Objets migrateurs – Trésors sous influences à la Vieille Charité – Marseille


Jusqu’au 16 octobre 2022, « Objets migrateurs – Trésors sous influences » est sans aucun doute une exposition indispensable et incontournable qui impose une ou plusieurs visites au Centre de la Vieille Charité à Marseille.

Résultat d’un dialogue fructueux et continu pendant quatre ans entre Barbara Cassin, qu’on ne présente plus, et les équipes scientifiques des Musées de Marseille, « Objets migrateurs – Trésors sous influences » est remarquable à plus d’un titre. Elle l’est d’abord par l’actualité et la pertinence de son propos. Dans son texte d’introduction au parcours de l’exposition et du catalogue, la philologue, philosophe, helléniste et académicienne commence par écrire :

« Rien de moins immobile qu’un objet : les objets migrateurs ont toujours existé, qu’il s’agisse d’hommes, de dieux, d’idées, de langues ou de choses.
Aujourd’hui où, particulièrement en Méditerranée, l’accueil de ceux que l’on nomme “migrants” est à l’ordre du jour, nous voulons dédiaboliser l’idée de migration et montrer comment les objets migrateurs servent à constituer cette civilisation que nous disons nôtre, à la diffuser et à la faire évoluer. C’est à l’évidence un projet politique que cette exposition 
».

« Objets migrateurs – Trésors sous influences » reprend, mais avec plus d’ampleur et d’audace, une des originalités expérimentées par Barbara Cassin au Mucem à l’hiver 2016-2017 pour « Après Babel, traduire »  : « Faire dialoguer l’antique et le contemporain, l’ici et l’ailleurs, entre objets d’art très précieux et objets du quotidien ».

Le commissariat complice de Barbara Cassin avec Muriel Garsson (conservatrice, directrice du Musée d’Archéologie Méditerranéenne et chercheuse associée au CNRS) et Manuel Moliner (archéologue, conservateur en chef au Musée d’Histoire de Marseille) s’est très largement appuyé sur l’ensemble des collections des Musées de Marseille. Cette sélection perspicace d’œuvres et d’objets a été enrichie par des prêts choisis auprès d’institutions régionales. La sollicitation des collections nationales et européennes s’est faite avec pertinence, pour des pièces réellement incontournables.

La remarquable construction du parcours s’appuie dans un premier temps sur l’idée de « faire l’inventaire des types de transformation dus aux migrations ». Dans son introduction, Barbara Cassin résume « on passe de l’unique – un objet-mémoire parfaitement singulier – au multiple, avec le commerce et la diffusion, en croisant les problèmes de la copie, du faux, de la contre façon, du réemploi » (De l’un au multiple – Mémoires et commerce et Le même et l’autre).

La séquence Élaborations s’articulent autour d’une série de questions particulièrement pertinentes : Qu’est-ce qu’une hybridation, un syncrétisme, un métissage, une appropriation, une inspiration ?

Le propos montre avec élégance et simplicité comment « les modalités de réinvestissement de l’objet remettent en travail les idées de centre et de périphérie, d’original et de copie, de même et d’autre »…

Dans une dernière partie, « Objets migrateurs – Trésors sous influences » n’hésite pas à interroger, et sans détour, l’institution en posant « la question des objets à l’arrêt dans les musées – objets de curiosité, de science, d’art, objets patrimoniaux – et celle, très actuelle, des objets restitués et des objets partagés » (Objets à l’arrêt et Objets restitués).

Le parcours se termine avec la formulation d’une nouvelle idée d’un musée avec l’expérience des muséobanques, « autour d’objets-récits portés par des acteurs du territoire, liés à des projets qui trouvent leur financement grâce à un micro-crédit », pour « penser autrement l’idée de valeur » (Objets partagés).

L’accrochage multiplie avec clairvoyance les rapprochements souvent révélateurs, parfois inattendus et de temps en temps un peu espiègles. Il est difficile d’en citer ici les plus pertinents tant ils sont nombreux. On renvoie donc aux regards sur le parcours ci-dessous. Concis et rédigés avec élégance, les textes sont irréprochables.

Rares sont les critiques que l’on pourrait formuler… Une trop grande générosité dans la sélection des objets trouble quelquefois le regard qui rencontre quelques difficultés à savoir où se poser. C’est notamment le cas pour la séquence De l’un au multiple — Mémoires et commerce. En début du parcours, on peut également regretter que la section Installations commence dans la chapelle avant de se poursuivre dans la première galerie. La lisibilité en pâtit un peu. Enfin, la mise en lumière de quelques céramiques antiques n’évite pas l’ombre portée de leur col sur les figures de la panse…

Brillante et éloquente, la démonstration est limpide sans jamais être péremptoire. La liberté de ton est réjouissante. Le discours sait proposer plusieurs ouvertures au visiteur tout en lui laissant l’initiative de construire ses propres interprétations, associations et rapprochements.

Aux classiques textes de salles et cartels, « Objets migrateurs – Trésors sous influences » ajoute d’autres regards sur les œuvres et les objets exposés. Treize biographies subjectives d’objets imaginées par les poètes du Centre international de poésie Marseille et des cartels musicaux composés par Jean-Marc Montera (musicien associé au GMEM – Groupe de musique expérimentale de Marseille – CNCM) ponctuent le parcours et enrichissent notablement l’expérience de visite.

« Objets migrateurs – Trésors sous influences » s’accompagne également de quelques productions originales et généreuses. C’est notamment le cas du film Un lieu qui me manque (2021) tourné au lycée Saint-Charles, à Marseille avec des élèves de classes d’UPE 2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) et de ceux réalisés par Lieux fictifs avec des prisonniers des Baumettes sur l’objet qui leur manque là où ils sont

Nous n’avons malheureusement pas pu voir Objets de l’exil, une installation sonore et photographique, de La Revue Sonore et de Pierre Gondard. La salle Roquepertuse, annoncée comme spécialement réouverte pour l’événement, était fermée lors de notre passage !

Le catalogue est publié par les éditions Liénart sous la direction scientifique de Barbara Cassin. On y trouve l’ensemble des textes de l’exposition, les notices des œuvres présentées dans le parcours et des articles de contributeurs des Musées de Marseille et d’institutions partenaires. Les biographies subjectives sélectionnées par le Centre international de poésie Marseille sont reproduites. Les cartels musicaux de Jean-Marc Montera sont accessibles via des QR codes.

Commissariat remarquable de Barbara Cassin, Muriel Garsson et Manuel Moliner.

Prêteurs : Galerie Nagel Draxler de Berlin – Kader Attia • Staatliche Antikensammlungen und Glyptothek – Munich • Association Madiba Nature du Cameron • Musée Picasso Antibes • Fondation LUMA Arles • Musée départemental Arles antique • Musée d’Art naïf et d’Arts singuliers de Laval • Académie des sciences, lettres et arts de Marseille • LPED Aix-Marseille Université • Mucem • Musée d’Art classique de Mougins • Musée d’Histoire de Nantes • Musée d’Art moderne et contemporain de Nice • Centre archéologique du Var • Centre national des arts plastiques • Centre Pompidou • Musée national de l’histoire de l’immigration • Musée du Quai Branly – Jacques Chirac • Musée du Louvre • Musée Rodin • Direction commerciale et Marketing Réunion des Musées Nationaux • Musée Saint-Remi de Reims • Manufacture et Musée nationaux de Sèvres • Collection privée Théo Mercier • Collection privée Alain et Christine Vidal-Naquet • Irish Museum of Modern Art John Kindness de Dublin • Ashmolean Museum Oxford • Musée des Civilisations noires de Dakar • Fondation Gandur pour l’art de Genève.

« Objets migrateurs – Trésors sous influences » marquera la saison culturelle à Marseille et sans doute dans le sud de la France et de l’Europe. Elle restera probablement comme une des expositions majeures dans l’histoire très riche de celles qui ont été produites à la Vieille Charité.

À lire, ci-dessous, quelques regards sur le parcours d’exposition accompagnés des textes de salle.

En savoir plus :
Sur le site des Musées de Marseille
Sur le site du Centre de la Vieille Charité
Suivre l’actualité des Musées de Marseille sur Facebook et Instagram

« Objets migrateurs – Trésors sous influences » : Regards sur l’exposition

Rien de moins immobile qu’un objet : les objets migrateurs ont toujours existé, qu’il s’agisse d’hommes, de dieux, d’idées, de langues ou de choses.
Aujourd’hui où, particulièrement en Méditerranée, l’accueil de ceux que l’on nomme « migrants » est à l’ordre du jour, nous voulons dédiaboliser l’idée de migration et montrer comment les objets migrateurs servent à constituer cette civilisation que nous disons nôtre, à la diffuser et à la faire évoluer. C’est à l’évidence un projet politique que cette exposition.

Elle se tient au cœur cosmopolite de Marseille, à la Vieille Charité, où un musée d’archéologie et un musée d’arts africains, océaniens et amérindiens ouvrent au maximum l’arc du temps et de l’espace. La première originalité de l’exposition est de faire dialoguer l’antique et le contemporain, l’ici et l’ailleurs, entre objets d’art très précieux et objets du quotidien. Ainsi, on verra côte à côte dans la chapelle une coupe jamais sortie de l’Ashmolean Muséum, avec Ulysse sur son radeau fait de deux amphores, et un « ecoboat » en bouteilles de plastique… Avec, comme un fil tout au long, les biographies d’objets — du très classique cartel muséal aux biographies subjectives faites par des poètes et des musiciens.

Il s’agit de faire l’inventaire des types de transformation dus aux migrations. On passe de l’unique – un objet-mémoire parfaitement singulier – au multiple, avec le commerce et la diffusion, en croisant les problèmes de la copie, du faux, de la contre façon, du réemploi. Le crâne de L’homme de Rio, est-ce un vrai faux, un faux vrai ? Qu’est-ce qu’une hybridation, un syncrétisme, un métissage avec un Vajrapani Héraclès du Gandhara, ou un Marx qui abrite dans sa barbe le peuple hindou ? Et une appropriation, une inspiration avec le motif de nautile minutieusement reproduit sur une robe de Fortuny, ou un presque tanagra aux seins dévoilés par Picasso ? Les modalités de reinvestissement de l’objet remettent en travail les idées de centre et de périphérie, d’original et de copie, de même et d’autre.

L’exposition s’achève en déployant la question des objets à l’arrêt dans les musées – objets de curiosité, de science, d’art, objets patrimoniaux – et celle, très actuelle, des objets restitués et des objets partagés. C’est peut-être une nouvelle idée de musée qui se fait jour avec l’expérience pilote des muséobanques, autour d’objets-récits portés par des acteurs du territoire, liés à des projets qui trouvent leur financement grâce à un micro-crédit. Artistique et politique, elle aide à penser autrement l’idée de valeur, et aboutit à une salle participative qui présente un dispositif inventé par La Revue Sonore, et les œuvres de ces « Nouveaux Commanditaires » que sont les Collèges du Vieux Port. Elle investit tout l’espace, revisite certaines présentations du musée d’Archéologie et du MAOOA, parce qu’elle impose de réfléchir encore à ce que sont aujourd’hui un musée et un objet de musée.
Que pensez vous de ce que vous voyez ?

Les migrations : tout commence avec la mer…

Tout commencerait avec la mer. Ici, trois objets phares : la barque égyptienne du soleil, migration des astres et des âmes ; Ulysse sur son radeau d’amphores, en pleine tempête ; et un ecoboat, embarcation précaire en bouteilles de plastique. Nous embarquons pour le ciel du dieu soleil d’Égypte, et pour les fleuves souterrains des Enfers grecs et latins. Nous nous embarquons aussi dans la Méditerranée du mythe et du réel.

Les premiers à partir sont des héros, contraints de quitter leur patrie. Ulysse, parce qu’il se lance avec les Grecs à la poursuite d’Hélène. Énée, parce que les Grecs ont vaincu. Mais les trajets de l’un et de l’autre sont très différents. Ulysse est aimanté par le « jour du retour » et retrouve après vingt ans son royaume et son lit. Énée quitte Troie en flammes, avec son père sur les épaules, et ne parvient à s’arrêter que dans un ailleurs absolu, contraint de changer de langue pour fonder ce qui deviendra Rome. On tient la différence entre un périple, comme celui d’Ulysse, et un exil, sans retour.

Les migrants qui traversent la Méditerranée sur des embarcations de fortune sont plutôt comme Énée, même si les bouteilles de plastique d’un ecoboat sont de contemporaines amphores. L’OIM (organisation internationale pour les migrations) avance le chiffre de 23 000 morts comptabilisés en Méditerranée depuis 2014.

Cet écoboat, construit sur place par Madiba & Nature, sert au Cameroun aux petits déplacements et au tourisme, mais il rappelle les embarcations de qui servent aux migrants à passer sur la côte d’en face.

« Quand il pleut au Cameroun, il pleut aussi des bouteilles en plastique. Elles remplissent les rivières et obstruent les ponts. Elles empêchent les pêcheurs de faire leur travail. Quand j’avais 21 ans, je rentrais de l’université en marchant sous la pluie. J’ai vu un raz-de-marée de plastique qui étouffait les rivières près de chez moi. Mais dans ce problème, il y avait aussi une solution. Étudiant en ingénierie, j’ai vu dans les bouteilles en plastique un matériau de construction potentiel. J’ai démissionné de mon travail dans une ONG internationale pour fonder ma propre organisation: Madiba & Nature. Ma vision était d’utiliser les déchets de bouteilles en plastique pour créer des écoboats qui pourraient soutenir les villages de pêcheurs nécessiteux menacés par la pollution sur le littoral camerounais. La mise en pratique de certaines connaissances traditionnelles de la culture des Sawa, peuple de pêcheurs du Cameroun, jointe à quelques règles simples d’ingénierie, m’a permis d’assembler environ mille bouteilles en plastique d’un litre pour fabriquer une embarcation écologique. Cet écoboat, comme je l’ai baptisé, fait 5 mètres de long et peut porter jusqu’à trois personnes plus une charge de 100 kilos. On l’utilise pour la pêche artisanale et pour les randonnées aquatiques en eau calme. Issu d’un mélange de connaissances traditionnelles africaines et d’ingénierie moderne, l’écoboat, artistique de par sa forme, est un moyen vivant de sensibiliser sur la pollution plastique dans les milieux marins, en même temps que le symbole d’un entrepreneuriat durable des communautés villageoises ». Ismael Essome

Migrations des astres, migrations des âmes

Stèle funéraire, Égypte, Deir el-Medineh, XIXe dynastie. Calcaire gravé. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne Inv. 239 – Lécythe à fond blanc attribué au Groupe R. La barque de Charon, Attique (Grèce), vers 425 av. J.-C. Céramique. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. CA537

« C’est de la que part la route du Tartare qui mène aux flots de l’Acheron.
La bouillonnent des tourbillons de boue en un abîme vaste et fangeux qui vomit tout son limon dans le Cocyte.
Un passeur terrifiant garde ces eaux et le fleuve,
Charon, hideux de crasse, une blancheur de poils incultes tombe de son menton, ses yeux sont des flammes immobiles, une loque sordide pend nouée à son épaule
 ». Eneide, VI, 295-301

Migrations du héros. Périples et exils

Migrations du héros - Périples et exils - Les migrations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Migrations du héros – Périples et exils – Les migrations – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Graffito de l’« Hekatontore », Maison de Dionysos, Délos. Relevé (1931) par le commandant Carlini – Délos, Maison de Dionysos, salle L, mur Est, 1er siècle av. J.-C. Tirage photo d’un calque conservé au musée de la Marine. Musée d’Histoire de Marseille, dépôt de Madame Thérèse Carlini. Inv. MHM 1994.11.11

Carte du périple d’Ulysse. Carte des opérations de Frontex en Méditerranée entre 2007 et 2015. Carte de l’exil d’Énée

[Poseidon] « rassembla les nuages, bouleversa la mer, déchaîna les rafales des vents venus de partout, cacha sous les nuées la terre avec la mer. La nuit s’élançait du ciel, ensemble s’abattaient l’Euros, le Notos, le Zéphyr précipité et Borée, engendreur d’azur, qui roule la grande écume. » Odyssée, V, 290-296

Les navires négriers

Certains hommes plus que d’autres sont des objets migrateurs, Aristote définissait l’esclave comme « un objet de propriété animé, l’homme d’un autre », quelque chose comme un outil ou un organe qui peut tenir lieu de tous les autres.
Reste à savoir, déjà pour Aristote, si de tels hommes existent qui seraient « esclaves par nature » ; et, si oui, comment les reconnaître…
Mais c’est avec la conquête des Amériques que la traite et les bateaux négriers firent migrer sans retour des milliers d’hommes traités comme des objets, et beaucoup moins bien que des objets précieux.

Installations

Qu’est-ce qu’arriver, se poser, s’installer ? Après un sas où sont présentés les questionnaires d’identité que doivent remplir les nouveaux arrivants, redoutables en ce qu’ils contiennent sans en avoir l’air des siècles de culture administrative française, l’œuvre de Mircea Cantor pose des cuillères-oiseaux sur des fils de haut voltage – elle dit tout de cet équilibre stable et instable : l’installation.

Les objets présentés témoignent du contact immédiat et inventif entre l’ici et l’ailleurs : l’urne de Saint-Laurent est modelée par les Ségobriges, mais voici que son couvercle est fabriqué sur place, et cette mixité est à l’origine de la fondation de la cité. Le vase-lanterne des colons phocéens du Vième siècle avant J.C. est un rappel des terres orientales, et voici que, tout près de nous, une étrange main de Fatma se fait tableau mexicain à la Frida Kalho.

S’installer, c’est, comme Énée, changer de langue et de culture, mais ne faudrait-il pas que ce soit en même temps conserver la sienne, comme ces enfants allophones qui se souviennent ?

Routes

Cette deuxième section commence dans le deuxième espace à droite de la chapelle Puget.

Voie du port romain antique. Dalle, Marseille, IIIe siècle. Musée d’Histoire de Marseille

En signe de protestation, dans Roadworks Mona Hatoum arpente les rues de Londres, nus pieds, à côté de ses pompes.

Mona HatoumRoadworks, 1985. Bande vidéo analogique numérisée 4/3, couleur, son. Durée : 6 min 44 sec. Paris, Centre Georges Pompidou

À Montgenèvre, dans la neige, pour franchir la frontière italienne, les migrants, eux, ont besoin de ces bottes qui passent de mains en pieds et de pieds en mains, créant une solidarité efficace.

Hélène Baillot et Raphaël Botiveau – 400 paires de bottes. Oulx-Montgenèvre-Briançon, 2020. Films de Force Majeure

Routes (suite)

Début de la première galerie…

Eduardo ArroyoAnatolia, 1976. Tapis en caoutchouc. Paris, Musée national de l’Histoire de l’immigration. Acquisition 2008 – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Identité et identification

Mircea CantorLike birds on high voltage wire, 2009. Bois, métal. Paris, Musée national de l’Histoire de l’immigration – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Nom? Prénom ? Date de naissance ? Rien de plus difficile ! Les plus simples des questionnaires sont gros de siècles d’administration française.
Les glossaires bilingues des Maisons de la sagesse-Traduire ne font pas que traduire les mots. Ils proposent à ceux qui accueillent comme à ceux sont accueillis des « piqûres de culture » qui ouvrent à une compréhension réciproque des différences.

Glossaires de l'administration française, 2022 - Installations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Glossaires de l’administration française, 2022. Maisons de la sagesse-Traduire Editions Le Robert, Paris, 2022 – Installations – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

« Tu as gagné », dit Jupiter à Junon la jalouse. Pour qu’elle cesse de poursuivre de sa haine Énée, le fils de Vénus, il faut qu’il change radicalement et qu’il ne se définisse plus comme Troyen. Après bien des tentatives infructueuses de recréer quelque chose comme Troie, qui se soldent toutes par un échec – peste, catastrophe naturelle, ersatz ridicule –, il s’installe véritablement ailleurs à condition, non seulement de prendre épouse sur place pour y faire souche, mais aussi de changer de langue et d’adopter la langue du lieu : « et tous, devenus Latins, n’auront qu’une seule langue » [faciamque omnis uno ore Latinos] (Énéide, XII, 837).

  • Un lieu qui me manque, 2021 - Installations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
  • Un lieu qui me manque, 2021 - Installations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Un lieu qui me manque, 2021. Réalisation : Luc Thauvin. Mise en scène : Nathalie Conio. Professeure de français seconde langue, lycée Saint-Charles


Parler d’une seule bouche, c’est ce que tentent de faire les élèves de ces classes d’UPE 2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) du lycée Saint-Charles, à Marseille. Nous les voyons et les entendons se souvenir, dans leur langue, et puis dans le français qu’ils sont en train d’apprendre, avec chacun son accent qui fait entendre leur langue maternelle comme une langue sous la langue. On comprend alors qu’il ne s’agit pas d’oublier sa première et propre langue, mais d’en parler « plus d’une » – de loin, la meilleure définition de la francophonie.

Cela se passe au lycée Saint-Charles, à Marseille. Des élèves arrivent de l’étranger sans parler la langue française ou très peu. Empruntant les mots de Jean-Luc Lagarce, ils se souviennent : un lieu, des images, des sensations. La première phrase vient dans leur langue maternelle, tamoul, chinois, arabe, soninke… mais ils poursuivent dans leur nouvelle langue, hésitante, émouvante, d’exil et d’accueil. B. C.

  • Un lieu qui me manque, 2021 - Installations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
  • Un lieu qui me manque, 2021 - Installations - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Contacts

Urne, Marseille, vers 600-590 av. J.-C. Céramique avec couvercle en pâte claire massaliète. Musée d’Histoire de Marseille. D1991.13.1 et 2 – Vase à la lionne, Marseille, VIe siècle av. J.-C. Céramique à pâte claire massaliète. Musée d’Histoire de Marseille. 1999.25.9

De l’un au multiple – Mémoires et commerce

La première transformation et la plus manifeste liée à la migration des objets est le rapport au nombre. Il y a des objets uniques, qui migrent avec les individus et font comme partie d’eux-mêmes : des objets de mémoire. Il y a, d’autre part, les objets de commerce, que l’on produit et reproduit, liés à la monnaie et à des infrastructures comme l’emporion, lieu de négoce.
Mais cette différenciation est instable et poreuse : un objet de mémoire peut devenir une « œuvre d’art », unique et porteuse d’histoire.
On a voulu saisir ici sur des exemples la manière dont les motifs, tels l’œil prophylactique, les formes, les matières, les cultes n’ont cessé de se diffuser et de se transformer parfois jusqu’à aujourd’hui. Les techniques aussi croisent les savoir-faire et les lieux, comme le Wax (« cire » en anglais) dont les premières usines, s’inspirant du Batik javanais, s’installent en Grande-Bretagne avant de conquérir depuis la Hollande l’Afrique et le monde entier.

Objets de mémoire

Nous n’avons pas choisi de faire pleurer – nous aurions pu installer avec art des objets qui ressemblent à ceux que l’on retrouve sur les corps des noyés de la Méditerranée, ou encore ceux qui sont nécessaires à la survie, chaussures, portables… Nous proposons plutôt, comme dans toute l’exposition, de décaler le regard en assemblant les amulettes antiques et les porte-bonheur d’aujourd’hui. Et de travailler les objets de mémoire en fonction des objets dont on se souvient, qui vous définissent et qui vous manquent lorsque le cours de la vie est dérangé et qu’on se retrouve en prison : un jouet, une bague, et leur équivalent antique qui se retrouve soudain chargé d’affect comme par contagion… B. C.

Lot de porte-bonheur modernes et contemporains – Amulettes scarabées, Égypte, Basse Époque. Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1401, 1404, 1405, 1413, 1418 et Statuettes érotiques, Égypte, périodes diverses. Terre cuite glaçurée, pierre. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1117, 1119, 1122, 1134, 1142, 1143, 1150, 1151 – Objets de mémoire – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

L’objet en prison est d’une extrême rareté, comme dans d’autres contextes de pauvreté, de déplacement et d’enfermement. À partir de cette absence qui renforce le senti- ment de manque, nous proposons à des personnes détenues de la prison des Baumettes de réaliser des films courts à partir de la mémoire d’un objet.
Quel objet choisir et pourquoi ? Com ment le représenter, le mettre en scène? Quel imaginaire construire à partir de lui ?
L’objet convoqué par leur mémoire, franchit alors le seuil de la prison. Il devient unique et porte en lui toute une charge symbolique très forte. Il se transforme au travers du récit qu’il contient et par la mise en scène choisie pour le faire réapparaître.
Il devient porteur de créativité, d’invention et réinscrit chacun dans une histoire individuelle et singulière. Caroline Caccavale

Objet mémoire dedans, dehors, 2021 - Objets De Mémoire - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Objet mémoire dedans, dehors, 2021. Films réalisés par des personnes détenues au Centre Pénitentiaire de Marseille
Accompagnés par le réalisateur Joseph Césarini au Studio Image et mouvement de la SAS des Baumettes. Production Lieux Fictifs 2021 – Objets De Mémoire – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Lieux fictifs et le studio image et mouvement des Baumettes sont soutenus par le Ministère de la Justice, le Ministère de la Culture, le FIPD, le Conseil régional Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, la Ville de Marseille, la Fondation de France.

La Bague d’Abdou, 2021. Vidéo. Durée : 3 min 44 sec

Depuis la prison des Baumettes, Abdou dessine une bague fabriquée puis transmise par son grand-père syrien. Son geste est précis quand il trace les trois étoiles qui ornent le bijou et qui représentent l’union des trois pays, Egypte, Irak et Syrie. Au fur et à mesure que la bague prend forme sur la feuille blanche, il nous raconte l’histoire de cet objet, laissé dans sa chambre à son départ pour l’Europe, renvoyé par sa mère puis perdu. Un objet qui le relie à sa famille et lui rappelle d’où il vient.

La Bague d’Abdou et Bague romaine à chaton, Provenance inconnue, époque romaine - Objets De Mémoire - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
La Bague d’Abdou et Bague romaine à chaton, Provenance inconnue, époque romaine. Or et cornaline. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 7163 – Objets De Mémoire – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

La Moto de Salem, 2019. Vidéo. Durée : 2 min 38 sec

Salem se souvient de la première moto cross offerte par son père. Il la fait réapparaître dans la prison sous la forme d’un jouet. Sur un petit bout de terre qu’il déniche au milieu de la cour de promenade, Salem retrouve les mouvements d’une moto lancée à toute vitesse sur un terrain de cross. L’enfant joue et nous révèle l’absence de la relation à son père.

Objets de commerce

Amphore hispanique à huile, amphore italique à vin et amphore massaliète à vin - Objets de commerce - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Amphore hispanique à huile. Bétique (Espagne), IIIe siècle av. J.-C. Céramique Marseille, Musée d’Archéologie méditerranéenne Inv. 4028 – Amphore italique à vin. Campanie, Italie, IIe-Ier siècle av. J.-C. – Amphore massaliète à vin. Marseille, ive siècle av. J.-C. Céramique Musée d’Histoire de Marseille, Pôle Archéologie Bourse 436 – Objets de commerce – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Trésor des conquistadors, Séville, seconde moitié du XVIe siècle. Or. Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille. Inv. 2020-0-658, 2020-0-662 – Trésor des Grands Rois perses, Proche-Orient, dernier quart du IVe siècle av JC. Argent. Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille. Inv. 2021-0-2001, 2021-0-2002 – La dardenne, un trésor provençal, Aix-en-Provence, château de Dardennes, 1711. Bronze. Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille. Inv. 2020-0-1490, 2021-0-2000 – Trésor de Rognac, Marseille, fin du iiie-milieu du Ier siècle av JC. Argent. Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille. Inv. 20200-1893 à 2020-0-1915 – Objets de commerce – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Diffusion des motifs, des cultes, des formes et des techniques

Il est inexact de voir dans le monde antique un monde statique, peu propice aux déplacements. En Méditerranée, la circulation des hommes et des objets est intense dès l’âge du bronze. Des Mycéniens, qui occupent l’espace insulaire des Cyclades, la Crète en particulier, vers 1400 av. J.-C., à Alexandre le Grand, qui mènera ses hommes jusqu’aux rives de l’Indus vers 335 av. J.-C., les hommes migrent, voyagent, arrivent, repartent. Meurent aussi, souvent loin de la cité qui les a vus naître.
Que le départ d’un lieu pour un autre soit un acte mûrement réfléchi, comme la création de colonies ou d’emporia, ou une migration massive pour cause de catastrophe naturelle ou de guerre, l’Antiquité est une période où la sédentarité n’existe quasiment pas.
Les hommes se déplacent, le plus souvent par mer, puis par voie terrestre, et avec eux leurs croyances, leurs coutumes, leurs vêtements, leur cuisine, leurs objets quotidiens, leurs techniques, leur art.
C’est la somme stratifiée de tous ces apports hétéroclites qui fait que l’on retrouve des temples de l’Artémis d’Éphèse dans tout le Bassin méditerranéen, avec une permanence iconographique : Artémis est multimammia d’est en ouest, sous diverses formes, mais elle reste reconnaissable parmi toutes les autres divinités à ses colliers qui ressemblent à des seins placés parfois trop haut, parfois trop bas.
Parfois, c’est le contraire qui se passe : les potiers grecs vivant en Italie du Sud (Campanie) ont inventé de jolies assiettes à poisson en s’inspirant d’une forme venue de Tunisie, sans doute par des navires commerciaux chargés de vaisselle. La forme les a inspirés, ils l’ont détournée.
Il ne faut pas sous-estimer l’imagination, la force d’inventivité, la technicité, la connaissance raffinée des matériaux des artisans de l’Antiquité, ni négliger un certain phénomène de mode qui règne dans le monde artisanal, architectural et artistique de l’époque. Muriel Garsson

Œil prophylactique sur la proue du bateau le Gyptis, 2000. Marseille – Galère dans les Navalia, Fresque murale, Pompéi. Naples, Musée archéologique – Bol à yeux en pâte claire massaliète peinte, Marseille, vers 575-550 av JC. Céramique. Musée d’Histoire de Marseille. Inv. MHM 1983-7-671 – Lécythe attique à yeux prophylactiques, Athènes, vers 520-500 av JC. Céramique à figures noires. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne Inv. 3103. Paire d’yeux de momie, Egylpte ptolémaique

Les Phocéens qui fondent Massalia choisissent Artémis comme déesse tutélaire. Cette divinité ionienne, métissée de Cybèle, est polymaste, « aux seins nombreux» – seins, ou testicules de taureau ? Dans toutes les cités massaliètes, c’est cette Artémis que l’on vénère, témoin de la diffusion des cultes et des formes.

Tiare d’Artémis du Rhône, Arles, IIe siècle ap JC. Marbre blanc. Musée départemental Arles Antique Inv. RHO.2007.00.194 – Torse d’Artémis, Toulon, IVe siècle av JC. Marbre blanc. Toulon, Centre archéologique du Var. Artémis acéphale, Marseille, IVe siècle av JC- Ier siècle ap JC. Marbre blanc. Musée d’Histoire de Marseille Inv. 83.5.18

Wax des présidents Ahmadou Ahidjo et Valéry Giscard d’Estaing, 1979. Tissu. Collection particulière – Wax Plantecam Cameroun. Tissu. Collection particulière – Objets de commerce – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Le même et l’autre

Élaborations, transformations

Avec le multiple, on croise le redoutable problème du faux : qu’est-ce qu’un original, une reproduction, une contrefaçon ? Les historiens d’art — et les experts des douanes — savent qu’il y a des faux plus vrais que d’autres ! Il est dans la norme du vrai antique d’être, comme la citation, une appropriation. Mais la loi fait aujourd’hui la différence entre une reproduction « authentique », comme celle fabriquée par un musée, et les faux illicites ou les contrefaçons.

Pas toujours facile : la tiare de Saïtapharnès a un temps abusé le Louvre. Et que penser de la tête mixtèque de L’homme de Rio, dont tous les éléments sont authentiques, mais dont l’assemblage est moderne ? Ou d’une tête romaine, posée sur un buste fabriqué pour l’occasion ? Au bout du spectre, le pur et simple recyclage de matériaux existants témoigne de toute une inventivité technique et esthétique quand nécessité fait loi.

La vraie copie antique

Hydrie attique, Grèce, vers 350 av JC. Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 293 – Hydrie étrusque, Étrurie (Italie), vers 550-500 av JC Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 3098 – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Vers 550 av. J.-C., des céramistes venus d’lonie (actuelle Turquie) émigrent à Cerveteri, en Italie. Là, ils produisent de grosses hydries (vase à eau) à figures noires, pour satisfaire les élites locales, admiratives de ces vases importés corinthiens ou attiques.
Dans la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C., les potiers étrusques copient ces fameuses « hydries céretanes », et s’approprient cette nouvelle forme à trois anses inconnue jusqu’alors dans leur répertoire.

Le faux licite

Les seules copies légales, ou reproductions autorisées, sont celles des organismes labellisés, que fabriquent les boutiques des grands musées.
On peut ainsi acheter au Musée du Louvre, la reproduction du collier antique en or de Vaison-la-Romaine avec son « certificat d’authenticité qui garantit une “véritable copie” ».

Le faux illicite ou les contrefaçons

Les copistes et les faussaires existent depuis toujours. Les contrefaçons qui circulent de nos jours sur toute la planète déjouent la loi et nourrissent un système maffieux international.

Vrai sac Vuitton, XXIe siècle. Collection particulière – Faux sac Vuitton, XXIe siècle. Saisie des douanes – Vraie montre Rolex, XXIe siècle. Collection particulière – Fausse montre Rolex, XXIe siècle. Saisie des douanes – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Vuitton ou Rolex, sont de cibles privilégiées de ce commerce illicite. Les douanes sont chargées de saisir et détruire toutes ces contrefaçons plus ou moins grossières. Notons que Vuitton n’a pas autorisé l’exposition d’objets contrefaits de sa marque.

Le faux-faux ou l’art des faussaires

La Tiare de Saïtapharnès

En 1896, le Louvre acquiert pour la somme de 150 000 francs (900 000 euros environ), la tiare en or dite de Saïtapharnès, grand roi scythe cité dans quelques textes du Ille siècle av. J.-C. Le décor qui s’enroule autour de la tiare est librement inspiré des chants de l’Iliade et le style de la coiffe renvoit aux antiquités de Russie méridionale que Salomon Reichnach a fait connaître. Le doute s’installe très vite en raison de l’état exceptionnel de la pièce. Mais il ne fallait pas manquer cet objet unique. C’est seulement en 1903 que l’on reconnaît que la tiare est l’œuvre d’un faussaire génial.

Le faux-vrai – Restaurations, restitutions

On peut restaurer-fabriquer un objet hybride, à partir d’éléments vrais venus d’ailleurs que l’on adapte à la forme supposée, comme pour la « dé-restauration » de la kylix dont on suit ici les étapes.

Il ne suffit pas que toutes les parties d’un objet soit vraies pour qu’il soit authentique : il en va ainsi du crâne mixtèque dont, après analyse scientifique, la colle et elle seule se révèle récente.

Ce crâne mixtèque, rendu fameux par le film « L’homme de Rio », est-il authentique ? Vers 1960, un habile « restaurateur » aurait recouvert le crâne d’une mosaïque de turquoises, elle aussi préhispanique.
A-t-il été reconstitué au 20e siècle à partir d’éléments authentiques, ou est-il un pur produit de contrefaçon créé pour le marché de l’art ?
En 2010, son analyse scientifique a apporté de précieuses informations en matière de datation et de composition des matériaux, mais la présence de matériaux problématiques et l’impossibilité de dater précisément la colle soulèvent de nouveaux questionnements.

Têtes masculines antiques sur bustes modernes. Provenance inconnue, Ie-IIIe et XVIe siècles. Marbre blanc. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1701 et Provenance inconnue, IIe et XVIe siècles. Marbre blanc. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1719

On peut aussi constituer un tout qui convient à l’imaginaire et au goût d’une époque, comme ces têtes romaines posées sur des bustes renaissance, qui produisent des hiatus chronologiques que l’on peut juger affreux.

Le faux-vrai – Réemplois, recyclages

Moto, plateau et coupelles en matériaux recyclés – Canettes d’aluminium et métal. Collection particulière – Rhinocéros en tongs recyclées, Kenya, 2021. Néoprène. Collection particulière – Carmen Elena, Mae Souteira, 7 Meses, Getulio. Bois, liège, métal et plastique. Collection particulière

Élaborations

Comment les objets sont-ils appropriés ? Pas facile de distinguer entre les types de transformations… Un classement toujours poreux distingue entre mélanges et influences.

Mélanges

Métissage, Syncrétisme

Parmi les mélanges, le métissage est une notion large qui désigne une relation productive entre cultures distinctes — un légionnaire romain et le dieu Horus par exemple. On appelle « syncrétisme » un métissage à caractère religieux et cultuel. L’hybridation ouvre davantage le domaine de l’imagination, créant sphinges, sirènes, taureaux et lions ailés.

Syncrétisme

Fragment de statuette acéphale d’Ishtar Inanna, Suse, IIe millénaire av JC. Terre cuite beige. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 5114 et Statuette d’Isis-Aphrodite, Égypte, période ptolémaïque. Terre cuite polychrome. Musée d’Art classique de Mougins. Inv. MmoCA.117 – Syncrétisme – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Métissage

Statuette, buste d’Horus en empereur, Égypte, époque romaine. Alliage cuivreux. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne, Inv. 1300 – Figurine d’Horus imperator, Égypte, époque romaine. Alliage cuivreux. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités égyptiennes. Inv. E7977 – Statuette d’Osiris, Égypte, date inconnue. Alliage cuivreux. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 597 – Tête d’Osiris (probablement Caligula), Provenance inconnue, Ier siècle av JC- Ier siècle ap JC. Marbre. Musée d’Art classique de Mougins. Inv. MmoCA.569 – Reliquaire en forme de faucon, Égypte, date inconnue. Alliage cuivreux recouvert de feuilles d’or. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 673

Tête de prince, Chypre, période chypro-archaïque II, fin du VIe siècle av JC. Calcaire. Genève, Fondation Gandur pour l’Art. Inv. FGA-ARCH-GR-0125 – Tête d’Héraclès-Vajrapani, Vallée du Gandhara (Hadda ?), IVe siècle av JC. Argile crue stuquée et polychromée. Genève, Fondation Gandur pour l’Art.Inv. FGA-ARCH-DI-0038

Tête d’Héraclès-Vajrapani, Vallée du Gandhara (Hadda), IVe siècle av JC - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Tête d’Héraclès-Vajrapani, Vallée du Gandhara (Hadda ?), IVe siècle av JC. Argile crue stuquée et polychromée. Genève, Fondation Gandur pour l’Art.Inv. FGA-ARCH-DI-0038 – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Affiche de Karl Marx (Karel Marx) achetée dans une sur de New Dehli, 2017 – Tête de Marx en hindou, Vivian Sundaram. Illustration pour Arise to Birth with Me, my Brother, extraite de la série The Heights of Macchu Picchu, 1972. Encre sur papier. Collection particulière

Christ mexicain, Luis Valencia Mendoza, Oaxaca (Mexique), XXe siècle - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Luis Valencia Mendoza, Christ mexicain, Oaxaca (Mexique), XXe siècle. Terre cuite, pigments. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, legs François Reichenbach Inv. No 1994-5-143 – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Influences

La notion d’influence, qui recouvre elle aussi toutes sortes de pratiques et d’inventions, joue dans les deux sens : les surréalistes s’approprient art nègre et poupées kachina, et certains artistes mexicains se mettent à fabriquer des arbres de vie à la Niki de Saint Phalle… L’inspiration, déterminante en art, va du nouvel usage, comme cette robe de Fortuny aux motifs de vase crêtois, jusqu’au détournement accompli sur une portière de taxi new-yorkais.
Mettre en visibilité ces transformations, qui obligent à repenser les idées de centre et de périphérie, est au cœur de l’exposition.

Souvenir

Cruche cycladique, Cyclades (Milos ?), 1400 av JC. Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne Inv. 2806 – Cruche protoattique, Athènes, 650 av JC. Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 7472

Inspiration

Niki de Saint PhalleAnge (jaune), 1987. Sérigraphie sur papier. Nice, musée d’Art moderne et d’Art contemporain, don de l’artiste. Inv. 2001.13.92 – Niki de Saint PhalleL’Arbre de la vie, 1987. Sérigraphie sur papier. Nice, musée d’Art moderne et d’Art contemporain, don de l’artiste. Inv. 2013.1.91 – Niki de Saint PhalleRêve, 1987. Sérigraphie sur papier. Nice, musée d’Art moderne et d’Art contemporain, don de l’artiste. Inv. 2013.13.77

Karl LagerfeldRobe « Chloé », Printemps-été 1994. Robe, modèle « Jeannette ». Soie peinte à la main. Marseille, Château Borély – musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode. Inv. 1996.2.1 – Denise PoiretRobe de bacchante, pour Les fêtes de Bacchus le 20 juin 1912 au Pavillon du Butard, Paris, 1912. Mousseline de soie imprimée et châle « Knossos » de Mario Fortuny. Paris, musée de la Mode, don de Madame Poiret. GAL1985.148.1

Œnochoé minoenne à décor marin, Crète, XVe siècle av JC. Céramique. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 2784 – Pablo PicassoTanagra à la spirale, 1947-1948. Terre de faïence blanche, décor peint aux engobes et aux oxydes. Antibes, musée Picasso, don de l’artiste en 1949. Inv. MPA 1949.4.30 – Idole de fertilité à tête d’oiseau, Chypre, XIIIe siècle av JC. Terre cuite modelée. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 7542

Appropriation

Tout au long du 20ème siècle, les « Arts Premiers » ont influencé les artistes, tout d’abord les Surréalistes, dans leur recherche esthétique. De l’artefact ethnographique à l’œuvre d’art, l’appropriation culturelle occidentale est en route.

Le peuple Bété est un groupe très hétérogène : voisin des Gouro et des Guéré, il a emprunté aux uns et aux autres, masques et rituels.
Ce masque, l’un des chefs-d’œuvre de l’art africain, semble aujourd’hui être l’œuvre d’un sculpteur gouro. Comme d’autres pièces de la collection L.P. Guerre, il fut présenté dès le début du 20ème siècle dans les grandes expositions internationales consacrées à « l’art nègre » (Bruxelles, 1930, New York, 1935).

Jacques FaujourAtelier d’André Breton, rue Fontaine, à Paris. Paris, Centre Pompidou-MNAM/CCI Bibliothèque Kandinsky – Poupée kachina, Hopi, États-Unis, début du XXe siècle. Bois, pigments, plumes. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens. Inv. No 2003-1-1 – Poupée kachina « Sio Hemis Kachina-du-Nouveau-Maïs », Hopi, États-Unis, début du XXe siècle. Bois, pigments, plumes. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, ancienne collection André Breton.Inv. No 2003-1-2

Détournement

Influences - Détournement - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Influences – Détournement – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
John Kindness - Scraping the Surface, 1991 - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
John Kindness – Scraping the Surface, 1991. Eau-forte. Dublin, Irish Museum of Modern Art. Inv. IMMA.14 – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Ce qui colle. Ce qui s’oublie. S’efface. L’autre du déchet : le moi-nous. L’échange de. Repoussant repoussoir de… Puis repousser. Planter. Écrase-excrément-exclamation. Proclamation de la loi (l’article R632-1 du Code pénal et l’article R541-76 du Code de l’environnement) : ne dépose pas… ramasse… rejette… nettoie…. l’effacement de l’urne. Refouler/ée. Ce que l’homme consomme le consomme en retour. L’épave de nos repas refait surface. Vague surgissant. Couronne. Cannette. Lingette. Masque. Vase vasque visqueuse vaniteux… calcul du débris. Calculer le repentir. La gravure. Cannes : 450 € sans jeux de mots, la palme d’or. Carcasse de nos décombres, amas de nos vestiges, fossile-fondrilles, sciures, ossements, ordures, gravitas des gravats-pousse un haletant «  Taxi ! » Emmène-moi !… Enlève-moi !… Envoie-moi !… Apporte moi !… Ailleurs, la ville s’enlumine. Les détritus brûlent. Un chien aboie. Archet. Flèche. Filigrane fané.

Masque de Jacques Chirac - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Masque de Jacques Chirac. Latex. Collection particulière – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Julien Bonhomme – Masque Chirac et danse de Gaulle, images rituelles du Blanc au Gabon. Film vidéo, 1 min 57 sec, associé à l’article de Julien

Auguste RodinAssemblage d’un torse féminin à tête de femme slave, enserré dans une poterie, Vers 1900 ?. Plâtre et céramique antique. Paris, musée Rodin. Inv. S. 3712

Objets à l’arrêt

Les objets migrateurs se retrouvent à l’arrêt d’abord, dès la Renaissance, dans les cabinets de curiosités – c’est sur leur modèle que nous en inventons un pour aujourd’hui. Puis dans les musées : en 1793 est inauguré le Museum central des arts au sein du Louvre, ancien palais des rois. En 1804 s’ouvre le premier musée de Marseille au Couvent des Bernardines.
Mais qu’est-ce exactement qu’un objet de musée et comment les collections se sont-elles constituées, puis conservées? Est-ce un objet de science, un objet d’art, un objet patrimonial, tout cela à la fois? La statuette magique butti, avec son étiquette en plein milieu du ventre, témoigne de ce qu’un objet de collecte ethnographique, au même titre qu’une trouvaille archéologique, n’est pas perçu comme un objet d’art mais comme un specimen scientifique. S’interroger sur ce qu’est un musée oblige à penser l’évolution du statut des objets. Mais c’est toujours de cas qu’il s’agit, comme en témoigne la statue de Neth qui a d’abord servi de lest sans doute faut-il faire la biographie d’un objet comme on fait la biographie d’une personne.

Objets de curiosité

Salière dite sapie, Sierra Leone (Sénégambie), XVIe siècle. Ivoire d’éléphant. Reims, musée Saint-Remi. Inv. 978.32.51 – Meiffren ConteNature morte au vase de Chine, deuxième moitié du XVIIe siècle. Huile sur toile, Marseille, musée des Beaux-Arts, dépôt du musée du Louvre en 1952. Inv. RF 1952-7

Parmi les tout premiers témoignages de l’art africain connus en Europe, les salières d’ivoire, œuvres hybrides sapi-portugaises, ont figuré dans les demeures princières et les cabinets de curiosité européens dès le début du XVIe siècle. Ces objets sont porteurs de l’histoire complexe des relations artistiques, commerciales, politiques, religieuses de l’Europe avec l’Afrique.

Le cabinet des curiosités contemporaines

Comme un défi, ce cabinet des curiosités contemporaines est conçu par analogie avec les cabinets anciens, espaces dédiés au savoir, où confluèrent des objets de toute nature, venus de toute part.

Leur disposition dans des cases donnait sens aux choses selon l’organisation mentale de la mémoire humaine perceptible aujourd’hui dans les arborescences informatiques et les algorithmes. Analogue du crocodile suspendu, le « blob » relève de l’émerveillement (mirabilia). La fascination ancienne des savants pour l’antiquité et la mesure du monde, l’interrogation sur les frontières de l’humanité (scientifica) et les choses de la nature (naturalia) ont suivi les évolutions technologiques. L’attention d’ordre anthropologique au quotidien se repère encore (artificialia). Si l’exotique n’est plus guère associé aux confins de la Terre, l’inconnu s’est déplacé dans l’Espace (exotica).
Dans l’actuel théâtre du monde, la curiosité n’est-elle plus nulle part ou bien est-elle partout ? Sabine du Crest

Objets patrimoniaux

Statut de l’objet

Un objet de collecte et de collection peut être maltraité en tant qu’objet.
On a étiqueté ce « fétiche » comme un spécimen scientifique, on a identifié cette délicate stèle mortuaire en peignant un numéro d’enregistrement. Traçabilité garantie …

Plaque funéraire de Crescens, Marseille, dernier tiers du Ier siècle – IIe siècle. Marbre gravé. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1686 – Statuette magique butti, Téké, République démocratique du Congo, fin du XIXe – début du XXe siècle. Bois, tissu, terre, résine, fibres. Marseille, Musée d’Arts africains, Océaniens, Amérindiens, dépôt de la Chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille-Provence. Inv. no D1990-1-40

Naissance des musées

Naissance des musées - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Naissance des musées – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

La Révolution a fait du Louvre, palais des rois, un lieu de conservation et d’exposition pour tous. Voici comment, un siècle plus tard, se présentait une salle, toute chargée d’œuvres.

Stèle des adieux, Athènes, IVe siècle av JC. Bas-relief en marbre. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 1596 – Statue féminine de Chairopoleia, Santorin, Ier siècle. Marbre de Paros. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques. Inv. MA241

Nombre de grands sites archéologiques, essentiellement en Grèce et en Egypte, ont été, dès le XVIII siècle, sillonnés de long en large, fouillés, dessinés, étudiés par une foule de collectionneurs, de consuls, d’ambassadeurs, de grands voyageurs, férus d’Antiquités fraîchement découvertes et parfois mal comprises ou mal datées.
D’extraordinaires collections furent ainsi amassées avant la révolution française, avec des objets provenant de trocs, ou pour services rendus, ou tout simplement arrachés et emportés. C’est ainsi que le Comte de Choiseul-Gouffier rapporta de son « voyage en Grèce » la stèle des adieux et la statue de Chairopoléia.

Joseph DauphinLe Musée des beaux-arts de Marseille dans la chapelle des Bernardines, sans date. Huile sur toile, Marseille, musée des Beaux-Arts, dépôt du musée du Vieux Marseille. Inv. D 81-1 – Hubert RobertL’Atelier du restaurateur de sculptures antiques, entre 1754 et 1765. Pierre noire sur papier, Marseille, Château Borély – musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode. Inv. 68 194

Ce tableau a fait partie des vingt neuf peintures achetées par Louis XIV en 1682 à l’un de ses fournisseurs réguliers, le marchand Louis Alvarez. Il est alors considéré comme un Guido Reni, un des maîtres de l’école bolonaise qu’apprécie particulièrement le roi. Dès 1696, l’œuvre est pourtant en réserve. Conservée au XVIIIe siècle au palais du Luxembourg, elle rejoint le Louvre avec la collection royale avant d’être retenue pour faire partie des œuvres envoyées au musée de Marseille en 1803. En 2005, ultime tribulation administrative, dans le cadre du transfert des œuvres déposées dans les musées de province avant 1910, l’État transfère sa propriété à la Ville de Marseille, avec l’ensemble des œuvres envoyées au cours du XIX° siècle.

Avec son pendant l’Adoration des bergers, La Résurrection du Christ constituait la partie inférieure (la prédelle) du grand retable peint par Rubens entre 1616 et 1619 pour le maître-autel de l’église Saint-Jean de Malines. En 1794, lors de la conquête des Pays-Bas autrichiens par les armées de la République, le retable fut saisi pour être envoyé au Muséum central des arts à Paris. En 1803, les deux panneaux firent partie des quarante-quatre tableaux envoyés à Marseille pour constituer le fonds du musée institué en 1801 par l’arrêté Chaptal. En 1815, après la chute de l’Empire, alors que le panneau central et ses volets, conservés au Louvre, étaient restitués à la Belgique pour être réinstallés dans l’église Saint Jean de Malines, les deux panneaux demeurèrent au musée de Marseille.

Barthélemy François ChardignyBuste de Claude-François Achard, vers 1790. Buste en plâtre teinté terre cuite, Marseille, Académie des sciences, lettres et arts. Inv. Martin 69 – Statue de Neith, Égypte, XVIIIe et XIXe dynasties. Granit. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne,. Inv. 206

Objets restitués – Objets partagés ?

La problématique des spoliations et des restitutions occupe aujourd’hui le devant de la scène. Le caractère inaliénable des objets de musée, à commencer par celui des restes humains, cède devant d’autres exigences. A qui, et comment restituer? Quelle sera la nouvelle vie des objets ? Il ne s’agit plus seulement des spoliations de la Révolution, de l’Empire ou de la dernière guerre, comme avec le Tiepolo du musée des Beaux-Arts de Marseille, mais des rapines coloniales. Le sabre d’Oumar Tall est aujourd’hui visible, non plus au musée des Armées ni au musée des Arts Premiers, mais au musée des Civilisations Noires de Dakar, et le tambour parleur Ebrié pourrait s’arrêter à Marseille avant son départ. Les objets restitués deviendront-ils des objets partagés ?

C’est enfin une nouvelle idée de musée qui se fait jour avec l’expérience pilote des muséobanques, autour d’objets-récits liés à des projets portés par des habitants du territoire et ouvrant sur des micro-crédits, pour penser autrement l’idée de musée, de banque et de valeur.

Restes Humains

L’acquisition, la détention et la présentation de restes humains dans les musées posent problème : ils font l’objet de débats notamment sur l’origine de ces collections. Leur préservation et leur exposition soulèvent des questions éthiques portant sur leur traitement respectueux.

Les pays d’origine contestent la présence de restes humains dans les collections muséales et réclament leur restitution. La loi du 18 mai 2010 a autorisé la France à restituer des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Crâne humain, Asmat, Irian Jaya (Indonésie), entre 1850 et 1950. Os, plumes, graines, fibres. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, ancienne collection H. Gastaut. Inv. No 1989-1-17 – Tête humaine momifiée, Égypte, datation inconnue. Marseille, Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, ancienne collection H. Gastaut. Inv. No 1989-01-88 – Main de momie, Égypte, datation incertaine. Restes humains momifiés. Marseille, musée d’Archéologie méditerranéenne. Inv. 5527

Spoliations

Deux caricatures du vol par Napoléon Bonaparte du quadrige de la porte de Brandebourg, à Berlin.

Le Voleur de chevaux de Berlin, vers 1813. Gravure, Berlin, Staatliche Museen – Le Vœu des Berlinois, vers 1813 . Gravure. Berlin, Staatliche Museen. Inv. VII 60 / 430W

Restitutions

Théo MercierAccumulation de masques, Sans titre, 2020. Bois et divers matériaux. Collection particulière

L’artiste accumule un tas de masques qui « n’ont pas dansé », réalisés pour la plupart au Sénégal par des sculpteurs faussaires important les essences de bois, les styles et les techniques des pays voisins, avant de les exporter vers l’Europe pour le commerce et la décoration. Vermoulus, brisés durant leur voyage, ces masques anonymes blessés sont devenus invendables, et présentent de manière crûment analogique une immigration rejetée.

Cette pièce est extraite d’une recherche artistique réalisée pour la commande « Flux, une société en mouvement» (CNAP). Les artistes, concentrés sur la restitution du patrimoine africain et ce qui la précède, ont 614 saisis par la relation technologique de nos sociétés avec ces objets orga niques et vivants, contraints de résister loin de leur terre d’origine. L’œuvre nous invite à transformer les vitrines de trophées en stales pour accueillir une nouvelle métamorphose des mémoires et des objets.

L’œuvre s’ancre dans les tech niques ancestrales des tisserands maliens, pour s’élever contre la destruction des mausolées de Tombouctou et le saccage des manuscrits historiques. Le viseur du fusil qui encercle la lame du sabre est une réponse sans équivoque à la nuit fondamentaliste qui s’abat sur une cité désormais dépourvue de vie.

L’installation vidéo « Les Entrelacs de l’objet » réalisée pour le Kunsthaus Zürich donne la parole à des historiens, des philosophes, des activistes, des psychanalystes et des économistes, pour permettre une réflexion nuancée sur le thème des restitutions. Face à l’écran, des objets en prototype 3D posés sur des socles: leur ombre se reflète sur l’écran, créant une véritable proximité entre les objets et la vidéo. Le visiteur assis au milieu de cet espace est plongé physiquement dans la problématique des restitutions.

Kader AttiaLes Entrelacs de l’objet, 2020. Vidéo Berlin, galerie Nagel Draxler

Nouveaux objets, nouveaux partages

Des banques culturelles africaines aux muséobanques.
Un transfert d’expériences pour de nouvelles formes de partage

Muséobanque
Une « muséobanque » change l’idée de banque et change l’idée de musée.
Un porteur de projet dépose dans l’espace musée un objet qui lui tient à cœur, cet harmonium par exemple, mais en même temps que l’objet, il dépose le récit de l’objet. Il obtient en échange une aide pour concrétiser son projet.
Objet-récit, projet, microcrédit : le point de départ est une expérience africaine (Mali, Togo, Bénin, Guinée) où les « banques culturelles » ont fait la preuve de leur efficacité, tant du point de vue économique que du point de vue patrimonial.
La valeur de l’objet-récit est à la fois matérielle et immatérielle, et la biographie de l’objet est aussi une biographie de la personne. La muséobanque est un musée du présent en train de se faire, la coupe d’une société à un instant donné. Elle place la culture et le développement au centre de l’économie, et fait du porteur de projet d’entreprise un auteur et un passeur de savoirs, de savoir-faire, d’histoire. C’est un lieu où se construit et s’engrange la mémoire d’un territoire, un lieu privilégié de dialogue social en prise avec la culture et la vie quotidienne.

Muséobanque: une expérience pilote

Une muséobanque est un dispositif d’insertion économique et de cohésion sociale.

Abrecham – Musique et poésie sur les routes de la soie est un des trois projets pionniers de la future Muséobanque initiée par Maisons de la sagesse Traduire. L’année 2022 est celle de la naissance de l’entreprise de Jawid, avec les démarches nécessaires à la consolidation de la situation professionnelle et sociale des musiciens et artistes mobilisés. Le récit de vie porté par son harmonium ancre son projet dans son histoire tout en lui permet tant d’accéder à un microcrédit. Il fait de lui un « auteur-entrepreneur ».

C’est son premier harmonium, «son ami », que Jawid, né à Mazâr-e Charîf en Afghanistan, a choisi comme fil d’Ariane pour tisser l’histoire de sa vie jusqu’à son arrivée en France il y a 4 ans. Il travaille dans une association d’accueil de migrants et voudrait créer avec ses amis une entreprise qui organise des événements (concerts, lectures, éditions) pour célébrer les passages entre les musiques, les poésies et les langues de l’Afghanistan à I’Europe en passant par l’Inde, l’Iran, le Tadjikistan…

Abrecham-Musique et poésie sur les routes de la soie. Dispositif créé pour l’exposition des Maisons de la sagesse. Une muséobanque: une expérience pilote, présentée à la galerie L’Interface du Grand Équipement Documentaire (GED), campus Condorcet Aubervilliers, novembre-décembre 2021. Conception et design : Studio Adrien Gardère Design sonore: Joris Lacoste Images: Regard-Caméra Son: Just LX Montage et mixage : Studio Adrien Gardère.

Jawid est allé de l’Afghanistan à l’Iran au gré des secousses talibanes, jusqu’à son arrivée en Inde, à Pune. Il y fit des études de commerce et poursuivit en même temps pendant plusieurs années des études de musique dans une gharana où il s’initia au genre du ghazal.
Aujourd’hui il fait chanter Ronsard, Éluard, Baudelaire en pachto, en persan, en hindi, en bengali.

La cuisine de Gagny

L’objet exposé ici, appelé « fourneau » au Mali, représente un symbole fort de la passerelle entre les deux métiers, les deux passions et les deux vies de Gagny : l’art de la ferronnerie et la gastronomie.

Le fourneau de Gagny - Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille
Le fourneau de Gagny – Objets migrateurs à la Vieille Charité – Marseille

Catherine Burki, La cuisine de Gagny 1, 2022. Feutre et encre de Chine sur papier. Collection particulière – Vincent Sojic, Recette condensée du chef Gagny, 2022. Crayon et aquarelle sur papier. Collection particulière, Marseille

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer