Jusqu’au 29 mai 2021, la Galerie AL/MA présente « Aquaplaning » un accrochage imaginé par Nicolas Daubanes à partir les œuvres en réserve.
À partir d’une d’une vingtaine d’œuvres de dix artistes (Tjeerd Alkema, Georges Autard, Serge Fauchier, Agnès Fornells, Eve Gramatzki, François Lagarde, Suzy Lelievre, Pascal Ravel, Maciek Stepinski et Arnaud Vasseux) parmi lesquelles on remarque deux de ses pièces, Nicolas Daubanes propose l’ébauche d’un récit où l’on retrouve plusieurs de ses préoccupations et notamment « la relation entre les notions de liberté et de contrainte ».




Aquaplaning – Carte Blanche à Nicolas Daubanes à la Galerie AL/MA ©David Huguenin
Le titre de l’exposition, comme la mise en scène des œuvres font de « Aquaplaning » un moment trouble où l’incertitude et la possibilité du dérapage installent le regardeur dans une situation équivoque qui lui impose un état en alerte. Il faut s’engager et relier les morceaux de l’histoire ou s’enfuir… Il n’y a pas ou peu de place pour une contemplation placide…
Dans cet exercice du commissariat, Nicolas Daubanes révèle d’étonnantes qualités de scénariste et de metteur en scène. Il y a quelque chose de « lynchien » dans cet « Aquaplaning »…
Tout commence (ou se termine) au centre de la Galerie AL/MA avec La clef, Quartier des femmes mineures, prison des Baumettes (2019). Dans un socle de béton, Nicolas Daubanes présente un moulage en céramique dentaire de la clef du quartier des femmes mineures à la prison des Baumettes… Le choix de la matière permet à l’objet de passer « les portiques de sécurité et autres sas de détection, tout en gardant la solidité nécessaire pour actionner le système de la serrure ».

La fragmentation de la clef en quatre morceaux est-elle une garantie contre toute tentative d’évasion ? Cette copie « non conforme » et respectueuse de la loi souligne-t-elle un maintien en détention. Cette sculpture de Nicolas Daubanes ouvre-t-elle ou conclut-elle le récit d’« Aquaplaning » ?
Face à la porte de la galerie, le visiteur se trouve immédiatement devant un grand tirage photographique de Maciek Stepinski, issu de sa série Périphériques (2014-2016). Certains se souviennent peut-être de ces étranges et fascinantes images d’une rocade en construction autour de Varsovie que Marie-Caroline Allaire-Matte avait montrées en 2016 dans le cadre d’un « hors les murs » des Boutographies…

La photographie sélectionnée par Nicolas Daubanes montre un espace incertain qui peut évoquer un simple accès interdit, une scène de crime ou une sortie de route… un événement incertain et inquiétant. Ce cliché s’imposait naturellement comme visuel pour « Aquaplaning ».

Sur la gauche, Nicolas Daubanes a choisi d’accrocher deux acryliques sur papier de Serge Fauchier. Ces deux études de 1974 sont celles de grandes toiles libres exposées chez Pierre Matissse à New-York avec celles de Simon Hantai, Claude Viallat et François Rouant. Serge Fauchier (Faucher jusqu’à la fin des années 70) a joué un rôle important dans les débuts de Nicolas Daubanes.

Dans ces deux dessins, on retrouve la marque de la série des peintures dites à « bâtonnets » que l’artiste évoque sur son site. Les traces verticales de ces « années Faucher » ne sont-elles pas l’indice de la voyelle disparue, une ligne debout dépourvue de son point ?
Selon la galeriste, le commissaire verrait ici des traces de doigts, « c’est finalement le pouce que l’on pose et que l’on tire »…
Sur la gauche, un diptyque de Pascal Ravel (Diptyque N° 1, 2017/2019) fait écho avec une rigueur géométrique aux « bâtonnets » de Faucher/Fauchier…

La juxtaposition de couleurs proches, leur définition par contraste produisent-elles des nuances dans le récit ? Que cache la superposition de ces couches de couleurs ? Ont-elles la volonté de nous placer dans le doute ? L’écart >5,5 cm< entre les toiles est-il toujours de rigueur comme en 2016 lors de l’exposition partagée avec Audrey Martin ?
Entre les deux fenêtres, un dessin de Suzy Lelievre (Sans titre, 2020) préparé pour Pareidolie 2020 montre une étrange architecture en papier découpé. Construite en 3D, elle a ensuite été écrasée… Certains y reconnaîtront peut-être une version aplatie et réduite de Rooms exposé dans la vitrine de la V.R.A.C à Millau en 2020.

On sait combien la déformation et la rigueur sont au cœur d’une démarche « qui emprunte son inspiration aux mathématiques autant qu’à son environnement »…
L’artiste et le commissaire se connaissent très bien et partagent des complicités générationnelles…
Cette architecture écrasée épaissit-elle le mystère que dissimule « Aquaplaning ». On semble percevoir un écho troublant aux volumes de Tjeerd Alkema qui lui font face…

Au sol, près de la fenêtre, sont posées quelques-unes des 300 ou 400 briques d’Ergonomie de la révolte (2018) empoignées par les ouvriers au moment de leur fabrication. On avait vu plusieurs de ces projectiles potentiels installés par Nicolas Daubanes dans la galerie « À la faveur de la nuit » en 2019. Elles voisinent naturellement avec No se meta en problemas (2021), la boîte d’allumettes en céramique d’Agnès Fornells.

Le récit d’« Aquaplaning » prend-il à cet endroit une autre tournure ?… À qui s’adresse cet avertissement vu à Mexico ? On perçoit qu’une étincelle pourrait mettre le feu à la plaine !
Faut-il y voir un écho aux mouvements qui agitent le monde de la culture et tout particulièrement les artistes qui se mobilisent ici (Art en grève Occitanie) et là (occupation.frac-paca) ?
Le texte de présentation d’« Aquaplaning » pourrait le laisser entendre. En effet, on peut y lire ces lignes :
« Le thème proposé par Nicolas Daubanes fait également écho à la situation dans laquelle se trouve le monde de l’art, confronté à son inertie. Cette période de glissement, consécutive à un arrêt brutal, nous autorise ainsi à profiter de l’étirement du temps qui en résulte pour observer le présent avec une lucidité accrue ».
Au centre du grand mur, sur la droite, un « nuage » associe trois des agrafages sur Beuys de la série La forme informe (2019) de Georges Autard à cinq photographies de François Lagarde. Nombreux sont ceux qui conservent le souvenir ému de l’accrochage proposé par le photographe dans « Artistes et Philosophes » à la Galerie AL/MA…

Les regardeurs attentifs y reconnaîtront le tatouage sur l’épaule de Brion Gysin, le bureau de Roland Barthes, l’impossible regard de Christian Prigent, l’envol de Valère Novarina et un carnet d’Ernst Jünger… Par l’ambiguïté et l’ambivalence de ces figures, nul doute que cette sélection fait sens pour Nicolas Daubanes. Il en va de même pour leur confrontation aux images de Beuys surchargées par Autard. Une manière de « retirer des preuves » confie Marie Caroline Allaire-Matte…

L’accrochage se termine autour du bureau de la galerie avec un ensemble d’œuvres qui troublent un peu plus le récit. La sculpture en plâtre Sans titre et dans date de Tjeerd Alkema semble avoir établi un lien de connivence secrète avec l’incrustation sur moulage d’un creux des deux mains jointes, réalisée par Arnaud Vasseux avec la complicité des fontaines pétrifiantes de Saint-Nectaire (Creux (Empreinte durée), 2015). La présence des trois aquarelles d’Eve Gramatzki (Stèle n°5 6 et 7, 1998) reste plus énigmatique…



Quand on revient au centre de la galerie, fragmentée en quatre morceaux, la clef de cette histoire reste toujours inutilisable…
Que s’est-il passé après l’évasion ? Qu’est-ce qui a provoqué cet « Aquaplaning » ? Que s’est-il passé ensuite ?
En savoir plus :
Sur le site de la Galerie AL/MA
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Aquaplaning – Carte Blanche à Nicolas Daubanes : Une présentation par la Galerie AL/MA
Le nouveau confinement annoncé à la fin du mois de Mars nous a mobilisé pour trouver, une fois de plus, un moyen de rendre visible les artistes présents dans la réserve.
Après la proposition faite à Yaël Chardet, la galerie a demandé à Nicolas Daubanes d’imaginer un argument pour rassembler un certain nombre d’œuvres de dix artistes. La sélection qu’il a opérée, à laquelle s’ajoutent plusieurs de ses pièces, constitue l’amorce d’une narration dont le sujet revient aux préoccupations qui animent son travail, en premier lieu la relation entre les notions de liberté et de contrainte.
Le titre qu’il a choisi renvoie justement à cette association en évoquant à la fois la vitesse et la possibilité de l’accident. Au cours d’un instant suspendu, la perte de contrôle causée par l’aquaplaning, l’incertitude liée à l’approche du danger, permet de contempler et d’apprécier la potentialité du risque.
La tension suggérée par cette idée est mise en scène autour d’une vingtaine d’œuvres, qui, mises bout à bout, décrivent les circonstances d’un évènement à la nature trouble, un dérapage dont les contours indistincts évoluent sous le regard du spectateur.
À la manière d’indices, de pièces à conviction, chacune des œuvres exposées participe à l’accrochage comme un élément supplémentaire dans la reconstitution de ce récit.
Le thème proposé par Nicolas Daubanes fait également écho à la situation dans laquelle se trouve le monde de l’art, confronté à son inertie. Cette période de glissement, consécutive à un arrêt brutal, nous autorise ainsi à profiter de l’étirement du temps qui en résulte pour observer le présent avec une lucidité accrue.