Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité – Marseille


Jusqu’au 26 septembre 2021, Centre de la Vieille Charité à Marseille présente « Le surréalisme dans l’art américain ». Avec près de 180 œuvres et plus de 80 artistes, cette exposition a l’ambition de proposer « un nouvel angle de vue sur l’art américain d’après-guerre, sur l’influence qu’a eu le surréalisme sur celui-ci et l’évolution du résultat à travers l’abstraction américaine ».

Joseph Cornell - Rose Hobart, 1936-1939 - Surréalismes américains (1930-1940) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Joseph Cornell – Rose Hobart, 1936-1939 – Surréalismes américains (1930-1940) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

« Le surréalisme dans l’art américain » contribue certainement à la relecture actuelle d’une histoire qui s’est assez longtemps construite autour de l’idée fausse d’un triomphe de l’art américain après 1945, ces années où « New York aurait volé l’art moderne à Paris »…

Surréalisme transatlantique - la figuration (1940-1950) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – la figuration (1940-1950) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Construit avec rigueur et cohérence, le parcours de l’exposition propose en sept sections une vision riche et passionnante qui retrace avec nuance et subtilité l’histoire complexe de courants surréalistes dans l’art américain, depuis les années 1930 jusqu’à la fin des années 1960.

Une autre tradition (1955-1965) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Sans jamais tomber dans la facilité, le propos reste toujours limpide et sait offrir de multiples niveaux de lecture. Au côté des figures telles que Salvador Dalí, Max Ernst, Man Ray, Barnett Newman, Jackson Pollock, Mark Rothko, Jasper Johns ou Louise Bourgeois, « Le surréalisme dans l’art américain » accorde une large place à des artistes moins connus du grand public comme Joseph Cornell, O. Louis Guglielmi, Helen Lundeberg, Arshile Gorky, Richard Pousette-Dart, Gordon Onslow-Ford, Paul Thek, Nancy Grossmann, Lee Bontecou

Julien Levy Surrealism couverture de Joseph Cornell, 1931-1932 – Roberto MattaPrescience, 1939 – Yves Tanguy Les cinq étrangers / The Five Strangers, 1941. Huile sur Toile 75 x 62 cm – Jackson Pollock – Direction, Octobre 1945. Huile sur Toile 80,6 x 55,7 cm – Arshile Gorky Study for the Betrothal, 1946 – 1947. Crayon sur papier 61,0 x 47 cm – Barnett NewmanGenetic Moment, 1947. Huile sur toile 96,5 x 71,0 cm – Mark Rothko, UntitledJames RosenquistCoenties Slip Studio, 1961. Huile sur Toile 86,4 x 109,2 cm – Peter SaulSan Francisco n°2, 1966. Huile fluorescente sur toile 121 x 161,8 cm

Sans discours volontariste, l’exposition fait une large place aux femmes et souligne leur apport singulier dans un mouvement marqué par la misogynie.

Abstractions excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Abstractions excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Malgré son importante densité, l’accrochage est particulièrement fluide et reste toujours captivant. Avec intelligence et à propos, il conjugue habilement tableaux, dessins, gravures, sculptures, assemblages, films et documents. Les rapprochements sont toujours très pertinents et ne sombrent jamais dans une complaisante facilité. Rédigés avec simplicité et rigueur, les textes de salle et les nombreux cartels enrichis offrent de multiples repères aux visiteurs.

Le parcours thématique et chronologique s’articule en sept séquences :

  • La Villa Air-Bel : les surréalistes à Marseille (1940-1941)
  • Surréalismes américains (1930-1940)
  • Surréalisme transatlantique : la figuration (1940-1950)
  • Surréalisme transatlantique : l’abstraction (1940-1955)
  • Une autre tradition (1955-1965)
  • Figurations excentriques (1960-1970)
  • Abstractions excentriques (1960-1970)

La scénographie conçue par l’agence Saluces est comme toujours discrète et d’une grande efficacité. Chaque section est délimité par une courte cimaise oblique qui brise avec opportunité l’effet tunnel des galeries de la Vieille Charité, tout en construisant des perspectives qui dirigent avec adresse le regard et les pas du visiteur. Le texte d’introduction de chaque section est imprimé sur une photographie qui rappelle un événement emblématique de la période.

Au fil des salles, on découvre avec plaisir souvent avec étonnement des œuvres de :

Victor Brauner, Max Ernst, Jacqueline Lamba, André Masson, Wilfredo Lam, Joseph Cornell, O. Louis Guglielmi, Helen Lundeberg, Dalí, Cornell, Man Ray, Yves Tanguy, Kay Sage, Maya Deren, Robert Motherwell, Barnett Newman, Jackson Pollock, Mark Rothko, David Smith, Clyfford Still, Richard Pousette-Dart, Louise Bourgeois, Gordon Onslow-Ford, Lee Mullican, Helen Frankenthaler, Jasper Johns, Ray Johnson, Robert Morris, Claes Oldenburg, Marcel Duchamp, James Rosenquist, John Wesley, Magritte, Paul Thek, Nancy Grossmann, Lee Bontecou, Richard Serra

Marcel Duchamp, Couleurs pour Apolinère enameled (Hollywood 1936), gouache, crayon et encre sur papier, dans la Boîte-en-valise, ex IV / 20, 1936, carton, bois, papier, plastique, 35 x 39,8 x 8 cm (boîte), « pour Henriette Gomès, [Marseille], 1942 » – Helen Lundeberg, Two Sisters [Deux sœurs], 1944, huile sur toile, 33 x 71,1 cm – Jackson Pollock, The Tea Cup [La Tasse à thé], 1946, huile sur toile, 102 x 70,5 cm. – Wallace Berman, Untitled [Sans titre], 1964, collage Verifax, 121,6 x 115,6 cm – Claes Oldenburg, London Knees 1966 [Genoux de Londres 1966], 1966-1968, caoutchouc polyuréthane, acrylique, sacs en feutre – Lee Bontecou, sans titre [Untitled], 1966 – , structure de polyester, fibre de verre et armature métallique avec collage de tissus, de peaux et peinture, 183,5 x 277,5 x 56 cm – Photos Eric de Chassey

Cette exposition marseillaise s’inscrit dans la programmation d’une saison américaine en France organisée dans le cadre du réseau FRench American Museum Exchange (FRAME) avec les propositions « United States of Abstraction. Artistes américains en France, 1946-1964 » au musée d’arts de Nantes puis au musée Fabre de Montpellier et « Hayter et l’atelier du monde. Entre surréalisme et abstraction » au musée des Beaux-Arts de Rennes.

Ces trois projets entendent explorer « à travers le prisme des relations artistiques transatlantiques, les différentes voies du surréalisme et de l’abstraction, de l’entre-deux-guerres à l’émergence de l’art contemporain dans les années 1960, tout en proposant une relecture des récits dominants ».

Un séminaire « Nouvelles inflexions historiographiques dans les relations artistiques entre la France et les États-Unis entre 1918 et 1964 » organisé par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) accompagne cette programmation.

Cet ensemble passionnant fait écho à la publication en début d’année de Naissance de l’art contemporain – Une histoire mondiale | 1945-1970 de Béatrice Joyeux-Prunel. Dans ce troisième tome de son histoire transnationale des avant-gardes, elle procède à une passionnante réévaluation de la place de New York comme centre de l’innovation artistique depuis 1945, avec une perspective sociale, économique, esthétique et géopolitique.

Le catalogue coédité par la Ville de Marseille et Rmn-Grand Palais accompagne l’exposition. Il rassemble des essais de Éric de Chassey, Guillaume Theurière, Lewis Kachur, Sandra Zalman, Guitemie Maldonado, Enrico Camporesi et Scott Rothkopf. La chronologie est réalisée par Luca Roussel. La partie catalogue reproduit toutes les œuvres exposées.

Le commissariat scientifique est assuré par Eric de Chassey, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et professeur d’histoire de l’art à l’École normale supérieure de Lyon, assisté de Lucas Roussel, assistant curatorial, avec Xavier Rey, conservateur du patrimoine et directeur des musées de Marseille et Guillaume Theulière, conservateur.

Surréalisme transatlantique - l’abstraction (1940-1955) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – l’abstraction (1940-1955) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Cette exposition marquera sans doute la saison estivale à Marseille et elle constitue un salutaire contre-pied aux vacuités et boursouflures qui sont présentées à quelques centaines de mètres de la Vieille Charité.

Cette chronique sera prochainement complétée par un compte rendu de visite complet. A lire, ci-dessus, les textes de salles de chaque sections.

En savoir plus :
Sur le site des Musées de Marseille
Sur le site du Centre de la Vieille Charité à Marseille
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Le surréalisme dans l’art américain : Regards sur l’exposition

​La Villa Air-Bel : les surréalistes à Marseille (1940-1941)

La Villa Air-Bel - les surréalistes à Marseille (1940-1941) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
La Villa Air-Bel – les surréalistes à Marseille (1940-1941) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

En octobre 1940, une communauté d’artistes se réfugie autour d’André Breton dans une ancienne bastide près de Marseille, la villa Air-Bel, alors louée par Varian Fry, le responsable du Centre américain de secours ayant pour mission d’aider les personnes menacées par le nazisme à fuir l’Europe. C’est là que Victor Brauner, Max Ernst, Jacqueline Lamba, André Masson ou Wifredo Lam espèrent un départ imminent pour New York et trompent l’incertitude, avec les moyens du bord, en se livrant ensemble à des jeux graphiques qui forment un témoignage précieux de l’art sous l’Occupation.

Dessins collectifs, 1940-1941 - La Villa Air-Bel - les surréalistes à Marseille (1940-1941) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Dessins collectifs, 1940-1941 – La Villa Air-Bel – les surréalistes à Marseille (1940-1941) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Ces cadavres exquis, collages et dessins réalisés à plusieurs, au trait naïf mais hantés par des motifs militaires et la présence de Pétain, représentent par opposition un bestiaire mythologique où dominent l’érotisme et le mélange entre les règnes. En prenant la forme d’un tarot où les arcanes traditionnels sont remplacés par les figures tutélaires du surréalisme, c’est le Jeu de Marseille qui est le meilleur témoin de ce moment paradoxal, où les valeurs d’une société à venir sont revendiquées à travers l’apparente gratuité du jeu.

Jeu de Marseille, 1940-1941 - La Villa Air-Bel - les surréalistes à Marseille (1940-1941) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Jeu de Marseille, 1940-1941 – La Villa Air-Bel – les surréalistes à Marseille (1940-1941) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

En juin 1941, Breton rejoint finalement New York où l’accueillent des artistes qui ont quitté la France un an plus tôt, comme Roberto Matta, Gordon Onslow Ford, Yves Tanguy ou Kay Sage. Ils forment un groupe surréaliste en exil, s’ouvrant, peu à peu, à de jeunes artistes américains qui donneront une vitalité nouvelle aux techniques expérimentées à Air-Bel.

​Surréalismes américains (1930-1940)

Surréalismes américains (1930-1940) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalismes américains (1930-1940) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

L’exil des Européens aux États-Unis a souvent été perçu comme une révélation soudaine pour la scène artistique locale. C’est en réalité depuis 1931 que des expositions, comme Newer Super- Realism au Wadsworth Atheneum à Hartford ou l’ouverture de la galerie Julien Levy à New York, ont permis aux artistes états-uniens de se familiariser avec des œuvres surréalistes importantes. En 1936, l’exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism, montée au musée d’Art moderne de New York et dans six autres villes, confirme le succès populaire du surréalisme qui reste pourtant connu de manière fragmentaire : son étrangeté est comparée à celle des productions d’Hollywood ou des cartoons, mais il est rarement fait mention des sources littéraires et des aspects politiques – en particulier communistes – du mouvement.

Surréalismes américains (1930-1940) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalismes américains (1930-1940) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

C’est peut-être ce décalage qui a permis aux artistes de s’approprier librement le surréalisme. En 1934, le post-surréalisme, qui émerge en Californie sous l’impulsion d’Helen Lundeberg, cherche à représenter avec hiératisme et lisibilité la logique du rêve mais rejette l’automatisme ; tandis que se développent simultanément, à New York, un courant biomorphique et un courant « social » qui tente d’adapter le surréalisme à des thèmes collectifs plutôt qu’intimes.

Surréalismes américains (1930-1940) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalismes américains (1930-1940) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

C’est dans cet environnement qu’apparaît l’œuvre atypique de Joseph Cornell, le plus influent des surréalistes américains, dont les collages, les assemblages et les films analysent la dimension inconsciente de la culture matérielle de son pays.

​Surréalisme transatlantique : la figuration (1940-1950)

Surréalisme transatlantique - la figuration (1940-1950) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – la figuration (1940-1950) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

La coexistence d’une nouvelle génération d’artistes et de leurs aînés venus d’Europe forme dans les années 1940 un surréalisme transatlantique, principalement figuratif. D’une certaine façon dominée par la célébrité de Salvador Dalí, qui participe activement à la diffusion de son style dans la culture quotidienne aux États-Unis en collaborant avec le cinéma et la mode, cette tendance hétérogène rassemble les œuvres de Joseph Cornell, Enrico Donati, Man Ray, Kay Sage ou Dorothea Tanning.

Surréalisme transatlantique - la figuration (1940-1950) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – la figuration (1940-1950) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Sa dimension onirique permet que lui soient amalgamés les tenants du « réalisme magique », comme John Atherton ou Pavel Tchelitchew, producteurs parfois ouvertement homosexuels d’une peinture méticuleuse et fantastique, qui, face aux réticences de Breton, n’auraient probablement pas trouvé leur place dans le surréalisme européen.

Surréalisme transatlantique - la figuration (1940-1950) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – la figuration (1940-1950) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Autour du magazine View (1941-1947), fondé par les poètes Charles Henri Ford et Parker Tyler, cet aspect syncrétique du surréalisme aux États-Unis ne fera que se renforcer, en juxtaposant ses acteurs historiques, comme Max Ernst ou Yves Tanguy, aux témoignages d’un surréalisme vernaculaire débusqué dans les films de genre, le jazz, la culture populaire urbaine, l’art des enfants et des autodidactes.

Ce surréalisme peu fidèle à l’orthodoxie de sa version européenne, puisqu’on lui assimile aussi un artiste comme Jean Cocteau, sera déterminant pour le cinéma d’avant-garde local dont Maya Deren ouvre la tradition.

Surréalisme transatlantique - la figuration (1940-1950) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – la figuration (1940-1950) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

​Surréalisme transatlantique : l’abstraction (1940-1955)

Surréalisme transatlantique - l’abstraction (1940-1955) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – l’abstraction (1940-1955) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Les années 1940 marquent à New York une période d’échanges et de métissages artistiques : alors qu’Américains et Européens exposent régulièrement ensemble à partir de 1942, Roberto Matta mène des séances de travail avec Robert Motherwell, William Baziotes ou Jackson Pollock, tandis que Breton, ému par l’œuvre d’Arshile Gorky, lui consacre un texte en 1945 et l’intègre au canon surréaliste.

L’intérêt de ces jeunes artistes pour l’automatisme et les thèmes mythologiques a permis d’assimiler leurs œuvres, sans contradiction, à une tendance abstraite du surréalisme dont André Masson et Joan Miró étaient les précurseurs.

Ces artistes, auxquels s’ajoutent Barnett Newman, Mark Rothko, David Smith ou Clyfford Still, font néanmoins partie de ce que la critique nomme à partir de 1946 « expressionnisme abstrait », un courant dont l’un des principaux défenseurs, Clement Greenberg, a discrédité le surréalisme avec virulence pour son aspect littéraire. En voulant affranchir l’expressionnisme abstrait de ses sources européennes, ce discours marginalise les artistes qui cultivent l’ambiguïté entre formes abstraites et figuratives, comme Louise Bourgeois ou, en Californie, le groupe Dynaton.

Surréalisme transatlantique - l’abstraction (1940-1955) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Surréalisme transatlantique – l’abstraction (1940-1955) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Mais c’est de manière plus retorse qu’un tabou s’installe sur la survivance du surréalisme dans la seconde génération de l’expressionnisme abstrait, souvent niée par les artistes eux-mêmes là où l’on peut au contraire observer, comme chez Helen Frankenthaler, une figuration fantomatique qui excède l’interprétation purement formelle de leur travail.

​Une autre tradition (1955-1965)

Une autre tradition (1955-1965) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Après le départ des artistes en exil et la fermeture des galeries qui les défendaient (celles de William Copley, de Julien Levy ou de Peggy Guggenheim) le surréalisme a survécu dans les pratiques artistiques aux États-Unis de manière souterraine.

Une autre tradition (1955-1965) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

En Californie, Wallace Berman réunit autour de lui un cercle d’artistes dont le travail, à la fois visuel et littéraire, se nourrit d’une fascination pour les avant-gardes, qu’ils partagent ensemble dans un certain secret grâce à des revues échangées par la poste et une vie collective marginale, critique d’une société américaine trop normative.

Une autre tradition (1955-1965) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Sur la côte Est, c’est l’imagerie triviale, impersonnelle et fragmentée du pop art qui constitue une résurrection inattendue du surréalisme figuratif, en particulier des images précises mais hermétiques de Magritte. Le critique Gene Swenson voyait ainsi, chez James Rosenquist ou Claes Oldenburg, les maillons d’une « autre tradition » américaine préoccupée par une nouvelle relation entre les objets et l’émotion, qui pouvait recommencer à aborder des contenus psychosexuels à condition de le faire de manière plus objective que personnelle.

Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

C’est aussi le cas d’artistes marqués par le travail de Marcel Duchamp, comme Ray Johnson, Robert Morris ou Robert Rauschenberg. En détournant des objets et des images de presse pour former des assemblages ou des boîtes énigmatiques, leurs œuvres, selon Swenson, explorent une « psyché collective » plutôt que l’inconscient individuel des artistes.

Une autre tradition (1955-1965) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Une autre tradition (1955-1965) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

​Figurations excentriques (1960-1970)

Figurations excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Figurations excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Pendant qu’André Breton organise à Paris la dernière exposition collective des surréalistes, Marcel Duchamp lui suggère depuis New York d’y inclure les œuvres de Robert Rauschenberg et Jasper Johns : deux artistes, qui comme d’autres aux États-Unis, cherchent à dépasser l’expressionnisme abstrait et dont les assemblages, où s’ajoutent à la peinture des fragments du corps humain, des images et des objets trouvés directement insérés ou reproduits, font de nouveau référence au contexte culturel et social dans lesquels ils sont produits.

Figurations excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Figurations excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Au même moment, c’est surtout en Californie que le surréalisme hante la formation des contre-cultures : Bruce Conner et Jess lui empruntent ses techniques (collages, images cachées, détournement d’objet) qu’ils adaptent aux tabous et aux peurs de leur temps. Aussi bien à San Francisco qu’à Chicago, ce courant figuratif souterrain prend un tour plus agressif, moins lié au monde des rêves et des cauchemars qu’à une volonté de transférer directement au sein des beaux-arts la logique de la culture populaire.

Figurations excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Figurations excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

De jeunes artistes comme Peter Saul, et plus tard les protagonistes du groupe Hairy Who ? comme Jim Nutt ou Suellen Rocca, réagissent aux répercussions du pop art : leurs peintures et leurs dessins, parfois conçus comme des cadavres exquis, brassent avec une allégresse affichée les métamorphoses et les incongruités.

​Abstractions excentriques (1960-1970)

Abstractions excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Abstractions excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

En 1968, l’exposition Dada, Surrealism and Their Heritage au musée d’Art moderne de New York se présente comme un récit définitif sur les avant-gardes européennes et leur diffusion aux États-Unis. Elle vient néanmoins clore une période où de jeunes critiques se sont engagés dans une réévaluation progressive du surréalisme, qu’ils voient comme un élément à la fois actif et refoulé dans le travail de leurs contemporains.

Dès 1964, Donald Judd, un artiste pourtant associé à l’art sériel et impersonnel des minimalistes, loue les œuvres de Claes Oldenburg ou de Lee Bontecou dans lesquelles sont réintroduits des éléments sexuels, d’humour pathétique ou de violence sans qu’ils soient explicitement indiqués par l’iconographie.

Abstractions excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Abstractions excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Bien que le retour aux thèmes surréalistes soit parfois plus assumé — avec les reliquaires de Paul Thek ou les têtes en cuir de Nancy Grossman —, c’est cet anthropomorphisme secret, évoqué par Judd, qui innerve aussi Eccentric Abstraction de Lucy Lippard, une exposition de 1966 inaugurée à la Fischbach Gallery avec, entre autres, Eva Hesse et Louise Bourgeois.

Abstractions excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Abstractions excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

Dans leurs œuvres aux formes à la fois sensuelles et morbides, comme les objets désagréables d’Alberto Giacometti, le corps est simultanément présent et absent. C’est dans cette abstraction au potentiel érotique que Lippard voyait l’héritage impur du surréalisme qui, s’il devient aussi à la même époque un style suranné mais populaire (comme dans les affiches du rock psychédélique), traverse de manière subversive toute la culture visuelle des avant-gardes américaines.

Abstractions excentriques (1960-1970) - Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité
Abstractions excentriques (1960-1970) – Le surréalisme dans l’art américain à la Vieille Charité

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