Jusqu’au 8 septembre 2019, Basile Ghosn présente « A Place in the Sun » à l’Entrepôt Gérald Moreau, 38, rue Flégier dans le premier arrondissement de Marseille.
On attendait avec beaucoup de curiosité de découvrir cette première exposition personnelle qui est une initiative de la galerie Sans Titre (2016).
Avec une dizaine d’œuvres exposées, Basile Ghosn occupe avec opportunité et cohérence les espaces atypiques de cet entrepôt temporairement disponible. Il joue astucieusement avec les éléments d’architecture, les couleurs et la lumière singulière pour mettre en valeur les pièces qu’il a sélectionnées. Alternant habilement les formats et les techniques, il démontre sans ostentation la diversité de ses pratiques, la richesse de ses compositions à partir d’archives et d’images personnelles et son utilisation experte du photocopieur.
Dans un texte qui accompagne l’exposition, reproduit ci-dessous, Éloi Boucher évoque, avec à propos, les Combines de Robert Rauchenberg ou encore les pavillons de Dan Graham et les lignes architecturales d’Oscar Niemeyer… mais aussi les verres solaires skilynx, Joy Division et New Order.
Diplômé de la Villa Arson, où ses recherches ont porté principalement sur l’image imprimée, Basile Ghosn s’est imposé comme un personnage incontournable de la scène marseillaise où il vit et travaille.
Cofondateur avec Won Jin Choi de l’artist-run-space Belsunce Projects, Basile Ghosn, invité par Cédric Aurelle et Julien Creuzet, a investi les espaces de « Rhum Perrier Menthe Citron », aménagés par Flora Moscovici et Jagna Ciuchta avec une étonnante programmation intitulée « Shaker and Shooters ». On a pu en découvrir les traces dans « La part des anges » à l’occasion de Art-O-Rama.
Basile Ghosn est également un des quatre artistes sélectionnés par furiosa, duo de curateurs, composé par Arlène Berceliot Courtin et Thibault Vanco pour le Show room 2019 d’Art-o-rama…
Enfin, plusieurs de ses œuvres sont présentées par la galerie Sans Titre (2016) dans le salon en compagnie de Hamish Pearch et Katarina Schmidt.
Son travail reste visible à la cartonnerie de la Friche jusqu’au 15 septembre.
On ne peut que conseiller la découverte de cet artiste passionnant à l’Entrepôt Gérald Moreau comme à la Friche !
On avait remarqué son travail l’an dernier à Montpellier lors de Drawing room 018, à La Panacée. Il avait été un des lauréats du Prix Tourre Sanchis Architecture de la Jeune Création. À ce titre, il sera exposé début septembre à l’Espace Saint-Ravy dans « Grettings from Dystopia » en compagnie de Abigaël Frantz, dans le cadre de Boom le nouveau rendez-vous de l’art contemporain à de Montpellier. On attend avec intérêt de voir comment il saura investir les espaces voûtes et très contraignants de cette salle d’exposition.
Un catalogue édité par Sans titre (2016), conçu par Charles Levai avec des textes d’Éloi Boucher, accompagnera « A Place in the Sun ».
À lire, ci-dessous, le texte de Éloi Boucher qui accompagne « A Place in the Sun » et une présentation de l’artiste par furiosa extraite du dossier de presse d’Art-o-rama 2019.
En savoir plus :
Sur le site d’Art-o-rama
Sur les pages Facebook de Belsunce Projects et de Sans titre 2016
« I used to think that the day would never corne. That my life would depend on the morning sun… » (1)
Skilynx
Modèle de verres de lunettes solaires qui augmente significativement les contrastes tout en assurant à 100 % une protection UV. La perception du relief devient optimale et grâce à des verres bi-dégradés qui éliminent tout effet d’éblouissement, les multicouches deviennent plus distinctes.
Peut-être doit-on être équipé de ce modèle pour appréhender la vision de Basile Ghosn dont les œuvres convoquent une multiplicité de corpus allant de l’iconographie architecturale des années 60-80 à la culture underground. Par un travail de composition manuelle et de construction graphique, il remanie ses archives personnelles et ses propres souvenirs urbains. Il fragmente son réel en photographiant quotidiennement des morceaux de paysage et comme un jeu, il recadre et superpose des feuilles de papier aux formats standards à l’aide d’une photocopieuse — outils hérité de la culture du fanzine – avec des images de magazines d’architecture qu’il accumule. Ni peinture, ni sculpture, mais les deux à la fois, cet ensemble d’ceuvres nous ramènent aux séries des collages ‘Combines’ de Robert Rauschenberg où « l’image ne repose pas sur la transformation d’un objet, mais bien plutôt sur son transfert » (2). Tel un peintre, il compose d’abord l’arrière-plan puis rajoute au fur et à mesure des visuels qu’il isole et agrandit. Sa base d’images est nourrie à la fois par les édifices du Corbusier ou Mies Van der Rohe mais aussi surtout par les immeubles modernistes anonymes et populaires comme les centres balnéaires de la côte libanaise ou le Holiday Inn de Beirut détruit par la guerre en 1975. Ces bâtiments sont reconnaissables dans une certaine esthétique mais n’ont pas acquis un statut de chefs d’œuvre, ni un quelconque classement. Faisant écho à un passé flottant et étant ancrés dans la mémoire collective, ils permettent à l’artiste de se les approprier plus simplement et de les utiliser comme matière. Par des procédés de fabrication sérielle détournés tels le scan, la sérigraphie ou encore la gravure ou l’estampe, il nous livre des images-illusions. Il tente de rétablir un nouvel ordre social et esthétique en nous laissant percevoir des terrains utopiques, comme un « Pays où tout est permis » (3). Les lieux où Basile veut nous emmener sont comme des « sites de reconfigurations sémantiques » (4) : des nouveaux agencements articulés par des formes minimalistes où l’organisation est travaillée par la fragmentation. Imprégnés d’une mémoire sensible, les lieux atemporels que conçoit l’artiste sont usés et striés par différents filtres. Des filtres que l’on retrouve dans son travail par l’utilisation de vitres teintées ou de plexiglas récupérés sur des chantiers qui s’interposent entre notre regard et l’image. Les matériaux trouvés définissent ensuite la taille de ses impressions finales.
L’œuvre naît toujours au sein d’un format A3 — la capacité maximale d’une photocopieuse basique — mais se voit déformée selon les propriétés et la taille du matériau qui deviendra support, cadre ou outils de lecture. Les textures et les couleurs passées sont sûrement dues à sa vision troublée par les verres fumés et rayés des lunettes solaires, qu’il porte de jour comme de nuit. Ces écrans abimés ou fendus sont comme des lentilles de contact, des paravents transparents qui viennent dévoiler un territoire inconnu et hybride. Un double foyer imagé comme un autre monde qu’il s’invente et dans lequel nous pouvons aussi projeter nos propres références. Sur ses terrains fantômes, on peut retrouver un éventail de formes qui nous rappellent les séries des pavillons de Dan Graham ou encore les lignes architecturales utilisées par Oscar Niemeyer dans la construction de ses sites – notamment le complexe futuriste à Tripoli au Liban, lieu de recherches clé pour Basile Ghosn. Les travaux de construction n’ayant jamais été achevés, il est désormais laissé à l’abandon. Ce site témoigne néanmoins de l’âge d’or de l’histoire du Liban et de l’architecture moderniste composée entre autres de dômes en béton, de rampes ou d’arcades. Tant de formes que l’on peut facilement identifier dans les compositions de Basile, des « armatures de la sculpture minimale, n’étant plus que l’allégorie d’un modernisme bientôt totalement désarticulé » (5). Les surfaces sont opaques, les lignes sont saturées et altérées, les formes épaissies par l’empilement et l’accumulation des strates techniques et des couches successives manuelles. De la même manière que Warhol réalisa sa série des ‘Ombres (Shadows)’, il y a plus de 40 ans à l’aide de reproductions d’images photographiées dans son atelier et de traînées de balais trempés dans l’encre, Basile Ghosn joue avec des motifs répétitifs qui éclatent l’espace. Dans ses all-over muraux, le nombre d’images et de formes est déterminé par les dimensions de l’espace où le papier-peint est marouflé. Une boucle qui se répète sans fin comme un pochoir qui viendrait tatouer l’espace d’une empreinte éphémère. Le fichier original se déforme par ses gestes et la reproductibilité devient infinie. La part d’erreur due au travail manuel les rend unique. Le programme de production s’établit quand apparaissent les défauts d’impression et les coulures. Les séquelles deviennent alors révélatrices et créatrices.
« Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés (…) »(6)
Eloi Boucher
« It’s getting faster, moving (aster now, it’s getting out of band,
On the tenth four, down the back stairs, it’s a no man’s land,
Lights are flashing, cars are crashing, getting frequent now,
I’ve got the spirit, lose the feeling, let it out somehow, »(7)
1 New Order, ‘True Faith’, 1987
2 Rosalind Krauss, ni Rauschenberg et l’image matérialisée », 1993
3 titre de la première publication majeure de Sophie Podolski publiée en 1972 qui regroupe une large sélection de dessins et de textes, montrant les explorations autour de la mythologie personnelle de l’artiste et de sa place dans la contreculture de la fin des années 1960 et du début des années 1970.
4 terme issu de l’essai ‘Juntos en la Sierra — Speech Act, Identité, Globalisation’ de Marie Canet qui analyse la manière dont les êtres privés des outils de la représentation se sont emparés des technologies de visualisation afin de reproduire des énoncés contestataires et solidaires pour laisser place à la formation d’espaces intersubjectifs. Ces espaces perturbent les arrangements conceptuels préétablis et viennent déranger les organisations habituelles pour écrire un vocabulaire nouveau.
5 Aude Launay, « Tom Burr, peeping Tom’s », 02 Magazine G Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974 r Joy Division, ‘Disorder’, 1979
À propos de Basile Ghosn (texte de furiosa extrait du dossier de presse d’Art-o-rama 2019)
En Juillet 1783, le Marquis de Sade écrivait à sa femme : “Vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise.“ Cette citation – ou situation devrions nous dire – est le point de départ d’un roman d’Hervé Guibert et d’une œuvre récente de Basile Ghosn.(1)
En effet, le jeune diplômé de la Villa Arson fait référence à l’écrivain, tout comme aux artistes américains tels que Tom Burr et sa radicalité conceptuelle, Dan Graham et ses pavillons et modèles architecturaux ou encore New Order dont l’ivresse minimale est également une source d’inspiration.
Basile Ghosn est un sentimental, de ceux que le mot n’effraie pas et dont les lectures et bandes sons new wave ou pop s’incarnent immédiatement en layers d’images dissolues systématiquement puis révélées par l’encre (toxique) de toners récupérés dans des copy-shop bon marché.
Après avoir étudié l’architecture et notamment celle des bâtiments d’Oscar Niemeyer dessinés pour la foire internationale au Liban dont il est originaire, le jeune artiste décide de poursuivre sa formation en faisant vibrer la grille moderniste par l’ajout d’éléments autobiographiques et architecturaux provenant de magazine spécialisés des années 1970 et 1980.
En ce sens, il poursuit véritablement l’analyse d’Hervé Guibert et travaille lui aussi à partir d’images fantômes auxquelles il confère un modernisme anonyme. Dans ce roman, l’auteur raconte ses antécédents photographiques, loin d’un texte théorique, il s’agit davantage d’une suite de notes explorant les différents status de l’image tels que le récit de voyage, le Polaroid, la photographie à caractère pornographique ou encore divinatoire.(2)
Parmi eux, le Polaroid semble le plus proche des recherches de Basile Ghosn et célèbre lui aussi l’instantanéité comme processus d’apparition de l’image. Et ce n’est pas un hasard si cette firme américaine fut d’abord spécialisée dans la fabrication de lunettes de soleil à verres polarisants agissant comme des filtres du réel. Grâce à une révélation instantanée de l’image, un cadre blanc inédit, une photogénie indéniable de l’objet – et surtout de par son caractère unique allant à l’encontre même de la photographie en tant qu’élément reproductible – le Polaroid est immédiatement devenu culte. À l’instar des monotypes en verre du jeune artiste auxquels quelques notes viennent polariser les titres : grenadine, orange, menthe à l’eau, loveless, daydream…
furiosa, Juillet 2019
(1) Vous m’avez fait former des fantômes, Hervé Guibert, Editions Gallimard, 1987.
Former des fantômes, (To Shape Ghosts), Basile Ghosn, 2018, encre et scotch sur photocopie, 20 x 33 cm, unique.
2 L’image Fantôme, Hervé Guibert, Editions de Minuit, 1981.