David Hockney, collection de la Tate au Musée Granet – Aix-en-Provence


Jusqu’au 28 mai 2023, le musée Granet propose « David Hockney, collection de la Tate », une importante et remarquable exposition consacrée à l’artiste britannique, en partenariat avec la Tate Gallery. C’est sans aucun doute un des événements culturels majeurs de cette fin d’hiver et du printemps dans le sud de la France.

Parmi la centaine d’œuvres présentées, la très grande majorité est conservée par la Tate auxquelles se sont ajoutés quelques prêts de collections particulières. Cette exposition aixoise est la dernière étape d’une rétrospective itinérante qui a été présentée au Bozar à Bruxelles en 2021, puis au Kunstforum de Vienne au printemps 2022 et au Kunstmuseum de Lucerne à l’automne dernier.

David Hockney - Un mariage de styles - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Un mariage de styles – Collection de la Tate au Musée Granet

Pour l’ensemble du projet, le commissariat scientifique est assuré par Helen Little, curatrice indépendante pour la Tate. À Aix-en-Provence, elle est accompagnée par Bruno Ely, conservateur en chef, directeur du musée Granet et Paméla Grimaud, conservatrice, responsable du pôle conservation et recherche.

On retrouve en partie les éléments de la rétrospective présentée en 2017 à la Tate Britain qui rassemblait pour la première fois six décennies de l’œuvre de Hockney. Cette exposition a été la plus visitée jamais organisée dans la galerie de Millbank.

David Hockney - Los Angeles - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Los Angeles – Collection de la Tate au Musée Granet

Les cimaises aixoises accueillent ses toiles iconiques du Swinging London des années 1960 et 70 et notamment ses emblématiques doubles portraits. Certains regretteront sans doute l’absence des célèbres Swimming Pools de Californie et tout particulièrement de A Bigger Splash (1967).

David Hockney - Vers le naturalisme - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Vers le naturalisme – Collection de la Tate au Musée Granet

Très réussi, l’accrochage montre avec brio les multiples sources d’inspiration de David Hockney ainsi que son obsession récurrente pour les représentations de la perspective. Le choix des œuvres illustre comment il passe avec aisance des pratiques traditionnelles de la peinture, de la gravure et du dessin, aux utilisations plus contemporaines de la photographie et des technologies numériques.

David Hockney - Dans l’atelier - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Dans l’atelier – Collection de la Tate au Musée Granet

Le parcours s’articule en 9 sections avec l’ambition réussie de montrer la progression de son travail depuis le milieu des années 1950 jusqu’à aujourd’hui :

En fin de parcours, on retrouve l’imposant In the Studio, December 2017 de presque 8 mètres de large, exécuté dans son atelier de Hollywood Hills, près de Los Angeles… Ce collage numérique produit à partir de 3000 photographies, présenté par David Hockney comme un « dessin photographique » était présent à toutes les étapes de rétrospective itinérante.

David Hockney, In the Studio, December 2017 - dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 feuilles de Dibond, 278 x 760 cm, assisté de Jonathan Wilkinson. Tate: don de l'artiste 2018. © David Hockney.
David Hockney, In the Studio, December 2017 – dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 feuilles de Dibond, 278 x 760 cm, assisté de Jonathan Wilkinson. Tate: don de l’artiste 2018. © David Hockney.

Par contre, le focus autour de L’arrivée du printemps, Normandie (2020) qui était exposé au Bozar est remplacé ici par trois animations sur les compositions réalisées par l’artiste sur son iPad dans le sud de l’Angleterre et dont on avait découvert certaines œuvres dans l’« L’Arrivée du printemps » proposée par la Fondation Vincent van Gogh Arles à la rentrée 2015.

David Hockney, The Arrival of Spring in Woldgate, East Yorkshire in 2011
David Hockney, The Arrival of Spring in Woldgate, East Yorkshire in 2011. Huile sur toile, 32 partie de 91.5 × 122 cm, Total 365.6 × 975.2 cm, Don de l’artiste en 2017 avec le soutien des amis du Centre Pompidou, Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne–Centre de création industrielle, © David Hockney

Points forts du parcours présenté au Kunstforum de Vienne, le paysage monumental Bigger Trees Near Warter Or / ou Peinture sur Le Motif pour Le Nouvel Âge Post-Photographique (2007), composé de 50 toiles et mesurant plus de 12 mètres, ne pouvait très certainement pas trouver place dans les espaces du musée Granet.

David Hockney, Bigger Trees near Warter or-ou Peinture sur le Motif pour le Nouvel Age Post-Photographique, 2007
David Hockney, Bigger Trees near Warter or-ou Peinture sur le Motif pour le Nouvel Age Post-Photographique, 2007. Huile sur toile, 50 parties de 91.4 × 121.9 cm, Total 457.2 × 1219.2 cm, Don de l’artiste à la Tate en 2008, © David Hockney

L’originalité de l’étape aixoise est de terminer l’exposition sur l’admiration de Hockey pour Van Gogh et de Cézanne. Autour d’un hommage au Maître d’Aix avec un montage photographique sur le thème des joueurs de cartes (A bigger card players, 2015) et d’un Portrait de John Sharp qui rappelle celui de Madame Cézanne, on découvre trois œuvres évocatrices de Van Gogh dont, une perspective inversée, La chaise et la pipe de Vincent (1988) de la collection de la Fondation Van Gogh Arles, dite Yolande Clergue.

Le parcours, l’accrochage et la scénographie sont irréprochables. Au delà des commissaires, il faut saluer le travail de Jacques Sbriglio, assisté de Johanna Ceret, Marie Poinsot et Natacha Sbriglio pour la scénographie et conception graphique ainsi que la mise en lumière remarquable de Luminoeuvre et Miguel Ramos.

David Hockney - Moving Focus - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Moving Focus – Collection de la Tate au Musée Granet

Catalogue aux éditions In Fine. Helen Little et Gregory Salter y signent deux essais remarquables. Sous la direction de la commissaire scientifique, des contributions originales et parfois engagées par des personnalités du monde de l’art, du design, de la littérature et du spectacle réunissent Catherine Cusset, Rineke Dijkstra, Frank Gehry, Jann Haworth, Allen Jones, Owen Jones, Andrew McMillan, Richard Morphet, David Oxtoby, Eddie Peake, Walter Pfeiffer, Christina Quarles, Bruno Ravella, Marieke Lucas Rijneveld, Ed Ruscha, Wayne Sleep, Ali Smith, Christine Streuli et Russell Tovey.

À lire, ci-dessous, quelques regards photographiques sur le parcours de l’exposition accompagnés des textes de salle. Ils seront complétés prochainement par un compte rendu de visite. On trouvera également une présentation de la rétrospective par Maria Balshaw, Director of the Tate art museums and galleries.

Exposition absolument incontournable…

En savoir plus :
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David Hockney sur le site de la Tate

« David Hockney, collection de la Tate » : Parcours de l’exposition

Introduction

David Hockney est l’un des artistes contemporains les plus influents et populaires au monde. Né à Bradford au Royaume-Uni en 1937, il a étudié au sein de la Bradford School of Art et du Royal College of Art de Londres avant de réaliser certaines des œuvres les plus célèbres de ces soixante dernières années. Depuis sa première exposition rétrospective organisée au sein de la Whitechapel Art Gallery de Londres en 1970, alors qu’il n’avait que 33 ans, l’artiste n’a cessé de susciter l’intérêt des critiques comme celui du public.

S’inspirant de nombreuses sources, dont l’imagerie populaire et les œuvres de maîtres anciens et modernes, le travail de David Hockney porte sur les grands classiques de l’art (natures mortes, portraits et paysages), sa principale obsession restant la représentation et la perspective.

Il s’est toujours montré avant-gardiste et audacieux en remettant en question notre perception du monde et notre façon d’y réagir. Son œuvre témoigne de sa capacité à interroger les possibles des domaines traditionnels de la peinture, de la gravure et du dessin, jusqu’à son utilisation plus contemporaine de la photographie et des technologies numériques.

Retraçant sa carrière du milieu des années 1950 à aujourd’hui, les œuvres présentées dans cette exposition proviennent principalement de la collection de la Tate au Royaume-Uni. Celle-ci dépeint le parcours unique de David Hockney à travers les façons dont il a interrogé la nature, de ce qui nous entoure et sa représentation, depuis ses créations d’étudiant prometteur, à ses chefs-d’œuvre reconnus comme ceux d’un des plus grands artistes vivant.

Un mariage de styles

David Hockney - Un mariage de styles - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Un mariage de styles – Collection de la Tate au Musée Granet

Au début des années 1960, Hockney est influencé par différents courants. Ses tableaux expérimentaux de l’époque reflètent son engouement pour l’art ancien et contemporain mais aussi son intérêt pour la figure humaine, les paysages de pays étrangers, les lieux et situations réels ou imaginaires. Alors qu’il est encore étudiant au Royal College of Art de Londres, Hockney produit un corpus d’œuvres abordant sa propre homosexualité de façon de plus en plus marquée.

Sa curiosité envers différentes conventions picturales et son intérêt pour les concepts spatiaux le poussent à mélanger graffitis, messages cryptés, formes phalliques et écriture libre pour évoquer des thèmes tel que l’amour ou la sexualité. Au fur et à mesure que l’artiste s’émancipe, ses amours, amis et amants s’imposent de plus en plus souvent comme sujets principaux de ses œuvres, tandis qu’il questionne le désir masculin de façon plus frontale et plus complexe.

Lors de son exposition Young Contemporaries de 1962, Hockney présente quatre œuvres, regroupées sous le titre de Demonstrations of Versatility [Démonstrations de versatilité]. « Je m’étais fixé comme objectif de prouver que j’étais capable de peindre dans quatre styles différents, tout comme Picasso » décrit-il. Hockney démontre dans ces tableaux qu’un style peut être choisi ou évité consciemment et que, en jouant des modes de représentation et des différentes interprétations de la réalité, plusieurs styles peuvent être utilisés dans une seule œuvre. Tout est susceptible de devenir un sujet pour son art. Ses œuvres s’inspirent de sa vie ou d’autres sources, à contre-courant de l’abstraction, pourtant prédominante à l’époque, tout en reflétant un nouveau style de culture urbaine. (Texte de salle)

Mur du fond : lithographie, dessin et huile sur toile

David Hockney - Woman with a Sewing Machine [Femme à la machine à coudre], 1954

David HockneyWoman with a Sewing Machine [Femme à la machine à coudre], 1954. Lithographie sur papier. Tate : don de l’American Fund for the Tate Gallery, 2004

Cette œuvre est l’une des trois estampes réalisées par Hockney en 1954, alors qu’il avait dix-sept ans et était étudiant à la Bradford School of Art (1953). La Bradford School of Art a été une expérience libératrice pour l’artiste, comme il l’a expliqué :
Au début, tout m’intéressait… C’était excitant, après avoir été à la Grammar School, d’être dans une école où je savais que j’allais aimer tout ce qu’on me demandait de faire. Pendant quatre ans, j’y ai passé douze heures par jour, tous les jours.
Parmi les premières œuvres de l’artiste, réalisées à la Bradford Grammar School, figuraient des dessins et des caricatures pour le magazine de l’école, et les premières gravures de Hockney conservent certaines des qualités de la caricature. Avec Fish and Chip Shop, comme Woman with a Sewing Machine (Femme à la machine à coudre), Hockney expérimente une scène de genre peuplée de personnages naïvement dessinés, semblables à des dessins animés. La mère de l’artiste (Laura Hockney, 1900-99) a servi de modèle pour Woman with a Sewing Machine. Hockney la représentera par la suite à de nombreuses reprises et sur différents supports.
Dans Woman with a Sewing Machine (Femme à la machine à coudre), l’artiste semble avant tout préoccupé par les aspects techniques de la lithographie. Dans cette estampe, dans les zones où la plaque a été laissée sans encre, le blanc cassé du papier sert de surlignage pour indiquer la direction de la lumière et la surface brillante de la roue de la machine à coudre. Alors que l’encre a été manipulée de manière lâche, le dessin linéaire est détaillé. Hockney a produit cinq impressions de ce tirage, mais l’édition n’est pas numérotée. (texte de la Tate)

David Hockney - Study for « Doll Boy » [Étude pour «Doll Boy »], 1960

David HockneyStudy for « Doll Boy » [Étude pour «Doll Boy »], 1960. Craie sur papier. Tate: don de Klaus Anschel en mémoire de sa femme Gerty, 2004 et Study for « Doll Boy » [Étude pour «Doll Boy »], 1960. Huile sur toile. Tate : accepté par le gouvernement britannique en guise d’impôt sur la succession de Frith Banbury, et attribué à la Tate Gallery, 2009

Ce dessin au fusain de David Hockney est lié à sa grande peinture de jeunesse Doll Boy 1960. Le dessin montre une figure stylisée, qui a été placée sur le côté droit de la page, laissant le côté gauche vide. Une forme géométrique, colorée d’un noir dense, la surplombe. Les proportions de la figure sont exagérées : un corps démesuré aux membres grêles. Une ligne de boutons orne son torse volumineux. La tête du personnage penche maladroitement vers la droite, comme si elle était poussée par le poids de la forme noire. Entre la forme et le garçon se trouve le mot « dollboy ». Le mot « Queen » est inscrit à la base du torse du personnage.
Hockney a réalisé ce dessin alors qu’il était étudiant de troisième cycle au Royal College of Arts de Londres (1959-62). La Tate conserve également l’étude à l’huile correspondante pour Doll Boy, réalisée à la même époque. Le style naïf et presque brut des deux études et de la peinture finale fait écho à l’art outsider, en particulier à l’œuvre de Jean Dubuffet, que Hockney admirait.

Dans les années 1960, Hockney a commencé à réaliser des œuvres célébrant sa sexualité, mais, peut-être parce que l’homosexualité n’a été dépénalisée en Grande-Bretagne qu’en 1967, ces œuvres y font référence de manière voilée. L’artiste utilise des mots ou des phrases énigmatiques pour suggérer leur signification (comme l’utilisation dans cette œuvre du terme d’argot gay « queen »). Le titre Dollboy est tiré des paroles de la chanson Living Doll écrite par Lionel Bart et popularisée à l’époque par Cliff Richard. Hockney a expliqué :
Doll Boy était une référence au chanteur pop Cliff Richard, qui était très séduisant, très sexy. Je ne suis pas un grand fan de musique pop, je ne l’étais pas à l’époque et je ne le suis pas aujourd’hui. Mais je suis un amoureux de la musique et des chansons et j’aime chanter. Cliff Richard était un chanteur très populaire et j’avais l’habitude de découper des photos de lui dans les journaux et les magazines et de les coller autour de mon petit box au Royal College of Art, en partie parce que d’autres personnes avaient l’habitude de coller des pin-ups de filles, et je me suis dit, je ne vais pas faire ça, je ne peux pas faire ça, et il y a quelque chose de tout aussi sexy, et je les ai collées. Il avait une chanson dont les paroles étaient « She’s a real live walking talking living doll » [sic], et il la chantait de manière plutôt sexy. Le titre de cette peinture est basé sur cette phrase. Il fait référence à une fille, alors je l’ai changé en garçon. (texte de la Tate)

Au début des années 1960, Hockney réalise plusieurs œuvres qui font référence à son coup de cœur pour Cliff Richard, notamment ECR (Cliff Richard) vers 1960.

David Hockney - Queen [Reine], 1961

David Hockney – Queen [Reine] – ECR, 1961. Eau forte et aquatinte sur papier

Dans la rare et peut-être unique gravure ECR, qui date d’environ 1960, Hockney a juxtaposé le mot Queen aux initiales CR, en référence au chanteur pop Cliff Richard, qu’il idolâtrait à l’époque. Richard a été le sujet d’un certain nombre de tableaux de Hockney dont Doll Boy, 1960 (collection privée), où le chanteur est représenté portant une robe au-dessus de l’inscription graphique Queen. (texte de la Tate)

Mur à gauche : Gravures

David Hockney - Un mariage de styles - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Un mariage de styles – Collection de la Tate au Musée Granet

Hockney s’est initié à la gravure au Royal College. La gravure, dit-il, l’attirait parce que l’école d’art fournissait des matériaux gratuits à une époque où il n’avait pas les moyens d’acheter de la peinture.
Il a également utilisé ce support essentiellement linéaire pour combiner des images et des mots, créant une sorte de graffiti pictural avec des références codées à des amis et des amants. Les premières de ces œuvres sont pleines d’expériences iconographiques et stylistiques et d’allusions autobiographiques qui font souvent référence de manière indirecte à l’homosexualité de l’artiste.
Les premières œuvres graphiques de Hockney, réalisées pendant ses études et peu après son départ du Royal College of Art au début des années 1960, ont jeté les bases de toute son œuvre ultérieure.

David Hockney - Kaisarion and All his Beauty [Césarion dans toute sa beauté], 1961

David HockneyKaisarion and All his Beauty [Césarion dans toute sa beauté], 1961. Eau-forte sur papier. Tate : don de Jonathan Cheshire et Gareth Marshallsea en mémoire de Peter Coni, 1994

La littérature a souvent inspiré les premières œuvres de Hockney. Au cours de l’été 1960, l’artiste découvre la poésie homo-érotique du poète grec moderne CP Cavafy. Hockney réalise plusieurs œuvres basées sur l’imagerie de Cavafy, dont le point culminant est la série Fourteen Illustrations for Poems from CP Cavafy (1966), qui fait également partie de la Collection. Cette gravure est basée sur les poèmes de Cavafy Alexandrian Kings and Kaisarion, qui décrivent Kaisarion, le fils de Jules César et de Cléopâtre. Ici, Kaisarion se tient debout sur un personnage masqué qui pourrait être l’artiste lui-même, à côté duquel se trouve un portrait égyptien stylisé de la mère de Hockney. (texte de la Tate)

David Hockney - Myself and my Heroes [Moi et mes héros], 1961

David HockneyMyself and my Heroes [Moi et mes héros], 1961. Eau-forte et aquatinte sur papier. Tate : acquis en 1979

David Hockney - Mirror, Mirror on the Wall [Miroir, miroir sur le mur], 1961

David HockneyMirror, Mirror on the Wall [Miroir, miroir sur le mur], 1961. Eau-forte et aquatinte sur papier. Tate : don de Jonathan Cheshire et Gareth Marshallsea en mémoire de Peter Coni, 1994

Les citations de cette gravure sont tirées de Blanche-Neige, le conte de fées du XIXe siècle écrit par les frères Grimm, et de The Mirror in the Entrance (1930) du poète grec CP Cavafy. Plusieurs des œuvres de Hockney sont inspirées par les écrits de Cavafy. Il est particulièrement attiré par les explorations du poète sur la beauté masculine et l’amour entre personnes du même sexe, qui semblent être la principale source d’inspiration de cette gravure. À propos du choix de la citation du poème de Cavafy, Hockney a expliqué que « faire en sorte qu’un miroir ait des sentiments est une merveilleuse idée poétique qui me plaît beaucoup ».
Parmi les autres œuvres de Hockney qui contiennent des références aux écrits de Cavafy, citons A Grand Procession of Dignitaries in the Semi-Egyptian Style, 1961 (collection privée) et sa grande série de gravures, Illustrations for Fourteen Poems from C.P. Cavafy, 1966. (texte de la Tate)

David Hockney - My Bonnie Lies Over the Ocean [Mon amour traverse l'océan], 1961-1962

David Hockney – My Bonnie Lies Over the Ocean [Mon amour traverse l’océan], 1961-1962. Eau-forte, aquatinte et tampon sur papier. Tate : acquis en 1979

David Hockney - Self-Portrait [Autoportrait], 1962

David Hockney – Self-Portrait [Autoportrait], 1962. Eau forte et aquatinte sur papier. Tate : don de Klaus Anschel en mémoire de sa femme Gerty, 1997

Dans Self-Portrait de 1962, Hockney crée un autoportrait ironique à plusieurs couches, à l’aide d’une eau-forte et d’une aquatinte sur papier. La gravure date de la dernière année d’études de Hockney au Royal College of Art de Londres. Son utilisation du dessin et surtout d’une ligne semblable à celle des graffitis est typique de son travail du début des années 1960. Lorsque Hockney crée Self-Portrait en 1962, il se trouve en marge du Pop Art britannique. La gravure indique également une autre direction artistique vers un style d’art figuratif très original et moderne.

Sur un ton humoristique et pince-sans-rire, l’Autoportrait de Hockney porte le titre en lettres dessinées à la main qui semblent avoir été faites au pochoir, « Self-Portrait« , ainsi que l’année « 1962« , les inscriptions « It Is Now 1962 » et « Fre. 1751« . Un nu masculin ombragé domine l’image. Ironiquement, ce nu masculin robuste ne ressemble en rien à Hockney, mais plutôt au type de figures masculines que l’artiste copiait dans les magazines de musculation américains. Un grand pénis en érection est dessiné dans des lignes gravées presque imperceptibles qui dépassent du corps de l’homme musclé. En dessous, un autre type de phallus, plus humoristique, est clairement dessiné : un couteau de cuisine tenu par une main délicate, apparemment gantée. Un petit nu masculin non musclé, un homme « faible » qui porte des lunettes, est superposé au nu robuste. Le torse masculin classique sur la gauche suggère un autre idéal de la forme masculine. Dans la partie inférieure de la gravure, une tête portant des lunettes est identifiable comme étant celle de Hockney. Dans sa première gravure, intitulée Myself and My Heroes, réalisée en 1961 au Royal College, Hockney a écrit l’inscription suivante à côté de son autoportrait : « J’ai 23 ans et je porte des lunettes ». Hockney a dépeint l’image maladroite de lui-même dans le contexte des représentations conventionnelles de la sexualité masculine, tant classiques que modernes. Il a établi un lien entre son autoportrait hautement sexualisé et son autoportrait artistique. (texte de la Tate)

Mur à droite : Peintures

David Hockney - Un mariage de styles - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Un mariage de styles – Collection de la Tate au Musée Granet

Il s’agit de l’une des quatre Demonstrations of Versatility que Hockney a exposées lors de l’exposition Young Contemporaries en février 1962. Les autres étaient A Grand Procession of Dignitaries in the Semi-Egyptian Style, 1961 (collection privée), Swiss Landscape in a Scenic Style, 1961 (retitré Flight into Italy – Swiss Landscape, Kunstmuseum, D-4sseldorf) et Figure in a Flat Style, 1961 (collection privée). Lors d’une conversation avec l’artiste américain Larry Rivers, Hockney a déclaré à propos de ces œuvres : « J’ai délibérément entrepris de prouver que je pouvais faire quatre types de tableaux entièrement différents comme Picasso. Ils avaient tous un sous-titre et chacun était d’un style différent, égyptien, illusionniste, plat – mais en les regardant plus tard, j’ai réalisé que l’attitude était fondamentalement la même et que l’on finissait par s’y reconnaître un peu ».

David Hockney - Tea Painting in an Illusionistic Style, 1961

David HockneyTea Painting in an Illusionistic Style [Peinture de thé dans un style illusionniste], 1961. Huile sur toile. Tate: acquis avec l’aide de l’Art Fund, 1996. © David Hockney, Photo: Tate

Également connue sous le nom de The Third Tea Painting, cette œuvre est la dernière d’une série de trois peintures réalisées à partir de sachets de thé Typhoo, alors que Hockney était encore étudiant au Royal College of Art. Ces peintures marquent un retour à la figuration après les premières tentatives d’abstraction de Hockney. Dans son atelier du Collège, il était entouré de paquets de thé :
J’avais l’habitude de me rendre au Royal College of Art très tôt le matin … avant que Lyons n’ouvre ses portes à South Kensington, et j’avais l’habitude de préparer mon propre thé à l’intérieur … c’était toujours du thé Typhoo, le préféré de ma mère … Les paquets de thé s’empilaient avec les pots et les tubes de peinture… et j’ai pensé, d’une certaine manière, que c’était comme des natures mortes pour moi… Il y avait un paquet de thé Typhoo, une marque de thé populaire très ordinaire, et je l’ai utilisé comme motif. Je n’ai jamais été aussi proche du pop art.
Le tableau utilise une toile façonnée, la première œuvre d’un étudiant du Royal College dans laquelle le châssis s’écarte du rectangle traditionnel. Hockney fabrique lui-même le châssis. Son intention était que, si la toile vierge était déjà illusionniste, il « pouvait ignorer le concept d’espace illusionniste et peindre joyeusement dans un style plat – les gens parlaient toujours de la planéité en peinture à cette époque » . Il a rapidement abandonné ce procédé, bien qu’il ait été repris par d’autres artistes, notamment Allen Jones dans ses tableaux Bus de 1962. (texte de la Tate)

David Hockney - The Third Love Painting [Troisième peinture d'amour], 1960

David HockneyThe Third Love Painting [Troisième peinture d’amour], 1960. Huile sur panneau de fibres. Tate : acquis avec l’aide de l’Art Fund, des Amis de la Tate Gallery, de l’American Fund for the Tate Gallery et d’un groupe de donateurs, 1991

Cette œuvre est la troisième des trois « love paintings » de Hockney, une série qui explore les relations amoureuses entre individus, réelles ou imaginaires. Dans The Third Love Painting, une forme phallique rose dominante est entourée de phrases griffonnées sur les murs des toilettes de la station de métro Earl’s Court, telles que « ring me anytime at home » et « come on david admit it ». L’ajout des derniers vers du poème de Whitman de 1860 « When I Heard at the Close of the Day » offre un contraste entre l’amour digne et sublimé et les accouplements illicites. Le poème se termine ainsi : Car celui que j’aime le plus dormait près de moi sous la même couverture dans la nuit fraîche, | Dans le silence des rayons de lune d’automne, son visage était incliné vers moi, | Et son bras entourait légèrement ma poitrine – et cette nuit-là j’étais heureux.

D’un point de vue stylistique, ces peintures témoignent de l’intérêt que Hockney porte à l’époque à l’œuvre de Dubuffet, et combinent des passages abstraits et une peinture épaisse avec des images figuratives et des inscriptions ressemblant à des graffitis. Hockney souhaitait que l’écriture oblige les gens à s’approcher pour examiner la toile et la lire, comme un graffiti sur un mur. (texte de la Tate)

David Hockney - The Berliner and the Bavarian [Le Berlinois et le Bavarois], 1962

David HockneyThe Berliner and the Bavarian [Le Berlinois et le Bavarois], 1962. Huile sur toile. Tate: accepté par le gouvernement britannique en guise d’impôt sur la succession de Frith Banbury, et attribué à la Tate Gallery, 2009

David Hockney - The First Marriage (A Marriage of Styles I) [Le Premier Mariage (Un mariage des styles 1)], 1962
David Hockney – The First Marriage (A Marriage of Styles I) [Le Premier Mariage (Un mariage des styles 1)], 1962

David HockneyThe First Marriage (A Marriage of Styles I) [Le Premier Mariage (Un mariage des styles 1)], 1962. Huile sur toile. Tate : don des Amis de la Tate Gallery, 1963

Hockney est diplômé du Royal College of Art de Londres à l’été 1962. The First Marriage a été peint en septembre après un voyage en Allemagne effectué avec un ami américain. Lors d’une visite du musée Pergamon à Berlin (Est), Hockney a vu son ami se tenir de profil au bout d’un couloir, à côté d’une ancienne figure égyptienne en bois assise. Il explique : « De loin, ils ressemblaient à un couple, posant comme pour une photo de mariage ». Il s’intéressait à l’idée d’un « mariage » entre ces deux personnes, ancienne et moderne, réelle et irréelle, et à l’idée connexe d’un « mariage de styles ». (texte de la Tate)

Los Angeles

En 1964, Hockney quitte Londres pour Los Angeles, une ville où images et rêves deviennent réalité. L’artiste anglais trouve la ville « sexy », avant même son arrivée : son climat est en effet favorable à une culture athlétique, à l’instar de ces beaux jeunes hommes illustrant les magazines érotiques qu’il importe de Californie en Angleterre. Il tombe bien vite amoureux de la lumière étincelante, des grands espaces libres, et commence à peindre la Cité des Anges. Les questions en lien avec la représentation le passionnent. Comment un peintre peut-il restituer la transparence du verre ou les caractéristiques de l’eau en mouvement ?

David Hockney - Lithographic Water Made of Lines, Crayon and Two Blue Washes Without Green Wash, 1978-1980
David HockneyLithographic Water Made of Lines, Crayon and Two Blue Washes Without Green Wash, [Eau lithographique composée de lignes, de crayon et de deux lavis bleus sans lavis vert], 1978-80. Lithographie sur papier, 75 x 86,7 cm, Tate: presented by Tyler Graphics Ltd in honour of Pat Gilmour, Tate Print Department 1974-7, 2004 , © David Hockney / Tyler Graphics Ltd. Photo Credit : Richard Schmidt

Dans Man in Shower in Beverly Hills [Homme sous la douche à Beverly Hills], 1964, Hockney réalise la synthèse complexe entre réalité, appropriation et fiction. Comme le remarque l’artiste : « Les Américains prennent tout le temps des douches… Pour un artiste, l’intérêt est évident : une personne sous la douche se donne à voir en mouvement, généralement de façon gracieuse, car elle caresse son corps. L’homme ou la femme au bain est également un sujet récurrent de l’histoire de l’art de ces trois derniers siècles. »

David Hockney - Man in Shower in Beverley Hills, 1964
David HockneyMan in Shower in Beverley Hills [Homme prenant une douche à Beverley Hills], 1964. Acrylique sur toile, 167,3 x 167 cm, Tate: purchased 1980, © David Hockney, Photo: Tate

Hockney se passionne pour la représentation picturale de l’eau, de la lumière et de la transparence. La piscine va devenir son sujet de prédilection. Avec sa juxtaposition de motifs étincelants et de plans dissociés, Rubber Ring Floating in a Swimming Pool [Bouée gonflable flottant dans une piscine], 1971, constitue une satire de l’art abstrait, alors très en vogue.

Vers le naturalisme

À la fin des années 1960 et dans les années 1970, Hockney crée des images empreintes d’une plus grande sensibilité envers les personnes et les lieux tels qu’il les voit. Pour observer le monde qui l’entoure, il réalise des croquis et dessins. Il achète ensuite un appareil photo Pentax 35 mm pour réaliser des peintures offrant des représentations de plus en plus réalistes de la lumière, de l’ombre et des figures, ainsi qu’une plus grande illusion d’espace et de profondeur. Attiré par les implications psychologiques et émotionnelles qu’offrent deux figures humaines réunies dans un cadre fermé, ses doubles portraits d’amis et de connaissances, soigneusement mis en scène, associent des poses nonchalantes à la grandeur et à l’aspect formel de l’art du portrait conventionnel. Peints à l’échelle, ces tableaux évoquent la présence de leurs modèles et nous invitent à pénétrer dans leur sphère privée.

David Hockney, Mr and Mrs Clark and Percy, 1970 . acrylique sur toile, 213,4 x 304,8 cm, Tate, don des Amis de la Tate Gallery 1971, © David Hockney, Photo : Tate
David Hockney, Mr and Mrs Clark and Percy, 1970 . acrylique sur toile, 213,4 x 304,8 cm, Tate, don des Amis de la Tate Gallery 1971, © David Hockney, Photo : Tate

À la fin des années 1970, Hockney remet en question ces conceptions de la réalité qui, selon lui, aliènent et déconnectent le public de ses tableaux. De plus en plus convaincu que la peinture doit rester au plus proche de l’expérience du regard vivant, il consacre ses nouvelles recherches picturales au corps humain et à son intégration dans l’espace.

David Hockney, My Parents, 1977
David HockneyMy Parents, [Mes parents], 1977. Huile sur toile, 182,9 x 182,9 cm, Tate: Purchased 1981, © David Hockney, Photo: Tate

La carrière d’un libertin

En 1961, Hockney commence à produire des gravures et se forge rapidement une réputation de dessinateur accompli. Cet ensemble d’œuvres graphiques expérimentales représente pour lui une étape importante du début de sa carrière : il utilise alors l’immédiateté de ce médium dans tous les aspects de sa vie, pour les exprimer, y réfléchir et les documenter.

Les expériences de son premier voyage aux États-Unis forment la base d’une célèbre série de gravures : A Rake’s Progress [La Carrière d’un libertin], 1961–1963. En s’inspirant de la série de gravures satiriques réalisée par William Hogarth au XVIIIe siècle, Hockney raconte sous forme de confessions l’histoire d’un jeune homme gay, son arrivée à New York et ses expériences.

David Hockney A Rake’s Progress - The Arrival, 1961-1963
David Hockney – A Rake’s Progress – The Arrival, 1961-1963

Dans cette version moderne du Grand Tour, voyage initiatique durant lequel des jeunes hommes des classes privilégiées arpentaient l’Europe pour parfaire leur éducation, la première estampe – The Arrival [L’Arrivée] – représente un personnage semi-autobiographique se dirigeant à grandes enjambées en direction du célèbre Chrysler Building. Les autres gravures reflètent les impressions du jeune homme sur cette grande ville, entre tournées des bars, concerts de gospel et campagnes électorales. Une autre gravure fait référence à un slogan publicitaire que Hockney avait découvert à la télévision pour les colorations Clairol : Blondes have more fun [Les Blondes s’amusent plus]. Il se réinvente alors en se teignant les cheveux de ce blond caractéristique, et veut faire évoluer son travail.

David Hockney A Rake’s Progress - The Start of the Spending Spree and the Door Opening for a Blonde, 1961-1963
David Hockney – A Rake’s Progress – The Start of the Spending Spree and the Door Opening for a Blonde, 1961-1963

Cavafy et ses amis

Hockney abandonne bien vite ses premières recherches visant à placer la figure au centre de son art pour produire des portraits très naturalistes, célébrant et humanisant leur sujet. Revenant à la gravure en 1966, il crée une série d’oeuvres inspirées du poète gréco-égyptien Constantin Cavafy. Hockney adopte un style dépouillé et des lignes précises pour illustrer ses poèmes, reflétant très bien l’écriture de Cavafy, sa clarté et simplicité, tout en conférant à ces scènes d’amour homosexuel un côté solennel et romantique. Ces gravures sont publiées en 1967, alors que le Parlement vient de voter le Sexual Offences Act, une loi légalisant enfin les relations homosexuelles en Angleterre et au Pays de Galles.

David Hockney - Connoisseur, 1969
David HockneyConnoisseur [L’Amateur], 1969. Lithographie sur papier, 80,6 x 57,5 cm, Tate: presented by Curwen Studio through the Institute of Contemporary Prints 1975, © David Hockney, Photo Credit: Richard Schmidt

Dans les portraits soigneusement observés de ses amis et de sa famille, Hockney insuffle une gamme d’émotions complexes. Ici, l’artiste développe une nouvelle façon de travailler qui lui permet de saisir l’essence d’un corps, avec une économie de moyens absolue : quelques lignes expriment le caractère du modèle ; un ou deux éléments rappellent l’essence d’un lieu ou d’un événement. Comme l’explique l’artiste, : « Si vous dessinez quelqu’un que vous ne connaissez pas, vous avez des difficultés à aborder la question de la ressemblance. Vous pensez peut-être que le portrait devrait être une représentation fidèle de cette personne mais vous ne savez pas vraiment à quoi elle ressemble. Tandis qu’avec des amis, vous apprenez lentement à les connaître, à voir leurs différents visages. Quand je dessine des personnes que je connais bien, la ressemblance m’importe peu. D’une manière ou d’une autre, la ressemblance est toujours là. »

Point focal changeant

Tout au long des années 1980, Hockney reste incroyablement prolifique, même si son œuvre change radicalement de style et de supports. Après avoir découvert la peinture chinoise sur rouleau, il produit des gravures cherchant à explorer les diverses réalités de l’espace en trois dimensions. Il désigne ses idées comme des interprétations selon « un point focal changeant » de la perspective, de la mémoire et de l’espace.

David Hockney - The Perspective Lesson, 1984
David HockneyThe Perspective Lesson, [La leçon de perspective], 1984. Lithographie sur papier, 76 x 56,3 cm, Tate: presented by the artist 1993, © David Hockney / Tyler Graphics Ltd., Photo Credit: National Gallery of Australia, Canberra

Ce corpus d’œuvres comprend des portraits de quelques-uns de ses modèles les plus emblématiques, ainsi que des natures mortes aux couleurs intenses, qui suggèrent un nouveau type d’espace.

David Hockney, Amaryllis in Vase, 1984
David HockneyAmaryllis in Vase, [Amaryllis dans un vase], 1984. Lithographie sur papier, 115,5 x 83 cm, Tate: presented by the artist 1993, © David Hockney / Tyler Graphics Ltd., Photo Credit: Richard Schmidt

Ces œuvres témoignent d’un travail de perception du réel chez Hockney qui est toujours en mouvement, dans une recherche constante des différentes possibilités de représenter l’espace. Ce principe de point focal changeant reflète la diversité de l’œuvre de Hockney, mais aussi sa fascination pour les expériences techniques et visuelles et la façon dont celles-ci témoignent d’une créativité sans limites.

Du point de vue spatial à la temporalité

Par l’usage de la perspective inversée et la représentation simultanée de plusieurs points de vue, les intérieurs complexes de sa série Moving Focus donnent au spectateur l’impression de circuler à travers et autour de l’œuvre. Ces tableaux en deux dimensions reproduisent l’expérience humaine d’un spectateur regardant un environnement en trois dimensions, de façon plus authentique que ne le permet la lentille de l’appareil photographique avec sa perspective unique.

Les plus grandes œuvres de cette série et les plus impressionnantes sont les six vues de l’hôtel Acatlán au Mexique.

David Hockney, Hotel Acatlan Second Day, 1984–85
David Hockney – Hotel Acatlan Second Day, 1984–85

Hockney est fasciné par la cour intérieure baignée de soleil qui lui rappelle un décor de scène. Il adopte une nouvelle technique lui permettant de représenter à la fois des espaces intérieurs et extérieurs, donnant l’illusion d’une perspective peinte sur le motif, comme en plein air, loin des carcans de son atelier de gravure. Pour ses croquis de l’hôtel Acatlán au Mexique, l’artiste se déplace tout autour de la cour intérieure, en s’asseyant parfois sous une arcade, parfois près de la fontaine, puis synthétise ces points de vue en une seule image. En plus d’un changement de point de vue spatial, un autre changement est à l’œuvre, temporel celui-là : Hockney peint cet hôtel au Mexique le lendemain et le surlendemain de son arrivée, puis deux semaines plus tard.

David Hockney - Caribbean Tea Time, 1987
David HockneyCaribbean Tea Time, [L’heure du thé aux caraïbes], 1987. Lithographie, sérigraphie, papier imprimé et pochoir sur papier sur 4 panneaux, 215,2 x 85,1 cm (chaque panneau), Tate: presented by the artist 1993, © David Hockney / Tyler Graphics Ltd.

À la même époque, il termine un autre projet : le grand écran à quatre panneaux intitulé Caribbean Tea Time [Un thé aux Caraïbes] inspiré des carnets de voyage, des paravents d’Extrême-Orient et des gouaches découpées de Henri Matisse.

Expériences spatiales

Partant de la conclusion que l’appareil photographique banalise le monde et décourage l’observation active, Hockney continue de chercher des façons de représenter les choses autrement qu’avec une lentille. Après s’être livré à des expériences avec les premiers programmes graphiques informatiques, les photocopieurs et les fax pour créer et diffuser son œuvre, il se tourne désormais vers l’appareil digital pour documenter la vie de l’atelier. Au début des années 1990, il entame dans sa maison de plage à Malibu une série de peintures explorant l’espace profond de la mer ainsi que de petits portraits à l’huile d’amis et de parents, au format photocopie.

David Hockney - Tres (End of Triple), 1990
David HockneyTres (End of Triple) [Trois (dernier du triple)], 1990. Lithographie sur papier, 113,5 x 80,7, Tate: presented by the artist 1993, © David Hockney / Tyler Graphics Ltd.

Les projets réalisés pendant cette période pour l’opéra, caractérisés par des décors audacieux, aux couleurs et à la lumière brillantes, ainsi que par des formes et des plans abstraits, engendrent un nouveau désir d’impliquer le spectateur de manière plus directe dans ses compositions. L’idée est explorée dans les séries Some New Prints et Some More New Prints [Quelques nouvelles gravures et quelques autres nouvelles gravures]. Bien qu’ayant rejeté l’abstraction dans les années 1950 et 1960, Hockney en revient ici à des motifs et à des contours abstraits pour créer une impression de superposition et de profondeur, où les formes sont suggérées plutôt que figurées. La liberté et la variété des gestes artistiques visibles dans les peintures de cette période – descriptives et décoratives, dénotant l’espace, le matériel et l’expérience – reflètent les strates de mémoire et le processus d’invention qui s’y opère.

Dans l’atelier

Trente ans après avoir réalisé ses doubles portraits emblématiques, Hockney revisite de façon inédite le sujet des personnages, isolés ou en groupe, en intérieur. In the Studio, December 2017 [Dans l’atelier, décembre 2017] est un autoportrait de l’artiste dans son atelier, entouré d’œuvres anciennes et récentes, et composé de 3 000 photographies numériques assemblées en un dessin photographique.

David Hockney, In the Studio, December 2017 - dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 feuilles de Dibond, 278 x 760 cm, assisté de Jonathan Wilkinson. Tate: don de l'artiste 2018. © David Hockney.
David Hockney – In the Studio, December 2017 – dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 feuilles de Dibond, 278 x 760 cm, assisté de Jonathan Wilkinson. Tate: don de l’artiste 2018. © David Hockney.

En se jouant du point de fuite unique de la perspective traditionnelle, le tableau donne l’impression d’un point focal qui se déplace en trois dimensions, confortant la conviction de Hockney que, si un spectateur ou un artiste est mobile, l’image qui en résulte doit elle aussi refléter plusieurs points de vue. Comme le décrit l’artiste, « l’œil est toujours en mouvement ; s’il ne bouge pas, c’est que vous êtes mort. Quand mon œil bouge, la perspective varie selon la façon dont je regarde, si bien qu’elle est en constante évolution ; dans la vie réelle, quand vous êtes cinq personnes à regarder, il y a un millier de perspectives. »

L’utilisation par Hockney de l’atelier comme thème nous relie directement à d’importants précédents de l’histoire de l’art, comme l’Atelier Rouge d’Henri Matisse (1911) et L’Atelier du peintre – Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale), de Gustave Courbet (1855). L’atelier est plus spécifiquement le lieu où le questionnement constant et le travail d’observation de Hockney génèrent des images – figurations et représentations – susceptibles d’égaler la façon dont nous percevons le monde.

Paysage

La peinture de paysage devient, à partir des années 2000, le principal centre d’intérêt de Hockney, qui passe de plus en plus de temps loin de Los Angeles, dans la petite ville de Bridlington, au bord de la mer du Nord (Yorkshire de l’Est). Après avoir réalisé sur plusieurs toiles une série d’observations de plus en plus complexes et colorées de forêts, d’arbres abattus et de panoramas, Hockney se met à utiliser la photographie numérique pour peindre davantage de mémoire. En 2010, il commence à utiliser un iPad.

David Hockney - Paysage - Collection de la Tate au Musée Granet
David Hockney – Paysage – Collection de la Tate au Musée Granet

L’année suivante, il réalise une série de dessins numériques chroniquant l’arrivée du printemps. Peu de temps après, il étend le format quadrillé de ses tableaux composites à la vidéo, afin de faire « des images plus grandes ». En réalisant qu’il peut désormais dessiner un paysage à la fois dans l’espace et le temps, Hockney parle de ses images immersives en mouvement sur plusieurs écrans comme des premiers films cubistes.

Les maîtres du sud

De l’espace perspectif de Fra Angelico au style cubiste de Picasso, de la ligne néoclassique ingresque, au dessin linéaire de Van Gogh et Matisse, l’admiration de Hockney pour les maîtres anciens aussi bien que modernes irrigue son œuvre.

Pablo Picasso, depuis la visite de la grande rétrospective qui lui est consacrée en 1960 par la Tate Gallery, l’influence durablement dans la multiplicité des techniques d’expression artistique – peinture, collages, gravure et lithographie, décor et costumes d’opéra même. Sa leçon est essentielle, « analytique », dans une réinterprétation cubiste de la perspective, de l’espace et de la mémoire. Le coloris s’impose dans sa peinture comme dans la lithographie, où les hachures colorées construisent énergiquement la surface à la manière cézannienne. Il peint la Chaise de Van Gogh comme une personne, dans sa puissance monumentale et temporelle. Cet hommage fait écho à celui fait à Cézanne dans le Portrait de John Sharp, mobilisant les mêmes cadrage, pose et économie du trait que dans le Portrait de Madame Cézanne.

David Hockney - Vincent’s Chair and Pipe, 1988
David Hockney – Vincent’s Chair and Pipe [La chaise et la pipe de Vincent], 1988. Acrylique sur toile, 90 x 90 cm, oeuvre de la collection de la Fondation van Gogh Arles, dite Yolande Clergue, © Lionel Roux © Fondation Vincent van Gogh Arles, Courtesy: David Hockney Tate

Dans les années 1970, ce sont de nouveau les expositions du maître espagnol, à Avignon en 1973 puis au MOMA en 1980, visitée huit fois, qui lui laissent entrevoir la possibilité de l’appareil photographique comme un « outil de dessin ». Les photographies deviennent préparatoires – comme celles prises au Nid de Duc – et donnent à la peinture leur dimension narrative dans des ensembles complexes de photomontages.

David Hockney - A Bigger Card Players, 2015
David Hockney – A Bigger Card Players [Les joueurs de carte en plus grand format], 2015. Dessin photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium, exemplaire 11/12, 177 x 177 cm, Galerie Lelong & co, Paris, © David Hockney

A bigger card players [Les Joueurs de cartes] convoque à la fois l’iconographie cézannienne et les points de vue simultanés du cubisme picassien, dans l’évocation du temps et de la mise en abîme de sa propre peinture avec Pearblossom Highway (1986) et une version peinte de ses Joueurs de cartes.

David Hockney - Pearblossom Highway, 1986
David Hockney – Pearblossom Highway, 1986

« David Hockney, collection de la Tate » : Présentation

La Tate est associée à David Hockney depuis plus de 50 ans et nous sommes ravis que ce fonds exceptionnel soit partagé avec le public en France, où l’artiste a choisi de vivre et de travailler depuis 2019.

David Hockney : Collection de la Tate est la première collaboration entre la Tate et le musée Granet. Elle permet de présenter 103 œuvres parmi les plus célèbres de l’artiste, dans un endroit du monde qui a inspiré Hockney à plusieurs reprises, et où il est revenu plusieurs fois tout au long de sa vie.

La Tate a la chance de posséder quelques-uns des tableaux les plus emblématiques de Hockney, notamment Man in Shower in Beverly Hills (1964), Mr and Mrs Clark and Percy (1971-72) et My parents (1977). Régulièrement exposés dans les galeries de la Tate, admirés par des millions de visiteurs et considérés parmi les œuvres picturales les plus appréciées du Royaume-Uni et du monde, leur popularité reflète l’ambition de Hockney : peindre des tableaux mémorables, pour que son art touche le public au sens large, au-delà des cercles plus restreints des milieux de l’art. Pour preuve, la rétrospective organisée en 2017 à la Tate Britain, rassemblant pour la première fois six décennies de l’œuvre de Hockney, a été l’exposition la plus visitée jamais organisée dans la galerie de Millbank.

Les liens entre David Hockney et la Tate remontent aux années où l’artiste était étudiant au Royal College of Art, et se sont renforcés au fil du temps grâce à ses nombreuses visites dans les galeries de la Tate. En retour, Hockney a fait plusieurs dons généreux aux collections de la Tate, notamment 39 œuvres graphiques de 1983 à 1991, ainsi que sa série de gravures Moving Focus. En 2008, Hockney a donné sa plus grande toile jamais réalisée, Bigger Trees Near Water Or/Ou Peinture Sur Le Motif Pour Le Nouvel Age Post-Photographique (2007). Depuis cette date, et comme pour mettre à jour son oeuvre, la Tate a reçu en cadeau In The Studio, December 2017 (2017), un montage photographique panoramique qui représente l’artiste dans son studio de Hollywood Hills.

Neil McConnon, directeur des partenariats internationaux de la Tate, a déclaré : « Je suis ravi de l’attention et de l’enthousiasme portés à la réalisation de cet ambitieux projet à Aix-en-Provence, qui présentera au public une partie de la collection de la Tate, exposée pour la première fois en France. Nous remercions sincèrement tout le personnel du musée Granet qui a permis cet échange très important. »

Maria Balshaw, Director of the Tate art museums and galleries

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