Jusqu’au 31 décembre 2016, la Galerie Zola de la Cité du Livre à Aix-en-Provence présente « Regards Croisés » une intéressante confrontation entre dix photographes belges et français.
L’exposition s’inscrit dans la programmation de la 16ème édition de Phot’Aix, Festival de Photographie, organisé à Aix-en-Provence par La Fontaine Obscure.
L’exposition met en « Regards Croisés » les les cinq paires suivantes :
- Jef Beirinckx, Purim of Antwerp et Nathalie Mazéas, No Man
- Sabrina Biancuzzi, Le crissement du temps et Gaëlle Abravanel, Family Tree
- Roel Jacobs, Des belges sans voisins et Pierre-Emmanuel Daumas, Dans 30 km, tourner à gauche
- Benjamin Leveaux, This is not America et Didier Bizet, Pyongyang Paris
- Simon Vansteenwinckel, Charlyking et Mamadou Dramé, ZUP – Zone Urbaine Photographique
La scénographie très réussie de Sophie Korini occupe avec pertinence d’espace de la galerie Zola. Des cimaises mettent judicieusement en regard les séries sélectionnées, tout en offrant des perspectives accueillantes.
L’accrochage est particulièrement réussi. Il diffère pratiquement pour chaque proposition artistique et offre ainsi à chaque photographe la possibilité d’exprimer son propos avec cohérence et originalité. Toutefois, l’ensemble parvient à conserver une réelle unité. Jamais, on ne perçoit d’inconsistance, de dispersion ou l’impossibilité de poser son regard…
La couleur bleu foncé des cimaises renforce une ambiance lumineuse assez sombre. Le choix d’un éclairage cadré dirige le regard des visiteurs vers les tirages. Si les séries présentées sur des supports sans protection sont correctement mises en valeur, les épreuves sur papier, protégées par un verre qui n’est pas antireflet, souffrent quelquefois de reflets gênants. Toutefois, il faut souligner le soin particulier des organisateurs pour assurer une mise en lumière aussi irréprochable que possible.
Les textes de Brigitte Manoukian, présidente de l’association Fontaine Obscure, introduisent avec simplicité et efficacité chaque confrontation. Ils sont ingénieusement vidéoprojetés, dans une tonalité bleu clair, au début de chaque cimaise. Le texte d’introduction se détache avec élégance sur un voilage dont la transparence laisse circuler le regard.
La signalétique sobre permet d’identifier clairement photographes et séries.
« Regards Croisés » mérite sans aucun doute un passage par la Galerie Zola à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence.
Le commissariat de l’exposition est assuré conjointement par La Fontaine Obscure et Loft Photo 9-46 Gallery à Bruxelles. « Regards Croisés » devrait être présentée à Bruxelles dans les Galeries du Loft Photo entre mi-janvier et fin février 2017.
À lire, ci-dessous, la présentation des cinq « Regards Croisés », extraite du dossier de presse.
Le Festival Phot’Aix, c’est aussi les Parcours, une série d’expositions organisées dans plus d’une trentaine de lieux de la ville qui accueillent prés de 50 photographes autour de sept thèmes.
En savoir plus :
Sur le site de La Fontaine Obscure
Sur la page Facebook de La Fontaine Obscure
Sur la page Facebook du festival Phot’Aix
Sur les sites des photographes Jef Beirinckx, Nathalie Mazéas, Sabrina Biancuzzi, Gaëlle Abravanel, Roel Jacobs, Pierre-Emmanuel Daumas, Benjamin Leveaux, Didier Bizet, Simon Vansteenwinckel et Mamadou Dramé.
Les Regards Croisés de Jef Beirinckx, Purim of Antwerp et Nathalie Mazéas, No Man
Deux séries photographiques réalisées à des milliers de kilomètres de distance, à Anvers pour « Purim of Antwerp« , en Californie pour « No man’ ». Jef Beirinckx et Nathalie Mazéas captent des moments, des lieux, des situations, un évènement, comme pour fixer dans l’image leurs découvertes, même s’ils sont bien loin d’une exploration documentaire.
Jef Beirinckx
Purim of Antwerp / Pourim à Anvers
Chaque année, au cours des deux jours qui marquent les vacances de Pourim, le quartier juif orthodoxe de « Belgiëlei » à Anvers (B) est transformé de sa normalité collet monté en une célébration carnavalesque. Les enfants s’habillent avec des costumes recherchés, les adultes sont encouragés à boire « jusqu’à ce qu’ils ne se rappellent plus de leur noms », et les rues grouillent d’acteurs minuscules assumant des identités alternées. C’est fascinant. J’ai marché dans le voisinage à la recherche de cette poésie surréaliste. Pourim est la célébration de l’histoire des juifs survivants à travers les siècles dans les pires circonstances.
Nathalie Mazéas
No Man
L’acte photographique relève pour moi d’une très grande intimité. C’est presque le seul moyen de me sentir vivante. Passer par le prisme de l’image pour me comprendre, accéder au monde qui m’entoure ou ne rien y comprendre du tout et apprivoiser d’autres codes. Chercher la limite entre le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire, l’homme et la femme, le beau et le laid, le bien et le mal. L’ambiguïté me happe à chaque coin de rue entre architecture oppressante et abandon du corps. Je ne sais plus si les gens que je croise se cachent ou s’ils sont réellement ce qu’ils montrent. Ils semblent sortir d’un film. Leurs errances me touchent. C’est un travail que j’ai réalisé entre Los Angeles et San Francisco en novembre 2015 après avoir réussi à quitter, sur une route de campagne aux fins fonds de l’Amérique, un homme qui m’humiliait. J’étais parti pour me confronter aux paysages.
Les Regards Croisés de Sabrina Biancuzzi, Le crissement du temps et Gaëlle Abravanel, Family Tree
Telles des archéologues, Sabrina Biancuzzi et Gaëlle Abravanel analysent les strates temporelles émotionnelles sur lesquelles se construisent nos histoires. Les leurs et les nôtres.
Sabrina Biancuzzi
Le crissement du temps
« Un assourdissant silence » Un univers sombre. De rares silhouettes humaines, plus fantomatiques que réellement incarnées. Des espaces vides, expurgés de toute vie. Des objets abandonnés, en attente des protagonistes d’une pièce de théâtre qui n’aura pas ou plus lieu. Le temps est paradoxe dans les images de Sabrina Biancuzzi : il semble à la fois avoir déserté les lieux représentés et fi gé le vivant, comme gelé sous un inextricable glacis de gris. Le temps parait pourtant imperceptiblement faire son office. Sournoisement et inexorablement en marche. Les oeuvres de Sabrina Biancuzzi deviennent sonores. Elles bruissent, grincent, soufflent, râlent. Elles ponctuent l’existence de l’artiste. Nous les contemplons alors à l’aune de nos propres destinées. Elles sont les comptables des heures qui s’égrènent et nous rapprochent un peu plus de l’heure ultime. Nul besoin des aiguilles de la pendule pour nous rappeler la fuite du temps. Les objets (chaises, lits, statues, poupées…) sont les vestiges d’un passé, la trace d’une histoire, le symbole du trépas des êtres aimés. Ce vide nous renvoie à notre propre disparition, à notre condition mortelle et éphémère. À cette enfance révolue dont les traces sont pourtant si profondes, gravées à jamais dans la mémoire. Les lieux (église, chambre, bois, chemins humides…) sont emplis d’un assourdissant silence, où viennent poindre des sons inquiétants, révélant les angoisses qui taraudent l’artiste.
Gaëlle Abravanel
Family Tree
Family Tree met en images une destinée génétique déployant des émotions, sensations de personnes souffrant de syndrome bipolaire. Pour cela, j’ai utilisé des techniques de manipulations manuelles afin de faire percevoir une vulnérabilité génétique. Plus le degré de parenté s’éloigne, plus le risque diminue. J’ai essayé de remonter le temps tel un archéologue et de retrouver les liens de la généalogie familiale avec une préférence pour le féminin. J’ai pour cela dessiné sur mes photographies et sur d’anciennes cartes, procédé à des collages, à des encrages. Ce travail s’appuie pour cette étude sur une collaboration avec le Docteur Hantouche spécialiste dans les maladies des troubles de l’humeur. Cette première série FamilyTree exprime en image une des causes possibles de cette maladie: la génétique.
Les Regards Croisés de Roeland Jacobs, Des belges sans voisins et Pierre-Emmanuel Daumas, Dans 30 km, tourner à gauche
Deux collections d’images qui chacune forme un tout, invente une manière de voir, de révéler et de faire exister ces maisons isolées pour Roel Jacobs, ou ces constructions qui semblent se désoler pour Pierre-emmanuel Daumas.
Roel Jacobs
Des belges sans voisins
Elles n’ont ni vis-à-vis, ni voisines directes sur lesquelles s’appuyer : les « maisons mitoyennes isolées » sont typiques de la Belgique. Un phénomène rare et bizarre. Je suis fasciné par leur « absurdité » et leur « présence éternelle ». Captées à une saison où aucune végétation ne détourne l’attention du spectateur, ces images des maisons deviennent des portraits surréalistes de notre paysage. J’ai commencé à les rechercher dans tout le pays et à les répertorier. Ensuite, je suis retourné les photographier avec une chambre technique Linhof Technika 13/18, sur des diapositives Fujichrome Provia.
Pierre-Emmanuel Daumas
Dans 30 km, tourner à gauche
Évidemment, il y a la solitude qui se dégage de ces infrastructures « anachroniques » au milieu de paysages simples, beaux, mais pourtant désolés. Loin de vouloir répertorier et suivre un protocole aussi strict que les photographes Becher, il y a néanmoins cette interrogation du rapport entre architecture fonctionnelle et perception esthétique. Cependant, la distance éloignée de la prise de vue permet de créer un nouveau dialogue entre l’architecture et le paysage et, ainsi, d’appréhender comment l’un enrichit l’autre et vice versa.
Les Regards Croisés de Benjamin Leveaux, This is not America et Didier Bizet, Pyongyang Paris
Dans les deux séries, les images invitent à rechercher des indices, des repères, des certitudes peut-être, et nous renvoient à un questionnement sur ces filtres et grilles de lecture qui accompagnent notre perception du monde, de ces lieux où l’on vit, même ceux que l’on croit bien connaître.
Benjamin Leveaux
This is not America
La série présentée ici offre une représentation parmi d’autres, née de la rencontre des fantasmes de son auteur et de ceux qui la font vivre, les sujets photographiés à travers la Belgique. De fait, chaque prise de vue trouve son origine sur le territoire belge et, pour la grande majorité, dans la seule province de Liège. L’intention avouée est bien de jouer sur les illusions, celles-là mêmes qui permettront peut-être de transporter le spectateur sur un autre continent – s’il le consent. C’est du moins le voyage auquel il est invité par l’auteur, lorsque celui-ci en appelle à ses propres rêveries, tirées de cette poignée d’années qui l’ont vu grandir dans les grands espaces canadiens. Le titre de la série, «This is not America» s’offre au spectateur telle une piste, voire une forme d’avertissement supposé susciter devant ces images, questionnements et interpellations sur leur nature propre.
Didier Bizet
Pyongyang Paris
Spectacle gigantesque à l’échelle de tout un pays, mis en scène par la dictature pour les touristes, la Corée du nord offre continuellement les mêmes images. Témoigner sur place avec objectivité est chose quasi impossible. Le touriste, comme le journaliste, est orienté pour capter des images selon des angles bien particuliers, mais surtout selon un scénario écrit et interprété par des «acteurs». Cette série photographique est elle aussi une fiction, elle n’a pas vocation de témoignage littéral. Elle est la suite de ce « récit » photographique que j’ai rapporté de mon voyage à Pyongyang en 2012. Mes images de Pyongyang-Paris montrent une réalité qui s’entremêle avec une fable moderne. J’ai réglé ma mise en scène avec ce touriste nord coréen tel que mes guides ont gentiment organisé la leur à Pyongyang. Mes images s’entrecroisent entre Pyongyang et Paris : un va et vient qui s’organise autour d’un parallèle fictif. Ce nord coréen si désuet découvre également un Paris «cliché» qui lui rappelle à son insu que l’échappatoire est impossible. Ce parallèle me permet d’essayer de comprendre ce qui nous est caché en Corée du nord. Quel est le réel quotidien de ces acteurs, que se passe t-il en coulisse ?
Les Regards Croisés de Simon Vansteenwinckel, Charlyking et Mamadou Dramé, ZUP – Zone Urbaine Photographique
Le point commun de ses deux photographes, hormis l’écriture photographique, est ce regard bienveillant et sans concession sur une situation économique, une zone géographique et une population que l’élite ne veut pas regarder. Tous deux questionnent la ville, invitent à une réflexion sur la représentation, les stéréotypes, les imaginaires.
Simon Vansteenwinckel
Charlyking
Ces images font partie d’une série que j’ai débutée en 2011 sur la ville de Charleroi en Belgique. Autrefois cité industrielle prospère, Charleroi n’est plus aujourd’hui que le fantôme d’elle-même. Les usines ont fermé les unes après les autres, entraînant la ville belge dans un déclin économique et social irrémédiable, malgré les efforts de la municipalité pour maquiller la reine déchue. La région de Charleroi est communément appelée le « Pays Noir », en rapport à ses mines de charbon. Charleroi a d’ailleurs été présentée comme la “ville la plus laide du monde” par un journal allemand. Aujourd’hui, quelques initiatives sont mises en place pour tenter de redorer le blason de la ville, mais elles ressemblent plus à un sparadrap sur une hémorragie. Cette série d’images tente d’illustrer la ville et sa situation, entre fantasme et fantasmagorie, entre rêve américain et cauchemar belge. Au niveau technique, toute la série a été faite avec un boîtier Holga 120 et du film noir et blanc. J’ai choisi cet outil car je trouvais que son rendu flou, sombre et aléatoire, convenait parfaitement au sujet.
Mamadou Dramé
ZUP- Zone Urbaine Photographique
« Filme ce que tu connais », cette citation de Martin Scorsese résonne dans ma tête lorsque je pars à la chasse aux images dans cette ZUP, que je connais si bien. Je veux mettre en lumière la pluralité des identités de la banlieue, dans une démarche quasi-documentaire, j’observe les mécanismes qui menacent de foutre en l’air les cités, nous, les concernés, sommes sourds, aveugles, ne voulant rien faire, se laissant traîner. Je ne prétends pas avoir la réponse mais mettre cette question en image est devenu une nécessité, quelque chose qui me dépasse, comme un instinct primaire qui m’enjoint à capturer l’instant. En fait, pour moi, c’est tout vu, c’est photographier ou finir par voir le moisi ronger la cité. Mes photos sont un appel à s’extirper du carcan qui inconsciemment s’est construit au sein même de nos esprits, elles visent à révéler que le mensonge n’est pas ailleurs mais bien ici, résidant dans une volonté partagée de ne pas voir, de ne pas comprendre, une anesthésie locale, qui nous fait regarder ailleurs quand la gangrène nous bouffe les pieds.