Jusqu’au 2 juin 2019, le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur accueille à Marseille « Un autre monde///dans notre monde », troisième étape d’un projet que Jean-François Sanz, commissaire de l’exposition a présenté en 2016 à la galerie du jour agnès b. et au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris.
Sous-titrée « Évocation contemporaine du réalisme fantastique », cette exposition collective est coproduite par le Fonds de dotation agnès b. et le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, en partenariat avec le Frac Grand Large – Hauts-de-France qui en proposera une quatrième itération en 2020.
La version présentée au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur est, selon les propos du commissaire, « à ce jour la plus riche et la plus ambitieuse, intégrant les travaux de nombreux nouveaux artistes ». En effet, Jean-François Sanz a largement utilisé les collections des deux Frac pour étayer son argumentation.
Dans son texte d’intention, dans un entretien avec Pascal Neveux, directeur du Frac et dans ses échanges avec François Angelier et Céline du Chéné pour l’émission Mauvais genres, diffusée sur France Culture le 23 mars, le directeur artistique du Fonds de dotation agnès b explique longuement son ambition de faire redécouvrir et de réactiver la notion de réalisme fantastique.
« Un autre monde///dans notre monde » s’inscrit dans la lignée du « Matin des magiciens », le livre de Louis Pauwels et Jacques Bergier paru en 1960, et de la revue Planète qui suivit de 1961 à 1968.
Citant l’ouvrage de Pauwels et Bergier : « La science moderne nous apprend qu’il y a derrière du visible simple, de l’invisible compliqué », l’exposition imaginée par Jean-François Sanz souhaite questionner « notre rapport au réel à travers de nombreux secteurs de la création et de la connaissance, aux frontières de la science, de la tradition, du fantastique, de la science-fiction et, in fine, du réel »…
Un tel programme comblera sans aucun doute ceux pour qui la lecture du « Matin des magiciens » a été une révélation et qui aura, comme pour le commissaire, « ouvert les portes de la perception ».
Ceux qui sont restés insensibles à L’Appel de Cthulhu et à l’œuvre de H. P. Lovecraft ou au Livre des damnés et à l’héritage de Charles Fort, ceux qui n’ont jamais digéré le diagnostic de « sida mental » prononcé par Pauwels à propos des manifestations en 1986, ceux pour qui la contre-culture n’a pas grand-chose à voir avec le réalisme fantastique, aborderont certainement « Un autre monde///dans notre monde » avec méfiance et suspicion…
Ces derniers ne pourront que reconnaître le talent et le savoir-faire de Jean-François Sanz et saluer la superbe mise en scène qu’il signe pour cette exposition.
Qu’on adhère ou pas à son propos, il faut souligner que celui-ci est construit avec cohérence et subtilité. Le choix des œuvres est souvent très pertinent et le commissaire a su parfaitement utiliser la polysémie de nombreuses pièces pour articuler son discours.
L’accrochage précis et toujours juste maintient habilement l’intérêt du visiteur sans jamais lui forcer la main. Les cartels sont enrichis par des textes rédigés avec rigueur et simplicité. Citant artistes et critiques, ils offrent les repères utiles à la compréhension des pièces exposées et parfois les raisons de leur présence dans « Un autre monde///dans notre monde ».
Dans une semi-pénombre de circonstance, la lumière réglée au cordeau valorise parfaitement les œuvres. Le parti-pris scénographique organise des perspectives inventives et des changements de rythme habiles dans un parcours qui occupent l’ensemble des surfaces d’exposition du Frac depuis les deux grands plateaux, jusqu’au sommet du bâtiment.
Que l’on souscrive ou pas à la problématique développée par Jean-François Sanz, la visite d’« Un autre monde///dans notre monde » mérite un passage par le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur.
On aura certainement compris à la lecture de ces lignes que le « Matin des magiciens » n’a pas été pour moi une « révélation » et que le réalisme fantastique ne m’a pas « ouvert les portes de la perception ».
Les approches du groupe de recherche « Biomorphisme – Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant » qui avait produit une exposition particulièrement intéressante cet hiver à la Friche de la Belle de Mai retiennent plus mon attention et ma curiosité. Il est probable qu’il en sera de même avec la Fabrique du vivant « Mutations / Créations 3 » que propose actuellement le Centre Pompidou…
Cependant, cette « Évocation contemporaine du réalisme fantastique », par la qualité des œuvres rassemblées et par sa mise en scène remarquable, est un événement à ne pas manquer.
Parallèlement à l’exposition, le Frac PACA organise un cycle de rencontres, de conférences et de performances en lien avec les interrogations du réalisme fantastique qui sont abordées dans « Un autre monde///dans notre monde ».
À lire ci-dessous, le texte d’intention du commissaire et un extrait de son entretien avec Pascal Neveux, directeur du Frac.
L’émission Mauvais genres de François Angelier et Céline du Chéné, diffusée sur France Culture le 23 mars, propose des échanges avec Jean-François Sanz, Pascal Neveux et plusieurs artistes présents lors du vernissage.
Cette chronique sera prochainement complétée par un compte rendu de visite.
« Un autre monde///dans notre monde » rassemble des œuvres de Véronique Béland • Yoan Beliard • Abdelkader Benchamma • Valère Bernard • Rémi Bragard • Markus Brunetti • Alexis Choplain • Arnauld Colcomb & Bertrand Planes • Julien Crépieux • Julien Creuzet • Fred Deux • Hoël Duret • Eric Duyckaerts • Jean-Louis Faure • Nicolas Floc’h • Aurélien Froment • General Idea • Norbert Ghisoland • Jean Gourmelin • Laurent Grasso • Giulia Grossmann • Martin Gusinde • Jackson • Louis Jammes • Magdalena Jetelová • Emmanuelle K • Bertrand Lamarche • Augustin Lesage • Corey McCorkle • Pierre Mercier • Laurent Montaron • Jean-Louis Montigone • Adrian Paci • Abraham Poincheval & Matthieu Verdeil • Bettina Samson • Robert Schlicht & Romana Schmalisch • Jim Shaw • Dennis Stock • Anaïs Tondeur • Agnès Troublé dite agnès b. et Marie Voignier.
On peut également y voir des éditions de William Copley (Portfolio SMS : Nicolas Calas, Bruce Conner, Marcel Duchamp, Marcia Herscovitz, Alain Jacquet, Lee Lozano, Meret Oppenheim, Bernard A. Pfriem, Johnson Ray, George Reavey, Clovis Trouille) • Yona Friedman • Rodney Graham et Jean-Michel Othoniel.
En savoir plus :
Sur le site du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
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Durant toutes les années 1960 et une bonne partie des années 1970, se développe en France un phénomène éditorial et culturel sans précédent : le réalisme fantastique. Sorte de petit frère mutant du surréalisme, dont il a hérité le caractère avant-gardiste, ce mouvement va engendrer en quelques années une véritable sous-culture de masse, à la fois populaire et savante.
Succès de librairie retentissant dès sa sortie, le livre de Louis Pauwels et Jacques Bergier, – sous-titré Introduction au réalisme fantastique – fut traduit en plusieurs langues et relayé de 1961 à 1968 par la revue Planète, créée dans la foulée par ses auteurs (et elle aussi adaptée en différentes versions étrangères) afin de répondre à la demande et aux questions d’un lectorat nombreux et avide de découvertes, mais aussi aux divers détracteurs des thèses exposées dans le Matin des magiciens. Pendant près de deux décennies, le mouvement va en effet susciter l’ire de l’Union rationaliste et agiter le Landerneau culturel hexagonal, mais aussi dans une large mesure international, incitant des personnalités telles qu’Edgar Morin, Umberto Eco, Henri Laborit, Rémy Chauvin ou Robert Benayoun à se pencher sur la question, et parfois à prendre position, pour ou contre, selon les cas. Dans le même temps, la revue Planète pourra quant à elle se prévaloir de tirer à plus de 100 000 exemplaires ainsi que de publier et de populariser en Europe les œuvres d’auteurs aussi prestigieux que Jorge Luis Borges, H. P. Lovecraft, Federico Fellini ou René Alleau.
Pour synthétiser son propos, on peut dire que le réalisme fantastique consiste à débusquer le fantastique au cœur même du réel, et non à travers tel ou tel phénomène prétendument surnaturel. Il s’agit d’une démarche basée avant tout sur la rationalité qui nécessite néanmoins une certaine ouverture d’esprit ainsi qu’un usage aussi plein, étendu et efficace que possible de la conscience du sujet – une forme d’éveil –, et qui préconise la méfiance envers toute forme de dogmatisme. Elle repose sur le constat que plus les sciences et la connaissance progressent, plus on prend conscience que la réalité elle-même est tout bonnement fantastique – dans la mesure où, précisément, plus on en sait, plus on prend conscience de l’ampleur de ce que l’on ignore, de ce qu’on ne peut expliquer et du fait que, malgré les découvertes incessantes qui s’enchaînent à un rythme toujours plus effréné dans tous domaines, la complexité du réel et le mystère de sa nature exacte s’épaississent et nous échappent toujours plus loin, au-delà des frontières du connu et, sans doute même, de l’intelligible. Cette démarche met également en lumière le fait que la fiction, par le biais de boucles de rétroaction, nourrit, inspire et influence souvent le réel, tout en l’informant par anticipation sur ses devenirs potentiels.
Le réalisme fantastique établit ainsi des rapprochements inattendus, saisissants et féconds, entre des champs d’étude a priori fort éloignés les uns des autres. Il s’intéresse, suivant l’exemple de l’écrivain « scribe des miracles » Charles Fort, aux cas laissés de côté par la science officielle (phénomènes insolites, anomalies scientifiques, faits inexpliqués, etc.). Il investigue aussi l’histoire secrète du XXe siècle et la possible influence de l’occultisme sur son déroulement tragique. Il enquête sur les pouvoirs encore inexplorés du cerveau et de l’esprit humain en perpétuelle mutation. Il établit des parallèles édifiants entre les enseignements issus de civilisations disparues ou de la tradition alchimique et les avancées les plus récentes de la science de son époque…
Un projet transversal, interdisciplinaire et résolument contemporain
La première édition de l’événement, à la galerie du jour en 2016, visait à offrir une approche double, à la fois rétrospective et prospective, du réalisme fantastique, en mettant en regard un large choix d’archives, de documents inédits et de pièces d’artistes historiques du mouvement avec une sélection d’œuvres d’artistes contemporains faisant écho de diverses manières aux problématiques du réalisme fantastique dans leurs travaux.
Cette édition marseillaise met davantage le focus sur la dimension contemporaine du projet, la dimension historique demeurant présente en filigrane à travers certaines pièces d’époque (dont par exemple une lettre originale de Jean Cocteau adressée à Louis Pauwels à propos du Matin des magiciens).
Parallèlement à l’exposition, un cycle de rencontres / conférences / performances en lien avec les problématiques du réalisme fantastique est proposé au public, l’enjeu étant d’initier un dialogue à la fois constructif, prospectif et accessible entre des artistes, des auteurs et des chercheurs issus de différentes disciplines autour des thèmes traités dans l’ouvrage et la revue, et de leurs réactualisations à l’époque contemporaine.
Le premier axe de réflexion de ce projet, l’axe rétrospectif, critique et pédagogique, bien que minoritaire dans cette édition, vise à analyser le réalisme fantastique en tant que phénomène de société, et à identifier les différentes formes de sa postérité dans la culture populaire et la création contemporaine. L’enjeu, de ce point de vue, est de remettre en lumière ce mouvement, aujourd’hui largement occulté – bien que son onde de choc et son influence souterraine soient encore largement perceptibles dans de multiples domaines à l’heure actuelle. Il s’agit donc de souligner ce qu’il pouvait avoir de pertinent, de précurseur et de visionnaire à son époque, tout en menant une réflexion critique qui pointe ses manques, ses ambiguïtés, ses failles et dérives, afin de le resituer et de lui redonner la place qu’il mérite dans l’histoire de la pensée française et dans celle des contre-cultures du XXe siècle plus largement.
Indépendamment des évolutions et prises de positions pour le moins discutables – à divers égards – que l’on peut déplorer dans les parcours respectifs de ses auteurs ultérieurement à leur collaboration (qui prit fin vers 1972), le Matin des magiciens, et par extension le mouvement Planète, ont eu une importance considérable sur l’évolution des mentalités, l’ouverture d’esprit et l’appétit pour la connaissance de plusieurs générations de lecteurs et de créateurs. Certains auteurs avancent même la thèse selon laquelle le courant contre-culturel majeur qu’ils ont engendré, aurait, de par sa capacité à booster les imaginaires et la curiosité du grand public, ainsi que sa propension à mettre en doute certains dogmes et à encourager une forme d’éducation populaire (via les conférences et ateliers Planète notamment), préparé à la fois le terrain et les esprits aux événements de mai 68.
À ces divers titres, il paraît nécessaire autant que légitime de porter au réalisme fantastique l’attention et le regard rétrospectifs qu’il mérite.
Le second axe de réflexion qui sous-tend le projet Un autre monde///dans notre monde est quant à lui de nature prospective, expérimentale, et s’appuie sur la volonté de réactiver l’approche proposée par le réalisme fantastique à travers un corpus étendu et diversifié d’œuvres d’artistes contemporains ainsi qu’un ensemble de questionnements actuels, en la réactualisant à l’aune des avancées techno-scientifiques récentes et des problématiques contemporaines, en suivant une démarche transversale qui ne se limite pas aux cadres restrictifs de la pensée dominante.
Cela nous amène à questionner entre autres la notion d’état de conscience modifié, les limites de nos perceptions sensorielles, les avancées les plus récentes des neurosciences, les codes cachés de la nature et les lois encore indéchiffrables qui régissent le cosmos, le rapport que notre société techno-médiatique entretient avec la magie, le mythe et la tradition, ou encore certaines manifestations contemporaines des cultures de l’invisible et de l’art médiumnique…
Jean-François Sanz, commissaire de l’exposition
Extraits d’un entretien entre Jean-François Sanz et Pascal Neveux, directeur du Frac.
Pascal Neveux : Qu’est-ce qui a mis le réalisme fantastique sur votre chemin et comment qualifieriez-vous votre intérêt pour ce mouvement si particulier ?
Jean-François Sanz : C’est la lecture du livre de Louis Pauwels et Jacques Bergier, le matin des magiciens – sous-titré Introduction au réalisme fantastique – qui m’a fait connaître ce mouvement. À l’origine, le projet Un autre monde///dans notre monde a été conçu en collaboration avec le réalisateur Farid Lozès au cours de l’année 2015. Farid avait lu le matin de magiciens vers l’âge de vingt ans, et cet ouvrage l’avait profondément marqué. Je l’ai pour ma part découvert un peu plus tard, par le biais de l’émission Mauvais Genres, sur France Culture, dont je suis un auditeur assidu depuis de nombreuses années. Ce livre est un des (innombrables !) ouvrages de référence de François Angelier, qui produit et anime cette émission consacrée aux cultures de genre. Il y faisait régulièrement référence à divers propos, ainsi qu’un de ses acolytes, Jean-Luc Rivera, grand spécialiste des phénomènes fortéens, entre autres. La lecture du Matin des magiciens a été pour moi aussi une vraie révélation. Pour faire référence à l’œuvre d’Aldous Huxley, que Pauwels et Bergier ont très tôt considéré comme un auteur majeur, je dirais que ce livre m’a ouvert les portes de la perception.
Afin de qualifier mon intérêt pour ce mouvement si particulier, je crois que le terme de dévorant serait assez approprié. Le réalisme fantastique propose une approche très ouverte de la connaissance et du réel qui intègre l’imagination, l’imaginaire (les imaginaires seraient sans doute plus juste) et la fiction. À partir de là, de multiples champs d’étude et perspectives inédites s’ouvrent à nous, et s’enclenche très vite un effet boule de neige qui peut déboucher sur une véritable boulimie de connaissance dans des domaines fort variés et a priori fort éloignés les uns des autres. Et l’on sait que l’appétit pour la connaissance est chez certains sujets, quelles que soient les portions ingurgitées, insatiable…
Pascal Neveux : Y a-t-il des artistes qui ont plus particulièrement inspiré cette exposition et qui ont été profondément marqués par le réalisme fantastique ?
Jean-François Sanz : Dans l’exposition d’origine présentée à la galerie du jour agnès b., il y avait en effet des travaux de certains artistes qui, à l’époque, ont été clairement identifiés à la mouvance du réalisme fantastique et qui ont été marqués durablement par ce courant. Je pense à des photographes comme Lucien Clergue et Edouard Boubat, dont certaines photographies ont été publiées dans Planète et sur le travail desquels Louis Pauwels a écrit. Mais aussi à un dessinateur tel que Jean Gourmelin qui publiait régulièrement dans Planète et qui était proche de Jacques Bergier (nous présentons d’ailleurs dans l’exposition à Marseille l’illustration de Gourmelin qui a servi pour la couverture de l’édition originale du Matin des magiciens, dessin qui ne faisait pas partie de l’exposition d’origine mais que sa veuve, Luce Gourmelin, a opportunément retrouvé entretemps), ou à un auteur comme Mœbius, dont nous avions notamment présenté un dessin original représentant un sphinx à torse de femme qui avait servi d’illustration pour une publication connexe à Planète – Mœbius que je considère d’ailleurs comme l’un des perpétuateurs de l’esprit Planète lorsqu’il fonde en 1975, avec ses amis Jean-Pierre Dionnet et Philippe Druillet, le magazine de bande dessinée et de science-fiction Métal Hurlant, ainsi que du fait de sa longue et fructueuse collaboration avec Alejandro Jodorowsky).
Le réalisme fantastique s’est envisagé durant toutes les années 1960 et au début des années 1970 comme un renouveau culturel global, et ce renouveau passait bien entendu par les arts graphiques et plastiques. De nombreux artistes, émergents ou plus confirmés, ont ainsi été rattachés de diverses manières à cette mouvance. Le critique d’art Pierre Restany, initiateur avec Yves Klein, César et Christo du Nouveau Réalisme à partir de 1958 et jusqu’en 1962, a joué un rôle important dans cette tentative de dessiner les contours d’une nouvelle scène artistique réaliste fantastique. En se basant sur le constat de la mort de l’art abstrait, de l’action painting et de la peinture liée au surréalisme, il a suggéré à travers divers articles parus dans Planète que la relève de ces courants moribonds se trouvait dans les créations promues par le réalisme fantastique, sans jamais pour autant les introniser expressément en tant qu’art réaliste fantastique, préférant évoquer la perspective d’un art planétaire, en lien avec l’émergence d’une forme de conscience universelle. De nombreux artistes se verront ainsi consacrer des articles et publieront des reproductions de leurs œuvres dans Planète : Pierre Clayette, Robert Tatin, Carel Willink (surnommé par Jacques Sternberg le Lovecraft flamand), Escher (dont l’œuvre était encore très méconnu en France à l’époque), Pierre Soulages, Guido Van Genechten, Yves Trémois, Jean-Pierre Maury, Mathieu, Isis, Bill Bertrand, entre autres. On le voit, l’école artistique du réalisme fantastique est réellement importante par le nombre de ses artistes et leur originalité. Les éditions OPTA publieront même en 1973 une anthologie consacrée aux peintres réalistes fantastiques comptant une quarantaine d’artistes de tous pays. Pour les arts graphiques et plastiques, il est donc clair que Planète fut le catalyseur d’une nouvelle scène.
Cependant, en dépit de la volonté affichée par les thuriféraires du mouvement ainsi que des efforts de certains critiques comme Pierre Restany, et même si l’image a joué un rôle fondamental dans le succès de Planète (ce qui est essentiellement dû au talent du maquettiste Pierre Chapelot et aux conceptions éditoriales novatrices de Louis Pauwels), je ne pense pas que l’on puisse dire pour autant que le réalisme fantastique ait réellement constitué une avant-garde artistique au même titre que le surréalisme ou l’Internationale Situationniste par exemple. Peut-être parce que, contrairement à ceux-ci, il ne se fondait pas sur un manifeste en bonne et due forme, et sans doute aussi parce que, du point de vue des arts plastiques et graphiques, il manquait de cohésion, de méthodologie et de partis pris esthétiques suffisamment affirmés et partagés par ses divers acteurs. D’où sans doute également la relative occultation du réalisme fantastique par rapport au surréalisme et à l’Internationale Situationniste qui sont beaucoup mieux connus et identifiés comme mouvements culturels à l’époque actuelle.