Du 5 novembre 2017 au 18 mars 2018, le MRAC (Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée) Présente « Christmas on Earth Continued » une installation immersive de Maxime Rossi.
Sandra Patron, directrice du MRAC et commissaire de l’exposition présente ce projet « spécifiquement conçu pour le musée, (…) comme un thriller psychédélique des contre-cultures sixties ».
« Christmas on Earth Continued » entrecroise des références à deux moments légendaires de la culture underground à la fin des années 60. Il n’en subsiste que quelques des faits réels ou imaginaires et bon nombre de rumeurs aussi fantasques que baroques.
Si l’installation de Maxime Rossi renvoie aux recherches sensorielles expérimentées et à des lieux mythiques comme l’UFO Club de Londres ou la Silver Factory de 47e rue, jamais elle ne dérive dans la reconstitution, ou la parodie.
L’artiste convoque certains éléments de cette contre-culture dans une installation immersive dont la technologie est parfaitement maîtrisée. L’œuvre suggère des narrations troublantes et incertaines dans des paysages oniriques. Elle peut être vécue avec curiosité et jubilation sans avoir fait l’archéologie des mouvements underground de cette époque.
Toutefois, « Christmas on Earth Continued » s’adosse de toute évidence à un important travail de recherche sur les deux événements auxquels l’artiste fait référence. En connaître certains éléments ne peut qu’enrichir l’expérience de visite.
« Christmas on Earth Continued » constitue une expérience étonnante et incontournable qui ne laisse pas indifférent. C’est sans aucun doute, avec la proposition de Simon Starling, également présentée au B, une des expositions qui marquer la saison automne / hiver dans le sud de la France.
À ne pas manquer !!!
À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite, quelques éléments sur « Christmas on Earth » de Barbara Rubin et sur le concert « Christmas on Earth Continued ». Les repères biographiques à propos de Maxime Rossi et le texte d’intention de Sandra Patron sont extraits du dossier de presse.
En savoir plus :
Sur le site du MRAC
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Sur le site de Maxime Rossi
Maxime Rossi sur le site de la Galerie Allen et sur le site de la Galleria Tiziana di Caro
Dirty Songs Play Dirty Songs sur le site bandcamp.com (extraits des 21 morceaux)
Le dossier « Louie Louie » sur le site du FBI
À propos du « Christmas on Earth » de Barbara Rubin sur le site de The Brooklin Rail et sur celui de Mouvement.net
À propos du concert « Christmas on Earth Continued » sur le blog Liberal England
« Christmas on Earth Continued » – Un compte rendu de visite
Un dispositif de projection…
L’installation s’articule autour d’un dispositif de projection constitué par trois structures placées en diagonale, au centre de l’exposition.
Dans son texte d’intention, Sandra Patron décrit avec exactitude ce à quoi le visiteur est confronté :
« Une installation immersive qui compose une partition musicale et visuelle, les différents sons et images spatialisés et diffractés agissant comme les indices de cet événement psychédélique imaginaire. Grâce à un algorithme qui remonte constamment les images du film en temps réel, l’exposition est orchestrée pour jouer de versions et d’interprétations sans aucune boucle ni répétition, proposant au spectateur une expérience directe et sensorielle à la manière d’un concert live, sous forme de dédicace contemporaine à la chanson “Louie Louie” ».
Les séquences vidéos réalisées par Maxime Rossi entremêlent des morphings kaléidoscopiques du visage de Phil Miton dont les transformations laissent deviner les sexes féminins, des boules de Noël qui se liquéfient, des fluides écumeux et indéterminés, des animations d’éléphants à la Disney ou encore d’improbables paysages sulfureux…
Ces images font référence à deux éventements légendaires des années 60 auxquels l’installation emprunte son titre :
- Le film « Christmas on Earth », tourné en 1963 par Barbara Rubin mais aussi au scénario farfelu et halluciné de « Christmas on Earth Continued » qu’elle écrit en 1965.
- Un concert mythique, intitulé « Christmas on Earth Continued », organisé le 22 décembre 1967 à l’Olympia de Londres.
Du film de Barbara Rubin, on retrouve l’évocation des scènes de sexe, la surimpression des images et les filtres colorés qu’imposait le dispositif de projection qu’elle avait alors imaginé. Du script de 1965, sont certainement inspirés les éléphants à la Disney et peut-être quelques paysages chimériques.
Du concert de 1967, on reconnaît l’héritage des « Liquid Light Shows » qui accompagnaient les groupes sur scène. Les « Light Shows » de Mike Leonard pour Pink Floyd comme ceux Mark Boyle et Joan Hills (Liquid Light Environments) pour Soft Machine ont marqué l’histoire du légendaire UFO Club de Tottenham Court Road à Londres.
Bien entendu, l’influence essentielle de ce concert se retrouve dans la musique de « Dirty Songs » qui structure l’installation autant que les images…
Un programme informatique construit un montage aléatoire qui ne cesse de se réinventer. Aux images de Maxime Rossi, il associe des séquences sonores extraites de « Dirty Songs Play Dirty Songs », une vingtaine de compositions écrites par David Toop à partir de conversations avec Maxime Rossi.
Pour ce projet, David Toop a rassemblé des musiciens d’exception de la scène du jazz et des musiques improvisées européennes avec l’étonnant vocaliste Phil Minton, le saxophoniste Evan Parker, le multi-instrumentiste Steve Beresford et le batteur Mark Sanders.
Les textes des morceaux de « Dirty Songs Play Dirty Songs » interprétés par Phil Minton sont en partie extraits d’un dossier du FBI où l’analyse considère les paroles de « Louie Louie » comme obscènes et subversives.
La musique de « Dirty Songs » revendique une forte filiation avec celles de Soft Machine (époque Robert Wyatt) et du Pink Floyd (époque Syd Barret) des années 1967-68, mais aussi du « Kick Out the Jams » (1968) du MC5, ou encore de « Cosmic Tones For Mental Therapy » (1967) de Sun Ra et de son Myth Science Arkestra…
Les compositions de « Dirty Songs Play Dirty Songs » seraient une tentative pour « retrouver » un morceau du Pink Floyd, interprété lors du festival « Christmas on Earth », en décembre 1967. Selon David Toop, cette longue improvisation, mixant plusieurs tubes des Sixties, dont « Louie Louie », pourrait être la musique jouée en live, jamais enregistrée, perdue puis retrouvée qui aurait accompagné les projections du film « Speak » du plasticien anglais John Latham…
Un mur…
Ce dispositif de projection est accompagné par une vaste « fresque » qui occupe tout le mur, à droite de l’espace d’exposition. Maxime Rossi y reproduit des extraits hallucinés du script de « Christmas on Earth Continued », probablement écrit sous l’effet du LSD ou d’autres psychotropes. À cette période, Barbara Rubin, très proche d’Allen Ginsberg, était une personnalité marquante de la scène underground new-yorkaise.
Cette « fresque » débute pas un « Boooooom ! », puis elle se poursuit par les lignes de points qui se terminent par un « etc ». Elles reprennent un peu plus loin, en émergent des « enlessly » qui se décomposent ou s’étirent à l’infini en « end…end…end… » ou en « less…less…less… ».
De cette trame surgit ici un « AAAAAAAAAAA ! » qui forme presque un cercle, là quelques vagues de « ooohooo », puis un « NO MORE WORK FOR EVER AND EVER ever ever ever ».
Au centre, un invraisemblable casting est introduit par un « DESIRED STARS AND HEROS & HEROINES ». On y trouve entre autres : « BEATLES, CHARLIE CHAPLIN, MARLON BRANDO, LENNY BRUCE », mais aussi « BRIGITTE BARDOT, ANDY WARHOL, ALLAN GINSBERG, GERAD MELANGA, BELMONDO, STAN BRAKHAGE… ».
L’ensemble est éclairé par des projecteurs dont les spots circulaires alternent les zones éclairées et sombres. Leurs découpes rappellent des projections de l’installation au centre de l’espace.
Dans les zones d’ombre, des petits vidéoprojecteurs présentent alternativement des séquences similaires à celles que l’on peut voir sur les écrans de l’installation principale.
À quelques centimètres du mur, sept prismes acoustiques, conçus par Maxime Rossi, diffusent de manière cyclique la voix de Phil Minton…
Des produits dérivés….
Un ensemble de vêtements (veste, imperméable, coupe-vent, tee-shirts…) et de chaussures complètent l’installation « Christmas on Earth Continued ».
Au pied du mur qui déroule une partie du script de Barbara Rubin, on découvre une étonnante série de bottes et de bottines où quelques mots du scénario s’impriment en vert sur le cuir blanc de ces souliers !
En face, une série de tee-shirts sont suspendus aux planches de sérigraphies utilisées pour l’album de « Dirty Songs »… On y reconnaît certains des acteurs souhaités par Barbara Rubin pour le casting de son « Christmas on Earth Continued », avec entre autres les Beatles ou Elizabeth Taylor dans « Une chatte sur un toit brûlant »…
Plusieurs vêtements, accrochés dans l’installation, sont couverts du logo « Dirty Songs Play Dirty Songs » présent sur la pochette du disque. Clin d’œil à la mode qui a aussi fait les Swinging Sixties, on peut aussi comprendre cet « accrochage » vestimentaire comme un regard ironique sur le merchandising indissociable aujourd’hui de tout événement culturel…
Certains de ces produits dérivés, siglés « Dity Songs » sont disponibles à la boutique du MRAC, en complément du LP « Dirty Songs Play Dirty Songs » !
À propos de « Christmas on Earth » de Barbara Rubin
En 1963, à 17 ans, Barbara Rubin vient de rejoindre la « Film-Makers’ Cooperative ». Elle emprunte une caméra 16mm à Jonas Mekas, figure emblématique du cinéma underground américain. D’abord intitulé « Cocks and Cunts », « Christmas on Earth » est tourné en vingt-quatre heures avec cinq protagonistes dénudés et grimés (une femme et quatre hommes, dont Gerard Malanga). Dans l’appartement que partage Tony Conrad et John Cale, dans le Lower East Side, les scènes de sexe gay et hétéro s’enchaînent.
Le titre finalement choisi fait référence à « Matin » d’Arthur Rimbaud dans « Une saison en enfer ».
Les deux bobines de film devaient être projetées simultanément, l’une sur l’autre. Les images de la première (les scènes de sexe) étaient réduites d’un tiers en utilisant un objectif à focale plus longue. Les films tournés en noir et blanc étaient colorisés par des filtres utilisés de manière aléatoire par le projectionniste. Selon les instructions de Barbara Rubin, la projection devait être accompagnée par la diffusion en direct d’une station de radio.
L’appartement où a été filmé « Christmas on Earth » a ensuite été occupé par Sterling Morrison et Lou Reed qui y aurait enregistré la première version de « All Tomorrow’s Parties », à l’été 1965.
La légende – que plusieurs témoignages confirment – rapporte que Rubin aurait présenté The Velvet Underground à Andy Warhol, en 1965 au Café Bizarre dans Greenwich Village.
Ce qui est certain, c’est que « Christmas on Earth » a été projeté avec une performance du Velvet Underground, en février 1966, à la Film-Makers’ Cinematheque de New York.
Cet événement « Up-Tight », imaginé par Andy Warhol, fut la première version des « Exploding Plastic Inevitable (EPI) ». Organisés par Warhol entre 1966 et 1967, ces EPI ont probablement influencé les light shows qui accompagnaient les concerts de rock en Californie et à Londres au cours de l’année 67. Barbara Rubin, compagne un temps d’Allen Ginsberg, amie de Donovan fut une des personnalités marquantes de la première Factory. Selon Malanga, elle était une des rares personnes que Warhol écoutait avec d’attention.
Son implication dans « Exploding Plastic Inevitable » a été de courte durée. Très vite elle a été obsédée par l’écriture du scénario délirant de « Christmas on Earth Continued » où elle envisageait la participation de tous ses héros, y compris Walt Disney, les Beatles et Jean Genet et la construction d’une « Cité des fées » en Irlande…
De ce projet farfelu, il reste un script de 41 pages, conservé dans plusieurs bibliothèques universitaires américaines et réédité dans un des trois volumes du catalogue qui accompagnait l’exposition à la Boo-Hooray Gallery, en 2013.
À propos du concert « Christmas on Earth Continued »
Le deuxième événement auquel le titre de l’exposition fait référence est « Christmas on Earth Continued », un concert organisé le 22 décembre 1967 à l’Olympia de Londres.
À l’affiche, entre autres, on trouvait The Jimi Hendrix Experience, Tomorrow, The Move, Eric Burdon et les Animals, Soft Machine et Pink Floyd. En plein hiver, Londres rejouait le festival de Monterey et prolongeait le Summer of Love…
Trois tours étaient installées pour projeter light shows (parfois en « 3D ») et films underground sur les écrans des deux scènes où se succédaient les artistes. Les jeux de lumières ont semble-t-il marqué durablement les spectateurs de ce « Christmas on Earth Continued »…
Ni l’affiche ni l’ampleur du dispositif scénique n’empêchèrent pas le désastre financier.
Il reste peu de choses de ce qui était qualifié de « All Night Christmas Christmas Dream Party ». Le film prévu fut abandonné. Seuls quatre titres interprétés par le trio de Jimi Hendrix en sont une des rares traces.
Ce concert marque aussi un tournant dans l’histoire de Pink Floyd. Les témoignages concordent pour dire que la prestation du groupe fut catastrophique en raison de l’état mental de Syd Barrett dont ce fut la dernière scène avec Pink Floyd.
Maxime Rossi – Repères biographiques :
Artiste français né en 1980, Maxime Rossi vit et travaille à Paris.
Il est représenté par les galeries Joseph Allen (Paris) et Tiziana di Caro (Naples).
Diplômé en 2005 de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, son travail a été présenté au Palais de Tokyo à Paris, au Museo Madre de Turin, à la Halle des bouchers à Vienne, ainsi qu’à la Biennale de Sydney en 2014, au Kunstverein München et au Centre Pompidou à Paris pour une projection de son film « Real Estate Astrology ».
Maxime Rossi – Christmas on Earth Continued par Sandra Patron :
Procédant par collages sonores et visuels qui s’inspirent tout autant de l’histoire de l’art que de la pop culture, de la science que de la magie, Maxime Rossi développe depuis quelques années un travail fortement influencé par la musique, ses procédés scéniques, ses techniques de sample et de remix, ses logiques de production collaborative et le rapport direct et émotionnel que la musique engage avec le spectateur. Non sans malice, son travail se plaît à convoquer ces icônes musicales qui peuplent notre imaginaire collectif : des partitions de Frédéric Chopin maculées de taches produites par l’arbre qui surplombe la tombe du musicien (Père Lachaise, 2010), jusqu’à la participation de la chanteuse Emma Daumas – ex de la Star Academy, pour son projet Sister Ship (2015) – Maxime Rossi agit comme un chef d’orchestre qui reconfigure la temporalité de ses expositions à la manière d’un opéra cinétique.
Son exposition au Mrac prolonge et développe ces multiples enjeux. Spécifiquement conçue pour le musée, Christmas on Earth Continued se présente comme un thriller psychédélique des contre-cultures sixties. Le point de départ du projet est la chanson Louie Louie, un tube planétaire popularisé en 1963 par le groupe de rock The Kingsmen et repris par la suite des centaines de fois par des artistes aussi divers et prestigieux que Chuck Berry ou Iggy Pop. Ce hit connaîtra une vie mouvementée, les paroles totalement inintelligibles de son chanteur Jack Ely ayant éveillé les soupçons du redoutable directeur du FBI Edgar J. Hoover, qui craignait qu’elles aient un caractère pornographique. En pleine guerre froide, dans un moment d’intense paranoïa aux États-Unis, ses agents ont ainsi passé des mois à étirer et déconstruire la chanson pour y chercher des messages cryptés et déterminer son côté soi-disant obscène. Le titre Louie Louie aurait été par la suite repris par Pink Floyd en 1967 lors du festival de musique Christmas on Earth Continued qui restera dans les mémoires comme un naufrage artistique et financier, et qui verra la déchéance physique de rockeurs tels que Syd Barrett ou Jimi Hendrix. Le nom du festival est par ailleurs un hommage au film éponyme de 1963 de la vidéaste expérimentale Barbara Rubin, figure légendaire de l’underground américain, proche de Andy Warhol et des Velvet Underground, un film qui est une ode à la jeunesse et à ses tourments, au sexe et au rock’n roll, dans une esthétique psychédélique et érotique qui fera date.
Partant de cet entrelac d’histoires, où se mêlent faits réels, rumeurs colportées et faits alternatifs, Maxime Rossi a constitué à Londres un groupe de rock, Dirty Song, emmené par David Toop, une figure de la musique ambiant, qui a travaillé autant avec le chanteur Brian Eno qu’avec le plasticien John Latham. Au son de la voix envoûtante et gutturale de Phil Minton, vocaliste génial qui a notamment travaillé avec le plasticien Christian Marclay, Dirty Song propose une improvisation à partir de la chanson Louie Louie, sur la base des annotations du dossier du FBI, mais aussi de la version instrumentale de Pink Floyd que le groupe avait composé pour John Latham. La performance vocale de Phil Minton est filmée en studio par Maxime Rossi et donne lieu à un film à la puissance chamanique indéniable. Dans un système de rotation aléatoire générée par ordinateur, ces images du chanteur se mixent et se fondent avec celles tournées à la Solfatare en Italie, un cratère de boue sulfatée dont les éclaboussures visqueuses produisent une analogie avec le côté prétendument obscène des paroles et le magma des paroles proposées par l’interprétation de Phil Minton.
Tous ces éléments, de l’improvisation musicale à la pochette vinyle des Dirty Song, sont ensuite mixés et recomposés dans l’espace du musée. Maxime Rossi y propose une installation immersive qui compose une partition musicale et visuelle, les différents sons et images spatialisés et diffractés agissant comme les indices de cet événement psychédélique imaginaire. Grâce à un algorithme qui remonte constamment les images du film en temps réel, l’exposition est orchestrée pour jouer de versions et d’interprétations sans aucune boucle ni répétition, proposant au spectateur une expérience directe et sensorielle à la manière d’un concert live, sous forme de dédicace contemporaine à la chanson Louie Louie.
Commissariat : Sandra Patron