Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles


Avec : Gilles Aillaud, Ed Atkins, Valentin Carron, Vincent van Gogh, Gyárfás Oláh, Shara Hughes, Jochen Lempert, Otobong Nkanga, Robert Rauschenberg, Pamela Rosenkranz, Daniel Steegmann Mangrané, Gisèle Vienne, Yuyan Wang et Luigi Zuccheri.


Jusqu’au 10 avril 2023, la Fondation Vincent van Gogh Arles présente « Nature humaine – Humaine nature », une exposition thématique qui rassemble quatorze artistes qui pour les commissaires « semblent partager le même désir de souligner les urgences qui nous attendent et de repenser nos comportements »…

Par sa construction, le regard posé sur les œuvres sélectionnées et la manière très particulière d’interpeller sans agression les visiteur·euse·s, ce projet rappelle nombre des caractères et des richesses qui marquaient « La Vie simple – Simplement la vie/Songs of Alienation » à l’hiver 2017/2018.

Luigi Zuccheri - Shara Hughes et Valentin Carron - Nature humaine - Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles
Luigi Zuccheri – Shara Hughes et Valentin Carron – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Dans une scénographie très sobre, on retrouve un accrochage élégant, plein d’esprit, tout en finesse et précision qui caractérise les expositions à la Fondation Vincent van Gogh Arles.

Une nouvelle fois, le commissariat très inspiré et complice est assuré par Bice Curiger, Julia Marchand et Margaux Bonopera.

Sans jamais forcer le trait ou imposer un discours, le parcours « propose d’explorer la complexité des interactions entre l’humain et la nature ». Comme dans « La Vie simple – Simplement la vie », les univers singuliers de chaque artiste s’enchaînent dans une succession de points de vue qui captivent l’attention avec l’ambition pour les commissaires de proposer « autant de miroirs faisant remonter du plus profond de l’histoire de l’humanité des aspects oubliés de notre manière d’être au monde ou des questionnements existentiels trop souvent mis de côté »…

Gilles Aillaud -Eaux, 1977-1978 et La Fosse, 1967 - Nature humaine - Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles
Gilles Aillaud – Eaux, 1977-1978 et La Fosse, 1967 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Parmi les séquences les plus réussies, on a particulièrement apprécié celles consacrées à Gilles Aillaud avec ses quatre énigmatiques scènes de zoo, la troublante marionnette de Gisèle Vienne (I apologize Nico, 2003), étendue au pied des paysages oppressants de Luigi Zuccheri et les vues psychédéliques de Shara Hughes.

Gisèle VienneI Apologize – Nico, 2003 et Luigi ZuccheriNature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Les sculptures Valentin Carron conduisent vers un stupéfiant court métrage d’Ed Atkins (Voilà la vérité, 2022) assez éloigné de ses œuvres les plus connues.

Ed Atkins - Voilà la vérité, 2022 - Nature humaine - Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles
Ed Atkins – Voilà la vérité, 2022 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Le bureau de l’ancien directeur de la Banque de France abrite un face-à-face inattendu entre Van Gogh (Arbres, Paris, juillet 1887) et Robert Rauschenberg avec Sans titre (1987), un don de l’artiste américain à la collection dite « Collection Yolande Clergue » qui précéda l’actuelle fondation.

Vincent van GoghArbres, Paris, juillet 1887 et Robert RauschenbergSans titre, 1987 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Le parcours est alors régulièrement ponctué par trois bouteilles en plastique de la série Firm Being (2011-2020) de Pamela Rosenkranz, remplies de liquides dont les couleurs rappellent celles de la peau humaine…

Pamela Rosenkranz – série Firm Being, (2011-2020) – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Après un ensemble de photogrammes accrochés par Jochen Lempert en réponse au tableau Arbres de Vincent van Gogh, deux dessins à l’encre (Sans titre, 2022) d’Ed Atkins font naturellement écho aux souliers usés de plusieurs toiles de Van Gogh.

Ed AtkinsSans titre, 2022 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

À quelques pas, un espace de projection a été aménagé pour le film One Thousand and One Attempts to Be an Ocean (Mille et Une Tentatives de devenir un océan [2021] de Yuyan Wang qui impose absolument qu’on lui accorde les 11 minutes et 30 secondes d’attention nécessaire !

À l’étage, les trois salles des anciens appartements du directeur sont consacrées à un ensemble magistral de sculptures fantomatiques de Gyárfás Oláh faites à partir de textiles anciens. Le cartel les qualifie à la fois de créatures psychopompes et d’animaux de compagnie qui « ouvrent un espace de transition entre différents mondes, sociétés et époques ».

Gyárfás OláhNature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Otobong NkangaThe Weight of Scars, 2015 et Arched Gorges, 2021 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Après une salle consacrée à deux œuvres de Otobong Nkanga, le parcours se termine avec Alien Blue Window (500 S Buena Vista St, Lat), une impressionnante installation de Pamela Rosenkranz de 2012.

Pamela Rosenkranz - Alien Blue Window (500 S Buena Vista St, Lat), 2021 - Nature humaine - Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles
Pamela Rosenkranz – Alien Blue Window (500 S Buena Vista St, Lat), 2021 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

La dernière salle présente une magnifique et fragile branche de hêtre (Geometric Nature/Biology, 2022) de Daniel Steegmann Mangrané où l’on peut deviner les formes d’un phasme qui selon le cartel hante toute la pratique de l’artiste. Chacun pourra ou non, comme Mangrané, se « rapprocher de systèmes de croyances qui considèrent que la condition commune originelle des humains et des animaux est l’humanité, et non l’animalité »…

Daniel Steegmann MangranéGeometric Nature/Biology, 2022 – Nature humaine – Humaine nature à la Fondation Van Gogh Arles

Un catalogue devrait être disponible dans les prochaines semaines.

Visite incontournable. Sans doute, une des expositions thématiques les plus brillantes à voir cet hiver dans le Midi.

À lire, ci-dessous, le texte d’intention et quelques éléments à propos des artistes et des collections, extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Vincent van Gogh Arles
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« Nature humaine – Humaine nature » – Texte d’intention

Alors que se multiplient les signaux invitant à repenser l’opposition entre nature et culture et que l’influence néfaste de l’être humain sur la planète devient toujours plus évidente, l’exposition « Nature humaine – Humaine nature » propose d’explorer la complexité des interactions entre l’humain et la nature.

Artiste éveillé et avant-gardiste à une époque d’intense industrialisation, Vincent van Gogh a souvent évoqué dans son travail la nature et la possibilité d’une union avec elle. Sa vision panthéiste peut dès lors devenir un filtre à travers lequel considérer les oeuvres contemporaines, afin d’appréhender les multiples contrastes ou affinités que les artistes d’aujourd’hui entretiennent vis-à-vis de l’héritage de Van Gogh.

Si les quatorze artistes présenté·es dans « Nature humaine – Humaine nature » semblent partager le même désir de souligner les urgences qui nous attendent et de repenser nos comportements, ils et elles choisissent de mobiliser des univers différents – celui du rêve, celui de la poésie ou encore les relations archétypales entre l’être humain et le monde végétal et animal. Leurs oeuvres, des sculptures, des dessins ou bien des vidéos saisissant des éléments apparemment bucoliques ou évoquant une funeste domination de l’humain sur le reste du vivant, deviennent autant de miroirs faisant remonter du plus profond de l’histoire de l’humanité des aspects oubliés de notre manière d’être au monde ou des questionnements existentiels trop souvent mis de côté.

L’intrusion de l’artificiel et du numérique dans nos domaines vitaux, dans notre quotidien et dans nos corps, est également mise en lumière à travers certaines oeuvres de l’exposition afin de mieux éprouver ce que sont devenus, pour nous, l’élémentaire et l’essentiel.

À propos des artistes de « Nature humaine – Humaine nature »

Gilles Aillaud

Peintre, scénographe, écrivain et décorateur, Gilles Aillaud étudie la philosophie avant de se consacrer pleinement à la peinture. Dès les années 1960, il devient un acteur majeur de la « figuration narrative », tendance née en 1965 à la galerie Creuze à Paris sous l’impulsion du critique d’art Gérald Gassiot-Talabot. L’œuvre picturale d’Aillaud a longtemps été imprégnée de messages politiques proches du communisme, avant de se focaliser sur des peintures animalières et des paysages au milieu des années 1960.

Les quatre peintures présentées ici, réalisées entre 1967 et 1980, montrent des scènes de zoo aux cadrages complexes et aux textures réalistes. Leurs différents points de fuite viennent créer un déséquilibre momentané qui nous pousse à nous interroger : quelle liberté nous accordons-nous lorsque nous choisissons d’enfermer des animaux ?

Ces toiles, dans lesquelles l’environnement artificiel de la cage ou de la fosse prend plus de place que l’animal lui-même, frôlent l’abstraction et donnent lieu à une peinture aussi métaphysique que philosophique. Si aucun barreau de cage n’y est représenté, l’enfermement est bien palpable. Cela nous conduit à questionner la relation que nous entretenons avec le monde animal et la distance à laquelle nous nous plaçons vis-à-vis de celui-ci.

Ed Atkins

Ed Atkins est notamment connu pour son travail vidéo faisant appel aux technologies de l’image animée, telles que la 3D ou l’image de synthèse. Grâce à des scénarios précis et un travail sonore exigeant, il réalise des oeuvres qui interrogent des notions telles que la mort, le corps, le spectre et la disparition.

Voilà la vérité (2022) reprend une séquence du film muet Ménilmontant, réalisé en 1926 par Dimitri Kirsanoff, dans lequel joue notamment l’actrice Nadia Sibirskaïa. Pour la réalisation de cette nouvelle œuvre, Atkins a imaginé la bande sonore de la scène à l’aide de sons d’ambiance réalistes (chants d’oiseaux, bruits de pas ou de papier froissé) et de sanglots et soupirs interprétés par un doubleur et une doubleuse. Le film a également été numérisé, nettoyé, colorisé et lissé grâce au recours à l’intelligence artificielle.

Le passage du film original que choisit de réinvestir Atkins donne à voir un vieil homme offrant silencieusement une partie de son repas à une jeune femme démunie, assise sur un banc, un nouveau-né dans les bras. La scène, d’une grande simplicité, attire l’attention sur le besoin vital que nous avons de manger, ainsi que sur la fragilité et la vulnérabilité qui découlent de ce besoin.

La phrase qui donne son titre à l’oeuvre, « Voilà la vérité », est lisible dans le journal qui enveloppe la nourriture du vieil homme.

Les deux oeuvres d’Ed Atkins ici présentées font directement écho aux différentes peintures de Van Gogh représentant des souliers usés, dont le philosophe Martin Heidegger dira qu’elles sont l’image même du labeur et du travail de la terre par les êtres humains.

Dans ces peintures réalisées à l’aide d’aquarelle et de décolorant, Atkins représente une chaussure de ville ainsi que son propre pied nu. Ce diptyque, ici présenté en face-à-face, pose une énigme philosophique et poétique : comme pour les chaussures de Van Gogh, de nombreuses interrogations et interprétations sont possibles, autant quant aux techniques employées qu’en raison du réalisme et de la désarmante simplicité des motifs représentés.

Valentin Carron

Attaché à sa région natale du canton suisse du Valais, où il vit et travaille, Valentin Carron aime se confronter à une esthétique vernaculaire, voire élémentaire. Il investit différents langages de la sculpture où matériaux et jeux d’échelle mettent en doute nos certitudes ; ainsi, ce qui semble appartenir au domaine de l’enfance ou du souvenir est érigé au rang de monument.

Dans ces deux sculptures, qui font partie d’une série plus large, l’artiste se concentre sur la relation entre l’humain et l’animal domestiqué, composée selon lui de deux solitudes que tout oppose mais qui finissent par se rejoindre.

La fabrication des oeuvres de Carron repose souvent sur plusieurs étapes : ainsi, les figures de Kid and Dog (Enfant et Chien, 2021) ont d’abord été réalisées à partir d’un bloc de pâte à modeler, puis numérisées à l’aide d’un scanner 3D. Grâce à ces données, il a ensuite été possible de créer cette sculpture en aluminium coulé.

Dans son travail, Valentin Carron se réfère parfois à des objets issus de l’espace public ou de la vie quotidienne, dans lesquels il a identifié une certaine qualité esthétique ou bien un « défaut » ayant éveillé sa curiosité. Il combine à cela un intérêt marqué pour les formes et usages hérités des traditions vernaculaires et tribales. Le tout l’amène à créer des oeuvres au statut ambigu et aux références multiples, à mi-chemin entre le design et l’art.

The One One (Le Seul et Unique, 2021) se présente sous la forme d’une gigantesque tête en bois et feutre de laine, dans laquelle il est possible de s’asseoir. Pensée par l’artiste comme un refuge, cette oeuvre souligne le besoin que l’on peut parfois ressentir de se tenir à l’écart du monde, de se lover dans un tel espace. Elle investit et complète les états de solitude et de silence également conviés dans les deux autres oeuvres de Carron présentées dans l’exposition, Kid and Dog (Enfant et Chien, 2021) et Adult and Dog (Adulte et Chien, 2021) qui font appel au sentiment de compassion et au besoin de repli.

Gyárfás Oláh

Intéressé par les traditions vernaculaires, Gyárfás Oláh utilise des textiles anciens pour (re)créer des fantômes issus du passé ou de la mythologie. Ses oeuvres témoignent également de son expérience de couturier, comme l’illustre Sans titre (2015) qui évoque autant un vêtement usé par le temps qu’une ossature humaine.

Pour la double sculpture Szénaizmok Szalaghegyen (Muscles de foin dans une montagne de rubans, 2020), l’artiste a choisi d’offrir un aspect protéiforme, à la limite du reconnaissable, à ces bêtes mythologiques et bienveillantes. Elles sont ici composées de matériaux naturels tels que le foin, la paille, le chanvre ou le bois, qui leur confèrent une apparence tendre et domestique. Les monstres issus de notre imaginaire collectif deviennent alors, à travers l’oeuvre d’Oláh, à la fois des créatures psychopompes – accompagnant l’âme des morts – et des animaux de compagnie, dont la force sculpturale impressionne autant qu’elle semble pouvoir protéger. À la fois archaïques et hybrides, ces sculptures ouvrent un espace de transition entre différents mondes, sociétés et époques.

Shara Hughes

Shara Hughes réalise des peintures et des dessins qu’elle considère comme des paysages intérieurs imaginaires, au sein desquels elle place un certain nombre de signes et de symboles. Inspirée par la peinture occidentale, elle s’autorise des ruptures formelles et chromatiques qui donnent lieu à des oeuvres originales tant par leurs dimensions, au format proche du carré, que par leurs compositions mettant à mal les représentations classiques du paysage.

Sa touche libre et vive crée des territoires aux horizons imaginaires, des végétaux fantasmés et des environnements volontairement tenus à distance de toute forme de réalisme. L’artiste vient ainsi contrarier les qualités primitives des végétaux pour renouveler les sensations et les visions des spectateur·rices. Elle dote par exemple les éléments naturels de textures qui rappellent le plastique et de couleurs fluo qui font directement écho à notre iconographie contemporaine issue du numérique. À l’aide de différents outils et techniques, tels la peinture à l’huile, l’aérosol, le couteau, le monotype ou encore le dessin, Hughes crée des paysages hautement artificiels, à tendance psychédélique.

Jochen Lempert

Jochen Lempert démarre sa vie professionnelle en tant que biologiste, après avoir obtenu à Bonn son diplôme avec un projet de recherche portant sur les libellules au Liberia. À la fin des années 1980, il se tourne vers le cinéma expérimental au sein du collectif Schmelzdahin (littéralement « dissous-toi »), actif jusqu’en 1990. Il décide ensuite de se consacrer à la photographie. Dès le début, il utilise un objectif 50 mm et réalise lui-même ses tirages. Il varie les formats pour rendre compte de son observation du monde et alterne entre sujets animaliers, végétaux et humains. Les travaux photographiques de Lempert sont ainsi résolument tournés vers le vivant et la coexistence de différentes formes de vie. Son approche documentaire est consolante, tout en étant imprégnée d’une mélancolie et d’une fragilité perceptibles dans le mode d’accrochage qu’il choisit pour ses oeuvres.

En réponse au tableau de Vincent van Gogh, Arbres (1887), également présenté à la Fondation, Jochen Lempert a sélectionné ces quinze photographies. Celles-ci communiquent entre elles et forment un groupe d’images complices, groupe orchestré par l’artiste lui-même.

Otobong Nkanga

Otobong Nkanga est plasticienne et performeuse. S’intéressant aux questions de territoire, d’architecture et d’environnement, elle choisit de questionner l’utilisation de nos ressources naturelles. L’artiste interroge également notre histoire collective, mais aussi son écriture et sa narration, en tissant des réseaux et des liens entre différents éléments et motifs.

L’immense tapisserie The Weight of Scars (Le Poids des cicatrices, 2015) met en place une constellation de photographies de sols désertiques, de roches ou de falaises, sur fond de carte imaginaire. Deux figures semi-humaines, sortes de pantins désarticulés et incomplets, tiennent les cordes qui relient entre elles les photographies – médium important pour l’artiste, qui a perdu toute trace tangible de sa petite enfance dans un incendie. Avant de réaliser cette oeuvre, Nkanga a visité en Namibie une mine désaffectée, c’est-à-dire un lieu où les classes sociales les plus défavorisées effectuent un travail particulièrement dur et dangereux.

L’installation Arched Gorges (Gorges arquées, 2021), composée d’un tapis touffeté à la main, de cordes, d’éléments végétaux et d’une fiole en verre de Murano, peut quant à elle être perçue comme un refuge pour les corps abîmés, une invitation au repos. La forme du tapis évoque celle d’une pierre de béryl ; l’artiste, fascinée par les minéraux depuis l’enfance, en conserve parfois avec elle lors de ses déplacements.

Robert Rauschenberg

Au cours de ses études, l’artiste plasticien Robert Rauschenberg rencontre notamment le compositeur John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham, avec lesquels il réalisera plusieurs happenings. Le travail de Rauschenberg, traversé par de nombreuses influences – allant de Dada au surréalisme en passant par l’art aborigène –, commence à acquérir une certaine reconnaissance au milieu des années 1950. Il marqua, entre autres, les artistes du pop art américain – à travers notamment ses toiles intégrant des objets issus du quotidien – ainsi que les peintres français qui deviendront les nouveaux réalistes.

La collection de la Fondation Vincent van Gogh Arles – dite « Collection Yolande Clergue » du nom de la fondatrice de l’association, créée en 1983, à partir de laquelle sera créée l’actuelle fondation grâce à l’impulsion de Luc Hoffmann – est née de dons d’oeuvres en lien avec Van Gogh faits par de nombreux·ses artistes, dont Rauschenberg. Ce dernier accompagne Sans titre (1987) du texte suivant : « Vincent nous montre l’éclatement des couleurs dans chacun de ses tableaux, je le vénère depuis toujours ; je songeais aussi à sa tristesse, à sa solitude en réalisant ici ce tournesol noir au milieu d’un fil de fer barbelé ajouté aux couleurs de lumière des tournesols. » Si le tournesol incarne ici l’artiste et sa vulnérabilité, il se fait aujourd’hui l’écho du sentiment de mélancolie que l’on peut éprouver face à la crise écologique.

Pamela Rosenkranz

Pamela Rosenkranz développe une oeuvre sensible et critique qui mêle sculptures, vidéos, peintures et installations. Imprégnée par la recherche scientifique actuelle et la philosophie spéculative, elle interroge la place des êtres humains – et donc des spectateur·rices – dans leur environnement, ainsi que leur rapport avec celui-ci.

La série Firm Being (2011-2020) est composée de bouteilles en plastique remplies de liquides dont les couleurs rappellent celles de la peau humaine, aux multiples carnations. Leur présentation, sous cloche et sur des socles, vient souligner et prolonger le mythe de pureté construit par les marques via des slogans tels que « Parce que l’eau que vous buvez est aussi importante que l’air que vous respirez » ou « Déclarée source de jeunesse par votre corps ». Ainsi détournés, ces objets de consommation interrogent le spectateur et la spectatrice sur leur propre marchandisation, les bouteilles devenant semblables à des corps sans identité. Finalement, l’eau comme nécessité vitale disparaît au profit d’une marque.

Cet ensemble de Pamela Rosenkranz est composé de cinq sculptures lumineuses bleues évoquant la forme de fenêtres de style gothique. Elles furent initialement produites en 2018 à l’occasion d’une exposition de Rosenkranz dans le cloître de l’église Fraumünster à Zurich, dont l’inauguration coïncidait avec le solstice d’hiver – jour le plus court de l’année, annonçant le retour de la lumière.

Avec ces installations dégageant une intense lumière bleue artificielle, quasi surnaturelle, Rosenkranz métamorphose le lieu d’exposition et propose de relier symboliquement la lumière bleue des vitraux religieux de l’époque médiévale à celle de nos écrans d’ordinateurs et de téléphones. L’environnement créé, aussi chimérique que hautement artificiel, met à mal nos habitudes de visite et de perception.

Daniel Steegmann Mangrané

Daniel Steegmann Mangrané vit au plus proche de la forêt amazonienne, qui constitue l’une de ses principales sources d’inspiration ainsi qu’un sujet à part entière dans son oeuvre. S’intéressant à ce qui relie les éléments naturels entre eux, sans se soucier de dualisme rationaliste entre sujet et objet, Mangrané cherche à interroger et mettre à mal les propriétés qui définissent et hiérarchisent les différentes catégories du vivant. Il questionne également le caractère autoritaire de l’opposition entre nature et culture.

Coupée dans sa longueur, cette branche de hêtre semble avoir été disséquée et écartelée afin d’en extraire une symétrie troublante et une incarnation de la vulnérabilité. Intitulée Geometric Nature/Biology (Nature/Biologie géométriques, 2022), l’oeuvre ressemble étrangement, de loin, à l’insecte qui hante toute la pratique de Daniel Steegmann Mangrané : le phasme. Constamment en quête d’une certaine fragilité, l’artiste cherche à se rapprocher de systèmes de croyances qui considèrent que la condition commune originelle des humains et des animaux est l’humanité, et non l’animalité.

Vincent Van Gogh

Représentant des arbres dont la densité des troncs et du feuillage occulte l’horizon, cette peinture a été réalisée en juillet 1887 par Vincent van Gogh alors qu’il résidait à Paris. Elle fait partie d’un ensemble d’oeuvres autour du motif du sous-bois qui compteront parmi les plus impressionnistes de l’artiste.

L’intérêt qu’il porte à ce sujet est à rapprocher du travail de Claude Monet – particulièrement ses vues des bords de Seine –, auquel on sait que Van Gogh s’est intéressé notamment grâce à sa correspondance avec le peintre australien John Peter Russell. Van Gogh regrettait cependant que Monet n’ait jusqu’alors utilisé les arbres que comme simples motifs, plutôt que comme de réels sujets d’étude. Lui préfère retranscrire l’élan vital, la puissance et la force des végétaux grâce à une touche pointilliste frôlant l’abstraction. Les taches de bleu et de rouge, placées respectivement dans les parties supérieure et inférieure de la toile, dynamisent et illuminent le tableau, d’où émane une certaine chaleur estivale.

Durant son séjour dans la capitale, Van Gogh s’efforce de capturer des morceaux de campagne qui subsistent au milieu d’une ville bouleversée par la révolution industrielle et la modernité. Cette quête le mènera dès le mois de février 1888 dans le Sud de la France, où il peindra d’autres sous-bois, notamment à Saint-Rémy-de-Provence.

Gisèle Vienne

Chorégraphe, metteuse en scène et plasticienne, Gisèle Vienne s’est formée à la musique et à la philosophie avant d’intégrer une école de marionnette. Depuis 2003, son travail s’articule autour de la création de poupées à taille humaine représentant des adolescentes. Elle les met ensuite en scène au sein de performances, d’installations, de photographies, de spectacles ou de films. L’ensemble de son oeuvre envisage le corps comme le lieu propice à la remise en question de nos systèmes de perception culturellement construits, et donc à leur critique et possible déplacement.

I Apologize – Nico (Je m’excuse – Nico, 2003) est une marionnette représentant une jeune fille grandeur nature, allongée dans une position en torsion et entourée de bonbons. Le drapé des vêtements, la manière dont le paquet de confiseries est déchiré ou le positionnement d’un morceau de papier dans la main gauche de la jeune fille font l’objet d’une écriture minutieuse et d’une grande attention lors de l’installation de l’oeuvre.

Yuyan Wang

Après avoir suivi des études de peinture en Chine et aux Beaux-Arts de Paris, Yuyan Wang sort diplômée de l’école du Fresnoy en 2020. Au sein d’installations pensées comme immersives, elle propose des films où se mélangent extraits de vidéos personnelles et de vidéos issues d’Internet, suivant la technique du found footage (réemploi de vidéos trouvées pour réaliser un nouveau film).

Le film One Thousand and One Attempts to Be an Ocean (Mille et Une Tentatives de devenir un océan, 2021) a été réalisé pendant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19 à partir de « vidéos satisfaisantes » – des vidéos qui présentent des événements ou des actions répétitives agréables à regarder. Cette odyssée de l’ère du Capitalocène constitue, selon l’artiste, sa tentative d’être connectée au monde. Ce travail repose également sur les sentiments qui naissent de la dissonance cognitive liée à la crise écologique : si nous sommes conscient·es de l’ensemble des signaux d’alerte concernant la dégradation de l’environnement, nous continuons néanmoins de constamment dépasser les limites sans changer nos comportements.

Luigi Zuccheri

Le peintre et illustrateur Luigi Zuccheri passe la majeure partie de sa jeunesse dans les régions du Frioul et de la Vénétie, deux territoires qui marqueront durablement son oeuvre. Après des études littéraires, il se consacre pleinement au dessin et à la peinture, réinvestissant les techniques des primitifs et des grands maîtres italiens afin de développer un style personnel, en prise avec l’histoire de l’art. Il a ainsi notamment recours à la technique de la tempera à l’oeuf et prépare lui-même ses pigments, à partir de pierres qu’il collecte durant de longues promenades.

À la suite d’un séjour à Paris où il découvre le surréalisme dans les années 1930, la figure humaine disparaît progressivement de son oeuvre, pour laisser place à des paysages et des portraits animaliers. Après la Seconde Guerre mondiale, de minuscules silhouettes et personnages réapparaissent dans son travail, mais toujours dans un rapport d’infériorité face aux éléments de la nature. Dans les années 1950, il participe à la 25e Biennale de Venise et deux expositions lui sont consacrées, l’une à la Galleria del Naviglio à Milan et l’autre à la galerie Allard à Paris. Sa pratique se diversifie jusqu’à la fin de sa vie, avec notamment la production de bronzes tels que ceux présentés ici.

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