Broccoli – Loris Gréaud + Yvon Lambert à la Collection Lambert – Avignon


Jusqu’au 5 septembre 2021, Loris Gréaud propose, avec la complicité d’Yvon Lambert, « Broccoli », une singulière exposition à la Collection Lambert. Présentée comme « une œuvre à part entière, une capsule spatio-temporelle qui propose une expérience à la fois fluide et opaque », « Broccoli » joue avec une sélection d’œuvres de Robert Ryman, Sol LeWitt, Brice Marden, Jean Prouvé conservées à Avignon avec quelques-unes produites par Loris Gréaud.

« Broccoli » est le premier projet qui s’inscrit dans le programme La Collection mise à nu par ses artistes, même, une initiative de Stéphane Ibars, directeur artistique délégué de l’établissement. L’idée est d’inviter un artiste à concevoir et réaliser une exposition à partir de sa sélection d’œuvres du Fonds, dans les espaces de son choix.

Pour débuter ce nouveau programme, Stéphane Ibars convie Loris Gréaud pour la complicité artistique et conceptuelle qui le lie depuis près de vingt ans avec son ancien galeriste. L’artiste décide de renvoyer l’invitation au collectionneur. Il lui suggère de construire ensemble un dialogue entre les œuvres conservées à Avignon et ses propres pièces plus ou moins récentes.

On lira avec intérêt le Journal d’un broccoli par Stéphane Ibars que l’on reproduit ci-dessous. Outre l’originalité de sa forme, ce texte raconte avec simplicité et honnêteté comment s’est construit « Broccoli », depuis les premières « rencontres » entre un collectionneur, son artiste et le commissaire, jusqu’à la mise en place des œuvres, en passant par le choix du visuel et du titre de l’exposition…

Cette première itération de La Collection mise à nu par ses artistes, même est d’une étonnante audace, un spectacle troublant qui bouscule largement les codes de l’exposition. Pour cette expérience de visite, Loris Gréaud et l’équipe de la Collection Lambert proposent « un jeu d’apparition/disparition des œuvres dans l’espace, dans la succession de leur rencontre, dans la mémoire que nous en conserverons ».

Dans son texte, Stéphane Ibars rapporte que Loris Gréaud « souhaitait être généreux avec les visiteurs, proposer plusieurs strates de lectures, guider les regards et les déplacements avec élégance, induire des ruptures, des récits possibles dont il a certainement déjà imaginé l’issue. Rien ne sera ostentatoire, mais tout sera lié à l’idée même de spectaculaire – ou à son absence : un spectacle sophistiqué ? »

Le parcours de l’exposition est également traversé par une très perturbante interrogation sur l’enfance…

Attention, les expositions d’été qui occupent dans les espaces de l’Hôtel de Caumont se terminent le 5 septembre. Il ne faut surtout pas reporter à la rentrée leur visite. « Brocoli, Loris Gréaud + Yvon Lambert » mérite sans aucun doute d’en faire l’expérience !
Si possible, on reviendra brièvement sur « 1988, œuvres de la Collection Lambert » dans le cadre du programme Playground qui s’achève également le 5 septembre et plus longuement sur « Sluggy Me » de Mimosa Echard et « Outremonde » de Theo Mercier qui continuent jusqu’à la fin septembre.

À lire, ci-dessous, un bref compte rendu de visite accompagné de commentaires de Stéphane Ibars, le Journal d’un broccoli ,les paroles du morceau de Coil et quelques repères biographiques à propos de Loris Gréaud. Ces documents sont extraits de dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert
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Loris Gréaud
sur le site de la Galerie Max Hetzler
Gréaudstudio / Loris Gréaud
sur Facebook et Vimeo

​Broccoli – Loris Gréaud + Yvon Lambert à la Collection Lambert : Regards sur l’exposition.

L’exposition commence au bas des escaliers qui conduisent à l’entresol de l’Hôtel de Caumont…

​Loris Gréaud avec Lee Ranaldo, Think Loud, 2009

Au-delà du texte d’introduction, il faut franchir l’arche d’un portique dont l’encadrement est tapissé de polyèdres constitués d’une mousse polymère qui absorbe les ondes sonores. Ce matériau est utilisé dans « chambre anéchoïque acoustique » appelée aussi « chambre sourde »…

Cette pièce évoque la rencontre de Loris Gréaud avec Lee Ranaldo, cofondateur du groupe de rock Sonic Youth. En 2009 pour Think Loud puis en 2012 pour The Unplayed Notes, Gréaud demande à Lee Ranaldo d’imaginer le plus beau riff de guitare dans la chambre anéchoïque de l’IRCAM…

The Unplayed Notes était aussi la première exposition personnelle en 2012 de Loris Gréaud à la galerie Yvon Lambert avec laquelle l’artiste collaborait depuis plusieurs années.

​Loris Gréaud, Broccoli, 2021

Dans la salle du Wall Drawing #534 (1987) de Sol LeWitt plongée dans la pénombre, Loris Gréaud présente Broccoli, une œuvre produite pour l’exposition et sur laquelle il travaille depuis plusieurs années. Au centre est installée une sculpture en résine, moulée sur une truie allaitante, couchée sur le côté. Ses mamelles sont reliées par des tuyaux à un ensemble de boîtes en verre où des souris de laboratoire semblent évoluer en toute tranquillité. Le corps de l’animal est lui-même connecté à une série de bocaux. Le tout est éclairé par des rampes de tubes fluorescents et baigne dans la musique du groupe Coil qui interprète « Broccoli ».

Les paroles de ce titre qui a inspiré le nom de l’installation et de l’exposition sont imprimées en blanc sur blanc à l’entrée de la salle… Leur lecture offre quelques clés intéressantes… Il y est question des rapports entre parents et enfants autour de ce légume. Dans son journal, Stéphane Ibars y voit « le prisme de cette relation, depuis notre naissance jusqu’à leur mort – et après. Ce lien qui nous unit, entre transmission, éducation, culpabilité, perversion ». Puis il ajoute : « Il pourrait après tout aussi s’agir de la relation d’un artiste à son galeriste, à ses collectionneurs. Le brocoli est un super légume ! »…

Stéphane Ibars à propos de Broccoli, 2021 de Loris Gréaud

​Robert Ryman, Jean Prouvé, Brice Marden et Loris Gréaud

La longue salle de l’entresol à l’éclairage zénithal est coupée en deux par une cloison où est incrusté un panneau vitré de Jean Prouvé provenant du lycée de Bagnol-sur-Cèze, encadré par deux dessins noirs de Brice Marden. Ici, Loris Gréaud propose une subtile mise en abîme de l’apparition et de la disparition des œuvres d’art et des fantômes qui planent sur une exposition, mais aussi de poser un regard sur l’envers du décor…

Dans la première partie, Loris Gréaud a choisi d’accrocher quatre toiles de Robert Ryman. Un programme développé à la demande de l’artiste séquence l’ouverture et de la fermeture des stores des Velux et l’éclairage de la salle pendant les heures de visite. À cette ambiance lumineuse changeante, selon un protocole proposé par Gréaud, les œuvres de Ryman sont décrochées et accrochées plusieurs fois par semaine en présence du public…

Deux haut-parleurs diffusent l’enregistrement assourdi des bruits corporels de Lee Ranaldo imaginant le plus beau riff de guitare dans la chambre anéchoïque de l’IRCAM.

Stéphane Ibars à propos de l’accrochage de Robert Ryman, Jean Prouvé, Brice Marden
Stéphane Ibars à propos de la présentation des œuvres de Robert Ryman

Des deux œuvres de Brice Marden, on ne voit que le dos…

De l’autre côté de cette cloison, murs, sol, plafond, mobilier et les vitres de l’atelier des fripons sont peints en noir… Entre les deux dessins de Marden (Adriatic Study II, 1972 et Sans Titre, 1964), sous l’auvent en toile bleue du panneau de Jean Prouvé, on découvre Sculpt (2015), une muséification du film de Loris Gréaud.

Quatre cloches de verre protègent des bobines de film 16 mm vierge. Elles ont fait l’objet d’un rituel vaudou à La Nouvelle-Orléans, dans le Voodoo Spiritual Temple où officie la prêtresse Miriam Chamani, afin d’attirer sur la pellicule l’esprit de Papa Legba…

Stéphane Ibars à propos des dessins de Brice Marden et de Sculpt (2015) Loris Gréaud

​Loris Gréaud, Tallinn, 2021

Sur les vitres de l’atelier des fripons, sont suspendus quatre boulons enrubannés de blanc qui évoquent ceux avec lesquels le Stalker pénètre dans la chambre de la Zone interdite du célèbre et énigmatique film d’Andreï Tarkovski… Pour cette pièce, intitulée Tallinn, les boulons ont fait le voyage dans la capitale de l’Estonie pour y être chargés par l’esprit des lieux…

Ils devraient être activés dans un jeu créé les enfants de la micro-école INSPIRE qui est hébergée par la Collection Lambert en partenariat avec plusieurs institutions culturelles d’Avignon.

​Journal d’un broccoli par Stéphane Ibars

19 mai 2019 – Paris, rue des Filles du Calvaire

Nous avons réfléchi ce matin avec Yvon à de nouvelles manières de présenter les œuvres de sa collection. J’ai toujours souhaité associer les artistes aux expositions du Fonds tant leur présence plane au-dessus de cet ensemble d’œuvres considérable et dans les deux hôtels particuliers avignonnais où il est exposé. Le titre sera emprunté à Marcel Duchamp dont nous transformons la phrase associée à son célèbre Grand Verre en un : La Collection mise à nu par ses artistes, même. Les artistes auront une liberté totale pour choisir un espace du musée, les œuvres qu’ils souhaitent présenter et la manière de le faire. J’ai d’ailleurs aperçu dans le white cube situé à côté de son bureau, une installation de Loris Gréaud — The Original, The Translation (For Yvon) qui évoque de manière directe la relation de proximité qui les lie tous les deux. Je lui en ai fait la remarque et nous avons tout de suite repensé à cette exposition, en 2012, à la galerie de la rue Vieille du Temple, dans laquelle l’artiste s’était emparé des lieux d’une manière singulière. Je me souviens de la sensation de vertige. Je le connais peu mais j’imagine déjà les œuvres qu’il pourrait choisir parmi celles conservées à Avignon pour un tel projet… Les plus radicales ? Les plus noires ?

15 juillet 2019 – Avignon, rue Violette

Loris Gréaud m’a appelé alors que nous visitions les expositions d’été. Il avait l’air très intéressé par notre proposition d’ouvrir le bal de cette programmation qui célèbrerait les vingt ans de la Collection. Il m’a simplement posé cette question : « quelle pourrait-être l’ampleur du projet ? » Je lui ai répondu en expliquant que nous lui proposions de s’emparer de cette configuration inédite. Le reste se construira, je l’espère, à travers des déplacements, des échanges, des discussions… Rendez-vous est pris au printemps 2020.

18 mars 2020 – Marseille, rue [?]

La pandémie nous affecte tous, nous voilà réfugiés dans nos intérieurs aseptisés, les musées ferment, les galeries ferment et la perspective de cette « rencontre » entre un collectionneur, son artiste et le commissaire que je suis, s’éloigne.

05 octobre 2020 – Avignon, rue Violette

Après de longs mois d’attente, Yvon, Loris et moi nous sommes enfin retrouvés et autoproclamés protagonistes de la situation. Nous initierons un projet hybride et mouvant où nos positions même, nos statuts respectifs, évolueront au gré de la conception de l’exposition, et le rôle des visiteurs au gré de l’expérience de l’agencement des œuvres et de leur activation dans les espaces du musée.

20 janvier 2021 – Avignon, rue Violette

Loris a choisi d’investir la salle dédiée au Wall drawing # 538 de Sol LeWitt, la salle de l’entresol, irradiée de lumière depuis le plafond, ainsi que le petit sas qui les relie. L’invitation n’est plus unilatérale comme nous l’avions initialement imaginé : Yvon et Loris présenteront un ensemble constitué d’œuvres du Fonds conservé à Avignon auxquelles seront associées des œuvres plus ou moins récentes de l’artiste. Dans la première salle, sera installée l’œuvre Broccoli (2021). Elle est constituée d’une sculpture en résine moulée sur une truie, dont les pis sont reliés par des tuyaux à un système de vie précisément étudié pour que des souris de laboratoire puissent y évoluer en toute quiétude. Dans la deuxième salle, seront présentées des œuvres de Robert Ryman et Brice Marden, une structure de Jean Prouvé, ainsi que deux autres œuvres de Loris : Sculpt (2015-2021) qui consiste en une bobine de film 16 mm vierge ayant fait l’objet d’un rituel vaudou à la Nouvelle-Orléans, dans le mystérieux Voodoo Spiritual Temple où officie la prêtresse Miriam Chamani, afin d’attirer sur la pellicule l’esprit de Papa Legba et Think Loud (2009), un enregistrement réalisé dans la chambre anéchoïque de l’IRCAM où il a été demandé à Lee Ranaldo (le guitariste de Sonic Youth) de penser le plus beau riff de guitare qu’il puisse imaginer et rêver.

21 janvier 2021 – Avignon, rue Violette

Arrivée à la zone. Ils étaient assis sur la pente de béton, sous l’indéfectible lumière solaire.1 Dans la salle de l’entresol, vers 11 h ce matin, nous avons déclenché à la demande de Loris le système électrique qui permet d’ouvrir les stores des velux situés au plafond. Il m’a fait remarqué qu’il y avait trop de lumière. Nous avons donc activé le système en sens inverse. Et alors que les rideaux se refermaient, j’ai soudain inimaginé voir apparaître Rachel, Deckard et le Dr Eldon Tyrell, accompagnés de leur hibou répliquant. L’ordinateur jouait un titre du groupe de musique Coil : Broccoli. J’ai alors compris que le titre de l’œuvre que Loris installerait dans la première salle provenait de là. Le titre figure sur l’album « Music to play in the dark ». Tout est évident désormais. C’est assurément à cet endroit que le projet va se déployer ; un jeu d’apparition/disparition des œuvres dans l’espace, tout au long du parcours et de l’expérience que le visiteur en fera. Loris souhaite initier une progression. Dans l’expérience des œuvres d’abord, puis dans la succession de leur rencontre ; dans la mémoire que nous en conserverons, enfin. Il m’a dit qu’il souhaitait être généreux avec les visiteurs, proposer plusieurs strates de lectures, guider les regards et les déplacements avec élégance, induire des ruptures, des récits possibles dont il a certainement déjà imaginé l’issue. Rien ne sera ostentatoire mais tout sera lié à l’idée même de spectaculaire — ou à son absence : un spectacle sophistiqué ? À chaque fois qu’une chose — ici une œuvre — apparaît, elle doit disparaître. Loris a même évoqué le punk qui a cessé d’être le punk le jour où il a été identifié et nommé. C’est vrai ! Cela me fait penser à Hakim Bay et ses TAZ (Temporary Autonomn Zones) qui, pour préserver leur existence, doivent disparaître pour se déployer ailleurs, en silence, dès lors qu’elles ont été identifiées. La présence des œuvres doit relever de la rumeur. Il a répété ce mot tout au long de la journée — et après. Il ne s’agit plus selon lui de convoquer des fantômes, mais des esprits… 22 janvier 2021 – Avignon, rue Violette Le titre de Coil tourne en boucle. Il donne un aperçu de la saveur de l’exposition à venir. « Eat your greens, especially broccoli ». Les paroles du titre racontent cette relation douce-amère que nous entretenons avec nos parents, qui nous imposent de manger ce « super-légume ». « Brocoli » c’est le prisme de cette relation, depuis notre naissance jusqu’à leur mort — et après. Ce lien qui nous unit, entre transmission, éducation, culpabilité, perversion. « The death of your father , The death of your mother is something you prepare for All your life, all their lives ». Il pourrait après tout aussi s’agir de la relation d’un artiste à son galeriste, à ses collectionneurs. Le brocoli est un super légume !

25 mars 2021 — Avignon, rue Violette — 14 h.

Persistance de la mémoire. Une plage vide au sable vitrifié. Ici le temps des horloges n’a plus de sens. Même l’embryon, symbole de la croissance secrète et du possible, a perdu sa substance, n’est plus qu’un objet mou et désincarné. Ces images sont les résidus d’un moment ressurgi dans la mémoire.2 Loris est là pour les premiers tests du dispositif qu’il a imaginé. Il m’a envoyé hier la liste définitive des œuvres, ses plans, les images qui le hantent. Et juste avant d’arriver à la collection la photo d’un escargot. Avec cette note : « les tentacules rétractiles de l’escargot : des yeux ultra-sensibles au toucher avec pourtant une perception très limitée de la réalité – des intensités lumineuses, des formes à peine dessinées ».

25 mars 2021 — Avignon, rue Violette — 17 h

Loris nous a transmis son scénario idéal. Dans la première salle, toujours l’image terrifiante de cette truie qui allaite des souris. Dans le sas, une étrange bibliothèque avec l’intégralité d’un tirage dont les volumes ne seraient consultables qu’ici et nulle part ailleurs : les exemplaires d’un flipbook ou bien les cendres d’une édition consumée. Et dans la salle de l’entresol, le protocole suivant : première partie, les œuvres de Ryman qui sont tour à tour décrochées/accrochées plusieurs fois par jour par la conservatrice-restauratrice et le régisseur, durant les heures de présence du public – illuminées par le ballet de l’ouverture et de la fermeture des stores des velux. L’œuvre réalisée avec Lee Ranaldo serait installée dans une version fantomatique — évoquée ? Masquée ? Seconde partie, une cloison dans laquelle est incrustée une structure vitrée de Jean Prouvé. De l’autre côté, encastrées à hauteur d’œil des œuvres noires de Brice Marden qui ne seront visibles dans un premier temps que par les enfants travaillant dans l’atelier qui jouxte cet espace.

17 avril – Marseille, rue [?]

Le visuel de l’exposition m’a été envoyé ce matin : une photographie de Loris et Yvon se faisant face, vêtus de la même chemise blanche, de la même cravate noire. Il est impossible de ne pas penser à Interstellar, à Matthew McConaughey perdu derrière la bibliothèque après avoir éprouvé la réalité quantique du trou noir ; à la rencontre future avec sa fille, plus vieille que lui.

03 mai – Avignon, rue Violette

Broccoli a été installée dans la salle du Wall Drawing. Les lumières des couveuses qui descendent du plafond attendent de réchauffer les souris qui investiront bientôt leur nouvelle base de vie. Je pense une nouvelle fois à Philip K. Dick, à Ubik — inévitablement. Loris et moi sommes restés là sans pouvoir partir, comme hypnotisés. Et Don DeLillo a alors fait son apparition : « Le temps est la seule narration qui compte. Il étire les événements et nous permet de souffrir et d’en sortir et de voir survenir la mort et d’en sortir. Mais pas pour lui. Il est dans une autre structure, une autre culture, où le temps est proche de sa vraie nature, pure et nue, dépourvue de protection. »

15 mai – Avignon, rue Violette

Nous étions tous réunis cet après-midi dans la salle de l’entresol et la conservatrice-restauratrice dirigeait le régisseur afin d’accrocher les œuvres de Robert Ryman et éprouver enfin physiquement l’idée du projet dans toute sa matérialité. Depuis la console installée dans la pièce, l’ingénieur organisait l’ouverture et la fermeture des stores. Je me suis rappelé nos premières conversations : nous pensions aux Ryman en évoquant les mots de John Cage à propos des premiers monochromes blancs de Robert Rauschenberg : « des aéroports pour les lumières, les ombres, les particules ». Loris dit que c’est à cet endroit que nous devons être – cet orgue de lumière qu’il a imaginé joue non seulement avec les œuvres mais avec le bâtiment. C’est toutes les ruptures initiées dans les années 60 qui se projettent à travers cet étrange ballet de lumières. Effet double-bind étourdissant.

21 mai – Avignon, rue Violette

La cloison qui enferme la structure de Jean Prouvé est cette fois en place, encastrée dans la cimaise qui sépare en deux la salle de l’entresol. Cette porte fenêtre s’était transformée en une sorte de relique inestimable après avoir été détachée de son bâtiment. Elle est désormais ramenée à sa fonction première. Elle est cette étrange fenêtre depuis laquelle nous apercevons la fin de l’exposition — son après ? De l’autre côté les régisseurs ont enchâssés les œuvres noires de Brice Marden, à hauteur d’œil. Elles sont comme prisonnières. « Il y a trop de lumière » dirait Deckart. C’est ce que suggère l’anxiété qui se lit sur le visage de la conservatrice. Loris propose que nous fermions le store du dernier velux : « Les Marden ont déjà capturé la lumière ». De la même manière que la bobine de film qui sera installée à côté d’eux a capturé l’esprit de Papa Legba. On entend des enfants rirent depuis la salle où est affalée la truie de Broccoli. Ils ont ce don d’ubiquité qu’il faudra interroger. Ils auront une place particulièrement importante dans la vie de cet ensemble qui, nous le savons désormais, est une œuvre à part entière.

Broccoli par Coil

Les paroles sages de ceux qui nous quittent
Mange tes légumes verts, surtout les brocolis
N’oublie pas de dire « merci »
Pour les choses que tu n’as pas gagnées
En travaillant la terre
On cultive le ciel
Mmm, on embrasse
Le royaume des légumes
La mort de son père
La mort de sa mère
est une chose à laquelle on se prépare
Toute sa vie, toute leur vie

Les paroles sages de ceux qui nous quittent
La mort de sa mère, et la mort de son père
C’est la chose à laquelle on se prépare
Toute leur vie
Toute sa vie

Les paroles sages de ceux qui nous quittent
Mange tes légumes verts, surtout les brocolis.
Porte des chaussures adaptées
Et dis toujours « merci »
Surtout pour les choses
que tu n’as jamais eues.

Les paroles sages de ceux qui nous quittent
En travaillant la terre
On cultive le ciel
On entre dans le royaume végétal
De son propre paradis
En travaillant la terre
En travaillant la terre
On cultive les bonnes manières
On prend l’habitude de dire « s’il vous plaît » et « merci ».
Surtout pour les choses
que l’on n’a jamais eues

Les paroles sages de ceux qui nous quittent
Mange tes légumes verts, surtout les brocolis.
Et dis toujours « merci »,
Surtout pour le brocoli
*

Wise words from the departing
Eat your greens, especially broccoli
Remember to say “thank you”
For the things you haven’t earned
By working the soil
We cultivate the sky
Mmm, we embrace
The vegetable kingdom
The death of your father
The death of your mother
Is something you prepare for
All your life, all their lives

Wise words from the departing
The death of the mother, and the death of the father
Is something you prepare for
For all of their lives
For all of your life

Wise words from the departing
Eat your greens, especially broccoli
Wear sensible shoes
And always say “thank you”
Especially for the things
You never had

Wise words from the departing
By working the soil
We cultivate the sky
And enter the vegetable kingdom
Of our own heaven
By working the soil
By working the soil
We cultivate good manners
We used to say “please”, and “thank you”
Especially for the things
We never had

Wise words from the departing:
Eat your greens, especially broccoli
And always say “thank you”,
Especially for broccoli *

* Broccoli, par Coil
Album Musick to Play in the Dark Vol. 1, 1999

​Loris Gréaud : Repères biographiques

Depuis le début des années 2000, Loris Gréaud développe une trajectoire atypique sur la scène internationale de la création contemporaine. Il produit des environnements uniques, qui souvent ont recourt à des éléments perturbateurs et suivent le fil d’une narration ambiguë qui tend à abolir la frontière entre fiction et réalité. Rumeurs, poésie, virus, architecture et démolition, académisme et auto-négation sont ainsi régulièrement convoqués dans son travail qui s’efforce de réunir sur une seule et même surface les espaces physiques et mentaux.

Les projets de Loris Gréaud ont donné lieu à de nombreuses expositions personnelles. Il est notamment le premier artiste à avoir investi l’intégralité du Palais de Tokyo avec son projet Cellar Door (2008-2011) qui se développera par la suite à l’ICA (Londres), la Kunsthalle de Vienne, la Kunsthalle de St Gall (Suisse) puis au musée de la Conservera de Murcia (Espagne). Il est également le seul artiste à avoir fait l’objet d’une double-exposition au Musée du Louvre et au Musée National d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou à Paris (France), avec son projet internationalement acclamé [I] (2013). En 2015, il s’empare de l’ensemble des espaces de Dallas Contemporary (États-Unis) avec son projet toujours à l’œuvre The Unplayed Notes Museum. En 2016, il produit le projet Sculpt spécifiquement pour le LACMA à Los Angeles, sa première exposition personnelle sur la côte Est des états-Unis. En 2017, il attire toute l’attention de la 57e Biennale de Venise avec son projet The Unplayed Notes Factory à Murano (Italie). En 2019, Tel Aviv Museum of Art a accueilli l’exposition Sculpt : Grumpy Bear, the Great Spinoff, la 2e étape du projet initié au LACMA. L’exposition The Original, The Translation a permis quant à elle, de mettre en lumière l’ensemble de son activité éditoriale à la Bibliothèque Kandinsky/Centre Georges Pompidou. Par la suite, le Musée d’Art Moderne de Paris, après avoir fait l’acquisition de l’œuvre MACHINE en 2018, a invité Loris Gréaud à concevoir une exposition spécifique, intitulée Glorius Read, dans le cadre des collections permanentes. Enfin en février 2020, l’artiste a inauguré son projet pérenne The Underground Sculpture Park à la Fondation Casa Wabi (Mexique), dans le prolongement de l’architecture dessinée par Tadao Ando.

Les œuvres de Loris Gréaud font partie de nombreuses collections publiques parmi lesquelles Centre Georges Pompidou (Paris) ; LACMA (Los Angeles) ; Musée d’Art Moderne de Paris ; Collection François Pinault (Venise) ; Fondation Louis Vuitton (Paris) ; Musée d’Israël (Jérusalem) ; Collection Margulies (Miami) ; Collection Goetz, (Munich) ; Rubell Family Collection (Miami), Nam June Paik Art Center (Korea) ; Tel Aviv Museum of Art (Israel) ; Hirshhorn Museum (Washington).

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