Jusqu’au 8 juillet 2023, Clara Rivault présente « Ronde-bosse », une très belle exposition à la Galerie Chantiers BoiteNoire avec un peu moins d’une dizaine d’œuvres récentes et un haut-relief réalisé in situ.
Diplômée des Beaux-Arts de Montpellier en 2016 et de La Cambre à Bruxelles en 2018, Clara Rivault a ensuite rejoint le Laboratoire de Recherche « La Céramique comme Expérience » aux Beaux-Arts de Limoges. Actuellement résidente à l’atelier « Poush 2 » à Aubervilliers, la collaboration étroite avec des artisans est une des pierres angulaires de son travail. Dans une pratique pluridisciplinaire, elle explore plusieurs matériaux avec notamment, pour les pièces de cette exposition, le verre soufflé, la céramique et le plâtre. La notion de « corps » et en particulier le sien, à travers ses gestes qu’elle lie à son support, mais aussi le souffle, l’hybridation et les mythes sont au cœur de sa recherche artistique.
Dans une scénographie simple et très élégante, les pièces exposées dans « Ronde-bosse » proposent de fascinantes et séduisantes mises en tension (La queue de Narvalo, 2022, L’arbre tors, 2023), des hybridations inattendues et émouvantes (série des Objets spécifiques accouplés, 2022) et des évocations mythologiques issues d’une résidence dans l’île ionienne de Paxos (Dame, Nausicaa et Pénélope, 2022).
À ces sculptures et vitraux s’ajoute La mer de vie, une saisissante installation réalisée in situ. Avec ce haut-relief en plâtre, Clara Rivault laisse sur le mur de la galerie des traces de son corps fragmentées et disloquées pour la durée de l’exposition… Une première version de cette pièce avait été produite à l’occasion des dernières portes ouvertes de son atelier Poush à Clichy avec la volonté de « laisser une empreinte dans ce lieu de vie avant sa disparition »…
« Ronde-bosse » est naturellement une exposition qu’il ne faut pas manquer.
Ci-dessous, quelques regards photographiques sur les œuvres de « Ronde-bosse » accompagnés des commentaires que Clara Rivault a publiés sur son site ou sur Instagram.
En savoir plus :
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Sur le site de Clara Rivault
Clara Rivault sur le site de la galerie Hors-Cadre
Clara Rivault – « Ronde-bosse » : Regards sur l’exposition
Clara Rivault, Dame, 2022
Les Dames est un projet de statuettes féminines mêlant céramique et verre soufflé initié lors d’une récente résidence artistique à Paxos sur l’île ionienne en Grèce, chez Therapeia Art Residency.
Elles sont des idoles féminines à l’instar des statuettes Néolithique comme en Sibérie occidentale ou certaines, on été découvertes près des parois d’habitation creusées dans le sol. Elles jouaient un rôle dans la vie quotidienne. Ces fétiches sont des objets habités, spirituels, ils amènent à une certaine fascination dégageant un champ magnétique. L’objet-sujet est agissant et témoigne de l’invisible dans le visible.
La terre utilisée a été prélevée dans trois lieux différents et les nuances du verre sont inspirées des couleurs dominantes de l’île grecque.
Cette technique inédite de soufflage, lord duquel la terre entre en fusion avec le verre, a été utilisée afin d’envelopper, de protéger la partie sensible des statuettes, leurs entre-jambes, leurs sexualités qui sont paradoxalement la zone la plus fragile des Dames.
Clara Rivault, L’arbre tors, 2023
Clara Rivault, L’arbre tors, 2023. Verre soufflé, cable métallique, laine, 220 x 10 x 40 cm. Ronde-bosse à la Galerie Chantiers BoîteNoire – Photos Elliot Proust
Intitulée « L’Arbre Tors », cette sculpture suspendue évoque une colonne vertébrale. Elle s’inspire du symbole de l’orthopédie, tel qu’illustré dans un dessin de Nicolas Andry de Bois-Regard datant de 1741. Les cinq éléments qui la composent sont façonnés en fusion à partir de verre recyclé, provenant d’anciens isolateurs de réseaux électriques.
La complexité de cette structure réside dans son assemblage articulé, qui intègre des rotules masculines et féminines. Ces dernières sont reliées par des fils et des bagues métalliques, rappelant les épines dorsales et établissant une connexion entre chaque vertèbre.
Le socle de la sculpture est constitué de laine de mouton, enroulée à la main, au sol, elle semble vouloir accueillir la colonne vertébrale. Elle évoque un tissu musculaire cherchant à soutenir et redresser le squelette ondulant.
Clara Rivault, série des « Objets spécifiques accouplés », 2022
Clara Rivault – Objets spécifiques accouplés #20, 2022. Verre soufflé, serre joint ancien en bois, 57 x 27 cm ; Objets spécifiques accouplés #18, 2022. Verre soufflé opaline, serre joint ancien en bois, 130 x 10 cm ; Objets spécifiques accouplés #10, 2022.Verre soufflé opaline, serre joint ancien en bois, 40 x 21 cm- Ronde-bosse à la Galerie Chantiers BoîteNoire – Photos Elliot Proust
Les outils que je récupère sont pour moi des êtres vivants, comme l’écrit Patti Smith dans son livre «M Train» sa façon romantique de parler à ses objets me touche particulièrement.
Le concept esthétique japonais du wabi-sabi qui relie deux principes : Le wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels, et le sabi, la sensation face aux choses dans lesquelles on peut déceler le travail du temps ou des hommes. Une idée spirituelle japonaise dit qu’un objet de plus de 100 ans possède une âme.
Ce centenaire va continuer à vieillir dans le temps, alors, que ce souffle contraint, cristallisé, va perdurer. Ces deux objets sont unis, créant une tension entres eux, un équilibre. La main de l’homme peut briser leur union. Ces objets, je les perçois comme les membres de ma famille, des ancêtres, et c’est à partir de l’histoire et du vécu de l’outil que la forme du verre se dessine. Le verre « os » est maintenu avec fragilité par le corps de l’objet massif. L’Ostéogenèse imparfaite appelée aussi « La maladie des os de verre ».
En récupérant cette famille d’outils auprès d’un fils d’ébénistes, dont leur nom «BERGMAIR» est gravé dans le bois, mon intention était de redonner un souffle, un poumon, un os à ces objets oubliés qui servait à un travail de labeur demandant un effort soutenu et de grande ténacité.
Pour le titre, je me suis inspirée du texte écrit en 1965 « Specific Objects » de Donald Judd.
Clara Rivault, La queue de Narvalo, 2022
Cette queue de billard est inspirée de la dent hypertrophiée du cétacé des eaux Arctique. Le Narval. Le nom scientifique du narval est Monodon monceros, ce qui signifie, en latin dérivé du grec, « dent unique, corne unique ». En Inuktitut, on l’appelle Qilalugaq gernertaq, ce qui peut se traduire par « la pointe vers le ciel ».
La « défense » du narval n’est pas simplement une dent, c’est aussi un organe très complexe qui possède des capacités sensorielles remarquables, avec environ 10 millions de terminaisons nerveuses qui lui permettent de localiser sa nourriture et de détecter d’infimes variations de qualité de l’eau. Telle une antenne, cette torsade de verre est un organe sensoriel cristallin qui se dégrade jusqu’à la pointe translucide d’une stalagmite.
Clara Rivault, Nausicaa et Pénélope, 2022
Clara Rivault, Nausicaa et Pénélope, 2022. Vitrail traditionnel, diamètre 60 cm – Ronde-bosse à la Galerie Chantiers BoîteNoire – Photo Grégory Copitet
Nausicaa, Pénélope et Circé est un projet imaginé durant ma résidence artistique à Paxos, en Grèce, une résidence dédiée aux jeunes artistes émergents. Pendant ce mois passé sur la petite île ionienne, je me suis intéressée à son histoire et ses légendes. L’Odyssée d’Homère traduit par Philippe Faccottet était ma compagne. Durant ce mois passé, seule, entourée de ce paysage verdoyant où j’ai pu prendre le temps d’observer, de toucher, et de dessiner la nature qui m’entourait. Je suis rentrée dans son intimité, j’ai pu entrevoir sa sensualité et la relier à des mythologies qui m’accompagnaient. Lors de ma lecture de l’Odyssée, j’ai analysé les trois figures féminines, Nausicca, Circé, et Pénélope qui ont pour moi, un très grand rôle à jouer. Ces figures aux traits de caractères diamétralement opposés, par leurs charmes, leurs symboliques m’ont passionné. J’y ai vu une version contemporaine des Charites. Que seraient-t-elle aujourd’hui ?
J’y ai fait un rapprochement et des analogies auprès de femmes qui m’entourent.
Mon projet repose sur l’envie de révéler Nausicaa, Circé, et Pénélope, en mettant en avant leurs identités, leurs appartenances, leurs indépendances, leurs forces.
La technique ancestrale du vitrail est utilisée afin de mettre en lumière ce triptyque.
Ce médium est une forme de médiation, un véritable support imagé. Au Moyen-âge, la vie quotidienne était retranscrite constituant une véritable « Bible du pauvre », il suffisait de lever les yeux pour lire une histoire. Le vitrail permet de toucher le plus grand nombre, tel un panneau publicitaire, ce sont des oculus, l’aurore pour Naussica, l’aprés-midi pour Penelope et Circé pour le clair-obscur. Ces trois « Tondi » sont des icônes féminines racontant des histoires où s’entremêlent mythologie et monde réel.
Clara Rivault, La mer de vie, 2023
Clara Rivault, La mer de vie, 2023. Haut-relief en plâtre. Pièce unique in situ – Ronde-bosse à la Galerie Chantiers BoîteNoire – Photo Elliot Proust
[La première version] de La Mer de vie est un haut-relief réalisé à l’occasion des dernières portes ouvertes de mon atelier Poush à Clichy.
J’ai expérimenté à l’aide d’une technique de moulage au plâtre à la main, un haut-relief sur le mur de mon atelier.
Ces empreintes de mon corps en contrainte prisent à même le mur et de dos sont fragmentées, disloquées, démembrées. Mon intention était de laisser une empreinte dans ce lieu de vie qui sera amené à disparaitre.
La Mer de vie est une métaphore de l’esprit submergeant et emportant tout dans son flot impétueux durant une période de bouleversement.