Boutographies 2018 au Pavillon Populaire, Montpellier

Jusqu’au 27 mai, les Boutographies 2018 – Festival de la photographie européenne de Montpellier – sont installées au Pavillon Populaire. Avec toujours beaucoup enthousiasme et professionnalisme, l’équipe de l’association Grain d’Image propose une rencontre captivante avec la diversité des talents européens de la photographie européenne.

Boutographies 2018 au Pavillon Populaire - Sélection du Jury
Boutographies 2018 au Pavillon Populaire – Sélection du Jury

Aucune construction thématique pour ces 18e Boutographies, mais, comme toujours, l’ambition de montrer l’éclectisme des démarches et des sujets. Comme le souligne Christian Maccotta, les vingt-huit photographes repérés par le jury 2018 « vous attendent ici, dans leur diversité, mais avec la même volonté d’exposer ce qui leur importe à vos regards, par delà les mots ».

Le parcours de l’exposition s’organise autour des onze séries sélectionnées par le jury auxquelles s’ajoute le projet du prix Échange Fotoleggendo/Boutographies.

Le volume des espaces et le format des images ont logiquement imposé l’enchaînement des propositions. Si l’on peut percevoir, ici ou là, quelques rapprochements entre les séries, aucun fil conducteur ne structure le parcours de visite.

Les Boutographies 2018 héritent des cimaises et des couleurs en place pour les expositions précédentes. Deux exceptions toutefois, « Bleu Glacé », le cabinet de curiosité de Manon Lanjouère et la salle réservée aux Projections du Jury, pour lesquelles les murs ont été opportunément repeints en blanc.

Manon Lanjouère, Bleu Glacé - Lexique des paysages islandais - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Manon Lanjouère, Bleu Glacé – Lexique des paysages islandais – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Les photographes ont su produire des plans d’accrochages précis, utilisant au mieux les espaces qui leur étaient destinés. Les propositions linéaires ont disparu au profit de projets qui exploitent toute la hauteur des cimaises, qui n’hésitent pas à mélanger formats et supports et qui parfois osent d’audacieuses et pertinentes superpositions. À l’évidence, d’année en année, les artistes sont de plus en plus investis dans la mise en espace de leurs images.

Philippe Leroux, « Brassage » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Philippe Leroux, « Brassage » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Comme toujours au Pavillon Populaire, la mise en lumière est irréprochable. Les tirages sur papier protégés par du verre sont l’exception. À l’inverse, les épreuves sur dibond, aluminium, sur papier sans protection ou encore sur « dos bleu » sont devenu la règle. Les Boutographies 2018 offrent ainsi à ses visiteurs un excellent confort pour apprécier pleinement les photographies exposées.

Il faut également souligner la qualité des documents qui accompagnent le parcours. Chaque série est précédée par un texte bilingue (français/anglais) qui offre les informations nécessaires pour comprendre les intentions du photographe. Il est complété par quelques repères biographiques.

Ces Boutographies 2018 nous semblent être une édition très réussie du festival. Les projets de la sélection officielle sont tous d’un excellent niveau. Plusieurs ont retenu particulièrement notre attention avec entre autres, « Bleu Glacé – Lexique des paysages islandais », le très beau cabinet de curiosité de Manon Lanjouère, « I Kiss Holes for the Bullets », une série particulièrement émouvante de Lee-Marie Sadek, les images de la photographe et architecte Camille Gharbi et « I loved my wife », une proposition très aboutie et « effroyable » de Dieter de Lathauwer

Cédric Calandraud, pour sa série « France 98 », a été doublement distingué avec le prix du Jury et le prix Échange Boutographies / Fotoleggendo.

Cédric Calandraud, « France 98 » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Cédric Calandraud, « France 98 » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Le prix Réponses Photo a été décerné à Sandrine Elberg pour « 雪
女 Yuki-Onna » dont l’accrochage est remarquable.

Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

La sélection officielle :
Camille Gharbi – France • Carlo Lombardi – Italie • Cédric Calandraud – France • Dieter De Lathauwer – Belgique • Florence Iff – Suisse • Hanna Rast – Finlande • Lee-Marie Sadek – France • Manon Lanjouère – France • Patrick Wack – Allemagne

Le prix Echange Fotoleggendo/Boutographies : Karim El Maktafi – Italie

La projection du Jury :
Annalisa Natali Murri – Italie • Baudouin Mouanda – France • Claire Delfino – France • David Denil – Belgique • Florian Roche – France • Katrin Streicher – Allemagne • Lionel Jusseret – Belgique • Marc Vidal – France • Mariya Kozhanova – Allemagne • Melanie Wenger – Belgique • Melody Garreau – France • Nele Gülck – Allemagne • Robert Rutoed – Autriche • Sebastien Loubatie – France • Stephane Guillaume – France • Tim Franco – France

Le jury 2018 :
Viviane Esders, expert en photographie et présidente du jury • Annakarin Quinto, directrice artistique • Anton Kusters, photographe • Benoit Rivero, directeur adjoint des éditions Photo poche (Actes Sud) • Christian Maccotta, directeur artistique des Boutographies

À lire, ci-dessous, quelques regards sur le parcours de l’exposition, accompagnés des présentations et des repères biographiques extraits du dossier de presse, dont on retrouve l’essentiel dans les textes de salle. Issu du même document, l’édito de Christian Maccotta, directeur artistique du festival et quelques informations sur les membres du jury 2018.

En savoir plus :
Sur le site des Boutographies
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La visite des Boutographies 2018 au Pavillon Populaire commence par les petites salles sur la gauche avec successivement « Hayati » de Karim El Maktafi (prix Echange Fotoleggendo/Boutographies), « Dead Sea » de Carlo Lombardi, la salle réservée à la Projection du Jury et l’espace de présentation de l’université finlandaise d’art, de design et d’architecture d’Aalto à Helsinki.

Karim El Maktafi , « Hayati » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Karim El Maktafi , « Hayati » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Hayati (« ma vie », en langue arabe) est un journal visuel réalisé exclusivement à l’aide d’un smartphone. Hayati reflète mon identité d’Italien issu de la seconde génération. Fils d’immigrés, né et élevé en Italie, en équilibre entre deux réalités qui, à première vue, pourraient sembler incompatibles.
Pour réaliser cette histoire, j’en suis devenu à la fois le sujet et l’objet. Je suis né à Desenzano del Garda, un village près de Brescia en Italie, de parents marocains. Grandir entre deux mondes m’a obligé à aiguiser mon regard et à confronter des points de vue souvent divergents. Adopter une seule identité n’est pas simple ; il arrive souvent de ne pas se sentir à sa place ou de se penser le produit d’une étrange hybridation. Pourtant, lorsque que l’on essaye de définir cette identité, on comprend aussi l’avantage d’être sur le seuil, à la lisière de deux mondes.

Tout en gardant vivantes les expériences acquises tout au long du chemin, il nous appartient de décider qui l’on veut être, où se trouve notre place et si l’on souhaite aller vers de nouveaux horizons. Nous devons apprendre à jongler entre différentes langues, entre les tabous culturels, les références, les interdictions, et faire entendre tout cela à ceux qui ne sont pas, eux, entre deux mondes.
J’ai dû effectuer un voyage dans ma propre vie et au sein de ma famille. J’ai fait face aux doutes, aux hésitations, aux pensées d’après-coup, mais j’ai réalisé un portrait honnête de ma vie telle que je l’ai vécue jusqu’à aujourd’hui.
L’aspect le plus intéressant de cette histoire – de mon histoire – est la création d’une réalité élargie. Une réalité indéfinie dans laquelle croyances et expériences s’enrichissent mutuellement et finissent par trouver une harmonie.
Hayati a été réalisé entre l’Italie et le Maroc avec une bourse d’étude d’un an attribuée par Fabrica, centre de recherche en communication du groupe Benetton, basé à Trévise en Italie.

Né en 1992 en Italie, Karim El Maktafi est un photographe italo-marocain diplômé de l’Institut Italien de Photographie de Milan en 2013. Son travail a été présenté dans de nombreux festivals comme le Festival Photo de Brescia, Festival of Ethical Photography, Fotografia Europea, FotoLeggendo… son travail a été exposé dans plusieurs galeries and a reçu le prix Alessandro Voglino du jeune talent au FRAME Foto Festival.

En savoir plus sur le site de Karim El Maktafi

Carlo Lombardi, « Dead Sea » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Carlo Lombardi, « Dead Sea » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

La tortue caouanne (Caretta caretta) vit dans les océans et mers du monde entier, mais se reproduit dans les régions tempérées et subtropicales. Depuis 2015, Caretta caretta est inscrite sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) en tant qu’espèce vulnérable, en danger d’extinction. Les scientifiques estiment que la population de cette espèce est en régression à l’échelle mondiale.
Ces animaux très fragiles subissent les conséquences de diverses actions humaines. Les activités côtières, qui génèrent de la lumière artificielle et perturbent les zones de reproduction, le réchauffement (l’augmentation de la température du sable influence le sexe des tortues qui s’apprêtent à naitre), la pollution et les captures accidentelles représentent les principales menaces sur cette espèce.

La décroissance de la population des tortues est surtout notable dans la partie Est du bassin méditerranéen, alors que peu de nids sont présents à l’Ouest. Chaque année ont lieu environ 150 000 captures de tortues : elles sont principalement victimes de pêche sans précaution, avec filets et appâts, lignes dormantes, chaluts et engins maillants de fond. 40 000 décès sont pour leur part dus à la pêche, aux collisions avec des bateaux ou à l’ingestion de matières plastiques.
Mais si l’homme, dans ce cas, tient le rôle du bourreau, il dispose également de tous les moyens pour mettre un terme à ce massacre. Un réseau de professionnels (médecins, vétérinaires, biologistes, biologistes marins) poursuit bénévolement et continuement diverses activités de recherche, de surveillance et de sensibilisation. Chaque année, grâce à leur investissement et à leurs travaux collaboratifs, des centaines de spécimens sont sauvés et relâchés dans leur milieu naturel marin.

Carlo Lombardi est né en 1988 à Pescara en Italie. Il est photographe freelance et réalise des projets sur le long terme. Il commence à travailler sur son projet « Dead Sea » en 2016 et l’expose depuis 2017. Cette série lui permet d’être sélectionné par des festivals et de gagner plusieurs prix comme le premier prix de la 13ème édition du festival FotoLeggendo, le second prix lors de la 26ème édition du SI Fest Portfolio.

En savoir plus sur le site de Carlo Lombardi

Comme tous les ans, on regrette cette longue boucle vidéo, projetée sur un écran… On espère qu’un jour les Boutographies seront en mesure de proposer un dispositif plus interactif qui offre une peu plus de souplesse à cette présentation et permette surtout d’accéder rapidement à chacun de ces 16 dossiers !

À l’étage, la première galerie enchaîne les projets « Brassage » de Philippe Leroux, la poignante série « I Kiss Holes for the Bullets » de Lee-Marie Sadek et « France 98 » de Cédric Calandraud, prix du Jury 2018 et prix Échange Boutographies / Fotoleggendo.

Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Ils sont arrivés par la mer. Slimane, Artak, Alain, Hayarpi, Hasmik marchent sur l’eau. Leur silhouette se détache sur l’horizon azuréen. Leur visage est grave. Le regard porte loin. La fatigue ne soustrait rien à leur détermination. Avant, ils ont franchi les montagnes, traversé les villes, abandonné parents et amis, quitté la maison familiale. Partir pour travailler, payer pour trouver refuge, payer pour ne pas mourir, s’exiler pour échapper à l’ostracisme, à la guerre, à la misère. Partir pour sauver ses enfants. Ils ont rêvé d’asile, ils en rêvent toujours. Qui peut renoncer au rêve d’asile ?

Après ? Des ombres. Comment bâtir un chez-soi quand tout appelle à devenir invisible, indécelable, quand tout oblige à se fondre dans la masse corvéable et indistincte des exilés, des demandeurs d’asile, des réfugiés ? Peu importe la multiplicité des histoires, les singularités, car les voilà tous baptisés d’un nouveau nom : Migrants. Voilà leur nouvelle carnation. Voilà le nouveau magistère moralisateur : se conformer ou disparaitre du regard de l’autre. Voilà leur paysage.
Mais voilà aussi ce que l’on lit dans le paysage : la géomorphogenèse des pas et des traversées, la matière des temps immémoriaux ; foulées solidifiées dans l’argile grise, terrils des pieds et semelles qui gambillent et se mélangent aux pattes du héron cendré, du martin-pêcheur et de la sarcelle d’hiver ; sautillements d’oiseaux, petits pas de danse sur la mer, une robe dans l’eau, une fillette danse, des coques dans les mains, des visages dans le sable, une larme de méduse : Brassage.

Né en 1964, Philippe Leroux se forme à la photographie en passant par la prise de vue en studio. Il formera plus tard le collectif Aquatre. Il reçoit plusieurs prix, le prix FNAC/NIKON pour « Ma tribu, Mon voisin, Mon monde », le coup de cœur AZART PHOTO pour Réminiscence et la Bourse du Talent reportage pour « Les mains bleues ». Présent deux fois aux Boutographies en 2009 et 2011, il participe à de nombreux autres festivals comme Manifesto (Toulouse), Itinéraires des Photographes Voyageurs (Bordeaux), Festival International du film documentaire (Nyons, Suisse)…

Lee-Marie Sadek, « I Kiss Holes for the Bullets » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Lee-Marie Sadek, « I Kiss Holes for the Bullets » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Les images de cette série montrent mes états de dépression, de mélancolie, d’anxiété, d’insomnie, de paranoïa, d’isolement, de vide et de lassitude. Elles évoquent un envahissant et interminable état de désordre bipolaire que je ne cesse d’interroger. Pourquoi suis-je à ce point détaché de la réalité ? Si désappointé face à elle ? Jamais en état de l’affronter ?

« La clarté ne nait pas de ce que nous imaginons être clair, mais de notre conscience de l’obscurité ». Carl Gustav Jung
La première partie du titre est extraite des paroles de la chanson “Rosary” de Scott Walker.

Lee-Marie Sadek, « I Kiss Holes for the Bullets »
Lee-Marie Sadek, « I Kiss Holes for the Bullets »

Né en 1977, Lee-Marie Sadek est diplômé des Beaux Arts de l’Université de Paris depuis 2012. Il participe à de nombreuses expositions de groupes depuis 2008 ce qui lui permet une présence sur des lieux comme la Getty Images Gallery de Londres, au Club Nautico de Saragosse en Espagne, à la Darkroom Gallery et à la Kiernan Gallery aux USA. En 2017 il a la mention honorable aux Monovisions Awards et il est finaliste pour le Renaissance Photography Prize.

En savoir plus sur le site de Lee-Marie Sadek

Cédric Calandraud, « France 98 » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Cédric Calandraud, « France 98 » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

J’ai pris ces images durant mon adolescence, entre 10 et 17 ans, dans le village d’Yvrac, dans le sud-ouest de la France, où j’ai grandi. A l’époque, je prenais beaucoup de photos à l’appareil jetable à l’occasion des nombreuses réunions de familles où il y avait toujours quelque chose à célébrer – un baptême, un anniversaire, un mariage…
Ces instants de fêtes n’étaient bien sûr qu’un aspect de notre vie, une échappatoire après la semaine de travail. On ne photographiait jamais les moments les plus durs. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé en redécouvrant ces images empilées dans un coin de ma chambre d’ado. Plusieurs personnes présentes sur ces photos ont été consumées par la maladie ou l’alcool, dont mon père, qui est mort durant cette période. D’autres ont perdu leur maison, leur famille ou leur emploi. Ce sont ces souvenirs qui étaient les plus prégnants dans mon esprit et totalement absents des images.

Afin de retrouver la part oubliée de l’histoire de ma famille, j’ai décidé de me les réapproprier. Puisqu’on ne gardait pas les négatifs, j’ai travaillé directement sur le tirage, parfois déjà endommagé. En rayant des regards, en isolant des détails et des corps, ou en les enfermant dans l’obscurité, je cherche à donner une nouvelle vie à ces images, hors du temps et de leur réalité, avec l’espoir que surgisse ces moments perdus entre les photographies.
Le titre de cette série fait référence à une date symbolique, celle de l’été 98, qui a été un marqueur dans ma vie d’enfant. J’avais à peine dix ans et pourtant je me souviens de cet été comme celui des premières expériences – l’expérience du bonheur, de l’amour et de la mort.

Né en 1991 Cédric Calandraud est diplômé d’un master en sociologie et un master en cinéma documentaire à l’université Paris 7 et est membre de l’agence Hans Lucas
Plusieurs expositions et participations à des festivals, Off du festival d’Arles pour l’exposition collective « Supernatural » au Festival Fotografia Europea (Reggio Emilia, Italie) à la foire « What’s Up Photo Doc » à Paris en mai 2017 à la Biennale internationale de la photographie de Phodar 2015, (Sofia, Bulgarie) ainsi qu’à la Maison Européenne de la Photographie (Paris) pour une projection collective, participent à la reconnaissance de son travail.

En savoir plus sure le site de Cédric Calandraud

Le deuxième galerie de l’étage présente les projets suivants : « Lieux de vie » de Camille Gharbi et « Out west » de Patrick Wack

Camille Gharbi, « Lieux de vie » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Camille Gharbi, « Lieux de vie » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Ces images ont été réalisées au printemps 2016, dans ce que l’on appelait la « Jungle de Calais ». 
Elles donnent à voir quelques une des constructions qui s’élevaient alors dans le camp de Lande, qui a abrité plusieurs milliers de demandeurs d’asile et a été démantelé sur décision du Ministère de l’Intérieur à l’automne 2016.
Les constructions montrées ici sont décontextualisées.Elles sont isolées de cet environnement qui polarise les médias depuis tant d’années, sur lequel on a tant écrit, lu, montré, regardé, et que l’on a fini par détruire, faute de mieux. Peut-être pour ne plus le voir.
Ces constructions se tiennent là, devant nous, isolées d’un contexte bruyant.
 Elles ne parlent plus d’une situation inextricable, elles ne sont plus le symbole d’une crise mondiale ou d’une problématique que l’on ne saurait résoudre. Elles sont là, simplement, et ne parlent que pour elles-mêmes. Elles nous interpellent. Avec violence, parfois, avec humour, aussi. Par delà les clichés, les représentations misérabilistes, les préjugés que l’on peut associer à cet univers particulier qu’était la Jungle de Calais, elles nous montrent la formidable résilience dont ont fait preuve les personnes qui les ont bâties. Elles nous parlent de vies qui cherchent à se reconstruire, d’ingéniosité, de créativité, d’espérance, d’entraide, de coopération, de souffrances, et d’optimisme.
Elles nous parlent simplement du désir de vivre, et de l’incroyable force qu’il peut déployer. Autant de choses que, dans un autre monde, nous aurions peut-être su mieux voir.
NB : En février 2016, le tribunal administratif de Lille valide le principe d’évacuation de la zone sud de la jungle de Calais. Toutefois, le juge constate l’installation, sur cette zone, de «lieux de vie» aménagés par les migrants, « qui leurs sont nécessaires et auxquels ils sont attachés pour des raisons culturelles notamment ». Le juge des référés estime en conséquence que la mesure d’évacuation de doit pas porter sur ces « lieux de vie ».
Considérant cette décision, migrants et associations écrivent sur une grande partie des cabanes, maisonnettes, et autres constructions qui abritent les réfugiés l’inscription « lieux de vie».

Photographe et architecte de formation Camille Gharbi évolue dans les domaines du portrait et de la photographie d’architecture. Plusieurs expositions sont à son actif depuis 2015 avec «La traversée» chez Immix Galerie (Paris), l’exposition collective «Résonances» aux Rencontres Photographiques du 10e (Paris), «The Wainting Room» à la Maison des Photographes, (Paris) et «Lieux de Vie» aux Moulins Albigeois, (Albi).

En savoir plus sur le site de Camille Gharbi

Patrick Wack, « Out west » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Patrick Wack, « Out west » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Empruntant à la notion romantique de frontière américaine, synonyme d’idéaux d’exploration et d’expansion, le photographe Patrick Wack saisit le récit visuel de la région la plus occidentale de la Chine, le Xinjiang. Si l’Ouest américain fait venir à l’esprit des images de cowboys et de pionniers, de destinée manifeste et de liberté individuelle, l’Ouest chinois reste encore à définir. C’est un lieu de pluralités – de vastes paysages spectraux, de montagnes pierreuses et de lacs vivifiants, de constructions nouvelles et de gisements de pétroles, de structures abandonnées dans des villes en déclin, de foi pieuse et d’appels à la prière, de silence et de minorités calomniées, d’opportunités et de futurs incertains. C’est une terre à l’identité fluctuante. En substance, le Xinjiang est la nouvelle frontière à conquérir et contempler.

Traduction littérale de « nouvelle frontière » en chinois, la région est une zone à part, et ce depuis des siècles. Représentant plus de deux fois la surface de la France avec une population moins élevée que celle de la ville de Shanghai, cette province reliait autrefois la Chine à l’Asie centrale et à l’Europe, puisqu’elle était la première étape de l’ancienne Route de la Soie. Elle reste pourtant physiquement, culturellement et politiquement différente, étrangère à la Chine moderne. Son impression d’espace infini ; ses gracieuses écritures arabiques et ses paysages urbains remplis de mosquées ; son caractère de région autonome et, bouillonnant sous tout cela, sa relation délicate avec l’Est qui empiète sur elle, la domine et la surveille.
Pour l’ethnie majoritaire chinoise des Han, le Xinjiang représente la nouvelle frontière, qui doit être ranimée pour créer la nouvelle route de la soie de Pékin – destinée manifeste de la Chine –, par la promesse de prospérité que renferment les gisements de pétrole. Selon Patrick Wack, Out West raconte autant l’histoire d’une région que la sienne, la série formant un témoignage sur un lieu historique et contemporain autant qu’un voyage émotionnel, une réflexion intime sur ce que signifie lutter et sur ce pour quoi lutter. Il existe une fascination inhérente dans cette région – qui est à la fois la clé et le complément de la Chine nouvelle – et un chant des sirènes résonnant dans ce vaste infini, qui incite à l’introspection et au désir. Par son romantisme de la frontière, Out West montre le Xinjiang contemporain, à travers des images qui expriment le calme – et l’inquiétude – surréaliste de l’inconnu.
Out West permet une expérience du Xinjiang qui souligne son écart par rapport aux perceptions contemporaines de la Chine nouvelle, accentuant ses courants sous-jacents, sa tension et le mysticisme qu’elle a cultivé – dans leurs esprits comme dans les nôtres. Out West pose en somme une question de point de vue : qu’est-ce que l’Ouest sinon l’Est d’un autre ?

Né en 1979 dans le sud de la France, Patrick Wack fait des études de marketing à Paris. Après quelques années il s’installe à Berlin où il travaille pour une entreprise de développement de logiciels audio. Depuis 2006 il se consacre à la photographie qu’il exerce essentiellement en Chine où il a réalisé sa série « Out West ». Représenté par l’agence LAIF en Allemagne et par la galerie Art+ à Shanghai, il gagne le premier prix au Festival International du Portrait de Kuala Lumpur en 2014.

En savoir plus sur le site de Patrick Wack

Au pied de l’escalier, avant le « magasin des livres », Manon Lanjouère a disposé d’un espace un peu à l’écart pour installer « Bleu Glacé – Lexique des paysages islandais », un étonnant cabinet de curiosité, à nos yeux, une des propositions conceptuellement et esthétiquement les plus réussies de ces Boutographies 2018.

Manon Lanjouère, Bleu Glacé - Lexique des paysages islandais - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Manon Lanjouère, Bleu Glacé – Lexique des paysages islandais – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Bleu Glacé est un cabinet de curiosité, une étude « scientifique » qui reconstruit synthétiquement le paysage islandais.
Si l’Islande aimante l’attention, c’est très souvent en raison de ses particularités géologiques. « Ses paysages sont une formidable leçon de géologie, le catalogue de la Redoute des formes volcaniques et glaciaires. » écrit Michel Tournier dans son roman Les Météores. Bleu Glacé est une sorte de catalogue des paysages qu’un voyageur immobile, ou voyageur de salon, pourrait imaginer trouver en Islande.
L’imagination fait apparaître l’objet auquel nous pensons et que nous désirons, maintenant sous nos yeux afin d’en prendre possession. L’image qui en découle est une image mentale, recomposée en studio. L’objet est absent, mais toutes ses qualités sont devant nous, l’impression est présente, ainsi que les personnages qui ressemblent certes à des êtres humains mais ne sont que des personnages, sans intentionnalité.

Dans les objets que je produis, chacun est libre de voir une cascade, un iceberg, une bâche en plastique, ou du polystyrène. L’imitation n’est que partielle, puisque seuls quelques éléments sont reproduits. Les images ainsi réalisées veulent convoquer cette «fougue primordiale des eaux, du vent, des nuages, des couleurs projetées à l’état pur sur ce ciel et les horizons » que décrit Samivel dans son livre L’Or de l’Islande.
Bleu Glacé a pour ambition de représenter cet ailleurs mythique, terre encore inconnue.

Manon Lanjouère est née en 1993. Formée à l’école de photographie Les Gobelins, elle expose dans plusieurs festivals dont celui de la Gacilly et aux rencontres d’Arles pour la série Bleu Glacé dans le cadre de la présence de la galerie Fisheye. Elle participe aussi aux festivals Itinéraire des photographes voyageurs (Bordeaux), Les nuits photographiques de Pierrevert et les Rencontres photographiques du 10ème (Paris). Elle est aussi finaliste pour les prix Emerging Photographer Fund, de la Bourse du Talent #71 et du prix QPN toujours pour la série Bleu Glacé.

En savoir plus sur le site de Manon Lanjouère

Quatre projets se partagent le vaste espace au centre du Pavillon Populaire : « I loved my wife » de Dieter de Lathauwer, « 雪
女 Yuki-Onna » de Sandrine Elberg, « 67P » de Florence Iff et « Pine Needles » de Hanna Rast.

Dieter de Lathauwer, « I loved my wife » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Dieter de Lathauwer, « I loved my wife » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Cette exposition pose la question du statut et de la valeur de l’humain lorsqu’il est résumé à son utilité et à son coût social. Elle pose également la question du pouvoir de manipulation des images de propagande. L’exposition traite de l’élimination de patients considérés comme physiquement et mentalement incurables, enfants ou adultes, entre 1939 et 1941. Ces meurtres, appelés « meurtres par compassion » ou « euthanasies », ont précédé et annoncé l’Holocauste. De façon structurée et méthodique, plus de 70 000 patients ont ainsi été éliminés en Autriche. Considérés comme inutiles à la société, ils ne devaient pas faire peser la moindre charge sur celle-ci. En 1941, Hitler ordonna l’arrêt du programme sous la pression de l’opinion publique allemande, mais les institutions décidèrent de le poursuivre malgré tout. Seules quelques-unes des personnes responsables seront finalement jugées par les tribunaux.

Je me suis rendu en Autriche et j’ai pris des photos de ces centres de soin et institutions psychiatriques. J’ai combiné ces photographies in situ avec des clichés de films de propagande nazis sur l’euthanasie, des montages photographiques et quelques images d’objets historiques. Les montages montrent les visages de responsables de ces meurtres, dont certains traits ont été remplacés par des traits de « visages parfaits » tels qu’on en trouve dans Google pour illustrer les pratiques eugénistes.
Toutes les images sont à lectures multiples. Même quand les photos sont authentiques, plusieurs interprétations sont toujours possibles.
L’aspect du livre évoque un dossier médical. Il est composé d’un dossier rose à deux rabats et contient un petit livret avec trois essais, ainsi qu’une carte. La couverture de chaque dossier est marquée d’une croix rouge faite à la main, comme le pratiquaient les médecins lorsqu’ils jugeaient un patient incurable et promis à l’élimination. Le livret est imprimé sur du papier fin, avec une petite taille de police d’impression, à l’imitation d’une brochure médicale.
Le titre est tiré d’un dialogue de film de propagande de 1941 dans lequel un homme accusé d’euthanasie sur sa femme passe en jugement. Il se lève et dit « j’aimais ma femme » alors que le sous-texte du film laisse entendre « j’aimais ma femme, mais son élimination était la seule chose à faire dans l’intérêt de la Nation ». Cet épisode peut ainsi être perçu, dans le même temps, comme l’illustration d’un drame familial et comme l’acceptation de la politique eugéniste nazie.
Ce projet rassemble plusieurs de mes centres d’intérêt photographiques : l’exploration de lieux à partir de points aveugles sociaux et historiques ; la façon dont les gens comprennent les photographies dans leur environnement, et le livre photo comme objet.

Né en 1978 Dieter de Lathauwer est diplômé de l’Académie des Arts de Gand en Belgique. Depuis 2012 il remporte plusieurs prix dont : Bozar Photography (Summer of photography), DocField Dummy Award, Barcelone (mention), Kassel Photobook (Sélection Expert). Son travail est essentiellement exposé en Belgique. Il participe cependant à deux expositions de groupe à l’étranger, au Japon au Musée d’Art Contemporain de Kanazawa et à Photo London à Londres. Il est membre du collectif “Photolimits“

En savoir plus sur le site de Dieter de Lathauwer

Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Sandrine Elberg, « Yuki-Onna » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Le travail photographique de Sandrine Elberg mêle recherche identitaire et exploration formelle. Ici, parée d’un masque de jeune fille Shakumi du théâtre Nô, elle incarne le personnage Yuki-Onna et nous invite à la rêverie et la contemplation.
Yuki-Onna est un personnage de folklore japonais : la femme des neiges. C’est un Yokaï, un esprit ou un fantôme qui apparaît la nuit dans les régions où il neige abondamment. Elle est décrite de différentes manières, tantôt comme une femme immense, tantôt comme l’incarnation d’un paysage enneigé. Elle est la personnification de l’hiver et en particulier des tempêtes de neige. Yuki-Onna représente la dualité de l’hiver : de sa beauté lisse et froide naissent la violence et la cruauté des tempêtes.

Née en 1978 Sandrine Elberg est une photographe plasticienne diplômée de l’Ecole Nationale Supérieur des Beaux Arts de Paris. En 2004 elle est lauréate du programme de résidence AFAA/Ville de Paris et Maison de la photographie à Moscou pour son projet « Devenir Russe ». L’artiste reviendra souvent en Russie puisqu’une grande partie de son travail photographique lui a été consacrée. Ce travail intimiste lié à une quête identitaire sur les origines de son nom patronymique fut primé à plusieurs reprises notamment par Arte Actions Culturelles, Les rencontres photographiques du 10e, Canon et le monde de l’image.

En savoir plus sur le site de Sandrine Elberg

Florence Iff, « 67P » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Florence Iff, « 67P » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Ce projet est une enquête sur la lumière, le temps et l’espace, en lien avec la question photographique, et à propos de la mission spatiale « Rosetta ». Des images de la NASA et de l’Agence Spatiale Européenne décrivent le voyage vers la comète 67P, destination de la mission Rosetta, à la recherche de la « soupe cosmique primitive » et des preuves de l’existence de molécules vivantes dans l’univers. La mission a commencé en 1992 et s’est terminée en 2014, lorsque le module a touché le sol de la comète 67P pour recueillir des informations. Cette mission de haute technologie a été développée pour répondre à des questions relatives à l’apparition de la vie sur terre.
D’anciens négatifs sur verre détériorés ou exposés plusieurs fois illustrent le thème de l’éphémère et de l’impermanence. Des images du corps humain, de la peau, et des radiogrammes viennent rappeler que notre expérience vitale est d’abord celle d’un corps. De vieilles photographies de paysages se mélangent ou coexistent avec des images high-tech de Mars ou de la surface de 67P. En jouant avec ces juxtapositions, je créée un voyage visuel qui s’approche de questions universelles sur la vie et sa nature transitoire, sur le temps, sur les traces que notre existence laisse derrière nous. Mais c’est aussi un voyage à travers cent années d’avancées techniques dans les domaines de la photographie et de l’exploration spatiale.
Les images sont désignées par les noms des onze instruments scientifiques embarqués à bord de « Rosetta ».

Après des études d’Art et de Philosophie à Zurich, Florence Iff suit une formation à l’ICP (International Center of Photography) de New York puis obtient un master d’éducation à l’art.
Le travail de Florence Iff a été présenté et primé dans de nombreuses manifestations en Suisse et dans le monde. Il a également fait l’objet de publications internationales et il est présent dans plusieurs collections publiques et privées.

En savoir plus sur le site de Florence Iff

Hanna Rast , « Pine Needles » - Boutographies 2018 au Pavillon Populaire
Hanna Rast , « Pine Needles » – Boutographies 2018 au Pavillon Populaire

Il n’y a pas de temps tangible dans la croissance d’une personne, il n’y a que des transitions. Par là j’entends les changements qui s’opèrent sur notre corps, notre âme, notre conscience pendant le processus de devenir adulte. Pendant ce temps nous sommes très sensibles aux changements et aux distractions venants du monde extérieur. Ces distractions peuvent considérablement affecter la perception que nous nous faisons du monde et de nous-même.

Ma série Pine needles s’interroge sur le rôle de la photographie dans la représentation de l’identité, et des distractions et des interruptions qui peuvent nous pousser à sortir des rangs établis du développement. Une tournure inattendue des événements peut nous amener à changer notre perception de la confiance, de la personnalité et de la confiance en soi. Mes travaux se basent sur des expériences personnelles. En les reliant à mon travail artistique j’essaie de définir comment nos personnalités peuvent soudainement changer et comment la compréhension du passé est nécessaire pour comprendre notre présent.
J’applique d’anciennes photos sur des nouvelles pour reconstruire une image de moi-même et de mon identité. Cette méthode est une sorte d’étude de la façon de prendre le contrôle sur le récit de notre propre vie. Lorsque je travaille sur ces images je ne suis plus observatrice, je deviens participante. Dans ce processus, le plus importante est de s’impliquer sur le terrain de la compréhension. Les photos nous montrent peut-être notre passé mais ce que nous en faisons et comment nous les utilisons parle d’aujourd’hui et non hier. Les traces de nos anciennes vies sont utilisées dans un processus perpétuel pour se construire, se reconstruire, se donner du sens aujourd’hui.

Née en 1986, Hanna Rast a fait ses études à l’Université d’Aalto d’Helsinki en Finlande d’où elle sort en 2011 avec un Master d’Arts. Sa première exposition en 2014 Everything that surrounds us est présentée à la B Gallery de Turku en Finlande. Elle réalise aussi quelques expositions de groupe en Finlande ainsi qu’en France à Arles à la galerie Nomade et au festival Voies off mais aussi à Düsseldorf à la galerie RaumSechs et à la Black Box Gallery en Oregon USA. Elle est lauréate du ArtProof Grant Finland.

En savoir plus sur le site de Hanna Rast

Boutographies 2018 au Pavillon Populaire - Christian Maccotta, directeur artistique
Boutographies 2018 au Pavillon Populaire – Christian Maccotta, directeur artistique

Il y a dix ans, Les Boutographies investissaient le Pavillon Populaire pour la première fois, après une enfance heureuse dans le quartier qui leur avait donné leur nom : Boutonnet. Nous étions en mai 2008. On se remémorait alors un autre mois de mai, celui de 68, et cette arrivée au Pavillon Populaire s’apparentait pour nous à une intrusion sur les territoires bien gardés de l’institution culturelle. Sensation romanesque et un peu exaltée, mais à même de nous soutenir dans ce pari pas raisonnable : occuper le lieu avec notre propre programmation, et réaliser le festival au centre-ville avec une équipe qui se comptait alors sur les doigts d’une main. Depuis, plusieurs milliards de photographies ont recouvert la planète, menaçant de nous engloutir. Mais nous sommes toujours là, avec cette sorte d’acharnement méticuleux à choisir les quelques images que nous voulons vous montrer envers et contre tout. Qu’est-ce qui pourrait justifier un tel entêtement, hormis notre souci d’occuper nos longues soirées d’hiver et de continuer à faire de la photographie un prétexte à rencontres, à débats, sinon notre émerveillement sur l’infinie capacité de nos congénères à faire ressurgir les images qui n’existaient jusqu’alors que dans nos rêves, ou dans nos propres inquiétudes ?

Certains des photographes que nous exposons cette année semblent avoir pris la mesure de la pléthore des images photographiques, au point de renoncer à en produire de nouvelles. Leur travail est fondé sur la réutilisation d’images déjà existantes, qu’il s’agisse d’anciennes productions leur appartenant ou bien d’images en circulation sous des statuts divers : mémoire familiale, preuve scientifique, images de propagande… D’autres, ou les mêmes parfois, ont renoncé à la couleur. Ils reflètent une tendance largement à l’œuvre parmi les centaines de dossiers reçus cette année. Comme si le noir-et-blanc venait pour re-légitimer la photographie du côté de sa fonction mémorielle, de son épaisseur temporelle et de sa durabilité. Mais ce qui parcourt l’ensemble des travaux, au-delà des contingences techniques et historiques, est encore une fois une question fondamentalement humaine et irrémédiablement associée aux images : celle de la croyance. Comme pour nous rappeler que la photographie, malgré sa banalisation extrême, continue de venir toucher à ce qui nous importe : quel besoin de croire ? Quelle nécessité d’échapper à la croyance ? Dans un pays aussi peu enclin au religieux que la France, les croyances ont souvent cherché des idoles de substitution. La gigantesque fête païenne de juillet 1998 en a adoré quelques-unes. Les images de Cédric Calandraud en gardent les traces désenchantées, lorsqu’il les exhume vingt ans plus tard. À l’autre bout du spectre, les dieux de la nature japonaise de Sandrine Elberg et les êtres qui marchent sur l’eau de Philippe Leroux nous invitent à croire au-delà du visible, au-delà du raisonnable. Entre les deux, les auto-fictions de Lee-Marie Sadek ou de Hanna Rast nous confrontent à ce qui manque, à ce qui reste insaisissable, indécis, et nous oblige chaque jour à rebâtir la confiance en ce qui va tenir lieu, et ainsi nous porter plus loin.

Vingt-huit talents européens ont été repérés pour vous par le jury 2018. Ils vous attendent ici, dans leur diversité, mais avec la même volonté d’exposer ce qui leur importe à vos regards, par delà les mots. D’autres expositions sont disséminées dans la ville, dans les nombreux lieux partenaires du Hors-les-Murs. Ne manquez pas de prolonger votre balade photographique jusqu’à elles, vous ne le regretterez pas. Bienvenue sur les chemins des 18èmes Boutographies, le pays des images grandes ouvertes !

Viviane Esders, Expert en Photographie depuis 1991, a créé son Cabinet d’expertise pour l’organisation de ventes aux enchères et l’expertise de collections privées et institutionnelles. Parallèlement, elle conseille et guide les particuliers et les entreprises dans la constitution de collections de Photographies.

Après 10 ans de direction de production dans les images de synthèse, Annakarin Quinto devient photographe en 2000. Dès ses débuts, elle questionne le pouvoir des images à dire le réel. En 2013, en prolongation de sa pratique, elle entame une recherche en tant que curatrice. En 2013 et 2014, elle propose d’explorer les liens photographie/images numériques dans le cadre de deux éditions de #mybeautifulpixel aux Ateliers de Belleville. En 2015, elle imagine et crée leboudoir2.0.

Après avoir obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’Université catholique de Louvain et étudié la photographie à STUK Leuven et à l’Académie des beaux-arts, Hasselt Anton Kusters et son ami et mentor David Alan Harvey, fondent le magazine Burn, une plateforme en ligne dédiée à la photographie émergente. En collaboration avec Diego Orlando il gère le prix annuel Emerging Photographer Fund dédié aux photographes émergents pour les aider à poursuivre ou terminer un projet photographique. Anton est représenté par la galerie Ingrid Deuss à Anvers, Belgique.

Après des études universitaire de juriste, Benoit Rivero co-fonde en 1979 les éditions Verdier. En 1983 il rejoint le Centre National de la Photographie dirigé et fondé par Robert Delpire qu’il quittera en 1996 pour rejoindre les éditions Nathan dans le cadre des éditions photographiques. En 2004 il entre chez Actes Sud en tant qu’éditeur adjoint à la collection Photo poche.

Directeur artistique des Boutographies depuis 2007, il est photographe lui-même et diplômé de l’ENSP Arles. Titulaire d’un master de recherche consacré à la photographie, il écrit pour de nombreux auteurs photographes depuis dix ans, et intervient à l’Université Montpellier III.

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