Fabienne Verdier – Atelier nomade au musée du Pavillon de Vendôme – Aix

Jusqu’au 13 octobre 2019, le musée du Pavillon de Vendôme propose avec « Atelier nomade » de découvrir le processus de création et les techniques singulières mise en œuvres par Fabienne Verdier.

Ce projet imaginé par Alexandre Vanautgaerden avec la complicité de Christel Roy, directrice du Pavillon de Vendôme affirmait l’ambition de « montrer l’envers du décor et voir ce que personne ne voit »… Sans conteste, cet objectif est atteint avec brio.
« Atelier nomade » propose des angles captivants sur le travail de Fabienne Verdier qui complètent parfaitement la rétrospective que lui consacre le musée Granet (Chronique à lire ici).

Les objets, les dessins, le film Walking painting et le long Story-borad qui occupe l’étage du Pavillon permettent de comprendre « comment l’œuvre, faite de beauté et de recueillement, est le fruit d’une lutte avec les éléments de la nature (le vent, la pluie) et les forces de la gravitation terrestre ».
Mais l’exposition montre aussi combien « l’art de Fabienne Verdier est un dialogue permanent avec ce qui l’entoure et les personnes (artistes, scientifiques, écrivains) avec qui elle collabore ».

Le parcours s’organise en quatre séquences.

Au rez-de-chaussée, le salon sur la droite expose le dispositif de l’atelier nomade que l’artiste a imaginé pour peindre sur le motif de la Sainte Victoire. Il est accompagné par une vidéo dévoilant des images de l’artiste au travail au sein de la structure.

En face, le second salon qui ouvre sur le jardin est transformé en salle de projection. On y découvre Walking painting, un film d’une dizaine de minutes.

A son propos, Fabienne Verdier écrivait en 2016 :

« Je voulais explorer le temps de la peinture en train de se faire. Montrer les frontières entre maîtrise et lâcher prise. Scruter au plus près le comportement fascinant de la matière qui prend forme dans l’espace de la toile, pour aboutir à l’énigme du tableau.
J’ai dématérialisé le pinceau pour peindre librement avec la matière brute, la force de gravitation et l’énergie du corps en mouvement, sur de grandes toiles posées au sol. La peinture obéit à mes intuitions tout en gardant une étonnante autonomie.

Certains instants, captés à 1 000 images par seconde, induisent un changement d’échelle du temps et de l’espace. Des particules aux chorégraphies éphémères se déploient comme en apesanteur, sur la musique de Nicolas Namoradze. Les ondes de matière noire ricochent dans la lumière de l’atelier et s’inscrivent sur la toile, sculptant et peignant peu à peu les lignes d’un paysage abstrait ».

Dans le petit salon au plafond décoré d’une « Flore ou allégorie de l’abondance », peint au XVIIème siècle, les commissaires ont choisi d’accrocher un bel ensemble d’études et d’esquisses réalisées sur le massif de la Sainte-Victoire en 2018 (gouache, pastel sec et technique mixtes sur papier).

L’escalier d’honneur accueille un des premiers pinceaux conçu par l’artiste au début des années 2010. Dans cette « transgression, transformation du pinceau chinois », elle supprime le manche traditionnel et elle greffe un guidon de vélo. C’est dit-elle la « découverte d’un nouvel acte de peindre avec l’invention de cet outil qui permet de peindre en conduisant le pinceau sur la toile, le châssis au sol »…

Fabienne Verdier - Atelier nomade au musée du Pavillon de Vendôme - Aix

Fabienne Verdier – Atelier nomade au musée du Pavillon de Vendôme – Aix

Au premier étage, une fresque continue sur les cimaises déroule un passionnant story-board qui permet de comprendre le processus créatif de Fabienne Verdier. Un montage de textes, de photographies et de vidéos dévoile les différentes phases du travail de l’artiste…

Fabienne Verdier - Atelier nomade au musée du Pavillon de Vendôme - Aix
Fabienne Verdier – Atelier nomade au musée du Pavillon de Vendôme – Aix

Cette incontournable proposition du Pavillon de Vendôme offre des éclairages essentiels et indispensables qui enrichissent singulièrement la rétrospective du musée Granet

À lire ci-dessous quelques textes extraits du story-board présenté à l’étage. Malheureusement, aucune édition de ce travail n’est pour le moment prévue.

En savoir plus :
Sur la page du Musée du Pavillon de Vendôme sur le site de la Ville d’Aix-en-Provence
Lire la chronique Fabienne Verdier – Sur les terres de Cézanne au Musée Granet

01 Atelier nomade

Comment raconter ce qui se passe dans l’atelier d’un artiste? Peut-être en utilisant le langage du cinéma, avec des images, du son et des mots. Découvrons ensemble comment Fabienne Verdier a patiemment élaboré sa façon de travailler, puis n’a eu de cesse de se lancer dans des aventures nouvelles, en parcourant la planète pour y rencontrer des penseurs, des peintres, des musiciens, ou même un astrophysicien. C’est l’histoire d’une vie, tout y prend du temps, rien ne se réalise facilement ni rapidement. Et parfois, il faut accepter que rien ne se passe.

02 des ateliers nomades

L’atelier de Fabienne Verdier est nomade car elle aime partir à la rencontre de personnes, de traditions, de paysages qui entrent en résonance avec son désir de saisir le monde dans sa spontanéité, d’exprimer les forces qui engendrent les formes, en nous et autour de nous: dans notre cerveau, dans le dessin des lignes de crêtes, le murmure des fleuves, à la naissance du langage. Fabienne Verdier aménage des ateliers nomades en Chine, à New York, sur la montagne Sainte-Victoire, sur un bateau voguant entre les fjords de Norvège, au bord du fleuve Saint-Laurent au Québec. L’expérience d’Aix-en-Provence est singulière car elle n’était jamais sortie dans la nature avec un grand pinceau, ce qui l’oblige à concevoir une structure pour la déplacer de point de vue en point de vue.

03 l’atelier

À 31 ans, Fabienne Verdier ressent le besoin d’un atelier permanent. Elle met près de 14 ans pour créer ce lieu singulier, mi-fabrique, mi-chapelle, composé de plusieurs ateliers, d’une bibliothèque et d’un jardin, sur le plateau du Vexin au nord de Paris, avec l’architecte Denis Valode. Cet atelier est un lieu de forces centripète et centrifuge. Un lieu de rencontres dans lequel, périodiquement, d’autres personnes viennent et travaillent avec elle.

04 gravitation

En Chine, Fabienne Verdier apprend à peindre debout. À 21 ans, elle abandonne la peinture de chevalet qu’elle pratiquait en France, le tableau posé devant elle. Désormais, elle le surplombe. Elle ne s’assiéra plus jamais. Le tableau est définitivement posé au sol pendant qu’elle travaille. L’écoulement du noir suit les lois de la gravitation terrestre. Pendant vingt ans elle tâtonne. C’est à partir de 35 ans que l’artiste imagine des outils de plus en plus grands avec lesquels elle peut faire corps, devenir pendule. Son pinceau pèse désormais 25 kilogrammes ; chargé de matière picturale, son poids atteint une soixantaine de kilogrammes. Son atelier est construit autour de ce pinceau. Grâce à un système de poulies, Fabienne Verdier peut le manipuler avec aisance. Peindre consiste à pousser, suspendre, jouer avec la pression pour que le pinceau laisse une empreinte plus ou moins légère sur la toile.

05 outils

À 30 ans, l’artiste utilise une grande diversité de pinceaux faits de barbe de rat, de poils de renard, de loup, de chèvre, de loutre, de martre, de mouton, de plumes de coq, de canard ou de faisan, car ils produisent un trait plus ou moins raide, souple, vigoureux, doux, nerveux, précis… Mais quelque chose ne va pas, elle est entravée par le trop petit format des papiers chinois, si beaux soient-ils. À 35 ans, on l’a vu, elle abandonne ces pinceaux au délié classique pour créer un premier pinceau monumental, à la dimension de son corps, fabriqué avec plus de vingt queues de cheval. Les grands pinceaux ne permettant plus l’utilisation de l’encre traditionnelle, Fabienne Verdier se lance alors dans des recherches de matières et met au point des composants inédits à base d’acrylique afin de conserver la fluidité désirée, ainsi qu’un temps de séchage suffisamment long pour opérer des retouches. Chaque expérience nouvelle entraîne la création d’outils spécifiques, tantôt petits, tantôt monumentaux, capables de peindre des traits de plus d’un mètre de large.

12 le corps libéré

Forte de ses expériences et de ses réflexions sur la nature de l’écoulement de la matière picturale, Fabienne Verdier invente un second outil qui dématérialise le pinceau pour conserver uniquement la réserve intérieure de pigment fluide. Il ressemble à une poche à douille de pâtissier: une gorge en plastique pleine de matière acrylique, qui la conduit à se passer du pinceau et à marcher sur la toile en projetant la matière picturale directement sur le châssis: ce sont les Walking/ Paintings («peindre en marchant»). Ces oeuvres ont une dynamique proche de celle que l’on entrevoit dans les éclairs. Fabienne Verdier s’intéresse à la question de l’énergie vibratoire qui emplit ce que nous percevons dans le vide. La surface de la toile devient un champ d’énergie.

13 carnets

Ses différents travaux de peinture sont accompagnés de carnets dans lesquels Fabienne Verdier consigne une série de notes écrites et visuelles. Ces cahiers ou planches ne sont pas des esquisses préliminaires aux œuvres peintes. Ils accompagnent la réalisation des tableaux, parfois en amont, parfois simultanément, parfois rétrospectivement. Pendant des mois, parfois des années, Fabienne Verdier amasse des notes, collecte des images de toute nature (oeuvres d’art, représentations de la nature, images scientifiques). C’est à l’âge de 45 ans qu’elle va partager sa pratique en deux temps : si la matinée est généralement réservée à la peinture, l’après-midi ou la soirée se passent à la table de travail.

Fabienne Verdier n’utilise pas d’ordinateur, mais assemble, découpe, colle, recouvre. Les textes et les images qu’elle met en résonance nourrissent sa réflexion picturale. C’est dans ces carnets et planches que l’on saisit le mieux sa pensée arborescente. Fabienne Verdier vit dans un monde fait d’analogies où les êtres et les choses sont reliés par des correspondances scientifiques, formelles ou symboliques.

14 l’invitation


A l’invitation de Bruno Ely, directeur du musée Granet, Fabienne Verdier décide de retourner travailler sur le motif. Terminé le huis dos qu’elle avait instauré avec les grands pinceaux et les forces de la gravitation dans son atelier au nord de Paris. Elle va se confronter à d’autres énergies: au vent, à la pluie, à la grêle. Peindre la montagne, c’est d’abord marcher, gravir, contourner, trouver son rythme, respirer plus lentement pour parvenir au sommet. Puis, redescendre, emmagasiner les sensations diverses, pour peindre ensuite le mouvement continu de son corps et celui de la montagne. Elle effectue un premier repérage en 2017. Elle revient y séjourner au printemps et à l’automne 2018.

15 points de vue

Fabienne Verdier déplace son atelier nomade dans cinq lieu : sur le plateau de Bibemus, près du barrage de Blimont pour capter la vue triangulaire de la montagne, à Saint-Antonin pour saisir la façade rocheuse de 22 kilomètres de long, au prieuré Sainte Victoire au sommet de la montagne face à la Brèche des Moines, et dans les carrières de Bibémus. Elle s’interesse égalmement au fameux pistachier dans la cour de Château Noir où Cezanne loua une chambre en 1887. Fabienne Verdier parcours le chemin des crêtes avec un carnet de croquis. Lse conditions météorologiques, particulièrement rudes lors des de la majorité de ses séjours en Provence, obligent Fabienne Verdier à travailler certains jours sur le plateau de Bibemus dans un atelier de verre, où elle réalise des gouaches.

16 l’ascension

L’expérience la plus marquante fut d’aller peindre au sommet de la montagne par le sentier des Venturiers. L’association des Amis de Sainte-Victoire a prêté main forte à Fabienne Verdier pour monter les châssis et l’atelier nomade. Cette expédition est parvenue à hisser près de 250 kilogrammes de matériel qui peinait à tourner dans les derniers virages en lacets. Cinq ânes portèrent le pinceau et les 100 litres de peinture. Le séjour dans le prieuré Sainte-Victoire dura trois jours et deux nuits. C’est au cours de ce séjour que Fabienne Verdier a peint la Brèche des Moines.

17 filmer

Fabienne Verdier ressent à nouveau, à 52 ans, le besoin de quitter son atelier retiré dans la campagne pour créer un laboratoire au sein d’une école de musique, la Juilliard School à New York. Elle aménage son laboratoire dans un espace confiné, où se retrouvent parfois jusqu’à six personnes – avec leur batterie, leur violoncelle, leur piano, leur saxophone, leur caméra, leur pinceau ou leur guitare – pour interpréter ensemble une double harmonie, peinte et musicale. Ce laboratoire introduit une dimension nouvelle dans sa peinture: le film. L’artiste étudie le surgissement des formes, non leur résultat. Ces films ne sont pas des documentaires, mais des « capsules picturales» qui nous offrent l’occasion unique d’être au plus près de ce que recherche l’artiste: une peinture en acte. Ce travail filmique est poursuivi à Aix-en-Provence au sein de l’Académie du Festival d’art lyrique avec quatre jeunes quatuors à cordes. Cette oeuvre marque un tournant dans la recherche de Fabienne Verdier car elle intègre la notion de collaboration, d’espace immersif et de durée.

18 expérimenter

Dans un atelier, il y a proportionnellement peu de choses qui réussissent. La majeure partie du temps est consacrée à expérimenter. Dans le travail de Fabienne Verdier, il y a l’atelier permanent, des ateliers nomades, ou des laboratoires dans lesquels elle expérimente de nouvelles formes avec d’autres personnes comme avec les musiciens de la Juilliard School, avec le linguiste Alain Rey pour le dictionnaire le Petit Robert, ou avec le neuroscientifique Alain Berthoz dans un travail en cours. Telle est la vie d’un artiste, tenter en permanence pour, dès que l’on trouve, expérimenter une autre voie. Semblable à un ruisseau qui s’écoule, elle contourne les obstacles et crée sans fin des méandres.

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