Jusqu’au 16 septembre 2023, la Fondation Thalie accueille Jeanne Vicerial et Leslie Moquin avec « Persephone » pour son ouverture à Arles. La découverte du lieu et de cette exposition très réussie restera sans doute un des événements remarquables parmi les multiples propositions qui accompagnent la semaine d’ouverture des Rencontres.
Sous le commissariat de Nathalie Guiot, « Persephone » présente un peu moins d’une vingtaine de photographies de la série « Quarantaine vestimentaire », réalisée par l’artiste Jeanne Vicerial et de la photographe Leslie Moquin pendant le premier confinement alors qu’elles étaient pensionnaires à la Villa Médicis. Jusqu’à présent, ces images n’avaient été publiées que sous la forme d’un journal digital sur Instagram pendant cette étonnante période d’isolement.
Les tirages de la « Quarantaine vestimentaire » sont accompagnés au rez-de-chaussée par deux sculptures textiles de la série des « Vénus ouvertes » de Jeanne Vicerial que l’on avait découverte à l’occasion de « ¡ Viva Villa ! 2020 — Les vies minuscules » à la Collection Lambert lors du second confinement.
À l’étage, l’accrochage des photographies où l’on reconnaît plusieurs pièces de la série « Armors » vues à Avignon s’organise autour d’une imposante Gisante et d’un Encéphale…
Pendant le week-end d’ouverture, « Nymphose », une performance de Jeanne Vicerial, avec Julia Cima et Nadine Schütz autour de la métamorphose et du cocoon, s’est déroulée au milieu des photographies de la « Quarantaine vestimentaire » avant de se terminer au pied des Arènes.
Des œuvres in situ commandées à Rina Banerjee, Sylvie Auvray, Karine Rougier et Adrien Vescovi s’accordent harmonieusement avec l’architecture de cette ancienne maison de Drapiers du XVIIIe siècle dont la rénovation a été conduite par Marie-Pierre Vandeputte (Fabra Studio Architectes).
Rina Banerjee, With one tear in eye with tongue in teeth made land loose, 2022. Mosaïques au sol – Sylvie Auvray, Tarasques et cryptoportiques, 2022. Installation céramique à l’ intérieur de la cheminée et Adrien Vescovi, Soleil Blanc, 2022. Coton, lin, chanvre
Quelques œuvres de la collection Fondation Thalie (Lionel Estève, Pauline Guerrier, Pascal Monteil, Jacqueline Surdell, Sylvie Auvray et Marie-Ange Guilleminot) complètent avec élégance ce superbe accrochage.
« Persephone » s’inscrit dans le programme pédagogique « Une Rentrée en Images », un événement organisé par les Rencontres d’Arles du 6 au 27 septembre.
Créée en 2014 par la collectionneuse Nathalie Guiot, la Fondation Thalie accueille depuis 2018 des expositions à Bruxelles avec la volonté de donner une plus grande place aux femmes sur la scène artistique contemporaine et de défendre le dialogue entre les Arts visuels et les savoir-faire. La Fondation Thalie est également impliquée dans un échange entre artistes et scientifiques face à la crise climatique. Ces engagements se traduisent par l’édition de publications imprimées et de multiples.
Un espace de sa maison arlésienne présente une sélection de ses ouvrages. Un pop-up avec une sélection de céramiques de Anne Agbadou-Masson témoigne des invitations confiées à des céramistes contemporains en Belgique.
Depuis 2018, 14 artistes et auteur·e·s ont été accueilli·e·s en résidence dans sa maison bruxelloise. En octobre 2023, la Fondation invite Elise Peroi, artiste française établie à Bruxelles, pour une résidence de production à Arles avec la volonté de dialoguer avec le territoire et les savoir-faire locaux.
On suivra avec intérêt les projets arlésiens que conduira la Fondation Thalie.
À lire, ci-dessous, quelques regards sur « Persephone » que l’on suggère de consulter après un passage par le 34 rue de l’amphithéâtre, au pied des Arènes.
Ouverture du mercredi au samedi, de 14h à 18h uniquement sur réservation.
En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Thalie
Suivre l’actualité de la Fondation Thalie sur Facebook et Instagram
Sur le site de Leslie Moquin
Sur le site de Jeanne Vicerial
Jeanne Vicerial sur le site de la Galerie Templon
« Persephone » : Regards sur l’exposition
L’exposition débute dans le couloir de l’ancienne maison de Drapiers avec un double portrait de Jeanne Vicerial et Leslie Moquin par Samuel Gratacap également pensionnaire à la Villa Médicis en 2019-2020 et un selfie de Jeanne Vicerial.
Le premier est accompagné d’un texte de Jeanne et Leslie qui raconte l’émergence du projet de la « Quarantaine vestimentaire » :
« Un jour une composition vestimentaire pendant 40 jours. C’était avant tout l’idée de continuer à proposer et à créer. De se donner un objectif journalier. Une façon de répondre formellement et visuellement à la situation actuelle. Il ne s’agissait pas forcément d’une protection, ou d’une réaction au virus. J’avais aussi envie d’une chronique matinale autre que les nouvelles que l’on pouvait lire au réveil. Je laissais ainsi sortir chaque pièce quotidiennement. Si les lieux culturels sont fermés, les programmations reportées/annulées, nous sommes encore présents.
Dès le 4e jour de cette Quarantaine Vestimentaire solitaire, la photographe Leslie Moquin décide de m’apporter de l’aide pour l’une des photographies. Depuis ce jour, elle a rejoint ce projet pour lequel nous avons collaboré autour de plus de 50 compositions vestimentaires et plus de 100 clichés photographiques que nous avons ensemble mis en scène. Même si chacune, nous avons nos propres disciplines vêtement/photographie, nous avons joué tous les rôles quotidiennement, un jour costumière, un jour accessoiriste, parfois maquilleuse, styliste, et designeuse, assistante photo… À nous deux, nous avons tenté du mieux possible de créer des espaces imaginaires afin de partager, fusionner nos pratiques et nos disciplines. »
L’artiste a rédigé ce petit texte en forme de préambule qui complète son selfie titré Boccata di fiori : « Bouchée de fleurs » :
« Baci da Roma a tutti, je vous embrasse depuis la Pandémie de fleurs Romaine.
Ce matin, j’ai toussé des Fleurs.
ATTENTION c’est bientôt le printemps, restez chez vous.
Hanahaki Disease, la maladie fictive de Hanahaki naît chez le patient à cause d’un amour à sens unique, le forçant à cracher et à tousser des pétales de fleurs.
Face aux mesures sanitaires actuellement mises en place en Italie, et mon incapacité à pouvoir rentrer, j’ai décidé de consacrer tout mon temps à la pratique.
Un jour = une pièce,
Sorte de journal vestimentaire. »
L’accrochage de cette série « Quarantaine vestimentaire » se poursuit dans la première partie de la grande salle du rez-de-chaussé avec des photographies mise en scène au jour le jour à partir des fleurs récoltées dans les jardins de la Villa Medicis. Chaque tirage est accompagné de quelques lignes souvent extraites de wikipédia qui se terminent par « À demain. Bacio da Roma »…
Sans logique chronologique, on découvre derrière un des battants de la porte Jour n° 31/40 : Akantha & Apollon, puis au dessus de la cheminée Jour n° 13/40 : Menerva « Politique de civilisation », Edgar Morin. Un peu plus loin, trois photographies ont été composées à partir de fleurs de glycines (Jour n° 28/40 : Wisteria, Jour n° 29/40 : Wisteria nº2 et Jour n° 33/40: Wisteria nº3 )
Au centre, deux « Vénus ouvertes » de Jeanne Vicerial se font face. Au pied de la première (Vénus ouverte/Venerina #1, 2020), de la collection Fondation Thalie, on découvre une superbe œuvre in situ de Rina Banerjee (With one tear in eye with tongue in teeth made land loose, 2022), produite pour l’ouverture de la maison.
La seconde (Vénus ouverte/Venerina #2, 2020-2021), prêtée par l’artiste et la Galerie Templon, a demandé plus de 900 heures de travail à la main en utilisant une technique de tricotissage breveté par par l’artiste.
Réalisées avec les fleurs des jardins de la Villa Médicis, ces deux sculptures textiles sont des réinterprétations de la Venerina (« petite Vénus »), une statue anatomique en cire d’abeille réalisée par le céroplaste Clemente Susini à la fin du XVIIIe siècle, elle même inspirée de la Vénus de Médicis. Un parfum, conçu par Nicolas Beaulieu pour ce projet, se dégage des entrailles florales de ces « Vénus ouvertes ».
Pour leur présentation lors de « ¡ Viva Villa ! 2020 – Les vies minuscules » à la Collection Lambert, le texte suivant les accompagnaient :
« Laboratoire de corps – figés, plâtrés, pétrifiés, vitrifiés -, d’écorchées vives de Rome et d’ailleurs ; corpus emprunté à l’histoire de l’art et de la représentation de la femme. Durant un an, Clinique Vestimentaire s’est engagé sur un terrain de recherches afin de réanimer la mémoire de ces corps bafoués, l’histoire des femmes, de la mode, et celle de la prise de parole. Peu à peu, ces moulages – ces Vénus dénudées aux draps déchus, mouillés et souillés – prennent enfin la parole et nous racontent que ce n’était pas vraiment leur choix.
Les éléments – l’eau, la terre, le feu – convergent vers un nouvel embryon activant, réanimant et offrant un second souffle à ces corps. Doucement, l’armée se dresse, au travers des plissés, des fils, de coutures et des drapés afin de donner enfin leur propre vision de l’histoire de la féminité ».
L’exposition continue à l’étage avec un peu plus d’une dizaine de photographies de la série « Quarantaine vestimentaire » qui mettent en scène des sculptures textiles.
Plusieurs semblent faire écho au peuple d’Armors, constitué de gardiennes, de gisantes, de présences… comme en témoigne Jour n° 38/40 : ARMOR.
Un jour demoiselle d’honneur (Jour n° 27/40 : Ménine), après avoir été une créature japonaise légendaire (Jour n° 14/40 : Fantôme sans visage [のっぺら坊] « noppera-bo »), certaines portent une coiffe (Jour n° 16/40) ou ont les cheveux réunis en tresse ou natte (Jour n° 34/40 : Entremêlée).
À côté de la fenêtre, l’une d’elles présente une étonnante variété asiatique de cédrats digités (Jour n° 30/40 : La main de Bouddha).
Près de la porte, des mèches de fil rouge s’échappent de la bouche de la première (JOUR n° 18/40 : Lingua del fuoco) avec la volonté de parler et « ne pas avoir sa bouche dans sa poche ». La seconde laisse éclater un resplendissant sourire (JOUR n° 17/40 : démasquée) à une période ou voir la bouche était le nouveau tabou…
L’accrochage des ces photographies s’articule autour d’une impressionnante Gisante (2020-2021) qui était accompagnée par des Armors dans l’exposition « Au-delà – Rituels pour un nouveau monde » proposé par Lafayette Anticipations au printemps dernier. Elle était également présente à la rentrée 2022 pour « Sculpture Factory » dans le cadre du Brussels Gallery Weekend. Le corps de cette sculpture tricotissée est rempli de fleurs séchées.
Face à la cheminée, Encéphale n° 1 (2022) faisait partie des sculptures présentées en début d’année dans « Armors », première exposition personnelle de Jeanne Vicerial à la Galerie Templon Paris. L’artiste les décrivait alors ainsi :
« Telle une armée, ces présences se redressent et exposent leurs cicatrices de fils suturés. Parées de leurs “armors”, elles marchent fièrement vers l’avenir et dessinent les contours d’une histoire de la féminité. »
Le parcours se termine au pied de l’escalier, dans le couloir avec deux photographies de la « Quarantaine vestimentaire » (Jour n° 37/40 : « Tropaeolum majus » dite Grande Capucine et Jour n° 40/40 : « Bouquet Final ») et un retour à la couleur et aux fleurs…