Derniers jours pour voir ou revoir l’étonnante exposition « Ruta graveolens » que Lucien Pelen propose à la Galerie chantiers BoiteNoire. C’est la cinquième fois que Christian Laune accueille à Montpellier cet artiste inclassable dont les photographies et les vidéos sont présentent dans les collections publiques et particulières comme celles par exemple du Frac Occitanie Montpellier ou d’Antoine de Galbert…
Lucien Pelen – Ruta graveolens à la Galerie chantiers BoiteNoire
Rendre compte de « Ruta graveolens » est un réel défi qui ne peut aisément traduire, par le texte comme par l’image, l’expérience troublante d’un face-à-face avec les épreuves du photographe.
En juin, Jean-Marc Andrieu était venu faire un clin d’œil à Lucien Pelen.
Pour le finissage, Nina Roussière a dessiné in situ quelques « ponctuations » sur les murs de la galerie en écho à «Ruta graveolens »…
Les derniers jours de l’exposition s’accompagnent de la publication de Monte et descend aux Éditions Empire.
Loin des catalogues qui sont trop souvent devenus de simples livres d’images, cet ouvrage est un remarquable travail d’édition dont la conception graphique est signée par Syndicat et Lucien Pelen. C’est avec beaucoup de plaisir qu’il faut partir à la recherche de son coupe-papier avant de pouvoir explorer les cahiers de cette monographie. Elle rassemble quinze années de production photographique, des contributions inédites, des textes et le making off des actions réalisées par l’artiste.
La lecture de ses textes est une étourdissante découverte. En témoigne cette citation reproduite en quatrième de couverture :
« ce ne sont pas les marteaux qui battent la cloche, mais la cloche qui les use lentement. doucement, sûrement, elle les rogne et leur vole la rage, et quand fatigués de cogner, ils ne pourront plus l’atteindre, alors elle se laissera tomber et percera le village, lui dérobant sa mémoire, ses racontars et ses gens.»
L’ouvrage est coproduit par la Fondation Antoine de Galbert, le Frac Occitanie Montpellier, la Galerie Aline Vidal et la Galerie chantiers Boîte Noire.
Monte et descend mérite sans aucun doute qu’on lui fasse une place sans sa bibliothèque et impose donc un passage par la Galerie chantiers BoiteNoire pour en faire l’acquisition après avoir revu ou découvert les photographies « Ruta graveolens ». L’exposition reste en place jusqu’au 8 octobre.
À lire, ci-dessous, le texte de présentation de l’exposition.
En savoir plus :
Sur le site de la Galerie chantiers Boîte Noire
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Lucien Pelen – Ruta graveolens
De sa Provence natale à une Lozère printanière de 2015, toujours le coq a chanté. De cette garrigue aride en rocaille de calcaire blanc. À ces redescentes nocturnes de crêtes éclairées par la lune. Sentant le thym sous ses pas.
Tout jeune il criait : « Secouez les pruneaux ! » avec ses frères en se jetant corps et âmes dans les buissons de genévriers de Phénicie. Autrement il s’écorchait les genoux, les chevilles et les poignets dans les grands éboulis coulants des « barres rouges », en déchirant ses pantalons, dans l’odeur de rue (Ruta graveolens), en bouffant la poussière. Ça c’était le dimanche.
Finalement tout a commencé le dimanche, ce jour qui défie la semaine en la regardant de haut, qui défie l’espace et le temps, ce jour où l’on ne travaille pas. Un jour à braver la nature, à se mesurer à son potentiel, à s’y jeter vraiment, à s’y faire mal et à aimer ça, quand elle entre par les plaies ouvertes dans un corps qui ne demande qu’à comprendre.
De là vient la Porte je pense, la première Porte de l’histoire, de cette histoire en tout cas. Peut-être la porte qui s’ouvre entre l’homme et la nature. La porte aussi d’une mémoire, la porte des mémoires, puis à la porte des mémoires, celle de Monte et Descend. Celle qui s’ouvre quand on se fracasse le visage contre une pierre, quand on court à en trébucher dans les pentes, ou quand on peint son portrait en se frappant le dos d’un bâton. Celle des grands jeux des villages d’avant :
« Je dois jouer maintenant. Je choisis pierre pincée. Je prends dans chaque main un petit caillou que je serre entre le pouce et l’autre doigt. Je les entrechoque, de plus en plus fort, ils glissent parfois l’un contre l’autre et écorchent mes doigts, fendent mes ongles. Le sang ruisselle et forme un motif dans un cercle de terre fraîchement dégagée. Du bout des doigts je reproduis le motif sur mon front puis à pleine figure. Je cherche un bloc que je ne peux soulever, et de tout mon poids viens y écraser mon visage. C’est le rêve maintenant et je m’exécute. J’aime les jeux à la porte des mémoires. » Extrait, Monte et Descend, LP 2007[1]
Aujourd’hui la porte est là. Statique comme une porte de grange devant laquelle chuteraient des pots de terre cuite. Effacée et furtive dans le gaz quand le pot éclate, portée par cette tête qui le frappe en cloche de messe contre les blocs de granit. En cloche de glas. C’est l’Angelus de Millet, la cloche à fendre les heures en même temps que les têtes, appuyées contre les portes, appuyées contre les manches de bêches ou à l’arrière des charrues.
Le paysage ne rend rien. Il absorbe tout. Les maisons, les villes et les villages, tout comme les corps qui s’y trouvent, morts ou vivants. Vous voulez comprendre… ? Alors il va falloir creuser. Creuser. Creuser. Creuser. Et par là-même n’oubliez pas d’y faire un trou, pour votre propre tombe. Que je vienne y creuser un jour. Et que d’autres plus tard viennent m’y creuser… C’est ça ou c’est la porte ! Sortez ! Rien à voir, rien à penser, rien. C’est ça ou c’est la porte, celle qui baille sur la nature, celle qui fait mal à la tête, celle qui se dit porte de l’art.
Lucien Pelen est né en 1978, il vit à Altier en Lozère.
La galerie chantiersBoîteNoire lui a consacré cinq expositions personnelles depuis 2005.
Son œuvre, fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Il a participé entre autres à La dégelée Rabelais au Château comtal de Carcassonne, Souvenirs de voyage au Musée de Grenoble, Le Mur à la Maison Rouge à Paris, Entre deux chaises, un livre à la Fondation Boghossian – Villa Empain à Bruxelles, Ainsi soit-il ! au Musée des Beaux-Arts de Lyon, (A)Pesanteur, récits sans gravité au Frac Lorraine à Metz, ainsi qu’au Musée archéologique Lattara de Lattes avec A la porte des mémoires. Récemment en duo avec Abdelkader Benchamma pour Pierre blanche, étoiles noires à l’ENSAM (Frac Occitanie Montpellier)
Présent à la FIAC, Preview Berlin et Slick Bruxelles, cette année à Paris Photo. Il est représenté par la galerie Aline Vidal à Paris et par Christian Laune à Montpellier.