Jusqu’au 3 janvier 2021, le Centre des monuments nationaux présente « Cénotaphe », une proposition d’Eva Jospin à l’abbaye de Montmajour à Arles.Cette exposition s’inscrit dans le cadre de Manifesta 13 – Les Parallèles du Sud.
On garde un souvenir fort de la découverte des forêts d’Eva Jospin, de son installation Panorama, dans la Cour Carrée du Louvre en 2016 ou encore de la Carte blanche que lui avait offerte la Manufacture des Gobelins en 2013. On attendait beaucoup de la confrontation de l’artiste avec les espaces singuliers de l’église abbatiale de Montmajour…
Il faut bien admettre que la déception est à la hauteur de ces attentes !
La pièce principale Cénotaphe a été créée pour le lieu. Malgré ses dimensions imposantes, elle a beaucoup de mal à trouver sa place à la croisée du transept, à dialoguer avec l’architecture de l’édifice ou à entrer en résonance avec l’atmosphère et l’esprit unique de l’abbaye et de la Grande Île…
Depuis quelques années, Eva Jospin développe un intérêt notable pour les folies et les fabriques de jardin du XVIIIe siècle. Ses installations au domaine de Trévarez et à Chaumont-sur-Loire en 2018 et les œuvres récentes proposées par la galerie Suzanne Tarasiève en 2018 en témoignent.
Pour le Cénotaphe installé à Montmajour, Eva Jospin a imaginé et construit une tour brune, composée de trois étages. Haute de 8 mètres, en carton sculpté, papier et calque coloré avec quelques éléments en laiton, elle est surmontée d’un mât qui atteint les 10 mètres.
Le style de cette architecture de carton rappelle celui des capricci du XVIIIe siècle, des « rêveries picturales composites où ruines véridiques et monuments historiques réorganisent un paysage fictif » souligne le texte qui accompagne l’édifice.
Le choix d’installer ce caprice baroque dans le cœur de l’église haute, sous les voûtes en berceau, dans la plénitude de cette architecture romane provençale du XIIe siècle apparaît comme incongru et dissonant… On se retient d’écrire de mauvais goût !
Vers 11 heures du matin, au sommet de l’escalier qui conduit dans la nef, l’édicule funéraire apparaît gris et grêle, sans relief et sans âme dans le contre-jour des rayons du soleil qui inondent l’abside…
La matité du carton avale toutes les vibrations de la lumière du midi…
On a beau tourner autour, regarder depuis l’abside, aller au fond du croisillon sud ou dans celui du nord, aucun point de vue ne permet de valoriser ce Cénotaphe incongru…
Les échos avec le lieu que signale le texte de salle (l’évocation des tombes rupestres, le rocher sur la rotonde inférieure du cénotaphe qui évoquerait l’esprit troglodyte de l’ermitage de Saint-Pierre) n’arrivent pas à sonner juste…
À de nombreuses reprises, Montmajour a su monter sa capacité à accueillir l’art contemporain et à construire des échanges fructueux, poétiques et parfois spirituels notamment avec les sculptures et les installations qui y ont été exposées.
Nombreux sont ceux qui gardent un souvenir ébloui de « Mon Île de Montmajour » que Christian Lacroix avait présenté en 2013 avec le Cirva et en particulier de l’installation Beautiful steps #4 de Lang/Baumann qui occupait le cœur de l’église avec Le petit ange rouge de Marseille de James Lee Byars…
Avec ce Cénotaphe d’Eva Jospin, on est très loin de percevoir les mêmes émotions et de vivre un tel moment jubilatoire…
Les pièces que la galerie Suzanne Tarasiève présente dans les deux absidioles de l’église, Capriccio (2019) et Grotte Folie (2019) semblent tout aussi déplacées.
Au-delà de ces impressions de visite, il n’est pas illégitime de se poser la question du commissariat ou de la direction artistique qui parait inexistant.
En fin de compte, on peut s’interroger sur la place choisie pour ce Cénotaphe à Montmajour… N’aurait-il pas été plus pertinent de l’installer dans l’escalier ruiné de l’aile Saint-Maur dont quelques salles ouvrent cette année au public après d’importants travaux de restauration ?
En savoir plus :
Sur le site de l’abbaye de Montmajour
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Eva Jospin sur le site de la galerie Suzanne Tarasiève
À lire « Éva Jospin, l’appel de la Folie » un entretien de l’artiste avec Philippe Godin sur le site d’Artpress