au Grand Palais, en 2013. Il est accompagné par Benoît Decron, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées du Grand Rodez et assisté par l’équipe du musée Soulages (Aurore Méchain, attachée de conservation du patrimoine, directrice adjointe du musée et Amandine Meunier, responsable des collections).

http://dai.ly/xygv1q
Jean Paul Ameline présente «Senegalés, 1988», à l’occasion de l’exposition Soto au Centre Pompidou, en 2013.

On lira ci-dessous l’avant-propos des commissaires, extrait du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du musée Soulages
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Sur le site de JR Soto
Sur le site du Centre Pompidou et sur la chaine Dailymotion du Centre (Vidéos des oeuvres présentées lors de l’exposition Soto, en 2013)
Sur le site de la Galerie Perrotin
Dans l’émission « Les regardeurs » de France Culture : Première vibration (1957) de Jesús Rafael Soto

Jesús Rafael Soto, Volume suspendu, 1968 (Soto, Atelier rue des Blancs Manteaux, Paris, 1968, Photo de Michel Desjardins)
Jesús Rafael Soto, Volume suspendu, 1968 Soto, Atelier rue des Blancs Manteaux, Paris, 1968, © Photo de Michel Desjardins

Jesús Rafael Soto. Une rétrospective
AVANT-PROPOS

par Matthieu Poirier, commissaire de l’exposition
et Benoît Decron, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées de Rodez agglomération, commissaire de l’exposition

Matthieu Poirier : Cette rétrospective au musée Soulages rassemble les oeuvres les plus novatrices et radicales, les moins sujets à la composition classique réalisées par Soto. Toutes caractéristiques d’une série, d’une typologie, d’un mode de pensée, ces oeuvres clefs rendent compte du caractère vibratoire, immatériel et aérien de la pratique de l’artiste, de son oscillation constante entre objet matériel et pur phénomène. De 1950 jusqu’à sa mort en 2005, ces travaux ont évolué de façon moins linéaire que circulaire. Dès lors, entre tableaux, reliefs, sculptures et installations monumentales, j’ai organisé le parcours en sections formelles et thématiques, selon un plan ouvert, précisément afin d’inviter le spectateur non seulement à une circulation libre d’une oeuvre à l’autre, selon un jeu de résonances et d’échos cher à l’artiste, mais aussi à des allers-retours dans le temps, dans l’histoire de l’art.

Jesús Rafael Soto, La spirale, 1955
Jesús Rafael Soto, Spirale édition MAT, 1955/ édition 1958 © photo Beatrice Hatala archives Soto © Adagp, Paris 2015

Il est souvent question de mouvement chez Soto, mais le plus souvent ce mouvement n’est pas celui, physique et matériel, des composantes de l’œuvre : c’est le déplacement du spectateur et la moindre oscillation du corps devant l’œuvre qui vont déclencher, en retour, une vibration généralisée, un état d’instabilité. En 1950, lorsqu’il décide de quitter le Vénézuela, Soto choisit de s’installer Paris, au motif que cette ville avait vu naître le cubisme et, avant cela, l’impressionnisme. En effet, nombre de ses réalisations peuvent être mises en perspective avec le cubisme pour leur emploi d’une géométrie à la fois rigoureuse mais fragmentée, et avec l’impressionnisme pour la division de la touche, la démultiplication des éléments identiques ou semblables à la surface visant à produire une palpitation lumineuse et colorée, un flottement continu de la forme. Tels des phénomènes et non plus tels des objets – qu’ils sont pourtant -, ces éléments systématiques se déploient dans l’espace réel et dans la conscience, en suscitant chez le spectateur une réaction motrice – selon le principe de la dynamogénie. Chez Soto, nul point central, nulle perspective ou lecture unique, mais un continuum de microévènements devant lesquels il est impossible de stabiliser la vision, tant la contemplation est intense et dynamique.

Jesús Rafael Soto, Florence, 1959 © photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015
Jesús Rafael Soto, Florence, 1959 © photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015

De surcroît, les Pénétrables s’avèrent hautement participatifs et tactiles : on touche les milliers de fils suspendus, à moins que ce ne soient eux qui nous frôlent – Soto considérant d’ailleurs ce contact physique, au même titre que la vibration soutenue des effets de moiré, comme une façon d’éveiller un spectateur, assoupi par les images lénifiantes et autoritaires, qu’elles soient médiatiques ou artistiques. Car si l’abstraction selon Soto est profondément iconoclaste, au sens strict du terme, l’artiste n’a jamais été engagé politiquement. Il considérait que son travail possédait en lui-même cette dimension sociale – les spectateurs d’un Pénétrable, par exemple, partageant la même matrice physique et visuelle. C’est d’ailleurs le critique Jean Clay qui suggéra à Soto le titre de Pénétrable, car l’artiste lui évoquait souvent l’idée de « pénétrer » la matière de l’oeuvre du regard, autrement dit, de projeter sa vision dans les arcanes de l’objet plutôt que de s’arrêter à sa surface. L’oeuvre de Soto repousse ainsi les limites usuelles de la vision : tout vibre, tout est en mouvement… ou semble l’être. Car finalement l’art perceptuel de Soto, alors souvent qualifié de « cinétique », n’est pas tant préoccupé par le mouvement lui-même que par la question du phénomène visuel et de l’exploration de ses seuils.

Jesús Rafael Soto, Vibration Jaune, 1965
Jesús Rafael Soto, Vibration Jaune, 1965 Jesús Rafael Soto.© Georges Meguerditchian – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMNGP © Adagp, Paris 2015

Soto est un des principaux astres de la nébuleuse de l’art dit « perceptuel » dont j’avais déjà souhaité rendre compte dans ma thèse de Doctorat sur l’art cinétique, puis dans l’exposition «Dynamo. Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art. 1913-2013» au Grand Palais, en ma qualité de commissaire avec Serge Lemoine. Au musée Soulages, afin de présenter sous cet angle un large spectre de l’activité de Soto, j’ai rassemblé près d’une cinquantaine de ses œuvres clefs avec Benoît Decron et l’équipe scientifique du musée, ce grâce au concours infiniment précieux des enfants de l’artiste et de responsables des collections publiques et privées.

Il est convenu d’estimer l’importance historique d’un artiste dans sa façon de se démarquer des productions de ses contemporains à une époque particulière mais aussi et surtout en regard de sa pérennité, en tant que précurseur d’autres courants. À cet égard, par la singularité de son oeuvre, Soto apparaît comme un des héros de l’abstraction d’après-guerre et comme un fer de lance du cinétisme des années 1950-60 et 70, tout en préfigurant précocement certains axes esthétiques fondamentaux empruntés plus tard par des artistes comme James Turrell, Anthony McCall, Dan Graham ou encore Olafur Eliasson.

Jesús Rafael Soto, Doble progresion azul y negra, 1975 ©photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015
Jesús Rafael Soto, Doble progresion azul y negra, 1975 ©photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015

Benoît Decron : Exposer Soto au musée Soulages, c’est provoquer une rencontre entre deux grands artistes, présents sur le plan international.
C’est également s’inscrire dans l’histoire de l’art du XX ème siècle, plus particulièrement dans les expériences plastiques de l’après-guerre. Pierre Soulages n’a appartenu à aucun mouvement constitué de peintres de son temps : plus exactement, dès le début des années 50, il s’écarte ostensiblement de toute allégeance à un groupe soumis à des théories. Il regarde ailleurs ou plus exactement à l’intérieur de lui, avec ses propres références, des outils inventés ou détournés de leur fonction. En somme, il fait bande à part. Soto arrive en France en 1950 et il partage déjà une histoire, notamment avec d’autres peintres sudaméricains ; comme la limaille sur l’aimant, il est irrésistiblement attiré par Paris, capitale des arts ; vite, il va s’imprégner des enseignements dans le livre resté ouvert de Piet Mondrian. Mais Soto va dépasser aussi sec son travail de peintre, pour se consacrer au mouvement et à la lumière. Les couleurs et les vibrations seront ses champs de recherche. Sculpteur presque objecteur, plutôt que peintre devrait-on dire. Il s’échappe vite. Avec un métier remarquable au service de ses idées. Soto est l’un des piliers de l’art cinétique.

Jesús Rafael Soto, Cube de paris, 1990 © photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015
Jesús Rafael Soto, Cube de paris, 1990 © photo Beatrice Hatala_archives Soto © Adagp Paris 2015

L’un, Soto, part du contexte géométrique, de la construction, du découpage, de l’assemblage, pour arriver au bougé, au rétinien, à l’empire du dedans : une œuvre inerte s’anime du fait de notre rétine capricieuse, dissolvant formes et couleurs. L’autre, Soulages, domine une abstraction radicale à base de pâte noire, jamais ne quitte la peinture dont il superpose la matière (peintre irréductible, jusqu’au bout des ongles). On pourrait dire abruptement : d’un côté le mouvement, de l’autre un monolithe.

Qu’est ce qui rassemble Soulages et Soto ?
Une utilisation immatérielle de la lumière d’une part, celle qui donne la vie aux grandes toiles de Soulages, celle qui joue dans les trames, entre les fils, entre les tiges chez Soto. Dans les deux cas, cette lumière est offerte au spectateur, metteur en scène qui visuellement et physiquement accorde cette lumière à l’œuvre proposée. D’où la subtile géographie de l’accrochage, le parcours.

Une recherche incessante dans les matériaux, les outils, dans la monumentalité. Les deux artistes n’ont de cesse de proposer des nouvelles oeuvres, quitte à se mettre en difficulté. Il serait stupide de mettre en pleine comparaison les oeuvres de l’un et de l’autre, de mesurer la production. On doit simplement dire que l’un et l’autre ont dépassé l’idée pénible de la durée, celle de l’artiste chevillée à son inspiration : les Soto ultimes avec la frénésie libertaire des Pénétrables, les derniers Outrenoir de Soulages des surfaces d’un noir mat grêlées de sortes de coups de sabot. Au-delà de la maîtrise du procédé et du médium, triomphe chez les deux artistes une énergie communicative.

Soulages et Soto se croisent au Salon des Réalités Nouvelles. Le premier le quitte en 1950 après trois années de présence, le second y arrive en 1951. Nous sommes convaincus qu’aucun n’était véritablement dans l’épure de ce salon : d’abord Soulages dont la rigueur du faire ( à ne pas confondre avec le geste lâché par les peintres lyriques) n’a rien à voir avec l’arborescence dont les constructions en trois dimensions l’éloignent définitivement de la planéité du tableau peint, dont la poésie plastique touche parfois au jeu. On a l’habitude de mesurer cette époque en termes d’oppositions des peintres abstraits entre eux. Si ces combats ont bien existé dans le domaine des abstractions, par la stimulation de la critique de l’époque, influente et belliqueuse, le champ reste néanmoins grand ouvert et les échanges moins manichéens qu’ils n’y paraissent.

Jesús Rafael Soto, Senegalés,1998, Dation, 2011 AM 2012-116 © Centre Pompidou, MNAM-CCI - Dist RMN-GP, photo
Jesús Rafael Soto, Senegalés,1998, Dation, 2011 AM 2012-116 © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist RMN-GP, photo Georges Meguerditchian © Adagp, Paris, 2015

Alors ?
Inviter Soto au musée Soulages, c’est se plonger avec bonheur dans un Zeitgeist, un esprit du temps logiquement partagé à un moment donné, par deux créateurs ; en quelque sorte, l’un accueillant l’autre
. Chambres à part bien entendu, mais des idées sécantes, parfois. Un invité à Rodez dans la définition même de ce musée voulue par Soulages, en accueillant les modernes et les contemporains pour l’édification du public. A l’heure joyeuse de ce qui sera découvert, ce que l’on apprendra. L’art cinétique, abusivement accolé aux années Pompidou, sous évaluée car trop ami de la science, est une vraie découverte pour les nouvelles générations… La rétrospective Dynamo au Grand Palais l’a vraiment porté au plus haut. Matthieu Poirier qui fut avec Serge Lemoine l’ordonnateur de cette fête du mouvement et de la couleur en sait quelque chose. La salle d’expositions du musée Soulages offre de grands espaces des perspectives visuelles surprenantes. .

Soto est à Rodez pour cinq mois : c’est la première rétrospective en France depuis presque 20 ans Une chance pour le musée Soulages qui approfondit là son projet avec ambition. Depuis quelques années, nous notons dans nos musées l’arrivée massive d’un nouveau public, grappes d’adolescents et jeunes adultes. Cette exposition bien vivante leur est aussi adressée.

« je fais un art de communication-plutôt optimiste » Soto (1965-1968)

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