Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille


Valentin Martre était en résidence au chantier naval Borg de janvier à mai 2023 dans le cadre d’un programme organisé par l’association voyons voir art contemporain et territoire.

Quelques jours avant sa sortie de résidence et la présentation de son travail, on a eu l’occasion de le rencontrer en compagnie de quelques journalistes, peu avant l’ouverture de la 15e édition du Printemps de l’Art Contemporain (PAC 2023)…

Abrité dans une anse à l’entrée du Vieux-Port, sous le Palais du Pharo, face au Mucem et à la Digue du Large, le chantier naval Borg est un lieu singulier et envoûtant. Trois générations de charpentiers de marine s’y sont succédé pour construire, entretenir et réparer Barquettes marseillaises, Pointus, Tartanes, et autres bateaux traditionnels…

Depuis 2018, Denis Borg accueille des artistes en résidence dans une relation étroite avec l’association voyons voir dont il est devenu président en 2020. On se souvient de l’inoubliable « Winter A-Go-Go » d’Olivier Millagou qui signait, à la fin de l’été 2020, une remarquable sortie de résidence. On regrette de ne pas avoir eu la possibilité de rendre compte des passages de Félix Pinquier en 2019, Delphine Wibaux en 2021 et Charlotte Morabin en 2022 par ce lieu magique, justement qualifié d’être « une des dernières véritables machines à rêver d’exception en Méditerranée ».

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

On attendait avec beaucoup de curiosité de découvrir le travail de recherche qu’y conduirait Valentin Martre dont on suit avec beaucoup d’intérêt l’itinéraire depuis son installation à Marseille. À l’évidence, collaborations et recherches ont été fructueuses et les résultats sont très intéressants.

Dans un texte qui accompagnait la première exposition de Valentin Martre à Marseille (Tangible is the nouveau IRL, à la Galerie de la SCEP en 2018), Diego Bustamante soulignait « Le travail de Valentin Martre prend forme à travers les éléments tangibles qui nous entourent, il récolte divers objets au gré de ses déplacements, qu’il assemble et modifie par la suite ».

De son côté, Karin Schlageter écrivait « Une paire d’yeux vifs et alertes farfouille dans le paysage. Elle erre du regard, mais elle n’est pas perdue. Ce regard scanne la ville pour y déceler ce qui a de la valeur pour lui. Il s’accroche aux menus détails. C’est le genre de regard acéré capable de distinguer chaque gravillon de son voisin, la singularité de chaque brin d’herbe. (…) Ces yeux-là donc, glanent des petits bouts de monde. (…) À la fin de la journée, le glaneur retourne ses poches et étale leur contenu devant lui. Il contemple le trésor amassé de tous ces riens qui n’en sont pas ».

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille

On ne sera pas surpris de l’entendre raconter que ses passages par le chantier Borg l’ont d’abord amené vers une collecte d’éléments environnants : des coquillages, des bois flottés, des déchets divers ramassés sur la plage, des chutes de bois, des amas de sciure glanés sur le chantier…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille

De ses pérégrinations sur les rivages de l’anse du Pharo, il a ramené une multitude de fragments de matériaux « naturels » ou « artificiels » dont il présente une étonnante et captivante sélection avec un sens précis et rigoureux du « display ». On reconnaît dans cette maîtrise du « Faire étalage » les enseignements du programme de recherche « Pratique et théorie de l’exposition » conduit par Natacha Pugnet et Arnaud Vasseux à l’ésban, École supérieure des beaux-arts de Nîmes dont Valentin Martre est diplômé. Avec subtilité et expertise, il sait en commenter leurs probables ou douteuses origines, leurs finesses, leurs brillances, leurs éclats, leurs miroitements, leurs délicatesses ou leurs rugosités…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

De cette collection, Valentin Martre a extrait un ensemble de nacres qu’il a ensuite minutieusement lié à une corde. Attachée à une ancre jetée à la mer, elle a été solidement amarrée au bâtiment du chantier… Si le soleil fait miroiter les coquilles émergées, les scintillements modulés par les mouvements des vagues de celles qui sont sous la surface sont absolument fascinants…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

La forme et la courbure des planches utilisées pour le bordé des coques et les assemblages de leurs membrures ne pouvaient laisser Valentin Martre indifférent.

Dans une petite salle au-dessus de l’atelier, face à l’entrée du port, il présente un bordage récupéré lors d’une réparation. Calé et fixé avec élégance par deux serre-joints sur des tasseaux, il en montre la perfection du cintrage. Une fois de plus, on note un sens remarquable de la mise en exposition et l’habileté avec laquelle il met en valeur les outils du chantier.

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

Avec quelques morceaux de bois courbes ramassés autour de l’anse du Pharo, Valentin Martre expérimente les assemblages au trait de Jupiter qui relient certains éléments de la charpente du bateau.

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

L’observation des différentes couleurs de sciures sur le chantier a conduit Valentin Martre à s’interroger sur les multiples essences de bois utilisées pour la construction et la réparation des bateaux. Leurs origines géographiques très variées et parfois éloignées lui ont rappelé les frelons qui font leurs nids en agglomérant les fibres prélevées sur de l’écorce de plusieurs espèces d’arbres…

Il choisit donc pour la restitution de sa résidence de poser un nid de ces insectes sociaux au-dessus des sacs de récupération et d’un tas qui montre la sédimentation et la diversité des sciures aspirées.

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

Dans le rapprochement de cette étonnante architecture animale avec la construction navale, on reconnaît l’intérêt de Valentin Martre pour « l’hybridation entre le biologique et le technologique, le passage du “naturel” au “culturel”»…

Les techniques et des matériaux mis en œuvre dans le chantier, principalement pour les structures des coques, interrogent l’artiste. Il commence alors « des recherches de formes et de matières hybrides, de coques aux formes plus animales. « La carapace de tortue est, dit-il, la première mise en relation formelle que j’ai en tête (la forme du bateau à demi ovale est aplatie, étirée, doublée, etc.) ».

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

Il observe avec attention l’architecture des bateaux et les assemblages utilisés. Il collecte plusieurs documents sur l’anatomie des animaux, puis à l’aide d’un outil de modélisation 3D, il recherche comment lier les techniques appliquées dans la structure des coques avec celles du moulage.

Dans un texte d’intention disponible sur le site de voyons voir, Valentin Martre raconte :

« Pour ce faire, je commence à expérimenter des moules alternatifs dans lesquels les structures des bateaux, notamment celles de la coque et du pont sont reproduites à plus petite échelle pour servir de structure aux moules. Ces moules sont pensés comme des corps comprenant un squelette en reprenant les codes structurels des barquettes (les jambettes, les allonges et les aiguillettes). Néanmoins ces “squelettes” ne sont pas plaqués avec des lattes de bois comme les bateaux, mais avec un matériau souple de démoulage comme de la cellophane, cette manipulation permet de créer comme une peau sur mesure au squelette, dans laquelle je peux couler un matériau. L’objet final est une forme aérodynamique, ou chaque arête en bois emprisonnée dans la coulée est visible à la surface. »

Il en résulte une forme blanche singulière et envoûtante, une « sculpture-chrysalide ». Elle évoque l’hybridation d’un coquillage mystérieux et d’une coque de bateau « qui laisse apparaître les membrures de son squelette »…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille

Lors de notre rencontre, Valentin Martre avait choisi de présenter dans l’atelier les séquences de sa recherche en les reproduisant sur un long morceau de papier étalé entre son nid de frelons et cette étrange et fascinante forme hybride entre conque et barquette…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

Pour la restitution de sa résidence, le dimanche 7 mai, cette captivante sculpture était placée sur le quai du chantier, posée sur un support métallique, face à la mer. En regard, sur la droite, l’étrave ruinée d’un pointu marseillais montrait la forme phallique de son capian…

Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo © Nassimo Berthommé
Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille photo Nassimo Berthommé ©voyonsvoir

Depuis son Prototype chimérique (2018) vu dans « Sud magnétique » chez Videochroniques en 2019 jusqu’à son étonnante Ouverture (2022) pour le deuxième volet de « Murmuration » à la Friche la Belle de Mai l’an dernier, en passant par son Tissu de réflexion et ses Conducteurs hémiptères en 2019, ses multiples Inclusions depuis 2019, son Globe écumeux en 2020, ses Crépuscule rocheux en 2021 ou en encore son installation Amatractite en 2022, Valentin Martre ne cesse de nous surprendre. Nombre de ces œuvres, comme l’écrit très justement Karin Schlageter, « nous enjoignent à penser un nouveau paradigme, à renégocier notre place dans le monde, en collaboration avec les éléments qui nous entourent et dont nous faisons partie ».

Le travail de recherche présenté au Chantier naval Borg confirme que Valentin Martre est sans aucun doute un des artistes parmi les plus passionnants de la jeune scène contemporaine à Marseille. On continuera à suivre avec attention son travail dans les prochains mois et à en rendre compte.

À lire, ci-dessous, la note de Valentin Martre qu’il signe sur le site de voyons voir et le texte de Leïla Couradin, commissaire d’exposition et critique d’art indépendante, actuellement en résidence curatoriale à la ferme du Défend avec l’accompagnement de voyons voir.

Merci à Denis Borg, Céline Ghisleri, Aude Halbert et Charlotte Sename (voyons voir) et bien entendu à Valentin Martre pour leur accueil.

En savoir plus :
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Denis Borg et Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille - Photo voyons voir
Denis Borg et Valentin Martre au Chantier Naval Borg à Marseille – Photo voyons voir

« Mes premiers jours au chantier naval Borg m’ont amené vers une collecte d’éléments environnants (sciure, nacre, chutes de bois, déchets…) et de techniques, principalement celles des structures des coques que j’essaye de lier à celles du moulage. Je fais actuellement des recherches de formes et de matières hybrides, de coques aux formes plus animales, la carapace de tortue est la première mise en relation formelle que j’ai en tête (la forme du bateau à demi-ovale est aplatie, étirée, doublée, etc.). Pour ce faire, je commence à expérimenter des moules alternatifs dans lesquels les structures des bateaux, notamment celles de la coque et du pont sont reproduites à plus petite échelle pour servir de structure aux moules. Ces moules sont pensés comme des corps comprenant un squelette en reprenant les codes structurels des barquettes (les jambettes, les allonges et les aiguillettes). Néanmoins ces “squelettes” ne sont pas plaqués avec des lattes de bois comme les bateaux, mais avec un matériau souple de démoulage comme de la cellophane, cette manipulation permet de créer comme une peau sur mesure au squelette, dans laquelle je peux couler un matériau. L’objet final est une forme aérodynamique, ou chaque arête en bois emprisonnée dans la coulée est visible à la surface. Je fais aussi des recherches de matière notamment avec la sciure présente sur place, de la colophane (éléments utilisés à l’époque dans le calfatage) des colles à bois naturel… Dans les barquettes, une sorte de goudron est coulée dans les différents creux du bateau pour empêcher qu’ils ne se remplissent d’eau, j’aimerais aussi expérimenter ce matériau dans les coulés des moules évoqués précédemment. Ainsi, les formes hybrides animales que je recherche seraient formées par ce matériau aux allures de pétrole. »

Valentin Martre

« Fruits d’expérimentations renouvelées, les oeuvres de Valentin Martre sont autant de sujets d’une fiction ouverte, constamment en cours d’écriture. Valentin Martre crée des chimères, des assemblages hybrides qui racontent les changements d’états, dans un monde où se mêlent souvent très intimement les matières dites « naturelles » et « artificielles », à l’image des métaux et terres rares omniprésent·e·s dans nos outils numériques quotidiens. Aussi, invité par Voyons Voir pour une résidence au Chantier Naval Borg, l’artiste a d’abord collecté patiemment, sur la plage attenante, des bois flottés, des coquillages nacrés et des rébus synthétiques aux reflets irisés. Ces matériaux, que l’artiste aime tordre sans distinction, autant physiquement que métaphoriquement, ont ensuite rencontré les techniques traditionnelles de restauration des navires, observées pendant sa résidence. Pourtant, tout est étrange et rien n’est vraiment utilisable. Différentes essences de bois sont assemblées en une étrave non polie qui ferait chavirer le navire, quand la corde en chanvre du marin, lasse de n’être utilisée, fusionne avec une myriade de coquillages désertés. Ailleurs, entre l’objet et le vivant, refermée comme un bivalve, une forme curviligne évoquant une coque de bateau en équilibre à la gîte laisse apparaître à travers sa peau translucide, en mastic polyester, les membrures de son squelette. Faisant face à son double fonctionnel, cet animal échoué, rappelant les monstres des romans d’anticipation, atteste de l’intérêt de Valentin Martre pour le fantastique et pour l’archéologie. Nourrit par les formes et matières rencontrées dans le chantier, c’est de son imaginaire qu’est née cette sculpture-chrysalide, d’abord dessinée et modélisée en 3D avant d’être fabriquée avec les savoir-faire et outils disponibles sur place. À la manière des frelons qui font leurs nids, agglomérant méthodiquement la sciure de différents arbres, ou des artisans qui courbent patiemment les bordés, Valentin Martre assemble, transforme et contorsionne les matériaux et leurs sens. Résolument ouvertes, les oeuvres évoquent la pensée complexe d’Edgar Morin et la notion de transdisciplinarité : elles racontent un monde où la supposée dualité entre deux pôles est balayée par l’idée que tout s’influence sans cesse. »

Leïla Couradin

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