Jusqu’au 10 octobre 2021, le MO.CO. Hôtel des collections présente « Cosmogonies », une exceptionnelle exposition construite à partir d’une sélection d’œuvres de la fondation Zinsou.
Après « Mecarõ – L’Amazonie dans la collection Petitgas » et « 00 s. Collection Cranford : les années 2000 », l’équipe du MO.CO., sous la direction artistique de Nicolas Bourriaud, récidive une nouvelle fois dans l’étonnant exercice qui consiste à concevoir un propos curatorial en s’appuyant sur le fonds d’une collection sans pour autant en faire le panégyrique.
« Cosmogonies » rassemble un peu plus de 130 œuvres (sculptures, photographies, peintures et installations) de 37 artistes de générations différentes.
On retrouve des artistes reconnus, plusieurs fois exposés par les fondations et les institutions, et qui ont marqué l’histoire de l’art contemporain africain depuis les années 1960. Par ces derniers on peut citer Frédéric Bruly Bouabré, Cyprien Tokoudagba, Chéri Samba, Moké, Seydou Keita, Malick Sidibé, Samuel Fosso, Zanele Muholi ou encore Romuald Hazoumè.
Au côté de ces figures de l’art contemporain africain, la sélection montre des artistes plus jeunes qui s’imposent aujourd’hui. C’est notamment le cas d’Ishola Akpo, d’Emo de Medeiros et d’Aïcha Snoussi qui présente une importante installation produite par le MO.CO. et la Fondation Zinzou, pour l’exposition.
Le parcours de l’exposition entremêle avec habileté générations, origines géographiques, notoriétés et pratiques artistiques. Il s’articule autour de sept grands thèmes :
- Alphabets et codes,
- Identité et Mémoire,
- La vie comme elle vient,
- Poses et mise en scène,
- Distance critique,
- Mythologies et symboles,
- Métamorphoses.
Un ensemble de peinture de Cyprien Tokoudagba a été choisi comme fil conducteur d’un récit proposé par l’équipe curatoriale qui a pour ambition d’être « ancré sur un territoire et d’une portée universelle »… Comme Frédéric Bruly Bouabré, Cyprien Tokoudagba a été une des figues majeures révélées par la mémorable exposition Les Magiciens de la terre en 1989. Invité par Marie‐Cécile Zinsou à inaugurer la fondation en 2005, Tokoudagba s’imposait avec évidence pour faire « le lien entre histoire, tradition, mythologie et coutumes », pour ces « Cosmogonies », récits mythiques de la création du monde…
Cohérent et limpide, l’accrochage reste avant tout au service des œuvres. Il propose toutefois quelques surprises et opère plusieurs rapprochements éloquents. L’éclairage est sans défaut si on oublie les quelques reflets, certainement inévitables, qui troublent un peu le regard sur la série Kpayo Army de Romuald Hazoumè, sur celle de Samuel Fosso (Tati) ou encore sur les photographies de Fani-Kayode (série Bodies of Experience) et sur une épreuve de Zanele Muholi.
Maud Martinot, dont on a pu apprécier le travail au Musée Fabre, signe une scénographie sobre et lumineuse. La conception graphique a été développée par Xavier Morlet.
Le commissariat est assuré avec talent et inspiration par Pauline Faure (Senior Curator) et Rahmouna Boutayeb (chargée de projets). Elles ont été assistées par Laureen Picaut et Fanny Hugot-Conte.
Le catalogue est publié aux Éditions SilvanaEditoriale. On peut y lire des textes de Christine Eyene et Alain Mabanckou, un très intéressant entretien de Pauline Faure avec Marie‐Cécile Zinsou et quatre essais sur la collection de Éva Barois de Caevel. La liste complète des œuvres exposées est accompagnée par de brefs repères biographiques des 37 artistes.
À lire, ci-dessous, quelques regards sur « Cosmogonies » et les textes de salles affichés dans le parcours.
En savoir plus :
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Sur le site de la Fondation Zinzou
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Quelques regards sur « Cosmogonies » :
Les lignes qui suivent n’ont bien entendu pas l’ambition de rendre compte de la richesse de « Cosmogonies ». Il s’agit simplement de partager quelques moments qui nous ont semblé plus saisissants que d’autres…
Après un superbe Ensemble de dessins sur papier calque (1989) de Frédéric Bruly Bouabré en dialogue, entre autres, avec deux Surtentures (#04 (..and the dreams of thunder permeate the string of inflections) et #12 (LiveLove), 2015) de Emo De Medeiros, la section Identité et Mémoire s’ouvre avec d’incontournables photographies de Malick Sidibé et Seydou Keita.
Le premier « choc » de « Cosmogonies » est provoqué par l’installation de Joël Andrianomearisoa (Le poème du bien-aimé, 2017) où les voix de Jeanne Moreau et Maria Bethânia accompagnent poteries de Sè fabriquées par les femmes au Bénin…
Joël Andrianomearisoa – Le Poème du bien-aimé, 2017. Textile, poterie en terre de Sè, son – Identité et Mémoire – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections. Photo Marc Domage.
L’installation immersive de Joël Andrianomearisoa rend compte des allers-retours émotionnels provoqués par la rencontre et la séparation qui s’en suit. De ces expériences il ne reste que les souvenirs et les échos. Les objets en sont la trace, provenant d’un village au sud-ouest du Bénin renommé pour sa poterie traditionnelle, où s’est rendu l’artiste lors de l’élaboration de son exposition à Ouidah en 2017. Le Poème du bien-aimé, référence à la Chanson du mal-aimé d’Apollinaire, est une installation mélancolique à la frontière entre la clarté et l’obscurité ; une pièce dont s’échappent les poteries de Sè, et où résonnent les voix de Jeanne Moreau et Maria Bethânia. (texte du cartel)
Un peu plus loin, Identité et Mémoire présente un dialogue très réussi entre quatre coiffures de la série Hairstyles photographiées par J.D. ‘Okhai Ojeikere et les sculptures de la série Toison d’Ivoire (2018) réalisées par la française Pauline Guerrier, subjuguée par les images du nigérien, lors de sa résidence à la Fondation Zinsou.
J. D. ‘Okhai Ojeikere – Headdress, 1972, Etine Uton Eku, 1975 et Udoji 1971 – Série Hairstyles. Tirages gélatino argentique sur papier baryté.
J.D. Ojeikere commence sa carrière de photographe à l’âge de 19 ans. Il travaille pour le Ministère de l’Information du Nigeria et pour la télévision avant d’ouvrir son studio « Foto Ojeikere ». De 1968 à 1999, il choisit de photographier les coiffures africaines. Ce travail forme une œuvre de plus d’un millier d’images. Dans cet inventaire, les modèles sont photographiés de dos, parfois de profil, pour donner toute sa dimension architecturale à un art qui pourrait être considéré comme anecdotique. Ojeikere a choisi son sujet d’étude pour sa beauté, son caractère éphémère, et sa capacité à témoigner de la culture nigériane.
J. D. ‘Okhai Ojeikere – Modern Suku, 1979 – Série Hairstyles – Identité et Mémoire – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections
Pauline Guerrier – Série Toison d’Ivoire, 2018. Cheveux synthétiques, acier
Lors d’une résidence à la Fondation Zinsou en 2018, Pauline Guerrier réalise une série de sculptures intitulées Toison d’Ivoire. Fascinée par les photographies de J.D. ‘Okhai Ojeikere, elle pense ces coiffures vues de dos comme des sculptures. Elle utilise les matériaux des coiffeurs pour réaliser des » broderies capillaires » qui, à grande échelle, révèlent davantage la complexité de ce travail de tressage. L’artiste souligne également le sens des différents types de coiffures, souvent liés à des événements particuliers (passage à l’âge adulte, appartenance ethnique, etc.).
Cette section se termine avec AGBARA Women un remarquable projet l’artiste béninois Ishola Akpo, produit pendant ses quinze mois de résidence à la Fondation Zinsou en 2020.
Ishola Akpo y a fait un important travail de recherche et de documentation sur des reines africaines, qui ont régné, mais qui ont pour la plupart été oubliées volontairement dans l’Histoire de plusieurs pays.
Ishola Akpo – projet AGBARA Women serie, Akin (la bravoure en yoruba), Lyà Nlà (la reine mère en yoruba) et Lyami (la mère en yoruba), 2020 – Identité et Mémoire – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Il se décline en trois séquences : AGBARA Women, trois photographies d’une série de dix ; Traces d’une reine, un ensemble de collages avec du fil rouge et Manifeste, une des douze tapisseries noires où l’on décode des mots brodés à la main avec du fil noir…
Ishola Akpo – projet AGBARA Women, Traces d’une reine, 2020 – Identité et Mémoire – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections
Le projet AGBARA Women d’Ishola Akpo, s’inscrit dans le cadre de sa résidence à la Fondation Zinsou et de l’exposition qui a eu lieu en 2020. Il se développe sous trois formes : AGBARA Women/photographies, Traces d’une reine/collages, et Manifeste/tapisseries.
L’artiste a réalisé un travail de recherches important sur les reines du Dahomey, du Sénégal, d’Angola et d’Europe. Toutes ces femmes sont pour lui « des guerrières qui ont lutté pour s’en sortir ».
Du photomontage à la photographie de studio en passant par la broderie, il s’applique à redonner le statut de reines à ces femmes, qu’elles aient été gommées de l’Histoire, ou qu’elles traversent son quotidien. Les tentures noires du « Manifeste » sont brodées au fil noir laissant deviner des mots dans des langues traditionnelles africaines : asanté, swahili, yoruba, zulu… faisant écho à la résistance de ces reines.
D’une étonnante force plastique, l’ensemble qui s’inscrit dans la tradition yoruba dont est issu Akpo est sans doute une des plus belles découvertes offertes par “Cosmogonies”.
Les deux séquences suivantes (La vie comme elle vient et Poses et mise en scène) sont sans véritables surprises ou découvertes.
Autour des statuettes de la série du Sondage de Kifouli Dossou, un accrochage très réussi associe habilement des photographies (Adama Kouyate, Jean Depara, Malik Sidibé, Sanlé Sory, Seydou Keita, Omar Victor Diop et Samuel Fosso) et des toiles de Moké, de Pierre Bodo ou encore de Cheri Samba…
On ne pouvait sans doute trouver meilleur titre que celui attribué à la section Distance critique. Elle rassemble une sélection d’œuvres particulièrement intéressantes qui posent des regards à la fois distants et critiques sur l’environnement social, économique et politique du continent africain.
Tout commence en bas des escaliers par une mise en scène audacieuse.
Une grande toile de Chéri Samba (Le Combat du siècle, 1997) est installée en majesté, comme un tableau d’autel. Elle célèbre “le champion d’une africanité affirmée”…
Chéri Samba – Le Combat du siècle, 1997. Acrylique et paillettes sur toile – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
En immortalisant le « Combat du siècle », opposant Mohamed Ali à George Foreman en 1974, Chéri Samba fait bien plus que couvrir un événement sportif. Annoncée comme le « Rumble in the Jungle », cette rencontre sportive s’inscrit dans un climat politique tendu et fait office de manifeste alors que le Zaïre est en pleine politique d’authenticité du Président dictateur Mobutu. Mohamed Ali est le porte-parole de l’africanité et Foreman fait office du méchant. Mobutu offre 5 millions de dollars aux deux boxeurs afin d’obtenir l’organisation du match au Zaïre. L’événement sera suivi par 80 000 spectateurs au stade, et 50 millions de téléspectateurs en direct. Mohamed Ali remporte le match, et les Zaïrois sortent dans les rues pour célébrer le champion d’une africanité affirmée.
Sur sa gauche, une sarcastique toile de Chéri Chérin (Si l’argent était le bonheur, mais les patrons des banques ne retournerait plus chez eux, 2014) précède une désuète sculpture-maquette de Rigobert Nimi (Cité des étoiles, 1962).
Chéri Chérin – Si l’argent était le bonheur, 2014. Huile sur toile – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Chéri Chérin est une des figures majeures de la « peinture populaire congolaise ». Après avoir peint affiches et fresques commerciales, il se consacre à une peinture figurative narrative. Ses scènes offrent un rapport à la fois critique et amusé face aux réalités d’une société dont les dérives sont contrebalancées par l’humour. Impliqué dans le mouvement des Sapeurs (Société des Ambianceurs et des Personnalités Élégantes), Chéri Chérin se définit comme le « Créateur Hors (série) Expressionniste Remarquable Inégalable (C.H.E.R.I.N.) unique dans son genre ».
Sur la droite, la vision “futuriste” de l’artiste congolais est contrebalancée par une impressionnante installation d’Aston (Catastrophe, 2008). Dans cette allégorie prophétique du Bénin des années 2050, une multitude de briquets, stylos, crayons et autres déchets évoquent des personnages qui paraissent se battre pour la possession d’un épi de maïs…
Aston – Catastrophe, 2008 – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Aston recycle des déchets pour réaliser ses œuvres protéiformes, redonnant vie à ce que nous jetons pour mieux dénoncer la catastrophe écologique.
L’œuvre Catastrophe, se compose de 2 000 briquets, pinces, stylos, crayons, bobines et tuyaux. Ces objets recyclés par l’artiste prennent la forme de petits personnages
semblant se battre et se ruer vers le centre de l’œuvre cherchant à atteindre le sommet symbolisé par un épi de maïs.
Cette allégorie du Bénin de 2050 est mise en scène sous le feu des projecteurs par l’artiste qui imagine dans cette œuvre expressive la catastrophe prophétique d’un exode rural. Il dénonce les dérives d’un système qui affame la population victime de l’explosion démographique.
L’accrochage se poursuit avec une succession d’œuvres dont l’enchaînement construit un propos très cohérent sur les systèmes mis en place par la colonisation et la multiplication des pratiques frauduleuses.
Tout commence avec une pièce de Ibrahim Mahama (Rafia EB X, 2016) qui interroge à partir de toiles de jute et de tissus wax les pratiques commerciales autour des fèves de cacao, mais aussi les appropriations des XVIIIe et XIXe siècles.
Ibrahim Mahama – Rafia EB X, 2016. Sacs de jute et tissus – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
C’est par la transformation de matériaux qu’Ibrahim Mahama s’interroge sur les mécanismes lies à une économie mondiale et en particulier à leur dimension sociopolitique. Ici, ce sont des toiles de jute, symboles des marchés commerciaux du Ghana où il vit, importés d’Asie pour le commerce des fèves de cacao, qui sont déchirées, recousues, assemblées. Un tissu wax est cousu, à la fois comme une pièce qui rassemble, qui colmate, mais qui se déchire aussi sur une béance qui n’ouvre sur rien. Ainsi le tissu constitue un marqueur d’identité, et le jute comme le wax sont porteurs d’une histoire de l’exploitation — le wax pouvant symboliser les transactions commerciales et appropriations des 18e et 19e siècles (du batik javanais aux fabricants anglais ou hollandais, achetés par les Ashantis du Ghana).
L’installation Sociétés secrètes (2015) de Sammy Baloji interpelle le visiteur sur les liens entre exploitation du cuivre et colonisation autour de l’action des services secrets belges à propos de « sociétés secrètes » opposées à l’occupation et la répression des rituels de scarifications…
Sammy Baloji – Sociétés secrètes, 2015. Plaques de cuivre, quatre photographies, lettre encadrée – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections. Photo Marc Domage.
L’installation Sociétés secrètes fait ressurgir les liens entre exploitation et colonisation en en soulignant les traces encore visibles. La lettre est écrite par un agent congolais des services secrets belges qui atteste l’existence de « sociétés secrètes » opposées à l’occupation. Elle est accompagnée d’une photographie de scarifications qui prouve la poursuite d’une pratique interdite à l’époque par les colons. Les médailles reproduites récompensaient les dits « évolués » qui abandonnaient leurs pratiques ancestrales au profit du mode de vie des colons. Les scarifications sont représentées martelées dans les plaques de cuivre symbole de la richesse économique du Congo, et objet de lutte pour son exploitation.
Malgré les reflets et effets de miroirs désagréables, la série photographique Kpayo army (2004) de Romuald Hazoumè conserve toute sa puissance.
Romuald Hazoumè – Kpayo army, 2004. Tirages sur papier baryté – Distance critique – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Romuald Hazoumè est un artiste reconnu pour la pluralité de ses pratiques. Ses installations et sculptures utilisent souvent les bidons d’essence utilisés dans le trafic d’essence frelatée importée du Nigéria Kpayo).
Ici les photographies montrent de devenus soldats aux ordres de l’« Armée Kpayo ». Hazoumè témoigne de traditions et d’usages, et dénonce l’injustice subie par le continent africain dont les ressources ne profitent pas à sa population.
« Comment comprendre que nous ayons des sous-sols riches et que nous soyons encore si pauvres ? Commenf expliquer que des peuples qui n’ont pas le quart de
nos ressources viennent nous aider ? Nous avons des savoir-faire endogènes qui datent de plusieurs siècles – dans tous les domaines — et nous sommes là à singer le blanc, à reproduire les modèles des autres. » (Romuald Hazoumè)
Quelques œuvres de Gérard Quenum complètent cette séquence.
L’accrochage de Mythologies et symboles s’articule en deux séquences : la première autour du Fat Pink Man (200) de George Lilanga et la seconde autour de Missing (2019), le tapis découpé de Sadek Rahim.
L’univers du vodoun et la divination par le Fâ sont au cœur de plusieurs pièces rassemblées autour de toiles de Cyprien Tokoudagba et notamment de la figure du dieu Gou (2005)…
Cyprien Tokoudagba – Gou, 2005. Acrylique sur toile – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
« Dans le panthéon vodoun, le Dieu Gou personnifie la justice, l’harmonie cosmique, la loi absolue. Il contrôle de ce fait l’évolution et la destinée de toute la création. Gou représente la dualité — le positif et le négatif, le bien et le mal, la vie et la mort. Il assure la transformation d’un extrême à l’autre. Gou est ainsi le maître de l’alchimie permettant la préparation de la pierre philosophale, le Dieu des arts et en particulier celui des forgerons. Son nom “gou” (phallus, fer) symbolise la combativité, la virilité, la puissance et la souveraineté. Le sabre, outil de puissance souveraine donc de justice, de créativité, assurant la transformation de la nature, la conversion des forces, peut devenir objet de violence, de passions et de colère, d’où la polarité de ce dieu. Il apparaît en Dieu de l’agriculture et de la guerre. » (Marc Monsia, Cahier de la Fondation Zinsou, 2007)
Jérémy Demester avec Amon Houeda III (2018) réutilise une toile de parasol pour évoquer Amon, Dieu soleil égyptien et Houeda en référence à la ville de Ouidah considérée comme le berceau de la religion traditionnelle vodoun…
Jérémy Demester – Amon Houeda III, 2018. Tissu, parasol – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
En 2015, Jérémy Demester se rend à Ouidah et s’imprègne notamment de l’univers vodoun. Naîtra une série d’œuvres dans lesquelles il réemploie des toiles de parasols qui appartenaient à des marchands béninois, les détournant de leur fonction première pour les transcender. Une fois dépliée leur forme évoque un soleil en référence à Amon, Dieu soleil égyptien, symbole de la vie sur la terre, dans le ciel et au-delà, ainsi que de la fertilité. Houeda fait référence à la ville de Ouidah, ville béninoise considérée comme le berceau de la religion traditionnelle vodoun.
Avec son casque de cosmonaute couvert de cauris et enfermant un smartphone (Vodunaut #04 Hyper fighter, série Vodunaut, 2016), Emo de Medeiros s’interroge : « et si la futurologie du futur était fondée sur la divination par le Fâ ? »… Nul doute que cette œuvre est une de celle qui intrigue le plus les visiteurs de « Cosmogonies » ! Avec une pointe de malice, l’accrochage place ce casque comme s’il regardait la Cité des étoiles de Rigobert Nimi…
Emo de Medeiros – Vodunaut #04 Hyper fighter, série Vodunaut, 2016. Casque de cosmonaute, cauris, tubes, smartphone – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
« Les casques de la série des Vodunaut sont nés d’une fascination pour les cauris, la navigation spatiale, les temps à venir, et d’une question : et si la futurologie du futur était fondée sur la divination par le Fâ ? Dans la religion vodoun au Bénin, les cauris sont associés au symbolisme du voyage (puisqu’ils proviennent de l’Océan Indien), accordent protection, chance et fertilité, mais aussi la richesse, car ils furent dans certains endroits utilisés comme monnaie jusqu’au début du 20ème siècle. Les Vodunaut incorporent des pièces vidéo, filmées sur quatre continents (Afrique, Amérique, Asie et Europe). » (Emo de Medeiros)
Sadek Rahim – Missing, 2019. Tapis découpé – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Pour Sadek Rahim, le tapis est à la fois l’élément domestique le plus répandu dans les intérieurs algériens, mais aussi le porteur d’une légende – le tapis volant – qu’il associe au départ vers l’Europe, un Eldorado qui n’est qu’un mirage, aussi improbable qu’un tapis en lévitation. Dans Missing, l’artiste a évidé le tapis de ses motifs floraux. Pour Sadek Rahim ce tapis peut-être la métaphore d’un pays en perte de sens, déserté par sa jeunesse en quête d’un ailleurs plus prometteur. Les roses s’en vont, ne restent que les contours qui marquent l’absence.
Autour du tapis évidé de Sadek Rahim (Missing, 2019) qui évoque l’émigration de la jeunesse algérienne, deux œuvres de Cyprien Tokoudagba (Damimi et Sans titre, 2005) en face à face et deux toiles de Romuald Hazoumè (Gbe-Yeku, 1996 et Lete-meji, 1993) placées côte à côte construisent un dialogue magique à propos de l’art divinatoire du Fâ et des quatre éléments fondateurs…
Cyprien Tokoudagba – Sans titre et Damimi, 2005 – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Les traits et les cercles sont deux des façons de représenter l’élément Eau. Les quatre éléments fondateurs — Eau, Terre, Feu et Air — sont communs à de nombreuses religions et mythes. Ils désignent les quatre principes de base qui ont servi à la création, qui la nourrissent et la gouvernent dans son évolution. Ils représentent les quatre aspects primordiaux de Dieu, connu en fon, sous le vocable Yêhwé -Y -E -W -Hé (chaque composante du nom divin correspondant au nom d’un élément).
Romuald Hazoumè – Gbe-Yeku, 1996 et Lete-meji, 1993. Acrylique et pigments naturels sur toiles – Mythologies et symboles – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Ces peintures, qui constituent l’une des premières acquisitions de Marie-Cécile Zinsou, font référence à l’art divinatoire du Fâ. Les peintures présentées en reprennent les signes réalisés avec des éléments minéraux ou d’origine végétale ou animale (comme le kaolin ou l’indigo). Ces symboles traduisent la conception du monde des Yorubas.
« C’est le Fâ qui m’a révélé à moi-même. C’est un art complexe qui traduit la façon de penser le monde des Yorubas, la manière dont ils affirment leur présence dans le cosmos. Je suis de cette culture et le fait d’en avoir saisi l’essence à travers un contact avec cet univers a bouleversé la vision que j’avais de l’art et de la création. » (Romuald Hazoumè)
Ici Lètè-mèji est un signe qui exprime la bravoure, le courage, l’audace et Gbé-Yeku signifie la vie.
Tout l’espace au sous sol de l’hôtel des Collections est occupé par une remarquable ensemble d’œuvres rassemblées sous le titre Métamorphoses avec la volonté d’évoquer « l’ambiguïté du vivant, le charnel et le surnaturel, l’incarnation des ambivalences et la capacité à se transformer en fonction de l’esprit qui nous guide ou que nous avons choisi de suivre. »
Plusieurs figures tutélaires de Cyprien Tokoudagba rythment l’accrochage qui s’organise autour d’un ensemble de statuettes en terre cuite de Seyni Awa Camara et d’une imposante installation d’Aicha Snoussi.
Le parcours commence et se termine avec deux superbes tirages de Zanele Muholi (Vumani I Boston et Mizuzu Parktown JHB, 2019) qui résument assez bien l’ambition affirmée au début du texte de salle. On regrette les effets de miroir qui « gâchent » un peu l’exposition de la seconde…
Zanele Muholi – Vumani I Boston et Mizuzu Parktown JHB, 2019 – Métamorphoses – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Dans sa série Somnyama ngonyama (en zoulou « louée soit la lionne noire » ), iel réalise des autoportraits contrastés, aux regards chargés d’émotions contenues et silencieuses, qui imposent des figures puissantes avec une économie de moyens remarquable. Le maquillage et quelques accessoires anodins, parfois décalés, viennent transformer un autoportrait en un portrait devenu universel, dramatique, mêlant des signes venus de cultures exploitées. La noirceur exagérée de la peau de Zanele Muholi exprime une réappropriation personnelle de l’identité noire, en opposition aux stéréotypes véhiculés.
Le discours se prolonge avec les trois photographies de Rotimi Fani-Kayode de sa série Bodies of Experience (1987-1989), malheureusement desservies par de fâcheux reflets.
Rotimi Fani-Kayode – série Bodies of Experience, 1987-1989 – Métamorphoses – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
Entre érotisme et mysticisme, le corps noir mis en scène dans les « tableaux » de Fani-Kayode transgresse les tabous culturels et sexuels. Ayant grandi et suivi une formation sur trois continents, il enrichit son œuvre de sa propre expérience, et confronte les icônes de l’art occidental religieux à la culture traditionnelle Yoruba, s’interrogeant sur un monde post-colonial. Ainsi, le corps noir, sujet principal de ses photographies, s’émancipe de l’imaginaire occidental et des perceptions conventionnelles, s’assumant comme figure de désir.
Ces images du « Mapplethorpe africain » sont suivies par celles très étranges de Leonce Raphaël Agbodjelou (série Demoiselles de Porto-Novo, 2012)…
Leonce Raphaël Agbodjelou – Sans titre, série Demoiselles de Porto-Novo, 2012 – Métamorphoses – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections.
La série Demoiselles de Porto-Novo impose une étrange ambiance intimiste, dont l’intemporalité se marque d’une nostalgie équivoque, renforcée par le titre qui renvoie à la célèbre peinture de Picasso. Si la réappropriation culturelle est évoquée dans cette série, le sujet principal demeure le rapport personnel qu’entretient l’artiste à son pays, sa culture et ses traditions. Cette série photographique réalisée dans la maison familiale, inscrit le corps dénudé de ces femmes masquées dans une histoire coloniale.
Une place importante est accordée à l’installation d’Aïcha Snoussi – Sépulture aux noyé.e.s (2021) produite pour l’exposition par le MO.CO. Montpellier Contemporain et la Fondation Zinsou.
Aïcha Snoussi – Sépulture aux noyé.e.s, 2021. Installation : béton cellulaire, bouteilles en verre, eau, papier, encres à base d’alcool et de laine noire calcinée, éléments organiques, son du soleil. Production MO.CO. Montpellier Contemporain et Fondation Zinsou – Métamorphoses – Cosmogonies – Zinsou, une collection africaine au MOCO-Hôtel des collections. Photo Marc Domage.
La mission archéologique LIXE vient de mettre au jour une des plus anciennes sépultures en bord de Méditerranée, mais aussi le plus ancien site rituel dédié aux amantes noyé. es entre deux rives. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Motawasit et le monument recomposé est présenté pour la première fois au MO.CO. L’archéologie des côtes méditerranéennes a révélé très peu de données sur les croyances et les pratiques rituelles de cette civilisation disparue sous les eaux. Située au large de l’île de Zembra, la Sépulture aux noyé. es apporte aujourd’hui les premiers éléments sur les rituels d’une civilisation queer sur les côtes préhistoriques du Cap-bon.
Parc national de nos jours, l’île de Zembra se trouve à 50 km du port de la Goulette, dans la baie de Tunis. Au Ve millénaire, Zembra est un campement d’amant.es de la culture des Tchech, appelées aussi Zindiennet, dont les sépultures gravées ont été retrouvées. La poésie, activité principale des occupante.s du lieu, est pratiquée dans un mélange d’encre distillée et de laine noire calcinée, appliqué avec des ossements de sérioles. Les tchechs de Zembra ont, dès cette époque, voyagé entre les deux rives de la méditerranée et entretenu des correspondances. Lorsque des amant.es ne revenaient pas, des bouteilles contenant des dessins, des récits de rêve, de désirs et de traversée, étaient disposées dans des monticules circulaires à l’effigie des disparu.es, pour garder leur mémoire vivante et leur puissance au cœur des vagues.
Dans le texte qui accompagne son installation, Aïcha Snoussi explique clairement ses intentions. Une vidéo disponible sur le site du MO.CO. complète le cartel développé.
L’artiste tunisienne qui a effectué plusieurs résidences à la Fondation Zinzou expose également son Anticodexxx (2017). Un ensemble de dessin à l’encre et au marqueur à l’eau sur douze cahiers d’écolier évoque inévitablement les dessins enfermés dans les bouteilles de sa grande installation. Cette pièce plus modeste est tout aussi captivante que l’imposante Sépulture aux noyé.e.s.