Pour Art-o-rama 2022, Moly-Sabata présentait sous le commissariat de Joël Riff « Tarasque et silures » au Studio de la Friche la Belle de Mai. Construite avec beaucoup de soin, d’attention et de générosité, cette exposition était une des plus abouties et sans aucun doute la plus poétique de l’incontournable salon marseillais.
Dans une scénographie irréprochable, Joël Riff a conçu un des plus beaux accrochages d’Art-o-rama 2022 qui s’appuyait sur un environnement textile du duo Les Crafties, une œuvre produite spécifiquement par Moly-Sabata.
La sélection des œuvres était d’une grande pertinence. Tous les artistes de l’exposition ont participé aux programmes de Moly-Sabata. Caroline Achaintre, Damien Fragnon, Pakui Hardware, Evie Hone, Les Crafties, Sarah Sandler, Julia Scalbert et Pierre Unal-Brunet en venant en résidence, Mimosa Echard en exposant dans La loutre et la poutre en 2014 et David Wolle en dirigeant des stages de peinture en 2016 et 2017. A leurs œuvres s’ajoutait une gouache de Evie Hone de 1929 du fonds Moly-Sabata.
Le propos s’appuyait sur des créatures fantasmagoriques qui peuplent les imaginaires rhodaniens, mais aussi sur des « monstres » sans écaille, mais bien réels, qui vivent d’ordinaire dans les zones les plus profondes du fleuve…
La note d’intention du commissaire résumait ainsi les enjeux de son projet :
« Entre Moly-Sabata et Art-o-rama, coulent des eaux mystérieuses dont nous tamisons ici la faune. Celle-ci ne relève pas frontalement du règne animal. Les silhouettes et textures qu’on y rencontre éveillent des récits fantastiques frôlant le folklore rhodanien, la cryptozoologie et l’étude de formes alternatives du vivant. Alors les créatures carnavalesques côtoient les carnassiers solitaires et lucifuges, les spécimens contredisant les sceptiques, les témoignages ébahis, et tout ce que l’on peut pêcher entre Sablons et la Méditerranée ».
Dès l’entrée dans le Studio, le regard était immédiatement attiré par une fabuleuse sculpture lumineuse de Pakui Hardware (Spongy Spines, 2022). La limule aux teintes rougeoyantes du duo lituanien formé par Neringa Černiauskaitė & Ugnius Gelguda était-elle venue s’échouer sur une plage du delta avant d’apparaître sur le plateau de « Tarasque et silures » ?
Pakui Hardware – Spongy Spines, 2022 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022
Son entrée en scène était commandée par l’ouverture d’un rideau retenu par une embrasse où pendent de curieux objets en grès émaillé, créés à partir d’une sélection d’Arma Christi que l’on retrouve sur les Croix de Mariniers faisant partie du folklore rhodanien. Cette tenture (De l’autro man doù Rose, 2022) a été mise en place par Les Crafties, un autre duo composé de Jeanne Martin-Taton et Marie-Marie Vergne…
La mise en place dans le théâtre de « Tarasque et silures » s’articulait sur un superbe décor textile des Crafties.
Au centre et au premier plan, entre deux fauteuils de jardin, se dressait Sisters (2021), une élégante sculpture de Sarah Sandler imprimée en 3D.
Sarah Sandler – Sisters, 2021 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022. Photo à droite © Moly-Sabata
Ce mobilier, attribué à Robert Mallet-Stevens fut propriété de Juliette Roche et Albert Gleizes fondateurs de Moly-Sabata. Les Crafties, au cours leur résidence, ont assorti les toiles des deux fauteuils hamac à leurs tentures murales.
Tarasque et silures, Art-o-rama 2022 © Moly-Sabata
Côté jardin, une petite pièce sensuelle (Sans titre, 2021) de Julia Scalbert pouvait évoquer la douceur d’un coquillage ou celle d’un repli intime…
Julia Scalbert – Sans titre, 2021 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022
Elle accompagnait une troublante boîte de Mimosa Echard (Sans titre, 2022). Dans des teintes rose chair caractéristiques de son travail s’agglutinent une balle en plastique, un simplex métallique (?), une page de magazine et de la laine…
Mimosa Echard – Sans titre,2022 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022. Photo de droite © Moly-Sabata
Côté cour, un superbe masque en laine de Caroline Achaintre (Commendatore, 2022) faisait-il écho à la statue du Commandeur dans Don Giovanni ? Qu’annonçait-il à ceux qui vivent au bord du Rhône ?
En fond de scène, côté jardin ou plutôt côté plage, trois tableaux sur toile de jute du sétois Pierre Unal-Brunet (Belly of Sarcacastic Fringehead, Belly of Flying Urchin et Belly of ElectricEel, 2021) évoquaient les régurgitations post digestives d’une biologie spéculative.
On pouvait s’interroger devant les appareils digestifs d’énigmatiques oursins volants, d’un petit poisson d’eau salée très résistant, doté d’une grande bouche et d’un comportement territorial agressif et de terrifiantes anguilles électriques…
Pierre Unal-Brunet – Belly of Flying Urchin, Belly of Sarcacastic Fringehead et Belly of ElectricEel, 2021 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022
À la droite de ces « planches anatomiques », trois sculptures récentes (2022) d’un autre artiste sétois, Damien Fragnon, « témoignent d’une hybridation entre récit et science »…
Un vent rocheux #1 et #4 ainsi que Un vent de Marais doux #1 sont d’hallucinantes machines à divaguer où se combinent grès pyrite, ou grès blancs, émaux secrets, émaux rouges, émaux bleus, émaux jaune cristal, émaux blanc mat et poils collés électromagnétiques.
Damien Fragnon – Un vent de Marais doux #1, Un vent rocheux #4 et Un vent de Marais doux #1, 2022 – « Tarasque et silures » – Art-o-rama 2022. Photo Damien Fragnon
L’accrochage se terminait sur la droite avec Seated figure (1929), un pochoir à la gouache de Evie Hone. Peintre irlandaise, considérée comme une pionnière du cubisme, elle a travaillé avec André Lhote et Albert Gleizes à Paris, avant de retourner en Irlande en 1923 où elle sera surtout connue pour ces vitraux.
Sa figure assise aux couleurs sourdes fait écho à la toile lumineuse de David Wolle (Steppe, 2017) qu’elle accompagnait.
À quels récits chimériques pouvaient faire penser ces « chairs molles » ? Certains n’ont probablement pas manqué d’y voir plus prosaïquement des analogies avec l’anatomie d’un mollusque lamellibranche ou avec celle d’une vulve…
Partenaire d’Art-o-rama depuis plusieurs années, Moly-Sabata a reçu l’été dernier Flore Saunois, lauréate du Prix Région Sud. Pendant deux mois de résidence, elle a pu préparer son exposition dans le cadre du salon. On reviendra prochainement sur sa présentation ainsi que sur les quatre artistes du Show-room : Hayoung, Samir Laghouati-Rashwan, Robin Plus et Janna Zhiri.
Outre la qualité exceptionnelle de « Tarasque et silures », il faut souligner le remarquable travail de l’équipe de Moly-Sabata qui accueille sur invitation des artistes en résidence toute l’année.
Depuis 2018, les expositions hors les murs pour Art-o-rama ont largement démontré l’inspiration des commissariats assurés par Joël Riff.
Une importante exposition annuelle, inaugurée à l’automne, associe de nouvelles productions réalisées dans les ateliers, à des prêts d’artistes historiques ou internationaux.
En résonance avec La Biennale de Lyon, l’exposition 2022 se déroulera du 17 septembre au 30 octobre 2022. Intitulé « Millefleurs » pour fêter le retour des abeilles à Moly-Sabata, elle présentera des œuvres d’Héloïse Bariol, Clément Bouteille, Clément Rodzielski et Milène Sanchez réalisées en résidence, des prêts d’œuvres de Marianne Castelly, Kate Newby, Josèfa Ntjam, Dom Robert, Juliette Roche, Elmar Trenkwalder et Claude Viallat, ainsi que des sculptures pérennes du Fonds Moly-Sabata.
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