« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Martine Aballéa, Joshua Abelow, Gene Beery, Karina Bisch, Jean-Luc Blanc, Corentin Canesson, Nicolas Chardon, Claude Closky, Anne-Lise Coste, Jessica Diamond, Pierre di Sciullo, Chloé Dugit-Gros, Chad Etting, Éléonore False, Sylvie Fanchon, Marie Glaize, Joseph Kosuth, Muriel Leray, Jonathan Martin, Raffaella della Olga, Camila Oliveira Fairclough, Walter Swennen, Christian Robert-Tissot, Julio Villani, Elsa Werth, Virginie Yassef, Rémy Zaugg.


Jusqu’au 19 mars 2023, le MRAC (Musée régional d’art contemporain) présente « Aoulioulé », une passionnante et pétillante exposition collective imaginée par Sylvie Fanchon et Camila Oliveira Fairclough. Pour ce projet au titre mélodieux, mais assez énigmatique, les deux « artistes-commissaires » ont sélectionné un peu plus d’une quarantaine d’œuvres d’artistes qui utilisent les lettres, les phrases ou la ponctuation comme vocabulaire plastique.

Aoulioulé est une comptine milanaise que lui chantait sa mère et dont le souvenir est revenu à l’esprit de Sylvie Fanchon pendant la préparation de l’exposition.

Clement Nouet, directeur du MRAC, confie qu’à l’origine de ce projet, il y a, entre autres, la découverte par Sylvie Fanchon de l’exposition « Matter, Grey », en 2006, à la galerie Almine Rech. Joseph Kosuth en était le commissaire et une œuvre murale de Margritte, alors jamais montrée, était au cœur de son accrochage. L’auteur des One and Three Chairs reconnaissait ainsi une dette importante envers le peintre belge qu’il considère comme le précurseur de l’art conceptuel…

On ne sera donc pas surpris que le parcours de « Aoulioulé » se termine par une imposante composition de Joseph Kosuth, La signification, l’emplacement du mot dans un champ grammatical (2016-2022), appropriation de la toile de René Magritte L’apparition (1928). Elle a été présentée pour la première fois dans l’exposition « Magritte : la trahison des images » au Centre Pompidou, en 2016.

Joseph Kosuth - La signification, l’emplacement du mot dans un champ grammatical, 2016-2022 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Joseph Kosuth – La signification, l’emplacement du mot dans un champ grammatical, 2016-2022 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan


Large de presque 8 mètres, elle est accrochée en majesté dans la dernière salle. Autour des éléments empruntés au peintre surréaliste, Kosuth a ajouté des annotations inspirées par des auteurs (Wittgenstein, Nietzsche et Michel Foucaud) qui ont développé une réflexion théorique sur le langage et l’image.

Muriel Leray - Les usagers peuvent critiquer leur famille ou insulter sa résidence, 2016 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Muriel Leray – Les usagers peuvent critiquer leur famille ou insulter sa résidence, 2016 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Au préalable, on aura rencontré Kosuth, au fond de la première salle, avec une œuvre de Muriel Leray (Les usagers peuvent critiquer leur famille ou insulter sa résidence, 2016), allusion directe à l’installation la plus célèbre de l’artiste (One and three chair, 1965), pièce emblématique de l’art conceptuel.

Si « Matter, Grey » a pu être un des déclencheurs de « Aoulioulé », l’exposition de Sérignan est avant tout née d’un dialogue et d’une recherche continue de Sylvie Fanchon et Camila Oliveira Fairclough depuis 2016. Dans une vidéo disponible sur le site du Mrac, Camila Oliveira Fairclough raconte comment ce projet s’est construit : « À partir de là, on a commencé à discuter, à voir des expositions et à sélectionner des artistes qu’on aime, avec lesquels on sent une affinité… »

Leur approche curatoriale ne semble pas s’être appuyée sur les outils de l’histoire de l’art ou sur des analyses critiques, esthétiques ou philosophiques. « Nous, on est artistes-commissaires et pas commissaires-artistes. C’est très différent. On a un peu d’affection, je pense pour les œuvres choisies. On considère le tableau comme un personnage, comme quelqu’un… On aime dire que les tableaux parlent comme une personne. (…) Il s’agit aussi de poser la question du langage comme forme, mais aussi de la forme comme langage ». Avec un peu de malice, elle termine cette présentation avec ces mots : « Il y a une phrase célèbre d’un artiste qui dit “I never read, I just look at the Pictures” et c’est une phrase qu’on apprécie ».

Doit-on regretter que l’affiche iconique, reproduisant cette citation d’Andy Warhol, créée pour sa mémorable exposition au Moderna Museet de Stockholm en 1968, ne soit pas présente dans « Aoulioulé » ?

Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photo Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photo Aurélien Mole

La volonté affirmée par Sylvie Fanchon et Camila Oliveira Fairclough est aussi de « laisser les tableaux parler » et de permettre aux visiteur·euse·s de regarder ce qu’ils ont envie de voir et de s’identifier avec une œuvre plus qu’avec l’autre. L’accrochage qu’elles ont imaginé répond parfaitement à leurs ambitions. Pas d’articulations chronologiques ou thématiques, tout au plus quelques rapprochements formels, dans cette mise en espace élégante où elles ont fait le pari réussi de permettre aux œuvres de s’exprimer et aux regardeur·euse·s de les rencontrer…

« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Dans « Aoulioulé », aucune obligation de parcours, chacun déambule à sa guise en fonction de son humeur, de ses attirances. Les face-à-face avec les œuvres peuvent simplement laisser remonter des souvenirs enfouis, des colères oubliées, provoquer des émotions imprévues, des froncements de sourcils ou des éclats de rire…

Quelques-un·e·s ne manqueront pas de tricoter méticuleusement signifiant et signifié, les oulipiennes et les oulipiens chercheront bien entendu à retrouver ou à improviser quelques jeux de contraintes, les pataphysicien·ne·s concevront probablement des solutions imaginaires et les lacanien·ne·s adopteront sans doute une attention flottante.

Celles et ceux qui ont besoin de commencer par lire avant de voir prêteront attention à l’abécédaire que les deux commissaires proposent à l’entrée de la première salle et que l’on reproduit ci-dessous…

Les historien·ne·s de l’art et les critiques liront avec concentration le texte de Clément Nouet avant d’aller « Just Look at Pictures »…

« Aoulioulé » offre à chacune le soin d’apprécier les œuvres exposées comme « des coins à pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce que l’on apporte soi-même » qu’affectionnait Francois Morellet

« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Parmi les emplacements pour le pique-nique découverts à Sérignan, on retient naturellement l’œuvre de Kosuth et celle de Muriel Leray, évoquées ci-dessus, et la très belle paire de guillemets en raku de Éléonore False (« », 2018) qui encadrent cette citation de celui qui fut un des chefs de file de l’art conceptuel aux États-Unis…

Claude Closky - Untitled (hu), 2010 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Claude Closky – Untitled (hu), 2010 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Dans la première salle, l’accrochage débute par Untitled (hu) (2010), une toile de Claude Closky, considéré par le feuille de salle comme un héritier oulipien de Magritte et de l’art conceptuel.

Rémy Zaugg - De la cécité n° 7, 1998 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Rémy Zaugg – De la cécité n° 7, 1998 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Plus loin, deux tableaux de Sylvie Fanchon (PROVE IT et I AM NOT A ROBOT, 2021) partagent le fond vert d’une sérigraphie sur aluminium de Rémy Zaugg (De la cécité n° 7, 1998). Dans les deux toiles de la commissaire, Screwy Squirrel, l’écureuil roux, un peu pervers et complètement dingue de Tex Avery semble interloqué face aux injonctions probablement imposées par des formulaires numériques au point d’en « perdre » la tête…

Sylvie Fanchon - PROVE IT et I AM NOT A ROBOT, 2021 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Sylvie Fanchon – PROVE IT et I AM NOT A ROBOT, 2021 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

En face, le regard est inévitablement attiré par le grand dessin mural de Jessica Diamond (T.V. Telepathy (Black And White Version), 1989) qui peut à la fois faire écho aux publicités diffusées par la télévision et aux affiches de l’atelier de sérigraphie des Beaux-Arts en Mai 68…

Jessica Diamond - T.V. Telepathy (Black And White Version), 1989 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Jessica Diamond – T.V. Telepathy (Black And White Version), 1989 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Au centre de cette première, le « merci beaucoup » qu’adresse Marie Glaize avec Poli (2015) est-il destiné aux commissaires, à l’équipe du Mrac ou aux regardeurs ?

Marie Glaize - Poli, 2015 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Marie Glaize – Poli, 2015 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Il faut un peu d’attention pour décoder le message de l’échelle d’Elsa Werth qui s’appuie sur la charpente apparente de l’espace… Que faut-il entendre dans le HA HA HA – ascension sociale (2018) ? Le rire aliéné ou désabusé de ceux qui tentent de gravir les échelons de l’échelle sociale, qu’évoque l’artiste ? Le rire ironique des artistes ou celui, satisfait, des parvenus que suggère l’historienne de l’art Camille Viéville ? Ne serait-ce pas plutôt le cri de celles et ceux qui après être arrivés au sommet de l’échelle en tombent brutalement ?

Elsa Werth - HA HA HA - ascension sociale, 2018 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Elsa Werth – HA HA HA – ascension sociale, 2018 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

Deux silhouettes exposent de très belles et élégantes Robes Alphabet de Karina Bisch (Robe Alphabet 6 et Robe Alphabet 5, 2013). La feuille de salle reproduit quelques lignes de l’artiste à leur propos : « Le point de départ […] de ce nouveau projet était les robes poèmes de Sonia Delaunay. Je voulais que l’on porte une robe abstraite qui parle, qui raconte. J’ai donc réalisé des robes à la structure très simple, avec sur chaque face les lettres d’un alphabet comme jetées au hasard sur la surface. Là encore, les entrées référentielles sont nombreuses, mais rien ne remplace le fait de porter une de ces robes, si douces, si lumineuses ! »

Karina BischRobes Alphabet 5 et 6, 2013 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

On imagine volontiers les deux commissaires, vêtues de ces robes, pour méditer avant d’écrire l’abécédaire affiché à l’entrée…

« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
« Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

De la deuxième salle, où le noir et blanc domine, on retient le face-à-face entre les jeux typographiques de Nicolas Chardon (Abstract, 2008-2009) et l’étonnant portrait de Jacques Derrida par Júlio Villani (La Nuit (Portrait de Derrida), 2018).

Nicolas Chardon, ABSTRACT, 2008-2009. Éléments, acrylique sur tissu. Collection Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris. Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac
Nicolas Chardon, ABSTRACT, 2008-2009. Éléments, acrylique sur tissu. Collection Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris. Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photo Aurélien Mole
Júlio Villani - La Nuit (Portrait de Derrida), 2018 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Júlio Villani – La Nuit (Portrait de Derrida), 2018 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

L’accrochage de la troisième salle est inévitablement marqué par l’imposante pièce de Joseph Kosuth (La signification, l’emplacement du mot dans un champ grammatical, 2016-2022).

Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photo Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Aoulioulé », Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photo Aurélien Mole

Elle laisse peu d’espace aux autres œuvres sauf aux trois peintures sur plexiglas d’Anne-Lise Coste (À genoux ou assis, sinon je t’attache – C’est pas toi qui décide – Ferme la bouche là, 2022) qui « hurlent » avec rage face aux Pas ça et Pas mal (2011-2022) de Corentin Canesson.

Anne-Lise Coste - À genoux ou assis, sinon je t’attache - C’est pas toi qui décide - Ferme la bouche là, 2022 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Anne-Lise Coste – À genoux ou assis, sinon je t’attache – C’est pas toi qui décide – Ferme la bouche là, 2022 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Corentin Canesson - Pas ça et Pas mal, 2011-2022 - « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan
Corentin Canesson – Pas ça et Pas mal, 2011-2022 – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

« Aoulioulé » recèle sans doute d’autres coins à pique-nique… qu’il faut découvrir et partager lors de passages répétés par le Mrac à Sérignan.

Les deux autres expositions hivernales méritent naturellement elles aussi attention. D’éventuelles chroniques leur seront prochainement consacrées.

À lire, ci-dessous, l’abécédaire de Sylvie Fanchon et Camila Oliveira Fairclough qui ouvre l’exposition et le texte de Clément Nouet.

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« Aoulioulé »
Sylvie Fanchon & Camila Oliveira Fairclough

A: j’écris parfois sur mes tableaux, des titres, des jeux de mots c’est une branche de ma prAtique.
B: je ne suis pas la seule, c’est une longue histoire qui se développe dans tout le 20ème siècle et perdure aujourd’hui dans le travail de nomBreux artistes, de générations différentes.
C: ce qui m’intéresse principalement c’est la surface, le tableau comme une page, et l’octroi d’un « quoi » peindre ouvert à une multitude de possibles : l’écart entre le mot, la façon dont il est peint, comment il s’inscrit sur le tableau, le sens qu’il Convoque, ces questions interrogent les problématiques de la représentation, de nouvelles investigations et résolutions sont possibles.
D: l’idée de construire une exposition a pour Déclencheur le désir de voir un ensemble de peintures autour de l’écriture, du mot, injonction, onomatopée. C’est en premier lieu un questionnement autour du tableau, avec quelques incursions du coté du dessin, de la photographie, et de l’installation.
E: ouvrir un champ de liberté d’esprit, notamment dans l’ambigüité visible-lisible, agencement et Enchainement des mots et des phrases inscrits sur la surface.
F: le langage comme Forme et la forme comme langage, quelque chose lié à la traduction, une observation/audition que j’emprunte souvent au réel. Le quotidien comme point de départ.
G: écart entre la source et la peinture, grand écart entre le « comment peindre » et le « quoi » peindre, c’est du mixage ou encore du collaGe.
H: ce qui m’intéresse c’est le contraste entre un fond travaillé à grande vitesse et une écriture appliquée, pour d’autres l’écart entre la gravité d’un monocHrome, d’un fond décoratif, et la trivialité du quotidien.
I: contraste du fond et de la forme, Inévitable.
J: dans ta « simplification/synthétisation », on peut lire et regarder en même temps, images comme des mots, mots comme images, une sorte de Jeu.
K: cette dimension réflexive n’empêche en rien la gravité et le sérieux mais… sans se prendre au sérieux. K‘en penses-tu ?
L: j’en pense que le tableau est vraiment un miLLefeuiLLe.
M: « I never read, I just look at pictures. » Mot/phrase trouvé d’un célèbre artiste.
N: les mots font partie de notre paysage meNtal, et quand je peins des lettres, d’une manière ou d’une autre. j’ai le sentiment de questionner la réalité de façon plutôt concrète.
O: je pense que les mOts constituent une sorte de fiction collective bien que nous les utilisions pour raconter différentes histoires….
P: j’essaye de voir les lettres comme des formes, une tyPographie comme forme trouvée. Elle a toujours un nom propre : arial, colibri, times etc.
Q: je cherche à solliciter l’attention sur les significations assez variables d’une forme, d’un mot, d’un motif Quelconque.
R: je trouve généralement les motifs que je peins par hasard, dans le quotidien, toutes sortes de sujet m’intéresse : un emballage, une affiche, une chanson, un tableau vu dans un musée, dans un livre… tout ce qui peux arrêter mon regard ou mon oreille au moment où je suis. Je m’intéresse aussi à la manière dont on peut refaire ce que l’on a vu, Réécrire ce que l’on a lu et ou entendu. Mais c’est par le tableau, par le travail de la peinture, que je réunis ces sujets et qu’ils deviennent des sujets de peinture (comme dans un journal).
S: nouS parlons de ce que nous faisons donc du tableau, et par conséquence de la peinture.
T: le regardeur c’est moi la plupart du temps, aussi bien pour mon travail que pour celui des autres, le Tableau s’adresse à moi dans un premier temps, et c’est ce qui préside à sa réalisation, c’est un célèbre artiste qui disait « je continue à faire des tableaux car j’ai envie de voir l’image que j’ai dans la tête. »
U: le regard des autres est absolument indispensable. son jUgement nous échappe….
V: direct, concentré et frontal nous ne pouvons pas échapper au 1er rang deVant l’écran, je préfère penser que c’est le tableau qui parle, d’ailleurs, mes tableaux n’ont pas de titres, mais des noms, comme pour une personne.
W: écrire sur le tableau me semble une « ruse » de l’esprit qui slalome entre une figuration que je qualifierai de régressive, pleine de bons sentiWents, de culpabilité et de pathos, et une abstraction trop élégante, sérieuse, bien pensante. le peintre aujourd’hui doit ruser, faire un bon tableau a toujours été difficile.
« La figuration et de l’abstraction est un faux problème, … un tableau est toujours une image d’un tableau. » célèbre artiste.
X: les tableaux comme des interrogations, des questions, aussi sur sa propre eXistence.
Y: readY made, n’est ce pas ?
Z: un autre célèbre artiste : « l’expérience viZuelle de la peinture [devrait être] une expérience unique… aussi unique que la rencontre que l’on fait avec une personne, un être vivant. »

Camila Oliveira Fairclough et Clément Nouet – « Aoulioulé » au Musée régional d’art contemporain de Sérignan

« Aoulioulé » – Texte de Clément Nouet

Les artistes transcendent le langage et ses références. Les fragments typographiques jouent visuellement et pas seulement verbalement. Malgré l’illisibilité narrative, le regardeur cherche à établir des correspondances de lettres, de mots et de sens. Les propositions textuelles sont autant de mises en forme des mots dont la lisibilité n’est plus l’objectif premier et s’efface, avec plus ou moins d’ampleur, derrière l’image des propositions graphiques. Les œuvres présentes dans l’exposition proposent l’expérience, précieuse s’il en est en ces temps d’extrême saturation – numérique – de voir des mots, même les plus galvaudés comme si c’était la première fois.

De Marinetti, premier parmi les théoriciens de la poétique du dynamisme et de l’énergie, typographe et plus encore inventeur du poème-affiche et des poèmes-tableaux, aux calligrammes d’Apollinaire et à la pancarte écrite de Pierre Albert-Birot, des poèmes-objets d’André Breton aux tableaux-poèmes de Joan Miró ou à la poésie visuelle de Joan Brossa ou de Christian Dotremont, aux affiches lacérées de François Dufrêne, de l’hypergraphie lettriste de Paul-Armand Gette ou de Raymond Hains, de l’énergie des protagonistes de Fluxus à l’exigence sérielle de la poésie concrète, sont autant d’exemples pris parmi beaucoup d’autres à même de montrer que les appels de Tristan Tzara « chaque page doit exploser » ont bien été entendus !

Dans l’exposition Aoulioulé, il n’est pas question uniquement de poésie ou de lettrisme mais bien d’artistes qui utilisent les lettres, les mots, les phrases ou encore la ponctuation comme vocabulaire plastique. À quel moment une lettre ou un mot deviennent-ils image ? Quel sens cela leur confère-t-il ? La mise en forme graphique et la mise en couleur transforment un outil de langage en un objet visuel avec ses codes et sa sensibilité.

L’écriture est une forme de dessin crypté. Il s’agit d’un profond métissage des champs poétiques et plastiques qui fait voisiner « par inframince » image et texte. Cette recherche autour de la dimension graphique et performative de l’écriture fait écho à l’inflation visuelle et textuelle dans la société de consommation, dans les médias de masse, dans le numérique par ses procédés formels de mise à distance – collage, décollage, montage, saturation, biffure, réduction minimaliste, etc. – comme acte de résistance « poétique » face à la saturation et la perte d’idéologies.

Les projets rassemblés dans l’exposition Aoulioulé, témoignent de ce qu’on pourrait appeler une opposition entre la galaxie Gutenberg et les théories de Marshall McLuhan. Le sens même de l’exposition, par-delà le seul renoncement de la page ou le dépassement de l’écriture, est peut-être avant tout celui de la mise en exergue d’une constante transformation et contamination des genres afin de permettre de réarticuler en autant de propositions distinctes le concept de « verbi-voco-visual exploration » (1) de Mc Luhan.

Un des nombreux points de départ de cette page d’écriture est la rencontre par Sylvie Fanchon de l’exposition Matter, Grey consacrée à Joseph Kosuth en 2006 à la galerie Almine Rech à Paris. L’installation rend hommage au maître du surréalisme belge René Magritte. La présentation des mots comme élément visuel sert une réflexion sur la dialectique et sa capacité à saisir le réel. Le wall painting de l’artiste britannique pose la question du rapport de l’image et du langage verbal au réel. Les souvenirs de la comptine milanaise chantée par la maman de Sylvie Fanchon composée d’onomatopées reviennent à son esprit également(2). Les nombreux échanges et les visites d’expositions avec l’artiste Camila Oliveira Fairclough alimentent la réflexion et motivent le désir de rassembler des artistes dans une exposition autour de tableaux qui parlent.

Pour les Lettristes – et notamment pour Isidore Isou, fondateur du mouvement – la lettre doit permettre une communication vraie, le mot n’étant que la première « stéréotypie »(3). Plusieurs artistes questionnent ce moment infime où la lettre ou le son se confondent avec l’image, lorsque le texte devient objet visuel ou sculptural (Karina Bisch, Claude Closky, Eléonore False).

En devenant image, les lettres agencées dans un ordre précis – le mot – perdent parfois leur intelligibilité (Pierre di Sciullo, Jonathan Martin, Nicolas Chardon, Chad Etting). Cependant les mots ordonnés en phrases ou slogans s’imprègnent ainsi d’une nouvelle forme de poésie qui ne passe plus uniquement par le sens mais par la force de l’image (Joshua Abelow, Gene Beery, Sylvie Fanchon, Walter Swennen, Raffaella della Olga).

Les mots et les phrases, comme doués d’autonomie, se déploient et évoluent dans un espace de liberté. Le geste artistique réside alors dans cette tension entre le contenu sémantique du mot et son écriture comme performance physique (Corentin Canesson, Anne-Lise Coste, Camila Oliveira Fairclough). Par ailleurs, d’autres artistes préfèrent avec malice prendre en main un texte qu’ils manipulent, tordent, transforment ou mélangent (Chloé Dugit-Gros, Julio Villani, Elsa Werth) pour leur insuffler un sens au-delà du fonctionnel.

Les artistes par jeu ou par provocation se prêtent à différentes métamorphoses, perturbant nos sens et nous invitent à entrer dans un monde décalé (Jean-Luc Blanc, Marie Glaize, Muriel Leray, Jessica Diamond, Christian Robert-Tissot). Soumises à distorsions, démultiplications, changements d’échelles sur différents supports les propositions linguistiques et graphiques s’émancipent et nous racontent d’autres histoires ouvrant les portes sur un monde imaginaire et poétique (Virginie Yassef, Martine Aballéa).

Sylvie Fanchon et Camila Oliveira Fairclough veulent qu’on leur pardonne ici tous ceux que pareil projet ne pouvait rassembler. On discutera sans fin sur l’opportunité de la présence ou de l’absence de nombreux artistes. C’est avant tout un choix curatorial car il est certain que l’exposition Aoulioulé est une suite sans fin !

Clément Nouet

1 Verbi-Voco-Visual Explorations. Something Else Press Inc., 1967. Organisation du texte selon des critères qui soulignent les valeurs relationnelles graphiques, intuitives et phoniques des mots
2. Aoulioulé est le titre d’une comptine milanaise en langue patoise composée d’onomatopées chantonnée sur un rythme régulier aux enfants en bas âge, composée presque exclusivement de voyelles : aouliouléqué tamouséquétaprofitalousinghétoulilem blemblumtoulilemblemblum.
3. Branche de l’impression qui permet la multiplication de formes de textes et de clichés typographiques par moulage à partir d’une matrice. / Répétition d’une attitude, d’un geste, d’un acte ou d’une parole, sans but intelligible.



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