Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors au CACN – Nîmes

Jusqu’au 24 mars 2018, le CACN – Centre d’Art Contemporain de Nîmes – présente « Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors ». Cette quatrième exposition rassemble des œuvres de Nicolas Daubanes, Paul Heintz, Sarah Kowalczewski et Laure Tixier autour de l’univers carcéral.

Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors au CACN – Nîmes. Vue de l'exposition
Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors au CACN – Nîmes. Vue de l’exposition

Après la mémorable « disparition des lucioles » qu’Éric Mézil avait proposée à la prison Sainte-Anne d’Avignon, il fallait un certain culot et probablement un peu d’inconscience pour revenir sur un tel sujet… Néanmoins, il faut bien reconnaître que le projet du CACN est opportunément en phase avec l’actualité immédiate.

À lire le texte d’intention de Bertrand Riou, directeur du CACN et commissaire de cette exposition, la situation pénitentiaire, la dégradation des conditions de détention en France et en particulier à la maison d’arrêt de Nîmes semblent être à l’origine de ce projet.
S’y ajoutent les inévitables références aux multiples initiatives de soutien et d’aide aux prisonniers dont « les ateliers de création délégués à des écrivains et des artistes ».
Enfin, Bertrand Riou affirme, au-delà d’une certaine solidarité, la volonté de « (…) proposer dans notre contexte, par le biais d’une réflexion ouverte, une visibilité la plus accrue possible durant ces deux prochains mois ».

Nicolas Daubanes, La Petite Roquette - Paris, 2017 - CACN Nîmes
Nicolas Daubanes, La Petite Roquette – Paris, 2017 – CACN Nîmes

Le choix des artistes retenus « Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors » est particulièrement pertinent. On suppose que la sélection des œuvres a été contrainte par les moyens d’un centre d’art qui n’a pas encore fêté son premier anniversaire. Quant aux quelques remarques que l’on peut hasarder sur l’accrochage et la scénographie, elles sont très probablement liées également aux ressources d’une structure débutante.

Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 et Nicolas Daubanes, Stutthof (Mirador), 2017- CACN Nîmes
Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 et Nicolas Daubanes, Stutthof (Mirador), 2017- CACN Nîmes

Il faut souligner la chaleur et la qualité de l’accueil réservé au visiteur du CACN. On remercie Fabien Garcin, chargé des publics, pour son accompagnement lors de notre passage. Tout indique qu’un effort important est fait en direction du public, des étudiants, des amateurs d’art contemporain à Nîmes, mais aussi vers le voisinage immédiat du centre.
En quelques mois, le CACN a fait preuve d’un dynamisme remarquable avec quatre expositions et la publication de deux numéros de la revue « Coopérative Curatoriale ». On souhaite donc qu’il trouve le soutien mérité auprès des institutions locales et régionales.

CACN - Centre d’Art Contemporain de Nîmes © Photo CACN
CACN – Centre d’Art Contemporain de Nîmes © Photo CACN

Regards sur l’exposition : Nicolas Daubanes

L’accrochage accorde une place importante aux dessins à la poudre d’acier aimantée de Nicolas Daubanes de sa série « Prisons/Miradors ». Plusieurs fois exposés dans la région, les tenants et aboutissants de ces œuvres sont assez largement connus. Pour ceux qui les ignorent, l’artiste en explique intentions et pratiques sur son site.

Parmi les œuvres de cette série, on retrouve « l’Escalier de détention de la prison d’Ensisheim » qui avait marqué les éditions 2016 de Pareidolie (chez Maubert) et de Drawing room (chez AL/MA) dans leur version murale. On peut regretter l’absence d’un de ces dessins muraux, à la conservation précaire, mais au rendu intense, émouvant et particulièrement explicite.

Nicolas Daubanes, La Petite Roquette - Paris, 2017 - CACN Nîmes
Nicolas Daubanes, La Petite Roquette – Paris, 2017 – CACN Nîmes

Au fond de l’espace d’exposition, le grand diptyque « La petite Roquette », réalisé en 2017, attire inévitablement d’œil du visiteur, malgré quelques reflets désagréables sur leur verre de protection.
Exemple typique du panoptique, projet architectural du philosophe Jeremy Bentham qui fascine Daubanes, cette prison pour enfants mineurs puis pour femmes, a été fermée définitivement en 1974. Jean Genet y fut détenu en 1925 à l’âge de 15 ans. Il évoque cette période dans le Miracle de la rose. Aujourd’hui, c’est un square, le plus grand du 11e arrondissement de Paris.

Nicolas Daubanes, Toni Musulin, 2014 - CACN Nîmes
Nicolas Daubanes, Toni Musulin, 2014 – CACN Nîmes

Un « portrait de Toni Musulin » de sa série « DPS – Détenus Particulièrement Surveillés » conduit le visiteur vers la petite salle du CACN.

Nicolas Daubanes, Calepinage, prison de Montluc, Lyon, 2017 - CACN Nîmes
Nicolas Daubanes, Calepinage, prison de Montluc, Lyon, 2017 – CACN Nîmes

On y découvre « Calepinage, prison de Montluc à Lyon », un vaste panneau mural réalisé en 2017 à partir de sérigraphies trois couleurs produites par l’Atelier Tchikébé de Marseille. Cette pièce rompt avec les sombres dessins à la poudre d’acier. Elle évoque immanquablement les individus qui ont foulé le sol de cette prison militaire. Montluc a été le lieu d’internement de près de 10 000 hommes, femmes et enfants durant l’occupation allemande, et notamment des enfants d’Izieu, de Jean Moulin et de Marc Bloch.

Nicolas Daubanes, Calepinage, prison de Montluc, Lyon (détail), 2017 - CACN Nîmes
Nicolas Daubanes, Calepinage, prison de Montluc, Lyon (détail), 2017 – CACN Nîmes

Regards sur l’exposition : Laure Tixier

Face aux dessins de Nicolas Daubanes et en écho (?) avec ceux-ci, le commissaire a choisi d’accrocher les 33 plans de prisons de la série « Map with a view (géométrie de l’enfermement) » de Laure Tixier.

Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 - CACN Nîmes
Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 – CACN Nîmes

Ce travail dont un texte sur le site de l’artiste retrace l’histoire et les intentions, se développe sur plusieurs médias : aquarelles noires et sérigraphies sur papier vélin, peintures murales, installation vidéo. Quelques lieux ont droit à un traitement particulier : maquette ou plan en tissu et rembourrage (Prison de la Santé, Paris et Chi Hoa Prison, Ho Chi Minh City) ou encore drap et broderie française pour la prison de Pelican Bay en Californie…

Pour cette exposition, le CACN a choisi de présenter la série sous forme de 33 sérigraphies sur papier vélin. Leur accrochage ne semble pas construire un discours ni relever d’une logique perceptible… Le poster qui les accompagne suggère un jeu de recherche pour identifier chaque lieu… dont on peut assez rapidement se lasser.

Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 - Prison de la Petite Roquette, Paris ©Laure Tixier
Laure Tixier,  Map with a view (géométrie de l’enfermement), 2014 – Prison de la Petite Roquette, Paris ©Laure Tixier

Le traitement graphique et les références à l’abstraction géométrique et au minimalisme de ces images sont étrangement troublants… Il n’est pas impossible que la contemplation de ces sérigraphies et les associations que le visiteur peut échafauder finissent par l’éloigner de « cet inventaire des géométries de l’enfermement [et] des espaces de l’orthopédie sociale »…

Le rapprochement de « Map with a view (géométrie de l’enfermement) » avec le « Calepinage, prison de Montluc » de Daubanes n’aurait-il pas été fructueux ? Ce face à face n’aurait-il pas confronté ou juxtaposé deux manières de voir la prison d’en haut ?
La présentation du travail de Laure Tixier n’aurait-il pas réclamé une autre « géométrie de l’exposition » ?

Regards sur l’exposition : Sarah Kowalczewski

Discrètement posé sur sa petite étagère, « 139.134, correspondances coercitives » de Sarah Kowalczewski vient crânement « dialoguer » avec les dessins de Nicolas Daubanes… à défaut de le faire avec les « Livres noirs » que ce dernier à élaborer avec des prisonniers de la centrale d’Ensisheim…

Sarah Kowalczewski, 139.134, correspondances coercitives, 2015-2017 - CACN Nîmes
Sarah Kowalczewski, 139.134, correspondances coercitives, 2015-2017 – CACN Nîmes

« 139.134, correspondances coercitives » est une édition construite à partir de la correspondance que Sarah Kowalczewski a entretenue avec une détenue basque incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes. L’artiste présente ainsi ce projet :
« Dans ce mode de communication particulier, le courrier est notamment ce qui permet au lien de se constituer ou de se maintenir, il fait mouvement entre intérieur et extérieur et traverse l’espace de contrôle, sans toutefois s’en affranchir, dans le contexte carcéral. Au sein d’un dialogue à double voix, les correspondances sont reconfigurées dans l’espace du livre, les éléments échangés s’articulent entre textes, documents, images et objets photographiés. Ces fragments recomposent un temps qui s’étire, long, à la fois fixe, incertain et mesuré, comme celui de la co-écriture et de l’attente, de la détention préventive jusqu’au procès ».

Comment ne pas ressentir une sorte de trouble à la « lecture » de cette intimité partagée ?

Regards sur l’exposition : Paul Heintz

Au centre de l’espace d’exposition, deux piles de journaux rassemblent sous le titre « LA VIE 2 REVE NICK CHARLES III » des graffitis photographiés dans la prison de Nancy au moment de sa démolition en 2010 par Paul Heintz

Paul Heintz, LA VIE 2 REVE NICK CHARLES III , 2014 - CACN Nîmes
Paul Heintz, LA VIE 2 REVE NICK CHARLES III , 2014 – CACN Nîmes

Dès que l’on commence à feuilleter un de ces exemplaires, les images de la prison Sainte-Anne et de « La Disparition des Lucioles » resurgissent inévitablement…

L’installation de Paul Heintz a vocation à disparaître à mesure que les visiteurs se servent… Comme les dessins de Nicolas Daubanes qui sont destinés peu à peu à s’effacer, comme nombre des prisons représentées ici qui ont été détruites, transformées en musées, universités ou hôtels de luxe…

Paul Heintz, LA VIE 2 REVE NICK CHARLES III , 2014 - CACN Nîmes
Paul Heintz, LA VIE 2 REVE NICK CHARLES III , 2014 – CACN Nîmes

Ceux qui sont passés par les Abattoirs à Toulouse, pour l’exposition « Prix Mezzanine Sud », auront sans doute le souvenir de « Toit de la prison Charles III, Nancy » (2017), un superbe dessin mural de Daubanes.
Voir cette image s’estomper peu à peu et la poudre de fer aimantée s’accumuler au pied du mur à mesure que la pile de journaux de Paul Heintz diminuait aurait pu être un moment assez fascinant…

Nicolas Daubanes, Toit de la prison Charles III, Nancy. Dessin mural à la poudre de fer aimantée, 2017 - Les Abattoirs, Toulouse
Nicolas Daubanes, Toit de la prison Charles III, Nancy. Dessin mural à la poudre de fer aimantée, 2017 – Les Abattoirs, Toulouse

À lire, ci-dessous, le texte d’intention de Bertrand Riou, directeur du CACN et commissaire de l’exposition.

En savoir plus :
Sur le site du CACN
Suivre l’actualité du CACN sur Facebook, Twitter et Instagram
Sur les sites de Nicolas Daubanes, Paul Heintz, Sarah Kowalczewski, Laure Tixier
À propos de Bertrand Riou sur le site de C-E-A / Association française des commissaires d’exposition

« Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors » au CACN – Texte d’intention de Bertrand Riou

« […] Et puis une prison, c’est comme une poupée russe, ou un sous-marin. L’espace il est partout coupé barré morcelé. Des sas. Que des sas. Étanches. Des portes. L’idée du lointain, ça n’existe pas. Il n’y a pas de lointain. » Philippe Claudel

« Quand un être humain tombe, il chute parfois vers le haut. Au lieu de s’écraser, il monte. Il n’est pas plus fort que les murs, non, il est plus léger. Plus solide d’être aérien. Il glisse. Il s’évade. […] » Marie Darrieussecq

Se plonger dans les méandres de l’univers carcéral est profondément chronophage. Néanmoins, en proposer une exposition pourrait vouloir faire sens, au CACN. La prison de Nîmes est en effet l’une des plus surpeuplées de France. En 2017, quatre de ses détenus ont attaqué en justice l’État français pour mise en danger d’autrui à cause des conditions de détention déplorables de la maison d’arrêt. Cependant, les juges se sont déclarés « incompétents » devant le caractère unique de cette affaire. On peut alors regarder en arrière et se rendre compte que l’histoire des prisons en France et à l’étranger fait état d’une lutte permanente, et que les problématiques – excepté dans certains pays – s’accentuent, en défaveur des prisonniers évidemment. Un grand nombre d’ouvrages a été écrit sur ces lieux de privation de liberté. Parfois par les condamnés eux-mêmes (Serge Livrozet, casseur de coffres, emprisonné pendant neuf ans et écrivain qui a fondé en 1972 le CAP – Comité d’Action des Prisonniers, avec Michel Foucault).
Aujourd’hui, il existe en France 186 établissements pénitentiaires dont 82 maisons d’arrêt (avec une surpopulation de 140%) et 13 maisons centrales. Elles renferment environ 70 000 détenus (plus de 66 000 hommes et 2 400 femmes), gérés par 39 000 agents. Cela veut donc dire qu’à peu près 110 000 personnes (sur)vivent peu ou prou de l’incarcération. Notre « pays des droits de l’homme » est un des seuls d’Europe où la démographie de sa population carcérale augmente alors que dans le même temps les conditions de vie sont qualifiées d’« indignes », voire « inhumaines », que ce soit par les protagonistes qui les expérimentent contre leur gré, ou à travers le constat des différents experts qui les visitent.
Pour venir en aide aux prisonniers, de nombreux groupes gravitent autour et au sein des établissements pénitentiaires : l’OIP – Observatoire International des Prisons, la FARAPEJ – Fédération des Associations Réflexion Action Prison Et Justice, le GENEPI – Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées, l’ANVP – Association Nationale des Visiteurs de Prison, et bien d’autres encore… À cela s’ajoutent les ateliers de création délégués à des écrivains et des artistes. Cette solidarité est salutaire, et, s’il s’agit sinon de leur rendre hommage, sans aucune instrumentalisation de notre part, peut-être pourrions-nous proposer dans notre contexte, par le biais d’une réflexion ouverte, une visibilité la plus accrue possible durant ces deux prochains mois.

Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors* est la quatrième exposition du centre d’art et regroupe quatre artistes, Nicolas Daubanes, Paul Heintz, Sarah Kowalczewski et Laure Tixier. Les projets présentés ici ont été réalisés entre 2013 et 2017 et prennent pour socle commun l’univers carcéral. Les artistes s’y sont intéressés pour en documenter ses aspects ou pour créer des liens étroits avec les détenus.
La série Map with a view (géométrie de l’enfermement) de Laure Tixier met en exergue 33 plans de prisons, dont certains en panoptique – structure qui prend la forme d’une tour centrale d’où le surveillant peut voir toutes les cellules sans lui-même être vu par leurs occupants – parangon de l’ingéniosité architecturale au service d’une soi-disant meilleure surveillance des individus. Cette succession de formes introduit l’idée qu’il existe une esthétique multiple de l’enfermement aux quatre coins du monde. Donc, plusieurs manières de surveiller et punir.
En révéler les contours, les intériorités, attrape notre regard et dévoile la complexité de ce que doivent être les mouvements derrière les barreaux.

Georges Didi-Huberman soulève un point intéressant à ce propos : « Le mythe fait acte de survivances dans les classes sociales opprimées, celles qui remplissent par conséquent les cellules de prisons, avec leurs jargons spécifiques, leurs rituels venus d’on ne sait où, leurs gestes anachroniques. […] » On remarque alors que l’architecture se révèle être un irrépressible facteur de soumission.
Le Stutthoff (mirador) ou l’ancienne prison pour mineurs de la Roquette repris par Nicolas Daubanes dans ses dessins à la poudre d’acier aimantée – en référence aux barreaux et à la lime du prisonnier qui veut s’en évader – en sont un écho historique.
L’artiste rend visite depuis plusieurs années à des personnes incarcérées dans diverses prisons de France et d’Espagne. Il y réalise des projets au long cours et des études pour ainsi proposer des pièces empreintes pour la plupart d’une puissante noirceur chromatique. D’ailleurs, le noir constant que l’on remarque d’emblée dans l’exposition est contrebalancé par un grand calepinage de trois couleurs, pièce faisant référence aux individus qui ont foulé à l’époque le sol de la prison de Montluc à Lyon. L’artiste répertorie les murs, les façades, les portes, les couloirs, les escaliers, comme ceux de la maison centrale d’Ensisheim dans le Haut-Rhin, connue pour compter le plus haut taux d’emprisonnement à perpétuité de l’Hexagone (elle renferme d’ailleurs les tueurs en série Michel Fourniret, Guy Georges, et Francis Heaulme).
En discutant intensément avec certains détenus lors de ses passages, Nicolas Daubanes parvient à tisser avec eux des relations intimes et de confiance. Celles-ci lui permettent d’en apprendre davantage sur les stratagèmes que les prisonniers entreprennent pour s’en sortir avec les moyens du bord, par la conception de recettes ou la fabrication d’objets. C’est une question d’échange et de respect mutuel, qui vient ajouter un soupçon d’humanité dans leur
quotidien.

Sarah Kowalcewski entretient également, depuis plusieurs années, une relation épistolaire avec une détenue basque. Avant cela, dans son passé « genepiste », elle lui rendait visite chaque semaine au centre pénitentiaire de Fresnes. Elle a fait de ces échanges une édition ponctuée de mots, de photos, de lettres. Nous pouvons lire et nous immiscer dans cette intimité, comme l’ont certainement fait avant nous les gardiens, par le prisme d’un systématique contrôle.
Le voile pudique du système pénitentiaire est ainsi ôté grâce à ces Correspondances coercitives reconstituées par l’artiste. Un interdit y est d’ailleurs bravé. Celui de la représentation du visage de la détenue au sein de la prison. La surveillance du courrier a donc ses failles. C’est comme partout, parfois il faut savoir outrepasser les règles. Et en inventer d’autres. Pour tenir.
Dans LA VIE DE REVE NICK CHARLES III, Paul Heintz a documenté dans un journal – imprimé en milliers d’exemplaires sur les presses rotatives qui éditent le quotidien Libération – l’intérieur de l’ancienne prison de Nancy, démantelée à partir de 2010. Le site de Charles III a eu une certaine notoriété lors de la révolte des prisons françaises au début des années 70, notamment via les photographies du journaliste Gérard Drolc prisent en 1972, puis en 2014 avec le documentaire de son fils Nicolas Drolc intitulé Sur les toits.
Cette publication est en quelque sorte une stratification, c’est-à-dire la somme de différents moments de l’histoire de ce lieu jadis ultra cloisonné. L’artiste

restitue les traces laissées par les détenus durant leur incarcération : messages inscrits sur les murs, dessins, affaires laissées derrière eux… Cela nous rappelle la phrase de James Joyce : « Les lieux se souviennent des évènements ». Ici, Paul Heintz libère véritablement l’histoire et pousse le visiteur à ne pas détourner le regard, devenant le témoin de la vie passée au sein de cet ancien établissement pénitentiaire. Inscrit dans des journaux placés dans l’espace d’exposition du CACN, cet inventaire est néanmoins, tout comme cette prison, voué à une disparition programmée.

L’exposition est tout d’abord un constat qui nous donne à voir ces espaces de lutte et cette inexorable dichotomie entre l’enfermement et la liberté. Les prisons sont de plus en plus contestées, et depuis des décennies certains s’interrogent sur les alternatives à l’enfermement, qui permettraient de ne plus considérer l’individu qui purge sa peine comme un simple homo incarceratus. Car l’absence de statut et de protection sociale pour les travailleurs détenus par exemple, mais aussi la promiscuité poussée à son paroxysme, ajoutée à la frustration engendrée par tout cela, résulte au final d’une véritable « école du crime ». De plus en plus d’études énoncent la thèse selon laquelle il faudrait, pour que les récidives diminuent, appliquer d’autres alternatives plus humaines que la répression par l’enfermement à tout prix. La prison ne serait alors plus seulement considérée comme une punition, ou même, un châtiment. Par ailleurs, au-delà de l’opinion publique, le discours des politiques reste encore flou et parfois réactionnaire quant à l’avenir de l’incarcération en France. Le président de la République a récemment annoncé en toute contradiction qu’il voulait créer une agence pour mieux encadrer les travaux d’intérêt général, tout en promettant 15000 places de prison supplémentaires durant son quinquennat… Qu’elles soient fermées, détruites, réhabilitées ou bien toujours en activité, les prisons restent des lieux d’exclusion à l’imaginaire très fort mais d’une réalité implacable ;
celui qui pénètre en son sein n’en ressortira jamais indemne.

Bertrand Riou

*Le titre de l’exposition est tiré d’un extrait d’une nouvelle produite lors d’un atelier d’écriture, publiée par les éditions des établissements pénitentiaires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : Par-dessus le toit (recueil de nouvelles, pas d’année de publication indiquée).

« Assise à l’arrière du véhicule qui me conduisait à la maison d’arrêt de Versailles, je regardais fixement devant moi. Par moment, j’essayais de secouer cette inertie, jetant des regards obsessionnels à droite, à gauche, pour attraper encore quelques détails vivants du dehors. »
Vickie, Marseille.

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