Éva Jospin – Palazzo au Palais des Papes à Avignon


Jusqu’au 7 janvier 2024, Éva Jospin présente « Palazzo », un ensemble d’œuvres créées ou sélectionnées pour construire un dialogue avec l’architecture du Palais des Papes. Elle propose un parcours au fil des espaces du monument qui construit une « déambulation imaginaire » dans le dédale labyrinthique du Palazzo pontifical.

Dans un entretien avec Pierre Watt qui ouvre le catalogue publié chez Gallimard, Éva Jospin explique comment elle a appréhendé les espaces du monument :

« J’ai eu envie d’aller au plus près du bâtiment nu, tel qu’il est, sans cimaises, sans rien. Être dans l’ossature de ce qui reste de l’édifice originel, revenir à sa structure. La part troglodytique me plaît énormément. C’est un palais qui a été construit vite, ce qui est rare : un geste de pouvoir s’est concentré dans le temps. Mes œuvres viennent épouser l’architecture afin de la rendre visible sans la masquer, sans chercher à adapter ce lieu aux codes de la monstration contemporaine.
C’est une mise à nu destinée à créer des rapports, des perspectives. Je voudrais que l’on ait l’impression que les œuvres sont là depuis toujours, qu’elles ne fondent dans le lieu, et que tout -œuvres et lieu – reste pleinement visible, malgré ou grâce à cette coprésence. »

Eva Jospin - Petite Folie, 2023 - Création pour Palazzo - Chapelle Saint Martial du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Petite Folie, 2023 – Création pour Palazzo – Chapelle Saint Martial du Palais des Papes – Avignon

Habillement construit, le parcours débute avec des œuvres de dimensions modestes. Puis, à mesure que l’on progresse dans la visite du Palais, elles deviennent de plus en plus imposantes, jusqu’à la monumentale installation finale qui se développe dans la Grande Chapelle.

De la grotte baroque aux espaces théâtraux en passant par des paysages brodés ou suggérés, Éva Jospin propose une suite d’« œuvres-lieux fictionnelles » qui, dit-elle à Pierre Watt, « accorde une grande place aux récits qui ne seront jamais faits ». Puis elle précise à propos de ses œuvres :

« Elles ne sont jamais symboliques, ne racontent pas d’histoire, mais ont un potentiel narratif. Je veux que chacun puisse faire surgir son propre imaginaire, que ça déclenche quelque chose. Je pense que beaucoup de ce que nous voyons demeure incompréhensible. Il nous manque des signes, des lettres, ce qui nous reste du passé est parcellaire. L’oubli arrive vite. Tout cela passe par la transmission des formes, moins par celle des récits. »

Un peu plus loin, elle ajoute à l’adresse de celles et ceux qui déambuleront à travers les salles du Palais des Papes :

« Mon spectateur idéal, celui que j’invente par mon travail, va nouer un lien physique de contemplation, où il va à la fois se déplacer, par nécessité, et être rattrapé par le détail qui va le ramener à une nouvelle concentration. Je cherche à engendrer de la temporalité avec de l’espace. Pour y parvenir, je procède à une accumulation qui sature le regard et crée de l’invisible. Pour que les formes soient chargées, présentes, il faut y mettre des choses, mais sans le dire. C’est au spectateur de faire le chemin, s’il le souhaite. »

En 2020, on avait été très déçu par le « Cénotaphe », qu’ Éva Jospin avait installé à l’abbaye de Montmajour à Arles. On avait alors écrit que cette pièce imposante avait beaucoup de mal à trouver sa place à la croisée du transept, à dialoguer avec l’architecture de l’édifice ou à entrer en résonance avec l’atmosphère et l’esprit unique de de la Grande Île.

Avec « Palazzo », elle réussit parfaitement l’exercice périlleux de confronter ses œuvres à ce lieu compliqué où plusieurs projets n’ont pas su trouver leur place. Le même « Cénotaphe » en est le témoin. Cette exposition s’ajoutera sans doute aux souvenirs forts qui restent depuis « La Beauté in fabula » au tournant du millénaire. Éva Jospin pourrait rejoindre les inoubliables « Les Papesses » qui avaient occupé les lieux en 2013…

On ne peut qu’encourager les potentiels visiteurs à « faire le chemin » proposé par « Palazzo ».

Catalogue aux Editions Gallimard avec « Contre-Monde », un entretien entre l’artiste et l’historien de l’art Pierre Wat. Les photographies des œuvres sont hors du contexte de l’exposition « Palazzo ».

À lire, ci-dessous, quelques regards sur le parcours de l’exposition.

Une prochaine chronique sera prochainement consacrée à « Contre-Monde », une passionnante exposition d’Éva Jospin à la Collection Lambert, un contrepoint indispensable à « Palazzo ».

En savoir plus :
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Éva Jospin sur le le site de la Galerie Suzanne Tarasieve et sur celui de la Galleria Continua

Éva Jospin – « Palazzo » : Regards sur l’exposition

Grotte, 2023 – Chapelle Saint-Jean

Eva Jospin - Grotte, 2023 - Création pour Palazzo au Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Grotte, 2023 – Création pour Palazzo au Palais des Papes – Avignon

La première œuvre du parcours (Grotte, 2023) est présentée dans la chapelle Saint-Jean, oratoire du consistoire. Créée pour « Palazzo », elle prolonge une série de grottes baroques que l’on avait découverte à Montmajour. Dans son entretien avec Pierre Watt, Éva Jospin revient sur l’importance de ce motif :

« Bien avant l’art contemporain, la grotte baroque a ouvert quelque chose de fondamental, qui crée chez moi les émotions les plus fortes, sans que je parvienne à savoir si c’est beau ou laid — rien à voir non plus avec le kitsch, qui ne m’intéresse pas. C’est une chose autre dans laquelle on éprouve une double sensation : la grotte est l’espace nous reliant à toutes les expérimentations qui m’intéressent dans l’art contemporain tout en faisant le lien avec le passé. C’est l’espace mental de projection par excellence, au-delà du visuel. »

Forêt Corinthienne, 2023 – Chambre antique du Camérier

Exposition Palazzo - Eva Jospin - Photo OTresson / Avignon Tourisme
Eva Jospin – Forêt Corinthienne, 2023 – Exposition Palazzo – Photo OTresson / Avignon Tourisme

Composition inspirée par les architectures troglodytes, Forêt Corinthienne (2023) a été imaginée pour la Chambre du Camérier en écho avec les parties du Palais des Papes qui ont été creusées dans le Rocher des Doms.

Petite folie, 2023 – Chapelle Saint Martial

Exposition Palazzo - Eva Jospin - Photo OTresson Avignon Tourisme
Eva JospinPetite folie, 2023 – Exposition Palazzo – Photo OTresson Avignon Tourisme

Juste au-dessus de la chapelle Saint-Jean, la chapelle Saint Martial, oratoire attenant au Grand Tinel, conserve un des décors peints les mieux préservés du Palais des Papes. Les fresques peintes par Matteo Giovannetti entre 1344 et 1345 servent d’écrin à Petite folie (2023). Ce moulage en bronze de la Grotte exposée dans l’oratoire du consistoire est orné de rayons en laiton et de multiples coquillages. Éclairée avec beaucoup de soin, elle est mise en scène comme une inestimable miniature.

Chambre de Soie, 2021 – Grand Tinel

Eva Jospin - Chambre de Soie, 2021 - Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Chambre de Soie, 2021 – Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes – Avignon

Dans le Grand Tinel, trois lés de Chambre de Soie (2021) ont été suspendus en place des tapisseries qui meublaient peut-être cette immense salle de cinquante mètres de long, ancienne salle des festins du Palais des Papes. Ces trois magnifiques tentures, dont la longueur voisine les dix mètres, appartiennent à un ensemble créé à l’occasion du défilé haute couture automne-hiver 2021-22 de la maison Dior.

Eva Jospin - Chambre de Soie, 2021 - Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Chambre de Soie, 2021 – Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes – Avignon

Présenté comme une référence à la Salle aux Broderies du palais Colonna, à Rome, la Chambre de Soie fait aussi écho au manifeste féministe de Virginia Woolf A Room of One’s Own (Une chambre à soi), publié en 1929.

Eva Jospin - Chambre de Soie, 2021 - Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Chambre de Soie, 2021 – Palazzo -Grand Tinel du Palais des Papes – Avignon

Pour la réalisation de ce paysage envoutant où on retrouve son vocabulaire (nymphées, caprices, grottes, cénotaphes), Éva Jospin a travaillé avec les artisans des ateliers Chanakya et de la Chanakya School of Craft à Mumbai pour des compositions où les fils de soie, de chanvre, de lin et de coton jouent avec près de 400 nuances différentes.

Empyrée et Balcons, 2023 – Cuisine Haute

Créées pour « Palazzo », deux œuvres spectaculaires sont installées dans la Cuisine Haute.

Eva Jospin - Empyrée, 2023 - Création pour Palazzo - Cuisine Haute du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Empyrée, 2023 – Création pour Palazzo – Cuisine Haute du Palais des Papes – Avignon

Empyrée (2023) est accroché à plus de vingt mètres au centre de cette salle. Les spirales de cette pièce réalisées en laiton et en carton, auxquelles sont suspendues de multiples pampilles en verre soufflé, s’élèvent dans la cheminée en direction du ciel. Par son titre, elle fait écho au concept antique de l’empyrée qui, à la charnière entre la théologie et l’astronomie, désignait un espace éternel et invisible situé au-delà du firmament des astronomes.

Exposition Palazzo Eva Jospin – Photos OTresson / Avignon Tourisme

Cette neuvième strate de la sphère céleste, avant celle des divinités, est notamment utilisée dans la Divine Comédie de Dante mais aussi par Jérôme Bosch dans ses Visions de l’Au-delà.

Eva JospinBalcons, 2023 – Création pour Palazzo – Cuisine Haute du Palais des Papes – Avignon

Deux Balcons (2023), réalisés à partir d’éléments de récupération d’immeubles bourgeois de la fin du XIXe, sont accrochés côte à côte sur l’un des murs de la Cuisine Haute, exposant leur dissymétrie. Des lianes de cartons et de calques, récurrents dans les œuvres d’Éva Jospin, s’en échappent. L’artiste évoque à leur propos l’image d’un Palais des Papes retourné comme un gant et les paysages imaginaires qui se développent dans les espaces urbains en référence aux parcs et forêts qui prolongent la vue depuis les châteaux…

Galleria, 2021 – Chambre de Parement

Eva Jospin - Galleria, 2021 - Palazzo - Chambre de Parement du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Galleria, 2021 – Palazzo – Chambre de Parement du Palais des Papes – Avignon

Dans cette salle, qui fait transition entre les parties publiques et privées du palais, on retrouve la fabuleuse forêt de carton ciselé, une des pièces maîtresses exposées au Musée de la Chasse et de la Nature à l’hiver 2021-2022. Ici, elle fait sans doute écho aux scènes de chasse et de cueillette que l’on peut voir dans les appartements du pape…

Côté cour Côté jardin, 2021 – Nymphées, 2022 – Cénotaphe, 2020 – Grande Chapelle

Dans la Grande Chapelle, dépouillée de tout accessoire, trois des œuvres parmi les plus spectaculaires d’Éva Jospin sont rassemblées dans une installation particulièrement réussie à laquelle le titre Echappée semble avoir été attribué.

Deux textes accompagnent cet ensemble. Le premier en fait une brève description :

« L’espace de la grande chapelle sert ainsi d’écrin de pierre à ces compositions dont la présence centrale magnifie en retour la beauté du lieu.

L’œuvre Côté Cour Côté Jardin livre ses deux faces à la contemplation : l’une composée d’arbres et de roches, l’autre d’une série d’arches à colonnade. D’un côté le palais, la place, symbole de la cité et de la loi. De l’autre, la forêt, les mondes souterrains où règnent le mystère et la magie.

Eva Jospin - Nymphées, 2022 - Palazzo - Grande Chapelle du Palais des Papes - Exposition Palazzo - Photo OTresson / Avignon Tourisme
Eva Jospin – Nymphées, 2022 – Palazzo – Grande Chapelle du Palais des Papes – Exposition Palazzo – Photo OTresson / Avignon Tourisme

Nymphées, tirant son nom des majestueuses fontaines de la Rome antique, joue des perspectives, des échelles et de la lumière à travers ses deux grandes arches qui épousent la pierre gothique.

Le Cénotaphe enfin, monument à la mémoire des défunts, sculpté dans un style empruntant à celui des capricci du XVIIIe siècle, dévoile ses colonnes parcourues de lianes ciselées comme autant de veines végétales ».

Le second, intitulé Paysages, résume les intentions de l’artiste pour cette installation dans la Grande Chapelle.

« “Mon travail accorde une grande place aux récits qui ne seront jamais faits. J’essaie de créer des caves-lieux fictionnelles, mais où il n’y a pas de narration.” Éva Jospin

Eva Jospin - Nymphées, 2022 - Palazzo - Grande Chapelle du Palais des Papes - Avignon
Eva Jospin – Nymphées, 2022 – Palazzo – Grande Chapelle du Palais des Papes – Avignon

Ces trois compositions monumentales s’agencent de manière à créer de multiples points de fuite sous la voûte à croisée d’ogives de la Grande Chapelle. Évocations de paysages et d’architectures sculptés principalement dans du carton, ces œuvres au milieu desquelles cheminent les regards et les corps témoignent d’un goût de l’artifice et du trompe-l’œil. Dans cette contemplation, Eva Jospin invite le visiteur à faire surgir son propre imaginaire. »

Photos de Laure Vasconi – Chambre neuve du Camérier

Le parcours se termine avec la projection de plusieurs extraits de films et une série de photographies de Laure Vasconi qui documente les coulisses de l’exposition, depuis le travail de conception et de réalisation dans l’atelier parisien d’Eva Jospin jusqu’au montage des œuvres au Palais des Papes.

Photos de Laure Vasconi : Eva JospinPalazzo – Chambre neuve du Camérier au Palais des Papes – Avignon

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