Flore Saunois est sans doute une des artistes qui se sont affirmés avec force à l’occasion du 12e Printemps de l’art contemporain pour cette rentrée à Marseille.
La cohérence et la rigueur de son travail, mais aussi son étonnante maîtrise de l’espace d’exposition s’affirment dans « Meridional Contrast » à la Friche de la Belle de Mai avec Nepheli Barbas, Julien Bourgain et Louise Mervelet sous le commissariat de Tiago de Abreu Pinto (jusqu’au 1er novembre 2020) et dans « Liminal » à art-cade en compagnie de Tzu Chun Ku, Aurélien Meimaris et Kévin Cardesa (jusqu’au 31 octobre 2020).
Flore Saunois dans « Meridional Contrast » à la Friche de la Belle de Mai
À la Friche, sa proposition pour « Meridional Contrast » se développe dans un des deux espaces étroits et en longueur qui ouvre sur la droite en entrant dans la Salle des Machines.
Avec adresse et pertinence, dans une scénographie au caractère théâtral, Flore Saunois installe un rideau vert (Sans titre, 2020) à l’entrée de son exposition. La courbe élégante de cette tenture isole partiellement son projet, rompt la géométrie anguleuse du lieu et lui permet de maîtriser habilement la lumière, ce qui est essentiel pour les œuvres exposées.
Sur le mur du fond, Flore Saunois présente L’ombre d’un doute (2017), la seule pièce ancienne de son exposition, mais peut être une des plus emblématiques de sa démarche artistique.
Cette installation in situ est simplement la projection à échelle 1 d’une photographie d’une porte légèrement entr’ouverte, sur cette même porte fermée.
Le texte qui accompagne cette œuvre sur le site de l’artiste mérite d’être partiellement reproduit ici :
« Le doute auquel fait référence le titre, c’est le nôtre. Ce léger désarroi face à ce que l’on pourrait prendre pour un simple carré de lumière projeté sur un pan de mur. À mieux y regarder cependant, on aperçoit de légers tremblements dans les lignes, la texture flottante des choses, l’ombre projetée discrète de la poignée ou d’un câble. Et la nature de l’image nous apparaît : la photographie projetée, à échelle 1, de ce même pan de mur. Eurêka, l’ombre du doute s’estompe – et avec elle le caractère déceptif de la pièce, laissant émerger une pointe d’humour.
D’autres questions apparaissent : les aspérités, plinthes, encadrements de portes, clous oubliés là et mille autres détails sont-ils tous réellement présents, existent-ils dans l’espace matériel que nous occupons, ou sont-ils partie intégrante de l’image projetée ? La porte est-elle ouverte ou fermée ? Existe-t-elle seulement ?
Un trouble entre le réel et sa représentation, le matériel et l’immatériel s’instaure, alors qu’une infra-scénographie, une dramaturgie de l’infime se dessine (…) ».
On avait découvert le travail de Flore Saunois à l’occasion de la Relève II à la galerie art-cade avec L’intervalle (présent continu), une captivante installation où la vidéo en boucle d’un filet d’eau se déversait dans un récipient en savon. Le recouvrement de temporalités qui « se chevauchent, s’entremêlent, se télescopent en permanence » y était également très présent.
On retrouve ces problématiques de la représentation avec Sans titre (jours) (2020) et ses deux feuilles de papier blanc et coloré superposées et avec en vis-à-vis Sans titre (feuille pliée) (2020) où une diapositive est projetée sur une feuille de papier…
Dans son texte, Tiago de Abreu Pinto, commissaire de l’exposition, rapporte quelques bribes de ses échanges avec Flore Saunois : « Hmm. J’ai réfléchi à un mot qui me semble pertinent pour décrire mon projet : latence (…) Tous ces objets sont, en quelque sorte, dans une situation d’attente. Ils se tiennent là, ici, prêts à recevoir. (…) Et tout est lié avec l’étendue des possibilités qui s’offrent à nous ».
Deux autres pièces, réalisées en collaboration avec Lucian Moriyama, pourraient, à première vue, échapper à cette logique de la superposition des temporalités : au pied d’une cimaise, la Carte à jouer (2020) se serait-elle échappée du Château exposé à art-cade ? De toute évidence, elle fait écho au dé en pâte à modeler qui trône sur son socle dans Pour des possibles malléables (2020).
Dans sa conversation avec le commissaire, Flore Saunois souligne : « Les œuvres parlent du hasard et de la probabilité. (…) Donc les gens auraient la liberté d’envisager ce qu’ils souhaiteraient mettre en jeu et à travers ce geste mineur, je leur tendrai un dé qui ne tombera sur aucun nombre spécifique ».
Flore Saunois dans «Liminal » à art-cade* galerie des grands bains douches de la Plaine
Dans « Liminal » à art-cade*, on retrouve chez Flore Saunois la même maîtrise de l’espace d’exposition dans la restitution de son travail en résidence chez GTM SUD, une filiale de Vinci Construction.
Dans la première salle de la seconde galerie, Flore Saunois installe au sol un étonnant château de cartes en plâtre (Château, 2020). On ne manquera pas d’y percevoir quelques échos géométriques et discrets avec une des deux vidéos diffusées en boucle sur tablettes (Footnotes, 2020).
Chacun peut méditer sur l’équilibre fragile des chantiers de travaux publics et en particulier sur celui du boulevard urbain multimodal qui a occupé la résidence de l’artiste… En effet, le texte de salle précise que Flore Saunois « s’est intéressée à l’aspect incertain, tremblant et fugace que le chantier de construction recèle. Un lieu en perpétuelle redéfinition, à l’évolution inexorable et disparition promise. Une réalité éphémère, mouvante, qui dans son avancement court à sa dissolution »…
L’élégant arrondi de Château (2020) et sa forme allongée sont prolongés par On/Off (2020), un texte mural, extrait de la pièce sonore Combien de km/h, qui vient épouser la courbe du mur qui termine la galerie.
Dans cette seconde salle, un rideau tout aussi théâtral que celui installé à la Friche, mais ici de couleur rose « pêche », organise un espace d’écoute avec une subtile contre-courbe…
Flore Saunois invite les visiteurs à y entendre deux pièces sonores. La première (Marcher la distance, 2020) résulte de l’enregistrement de la traversée du tunnel, à pied, avant son ouverture aux voitures. La seconde (Combien de km/h, 2020) est issue d’une performance réalisée in situ, à partir de sons prélevés sur le chantier.
Avec distinction, sobriété, légèreté et éloquence, parfois avec humour, mais sans jamais forcer le trait, Flore Saunois évoque sa rencontre avec le chantier de ce tunnel premier tronçon d’une rocade entre les quartiers sud de Marseille et la mer.
L’artiste s’interroge et attire notre attention sur « La création d’un non-lieu. Un lieu où l’on ne s’arrête pas, destiné à être traversé le plus rapidement possible ». L’ensemble des pièces qu’elle a produites pour cette exposition propose, comme le souligne le texte de présentation, « de rejouer ce mouvement, le suspendre. Se placer au cœur de l’éphémère. S’engouffrer dans le tunnel – lieu onirique avec la plage qui se profile au bout, métaphore des aspirations à un ailleurs, moteur des désirs frénétiques qui se déplacent sans cesse, au fil de la quête »…
Les deux propositions de Flore Saunois à La Friche comme à art-cade* sont d’exceptionnelles réussites qui méritent sans aucun doute d’être vues.
On ne sera pas surpris d’apprendre que Flore Saunois a été sélectionnée pour la première édition de la Biennale artpress des jeunes artistes qui aura lieu au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne du 3 octobre au 22 novembre 2020 sous le commissariat d’Étienne Hatt et Romain Mathieu.
En savoir plus :
Sur le site de Flore Saunois
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« Liminal » sur le site d’art-cade*
« Meridional Contrast » sur le site d’Art-O-Rama