Mehdi Moutashar – Racines Carrées à la Galerie AL/MA – Montpellier


Jusqu’au 24 juillet 2021, Marie-Caroline Allaire-Matte présente avec « Racines Carrées », un très bel ensemble de pièces récentes de Mehdi Moutashar.

On retrouve avec énormément de plaisir cet artiste arlésien malheureusement trop rarement exposé dans la région. On conserve un vif souvenir de « Lastic », une très superbe proposition de Mehdi Moutashar que la Galerie AL/MA avait accueilli en 2016 dans ses anciens locaux, à proximité de la gare. On se garde aussi en mémoire sa participation à « Lignes de vie » dans la Chapelle Sainte-Anne à Arles pour une singulière « résidence/atelier ouvert », en compagnie de jeunes artistes arlésiens à la fin de l’hiver 2017.

Volontairement réduite, la sélection des œuvres pour « Racines Carrées » est particulièrement « percutante ». L’accrochage millimétré est magistral.

Ceux qui connaissent le travail de Mehdi Moutashar savent l’importance de la figure du carré magique dans sa pratique artistique. Pour « Racines Carrées », plusieurs œuvres exposées trouvent leur origine dans un croquis au crayon de 1986, resté inexploité pendant plus de 30 ans.


L’angle droit, fractionné en trois parts égales, ouvre de saisissantes propositions dynamiques qui s’inscrivent avec force et évidence dans l’espace.

Pour deux pièces, on retrouve le fil élastique, associé à d’autres matériaux (métal et bois), qui offre un étirement graphique et une étonnante vibration à son travail. La référence à la calligraphie est toujours présente et notamment dans Kaf (2020).

Mehdi Moutashar - Racines Carrées à la Galerie ALMA - Montpellier - vue de l'exposition
Mehdi Moutashar – Racines Carrées à la Galerie ALMA – Montpellier – vue de l’exposition

Face à l’entrée, Cinq segments pivotés de 105° (2021) accueille le visiteur dans un remarquable mouvement ascendant qui lie le sol et le mur.

Mehdi Moutashar - Cinq segments pivotés de 105°, 2021 - Crédit photo David Huguenin

Mehdi Moutashar – Cinq segments pivotés de 105°, 2021. Bois, fil élastique, 143 x 100 x 86 cm – Photo David Huguenin

En face, entre les deux fenêtres, également en appui sur le sol et le mur, Dix segments de 30 cm (2021) fait écho à la pièce précédente. Ces deux œuvres proposent une illustration brillante des interrogations esquissées par le dessin de 1986…

Mehdi Moutashar - Dix segments de 30 cm, 2021 - Crédit photo David Huguenin

Mehdi Moutashar – Dix segments de 30 cm, 2021. Métal peint, 160 x 35 x 35 cm – Photo David Huguenin

Cette dynamique que produit la fragmentation et la rotation de l’angle droit se retrouve dans la composition déployée sur le grand mur de la galerie (Six angles droits et un carré, 2021).

Mehdi Moutashar - Six angles droits et un carré, 2021 - Crédit photo David Huguenin

Mehdi Moutashar – Six angles droits et un carré, 2021. Bois peint, 67 x 150 cm – Photo David Huguenin

Mehdi Moutashar - Trois plis remarquables inversés, 2018 - Crédit photo David Huguenin

Mehdi Moutashar – Trois plis remarquables inversés, 2018. Métal peint, 50 x 66 cm – Photo David Huguenin

Cette composition est également perceptible dans Trois plis remarquables inversés (2018), accroché au-dessus du bureau, ou encore dans les deux multiples (Quatre carrés pivotés de 30°, 2020 et Six angles à 90°, 2020) édités par Méridianes et Galerie AL/MA.

Mehdi Moutashar - Racines Carrées à la Galerie ALMA - Montpellier - vue de l'exposition
Mehdi Moutashar – Racines Carrées à la Galerie ALMA – Montpellier – vue de l’exposition

Mehdi Moutashar – Quatre carrés pivotés de 30°, 2020. Métal peint, 31 x 42 cm et Six angles à 90°, 2020. Métal peint, 20 x 48 cm. Multiples, édition Méridianes et Galerie AL/MA – Photo David Huguenin

L’ensemble est complété par une pièce imposante qui occupe le mur en entrant à droite. Un fantôme de papier a été nécessaire pour positionner avec précision les pointes qui fixent les trois plaques métalliques noires et les quatre fils élastiques bleus de Kaf (2020).

Mehdi Moutashar - Kaf 2020. Métal, fil élastique, 199 x 220 cm. Crédit photo David Huguenin

Mehdi MoutasharKaf ,2020. Métal, fil élastique, 199 x 220 cm. Photo David Huguenin

Cette œuvre fait écho à la 22e lettre de l’alphabet arabe. Dans le texte qui accompagne l’exposition, M.M.Serres souligne cette « seule lettre à mouvement oblique de l’alphabet arabe, renvoie encore à la dynamique du croquis original qui passe par degrés de l’horizontale à la verticale »…

Les cinq œuvres et les deux multiples présentés pour « Racines Carrées » imposent sans aucun doute un passage par la Galerie AL/MA avant la pause estivale.

Celles et ceux qui connaissent le travail de Mehdi Moutashar retrouveront la magie de ses entrelacs entre poésie et mathématiques où l’espace est une matière essentielle.
Les autres découvriront avec l’écriture géométrique et la ligne brisée de Moutashar, un univers plastique singulier qui avait retenu l’attention de François Morellet au début des années 1970, quelques années après l’arrivée de l’artiste irakien en France.

Pour en savoir plus sur le travail de Mehdi Moutashar, la monographie publiée par chez Actes Sud reste un ouvrage de référence (Textes de François Barré, Gérard Bodinier et Dominique Clevenot ; Entretien avec Pierre Manuel ; Photographies de Thierry Nava et Jean-Luc Maby).

En 2012, Pierre Manuel des éditions Méridianes a coédité avec Jacques Bervillé Des angles remarquables. Dans ce livre d’artiste, onze lithographies originales de Mehdi Moutashar sont accompagnées d’un texte de Dominique Clévenot.

Une très belle pièce de Mehdi Moutashar, Quatre plis à 90° (2012) est visible dans Le Tour du jour en quatre-vingts mondes que présente Sandra Patron au CAPC jusqu’en février 2022. Cette œuvre, acquise par le Centre national des arts plastiques, avait été montrée par la Galerie AL/MA en 2012.

Mehdi Moutashar, Quatre plis à 90 degrés (2012)
Mehdi Moutashar, Quatre plis à 90 degrés, 2012. Acier découpé peint 156 x 340 x 98 cm. Exposition à la Galerie AL/MA

À l’occasion de cette exposition à Bordeaux, le CAPC a mis en ligne sur sa chaîne YouTube une conférence de Morad Montazami où il évoque assez longuement du travail de Mehdi Moutashar. Il y reprend l’essentiel d’un texte publié en 2017 et reproduit sur documentdartistes.org

À lire, ci-dessous, le texte de présentation de M.M.Serres qui accompagne l’exposition et quelques repères biographiques.

En savoir plus :
Sur le site de la Galerie AL/MA
Suivre l’actualité de la Galerie AL/MA sur Facebook et Instagram
Mehdi Moutashar sur documentdartistes.org

Mehdi Moutashar – Racines Carrées : Une présentation par M.M.Serres

À l’origine de la plupart des œuvres de l’exposition – y compris les deux multiples édités à cette occasion – figure un dessin, réalisé à la fin des années 80 ; un croquis, dont il a aussitôt existé plusieurs versions, apparu en roue libre dans le tamis de l’atelier, comme un début de réponse à la question du moment.

Il est arrivé plus d’une fois que l’ébauche d’une recherche, immédiatement perçue comme porteuse de quelque chose d’important, mais en même temps parfaitement insaisissable, demeure pendant longtemps dans un repli, en attente, au milieu de beaucoup d’autres fragments, avant de trouver soudainement, l’heure venue, les conditions de son développement.

En marge de toutes les œuvres rattachées à la figure du carré magique, qui s’étaient multipliées tout au long des années 80, notamment sous la forme d’installations utilisant des modules – quatre briques d’argile ou de bois enserrant un espace vide et forcément carré – la question que s’était alors posé un artiste que rien ne fascine autant que le déploiement illimité des possibles était : comment introduire le mouvement dans cet archétype de stabilité orthogonale ?

Et donc, garder deux des axes, le vertical et l’horizontal, comme deux lignes d’appui, ne rien changer aux proportions des doubles carrés, mais fractionner en trois le fameux angle droit : soit deux obliques pivotées de 30°, qui passent mathématiquement d’un appui à l’autre, tout en embarquant l’ensemble dans le mouvement général.

Quoique toujours vibrant quelque part en arrière-plan, ce dessin est resté inexploité pendant plus de trente ans avant de s’incarner en 2016, cette fois en trois dimensions – en l’occurence depuis le mur jusqu’au sol – dans un projet de construction de grandes dimensions, intitulée Onze carrés, pour l’instant toujours à l’état de maquette…

Dans l’histoire de toutes les ramifications issues du croquis initial, un élément aura joué un rôle déterminant : il s’agit de l’apparition dans le travail de l’artiste d’un matériau nouveau, auquel il a recours à partir de 2013, le fil élastique, tendu entre deux pointes, dont l’œuvre capte la vibration exponentielle, comme un dessin toujours en train de s’élancer. Une œuvre en particulier, la plus récente, 10 segments de 25 cm (2021), traduit étonnamment, bien qu’elle soit réalisée en métal, tout juste appuyée sur deux points, l’un au mur l’autre au sol, la résonnance et l’ouverture de cette double origine.

On y reconnaîtra aussi, autant que dans toute la série de plaques en métal découpé réalisées ces deux dernières années, la référence constante, mais toujours renouvelée à la calligraphie, aux points d’articulation de l’écriture, ou aux signes diacritiques qui la ponctuent, comme l’avait si bien identifié Dominique Clévenot dans son texte Des angles remarquables : le développement d’une ligne scandée par des indentations anguleuses, le pliage du ruban noir évoquant les pleins et les déliés du qalam, le roseau taillé en biseau que manie le calligraphe.

L’une des pièces exposées, Kaf, qui est la seule lettre à mouvement oblique de l’alphabet arabe, renvoie encore à la dynamique du croquis original qui passe par degrés de l’horizontale à la verticale.

Mais pour l’artiste, le tracé du double fil élastique agite aussi l’écho de ses souvenirs d’enfance, lorsqu’il jouait au calligraphe, avec deux crayons dans la même main.

Les deux multiples réalisés pour cette exposition – Quatre carrés pivotés de 30° et Six angles à 90° – apparaissent ainsi comme des concentrés de ces références : la trajectoire du mouvement, matérialisée par les perforations de la plaque, y joue avec l’entité et l’opacité du métal, avec le tranchant du contour – angles rentrants, angles saillants – sans jamais renoncer à une légèreté qui doit beaucoup à cette sorte d’écho généré par le dédoublement, le miroitement, ou l’inversion des formes obtenues.

M.M-Serres 2021

Mehdi Moutashar – Racines Carrées : Repères biographiques

Mehdi Moutashar – Racines Carrées à la Galerie AL/MA – Montpellier – Photo Galerie AL/MA

Né en 1943 à Hilla (Babylone), Irak. Vit et travaille à Arles.
Académie Supérieure des Beaux-Arts, Bagdad – École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris.
S’installe à Paris en 1967.
Professeur à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, Paris de 1974 à 2008
Lauréat du Jameel Prize 5 (2018) au Victoria & Albert Museum, Londres

Expositions personnelles (sélection)

2021 Racines carrées, Galerie AL/MA, Montpellier
Abbaye de Cluny
2019/2020
Mehdi Moutashar & Jan Meyer-Rogge, Galerie Hoffmann, Friedberg (D)
2017 Art Dubaï (Albareh Gallery) ; Ligne et couleur, 1968 -1978,
Galerie Orsay-Paris ; Measuring Space,
Albareh Gallery & Théâtre National de Bahreïn (catalogue)
2016 Lastic, Galerie AL/MA, Montpellier ;
Galerie Victor Sfez, Paris ;
Au-delà de la forme : Richard Serra / Mehdi Moutashar, Palais du Tau, Reims
2014 Galerie Le Petit Temple, Lasalle.
2011 Kleine Museum, Weissenstadt (D)
2009 Galerie Denise René, Paris
2005 Galerie Verney-Carron, Villeurbanne
2003 Espace Capitole, Arles
1999-2002 Galerie Denise René, Paris
1998 Galerie Denise René, Paris
1997 Kufa Gallery, Londres
1989 Tours Narbonnaises, Carcassonne;
Institut du Monde Arabe, Paris
Galerie Saint-Ravy Demangel, Montpellier
1988 Chapelle du Mejan, Arles;
Galerie Karo, Berlin;
Galerie Walzinger, Saarlouis (D)
1986 Galerie Nicole Dortindeguey, Anduze
1985 Galerie Hoffmann, Friedberg (D);
Galerie Karo, Berlin (D)

Expositions collectives (sélection)

2019 Jameel Prize 5, Jameel Arts Center, Dubaï.
2018 Bagdad Mon amour, Institut des Cultures d’Islam, Paris ; Jameel Prize 5, Victoria & Albert Museum,
Londres.
2015 Hommage au Carré noir de Malevitch, Musée Vasarely, Budapest.
2012 FIAC, Galerie Denise René, Paris
2011 Art Basel, Galerie Denise René, Suisse
2010 François Morellet et Mehdi Moutashar, Institut des Cultures de l’Islam (Paris)
2009 Notations, Akademie der Kunst, Berlin (D);
ZKM Zentrum für Kunst and Medientechnologie, Karlsruhe
2008 Sur la ligne, Musée Matisse, Cateau-Cambrésis ;
Le Champ rythmique de l’esprit, Arts de l’Islam et abstraction géométrique, Espace d’Art Concret, Mouans-Sartoux
2005 Le livre arabe, Bibliothèque Nationale de France, Paris ; Art in motion, Leeuwarden (NL), travail in situ

Collections publiques

Centre National des Arts Plastiques ; FRAC PACA ; Victoria and Albert Museum, Londres ; Bibliothèque Nationale, Paris ; Institut du Monde Arabe, Paris ; Musée des Beaux-arts de Chartres ; Musée des Beaux-arts de Cholet, Musée de Montbéliard ; Conseil général des Bouches-du-Rhône ; National Gallery of Fine Arts, Ammann ; Musée National d’Art Moderne Gulbenkian, Bagdad ; Klingspor Museum der Stadt, Offenbach (D); Musée d’Art Graphique Scandinave, Stockholm ; Musée d’Art Moderne de Tunis ; Kleine Museum, Weissenstadt, Allemagne

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