Jusqu’au 17 septembre 2023, la chapelle de la Miséricorde de Montpellier accueille Mémoire du Merveilleux, une magistrale et incontournable installation de Jean-Luc Parant.
Prêtée par le galeriste et collectionneur Pierre-Alain Challier, Mémoire du Merveilleux était ainsi dépeinte par son propriétaire lors de sa première présentation en 2012 :
« Depuis 50 ans d’un parcours d’artiste hors normes, Jean-Luc Parant collectionne toutes sortes d’objets rares ou étranges. Le monde animal, le monde végétal et le minéral sont au cœur de ses collections.
Depuis quelques années, herbiers anciens, animaux naturalisés ou minéraux, qui le fascinent, complètent ainsi ses propres artificialia tel un résumé du monde, un microcosme qu’il tente d’englober et de livrer à nos yeux.
Mémoire du merveilleux, au travers de sculptures, de textes, et d’installation majeurs, rassemble les objets de la terre, de l’eau et de l’air – ces éléments déjà présents dans les textes et dans l’œuvre plastique de Jean-Luc Parant – en une Arche de Noé magique et envoûtante. »
Pour la chapelle de la Miséricorde, le communiqué de presse présente l’installation en ces termes :
« Composé d’un amoncellement de plus de deux cents boules, de tailles différentes, réalisées en cire à cacheter et en filasse, et de dizaines d’animaux naturalisés qui semblent s’extraire de ce chaos, “comme échappés du rêve de la préhistoire”, cet éboulement envahit l’espace de la nef, depuis l’entrée jusqu’aux marches qui précèdent l’autel. Conçu comme la vision d’un monde originel, l’éboulement apparaît semblable à l’émergence d’un passé immémorial, sans l’homme. Mais il est peut-être aussi le monde d’après, survivant à l’homme simplement de passage ».
Subtilement éclairée par Christophe Guibert, la version de Mémoire du merveilleux, installée dans la nef de la chapelle de la Miséricorde, est à la fois envoutante, mystérieuse et inquiétante. Le temps paraît se dissoudre face à ce sombre éboulement. On ne sait pas trop si les animaux s’en extirpent ou s’ils s’y font happer… Pourquoi un crocodilien s’échappe-t-il discrètement derrière l’autel ? De quoi veut nous alerter le petit singe assis sur la barrière du chœur ? Pourquoi celui qui porte la bannière en face de ce fabuleux bestiaire semble-t-il si effrayé ?
Si l’installation de Jean-Luc Parant exerce une irrésistible fascination, sans doute fait-elle naître « un inépuisable désir d’interprétation ». Mais il n’est pas certain que cet étrange et baroque cabinet de curiosités suscite l’émerveillement… L’œuvre ne renvoie-t-elle pas chacun à ses angoisses, à ses frayeurs, à ses hantises ou à ses cauchemars ?…
Comment ne pas percevoir également dans cette cohorte un écho certes poétique, mais aussi un peu désespéré à la Caravane africaine qui traverse la Grande Galerie de l’Évolution au Museum d’histoire naturelle ?
Présentée pour la première fois en 2012 à la Galerie Pierre-Alain Challier, Mémoire du Merveilleux a été exposée dans une version plus réduite à l’hiver 2015/2016 au Musée Paul Valéry de Sète, puis en 2016 au [mac] à Marseille où elle accompagnait la Jaguar MKII rouge et les 227 boules des Machines à voir (1993) que conserve le musée d’art contemporain marseillais.
Mémoire du Merveilleux appartient aux éboulements et aux installations monumentales de Jean-Luc Parant qui a sans doute débuté avec les Cent mille et une boules (1985) conservé par le LaM à Villeneuve d’Ascq. Parmi les plus spectaculaires et au-delà de l’installation conservée à Marseille, il faut citer l’Éboulement acquis en 1992 par le Musée d’art contemporain de Lyon à l’issue de la première Biennale et qui fut augmenté en 1995, 2004 et 2006 dans le cadre d’un « contrat d’envahissement » entre l’auteur et le musée…
On peut également mentionner le Parantosaure (2009), une œuvre co-produite par les Abattoirs et Caza d’oro pour une exposition à la grotte du Mas-d’Azil en Ariège et conservée à Toulouse.
Mémoire du Merveilleux a sans doute quelques liens avec ce Parantosaure, mais elle trouve peut-être aussi son origine dans l’installation que Jean-Luc Parant avait produite pour « La Beauté in Fabula » à Avignon, en 2000. Dans un article pour le quotidien suisse Le Temps, Isabelle Rüf en faisait la description suivante :
« (…) Un recoin sombre du Palais des Papes accueillait un univers étrange, bruissant de murmures, encombré de livres et de manuscrits, hanté par des animaux empaillés, enluminé de textes et débordant de boules, brisées, recuites, fermées sur des mystères, ouvertes sur l’obscurité comme des chaudrons de sorcières ».
Mémoire du Merveilleux semble hériter en partie de ces installations monumentales. On pourrait être tenté de la considérer comme une des expressions les plus abouties de ces environnements présentés in situ et une des œuvres les plus représentatives de l’univers singulier de Jean-Luc Parant. Avec cette présentation à la chapelle de la Miséricorde, elle prend sans doute sa forme la plus achevée.
Mémoire du merveilleux marquera très certainement la saison estivale à Montpelier et dans la région. Un ou plusieurs passages s’imposent par la chapelle de la Miséricorde !
Le projet de cette exposition a germé à la suite d’une visite de Jean-Luc Parant et de sa compagne Kristell Loquet à la galerie AL/MA en avril 2022, quelques mois avant sa disparition en juillet. Grâce à l’engagement de Kristell Loquet et avec le soutien de la Ville de Montpellier, Marie-Caroline Allaire Matte concrétise le projet imaginé au printemps 2022. La présentation de Mémoire du merveilleux s’accompagne à la galerie AL/MA de « Travaux sur papier », une très belle sélection de dessins à laquelle un article récent a été consacré.
En savoir plus :
Sur le site de la galerie AL/MA
Sur le site de la Ville de Montpellier
Sur le site de la galerie Pierre-Alain Challier
À lire « Mémoire du merveilleux », une monographie de Jean-Luc Parant publiée en 2015 sous la direction de Kristell Loquet, avec une préface de Yves Peyré et une postface de Philippe Beck. Distribution Actes Sud.