Il reste quelques semaines (jusqu’au 19 février 2017) pour faire ou refaire la très belle Promenade à laquelle nous convie Sandra Patron dans la sélection qu’elle a effectuée parmi les 170 œuvres déposées pour 5 ans par le CNAP (Centre national des Arts Plastique) au MRAC (musée régional d’art contemporain) de Sérignan.
On y découvre avec beaucoup de plaisir une quarantaine d’œuvres signées : Xavier Antin, Thomas Bayrle, Katinka Bock, documentation céline duval, Jimmie Durham, John Giorno, Andy Goldsworthy, Carsten Höller, João Maria Gusmão & Pedro Paiva, Mike Kelley, Alison Knowles, Katinka Lampe, Guillaume Leblon, Allan McCollum, Adrien Missika, Joan Mitchell, Matt Mullican, Dieter Roth, Georges Tony Stoll, Gérard Traquandi James Turrell, Kelley Walker.
L’exposition emprunte son titre à un texte de Robert Walser, écrivain et poète suisse de langue allemande. Dans cette nouvelle, Wasler raconte une envie matinale de quitter son cabinet de travail, de dévaler l’escalier, de se précipiter dans la rue, pour une promenade…
Dans son texte de présentation, Sandra Patron, directrice du Mrac et commissaire de cette exposition, précise :
« À l’instar du livre de Walser, l’exposition éponyme sert de fil conducteur à des émotions, des idées et des sensations livrées au fil de la balade de l’exposition. Les artistes ont cette capacité à renouveler notre regard sur le monde et à introduire un jeu avec les fantasmes d’un ailleurs qui métamorphose le réel et notre quotidien. Le paysage traversé est également un paysage mental, qui, entre rêve et réalité, nous permet, comme le souligne Walser, “de donner de la vivacité et de maintenir les liens avec le monde” ».
Sans prise de tête et sans discours alambiqué, cette promenade est une succession de moments jubilatoires qui se partage avec plaisir et dont le bonheur se renouvelle à chaque visite.
À de très rares exceptions, l’accrochage, souvent subtil, laisse à chaque œuvre l’espace nécessaire, sans s’interdire quelques rapprochements perspicaces et délicats. Il construit un parcours fluide avec plusieurs perspectives heureuses et ménage quelques surprises qui rythment la promenade.
Chaque salle est conçue avec beaucoup de cohérence, sans pour autant forcer le regard. L’exposition offre au visiteur la liberté de bâtir son expérience de visite et d’imaginer ses propres histoires. Avec simplicité et pertinence, les textes du guide d’exposition apportent les précisions utiles à la compréhension des œuvres.
À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite et quelques informations sur le dépôt du CNAP.
En savoir plus :
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Les œuvres exposées sont cataloguées dans la collection en ligne sur le site du CNAP
Dans le compte rendu ci-dessous, plusieurs liens revoient vers des informations en ligne à propos des artistes et/ou des œuvres.
La Promenade : un compte rendu de visite
João Maria Gusmão & Pedro Paiva, Carsten Höller, Andy Goldsworthy, Matt Mullican, Joan Mitchell et Adrien Missika…
Ouverture sur la nature. La ballade débute dans l’étrange ambiance sonore hawaïenne du film « Black Sand Beach » d’Adrien Missika…
Au centre, collection improbable et hétéroclite, les surprenantes sculptures en bronze de João Maria Gusmão & Pedro Paiva construisent un horizon sombre.
Derrière, se détache une série de portraits photographiques d’oiseaux aux teintes un peu fanées… Un regard plus attentif et la lecture du livret révèlent l’usage de la poudre d’or pour ces « Canary », icônes d’oiseux hybrides, manipulations génétiques de Carsten Höller. Stériles, ils sont donc « à la fois le premier et le dernier de leur espèce »…
Curieuse et dérangeante interrogation sur la création, la responsabilité de l’artiste et du scientifique !
En face, pas de discours ni de messages dans les deux lithographies de Joan Mitchell (« Champs », 1991)… Juste du rythme, de la force, de la couleur et le sentiment d’un rapport très particulier avec la nature.
La collaboration avec la nature et l’environnement est directe pour Andy Goldsworthy et la trace laissée sur le papier par la fonte d’une boule de neige colorée (« Scaur Water Snowball, Morecambe Bay Stone »,1992).
Nature avec des nuances rouges étranges pour la photographie « Sans titre (Try and beat this, Mars) », 2003 de Matt Mullican qui termine cette première salle. Dans cette série, l’artiste américain produit un monde imaginaire à partir de photographies de paysages issues du National Géographic des années 30.
James Turrell, Gérard Traquandi et Guillaume Leblon
Noir et or pour cette petite salle qui contraste avec la lumineuse « Cabane éclatée » de Daniel Buren, œuvre emblématique du Mrac…
L’accrochage s’organise autour de cinq gravures à l’aquatinte de James Turrell de sa série « Moon ». Cet ensemble s’inscrit dans l’ambitieux projet de Turrell du cratère Roden, un volcan éteint du Painted Desert dans l’Arizona.
Un magnifique, sombre et mystérieux résinotype noir de Gérard Traquandi (« Les Mesnuls 2 ») répond étrangement au travail de Turrell. Le rendu fascinant de ses tirages est le résultat d’un complexe processus où se mêlent photographie et peinture…
Au sol, une des boîtes énigmatiques de Guillaume Leblon. Le titre de ce « conteneur de vie », « Chrysocale I (Set d’habits) » laisse imaginer toutefois ce qu’il renferme. Les reflets dorés du métal tressé (alliage de cuivre, de zinc et d’étain) donnent un caractère précieux à ce chrysocal qui tranche avec les œuvres ténébreuses, mais peut-être moins hermétiques de Turrell et Traquandi.
Mike Kelley, Katinka Lampe, Jimmie Durham, Kelley Walker et John Giorno
À mi-parcours, cette salle rassemble quelques-unes des œuvres les plus remarquables du dépôt fait par le CNAP.
Au centre, en majesté, « Spread-Eagle », sculpture en papier mâché et résidus du quotidien de Mike Kelley. Regard acide et ironique de l’artiste sur l’aigle aux ailes déployées, symbole de la puissance économique ou culturelle des États-Unis…
Fixées sur trois panneaux de bois par de la colle et des agrafes, les projections de peinture sont les traces d’une performance de Jimmie Durham, « Almost spontaneous » (2004) dans laquelle l’artiste amérindien jetait du haut d’une mezzanine une pierre dans des pots de peinture.
Pour Jimmie Durham, militant de la cause amérindienne, la pierre est à la fois un objet symbolique, l’arme du manifestant et un outil qui a souvent joué un rôle essentiel dans la production de ces œuvres…
Ces trois panneaux de Durham font un écho formidable à la toile de Kelley Walker qui leur fait face. Dans cette œuvre de sa série « Black Star Press », Kelley Walker utilise une image d’émeute publiée par Life Magazine, employée par Andy Warhol, pour Race Riot, en 1963. Après une rotation et un recadrage, l’image, sérigraphiée avec du chocolat, est ensuite imprimée en numérique sur une toile.
Dans ce contexte, les deux pièces de John Giorno (« Chacun est une déception totale » et « Millions Of Stars Come Into My Heart, Welcome Home », 2005) ont un peu du mal à exister…
C’est aussi le cas de la peinture de Katinka Lampe qu’on espère revoir dans une autre situation.
Allan McCollum et Thomas Bayrle
« The Shapes Project » de l’américain Allan McCollum a de quoi donner le vertige… Sa dimension utopique laisse songeur : offrir à chacun une œuvre unique, d’une valeur égale parmi les 31 milliards de formes que le projet peut générer et ainsi « répondre » à la question angoissante de sa disparition irrémédiable…
Pour cela, McCollum a imaginé un système aléatoire et combinatoire à partir d’une forme subdivisée en 4 puis en 6 parties qui lui permet de produire jusqu’à 31 milliards de formes différentes, les « Shapes ».
L’exposition présente sur six étagères un ensemble de 144 monotype, échantillon de ces formes dont l’ouvrage « The Book of Shapes » donne les bases d’une production qu’Allan McCollum seul ne pourra pas mener à bien…
On reste assez interloqué devant les deux œuvres de Thomas Bayrle, créées en 1972 (« Sparbuch » et « Börsenbericht, »). Témoins d’une pratique artistique pas si éloignée du Pop Art ou de l’Art optique, le regard subversif et critique de ces sérigraphies conserve une certaine « fraîcheur » !
La confrontation du travail de Thomas Bayrle avec le « Shapes Project » d’Allan McCollum donne matière à réflexion…
Xavier Antin, Dieter Roth, Alison Knowles, documentation céline duval
L’imposante installation de Xavier Antin au centre de la dernière salle de l’enfilade attire inévitablement l’attention par ses dimensions. Le titre de son installation « News from Nowhere, or An Epoch of Rest » reprend celui d’une nouvelle publiée en 1890 par William Morris, anticipation d’une Angleterre retournée à la nature au début du XXIe siècle, où s’est installé un socialisme utopique… Xavier Antin imagine comment Morris aurait produit des tapisseries dans ce contexte. Pour cet ensemble de toiles imprimées, il « rejoue » l’Art and Crafts de William Morris avec des moyens entièrement numériques. Xavier Antin commence par filmer en vidéo des fleurs dans un parc. Ensuite, il capture ces vidéos en mouvement avec un scanner et obtient une image « bougée », en mouvement qui rappelle un peu les nymphéas de Monet. L’image est alors reproduite sur la toile avec une imprimante à jet d’encre qu’il a bidouillée…
Le résultat a un caractère décoratif évident ce qui n’a rien de surprenant pour ce jeune artiste formé à l’École Nationale Supérieur des Arts Décoratifs de Paris et au Royal College of Art de Londres. Mais au-delà, Xavier Antin nourrit une inintéressante réflexion sur l’appropriation des outils numériques. Il développe ce sujet dans un épisode de la série L’Atelier A à voir sur Arte Creative.
Impression et travail expérimental plus ancien pour Dieter Roth : En 1971-1972, il entreprend « Eine Muse », une série où il devait produire chaque semaine une lithographie en utilisant toujours la même pierre. Sur les 52 prévues, seules 12 planches seront en fait imprimées.
Impression encore avec les 18 sérigraphies sur papier d’Alison Knowles, un des membres fondateurs du mouvement Fluxus. Chaussures brûlées trouvées sur une plage de Naple et étiquette de cagette d’oranges de la marque « Leone d’Oro » évoquent les objets aux origines énigmatiques des laisses de mer…
Impressions toujours, mais sur papier glacé… et feu de cheminée pour la série « Les allumeuses » de documentation céline duval.
Nous n’avons certainement pas accordé le temps nécessaire à ces trois vidéos. On renvoie donc au site dédié à ce projet et au billet de « Lunettes Rouges » à propos de l’exposition présentée par Semiose.
Ces œuvres assez longues (de 6 à 13 minutes) ne méritent-elles pas une autre présentation que des écrans de format réduits, accrochés comme des tableaux ? Stationner 26 minutes devant ces moniteurs exige une certaine endurance ou un très vif intérêt pour le travail de documentation céline duval… Sauf à considérer qu’un bref regard est suffisant…
Katinka Bock, Georges Tony Stoll
Le parcours s’achève par un espace où l’accrochage pourrait évoquer une salle de classe…
Au mur, une série de dessins colorés de Georges Tony Stoll (« Le Caustique lunaire », 2006) engagent à toutes les dérives imaginaires…
Une table sur deux pieds, appuyée sur un mur, supporte une lourde pierre suspendue par des fils métalliques (Katinka Bock, « Haltung », 2010). Son équilibre intrigue… Faut-il y voir une autorité institutionnelle vacillante ? Le poids de son histoire ? L’obligation d’une salle d’exposition pour faire « tenir » l’œuvre d’art ?
La Promenade : à propos du dépôt du CNAP
(extraits de la présentation de l’exposition)
Grâce à la création de nouvelles réserves, le Mrac va bénéficier d’un dépôt exceptionnel d’œuvres de la collection du Fonds national d’art contemporain gérée par le Cnap. Ce dépôt long de cinq ans, exceptionnel de par son ampleur (170 œuvres déposées, soit une augmentation de 38% de la collection du musée) va permettre de découvrir des accrochages de collections plus variés, ancrés historiquement, et va permettre dès 2017 d’inviter des artistes de différents champs disciplinaires à porter un regard subjectif sur cette collection augmentée. Par ce dépôt, le Mrac rejoint ainsi une liste prestigieuse de musées français pour lesquels le Cnap a consenti à des dépôts longs, du Centre Pompidou, au Capc de Bordeaux jusqu’aux musées de Saint-Étienne ou de Grenoble.
Fruit d’une collaboration avec les équipes scientifiques du Cnap, le choix d’œuvres s’est opéré en dialogue et en intelligence avec la collection existante, fortement marquée par l’histoire artistique qui s’est développée en région, autour de Supports/Surfaces, de la Figuration Narrative et de l’abstraction géométrique. Le choix a consisté à la fois à développer la singularité de la collection du Mrac autour de la peinture et de ses enjeux, à densifier son fonds de dessins pour le cabinet d’arts graphiques mais également à combler certains écueils de la collection existante, notamment en proposant un choix plus ample d’œuvres historiques des années 1960 à 1980 ; un éventail plus large de médiums utilisés et une ouverture sur la scène internationale, prenant en compte le contexte actuel d’une création mondialisée.