« Angles de vision » à la Friche de l’Escalette – Marseille

Richard Baquié - Jean Amado & François Stahly


Pour sa huitième saison, la Friche de l’Escalette expose, sous le titre « Angles de vision », trois artistes aux regards et aux moyens d’expression à priori assez différents. Toutefois, à lire l’introduction du catalogue, « leur faculté à créer des œuvres poétiques rapproche ces trois personnalités »…

Richard Baquié

Pour celles et ceux qui connaissent l’histoire de l’art contemporain à Marseille, on ne présente plus Richard Baquié, figure météorique et incontournable de la scène artistique dans les années 1980-1990. Pour les autres, on renvoie, parmi d’autres, à l’article d’Eric Mangion dans art press à l’occasion de « Richard Baquié – Déplacements » une exposition à l’Hôtel des Arts de Toulon en 2017.

Yves Gallois - Portrait de Richard Baquié - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Yves Gallois – Portrait de Richard Baquié – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Exposer des œuvres de Richard Baquié à l’Escalette s’imposait comme une évidence. En effet, l’artiste fréquentait régulièrement les ruines de cette ancienne usine de traitement du plomb sur la route des Goudes, devenu entre autres une casse automobile. Baquié y récupéra plusieurs carcasses de voitures qui ont été à l’origine de sculptures emblématiques. Un ensemble de photographies d’Yves Gallois en témoignent.

Dans le couloir du bâtiment qui fut un restaurant et une boite de nuit illicites, « Angles de vision » présente Epsilon (1986), une des installations magistrales de Richard Baquié.

Richard Baquié - Epsilon, 1986 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Richard Baquié – Epsilon, 1986 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Cette grande œuvre en trois parties s’articule autour de la carcasse carbonisée et rouillée d’une Renault 16, icône de la voiture familiale française des années 70 et de l’âge d’or industriel des trente glorieuses. L’épave provient probablement de la casse de l’Escalette. À l’arrière de la R16, un long texte difficile à déchiffrer a été composé avec des lettres irrégulières, découpées au chalumeau dans la carrosserie.

Richard Baquié - Epsilon, 1986 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Richard Baquié – Epsilon, 1986 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Un grand cercle a été évidé dans la porte avant droite. Après une séquence de chiffres qui paraissent s’être envolés de la voiture, ce morceau de portière est accroché au mur. Des caractères composent ce texte énigmatique : « rien juste la mémoire de la lumière »… Au-dessus, un petit globe terrestre était initialement animé par un engrenage à courroie actionné par un moteur électrique.

Richard Baquié - Epsilon, 1986 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Richard Baquié – Epsilon, 1986 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Encastré dans le trou de la porte, un imposant ventilateur soufflait périodiquement à travers la voiture, la faisant violemment vibrer dans un bruit apocalyptique. Ces deux mécanismes attendent une restauration pour redonner « vie » à Epsilon.

Richard Baquié - Epsilon, 1986 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Richard Baquié – Epsilon, 1986 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

La R16 semble se précipiter en direction d’un panneau composé de quatre lettres découpées en tôle ondulée pour former le mot ZERO qui contraste fortement avec l’état vieux ou calamiteux de la voiture…

Richard Baquié - Epsilon, 1986 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Richard Baquié – Epsilon, 1986 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Epsilon appartient aux œuvres dans lesquelles Baquié utilise le langage de manière un peu moins laconique. À travers ces fragments de phrases, certains ont pu y déceler la possibilité d’une narration, voire même les bribes d’une autobiographie… L’installation semble mélanger violence et vulnérabilité, mouvement et immobilité.

Cette œuvre a été exposée en 1986 au Guggenheim de New York dans « Angles of vision : French Art Today ». Elle a ensuite été montrée dans « Richard Baquié : Rétrospective 1952-1996 » au Capc à Bordeaux puis au [mac] à Marseille en 1997-1998.

Plus récemment, Céline Kopp et Étienne Bernard avaient choisi d’exposer Epsilon dans « À cris ouverts » en 2018 pour Les Ateliers de Rennes, biennale d’art contemporain. Dans un article pour art press, relatif à cet événement, Éric Mangion soulignait : « C’est une forme de mélancolie qui se dégage de ses carcasses automobiles. La voiture n’est qu’une ruine, une vanité », avant de citer Baquié : « Aujourd’hui, la rapidité du déplacement ne permet plus l’appréhension du réel. Pourquoi ne peut-on plus croire au modernisme comme dans les années 1960 ? »

Aujourd’hui, la question est sans doute de s’interroger sur ce qu’est l’expérience d’une œuvre telle qu’Epsilon plus de trente ans après sa création… On a le souvenir d’une même interpellation, il y a quelques années devant le Cockpit (1986-1987) dans l’exposition « Voyage Voyages » au Mucem.

Trois photos d’Yves Gallois témoignent de la création d’Epsilon dans l’atelier de Baquié à la Joliette.

Leur visibilité est malheureusement contrariée par de mauvais reflets et effets de miroir. Ceci est corrigé par leur reproduction dans le catalogue.

Six autres tirages noir et blanc montrent Baquié à l’Escalette, dont quatre où il est en plein travail dans le découpage de la Plymouth qui lui servira à la réalisation de Amore Mio pour l’exposition « Richard Baquié et ses invités » à l’Arca, la galerie de Roger Pailhas au Cours Julien en décembre 1985. Cette œuvre majeure est aujourd’hui dans les collections du [mac] où elle était présente dans « Parade » pour la réouverture du musée d’art contemporain de Marseille.

Yves Gallois - Portrait de Richard Baquié - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
Yves Gallois – Portraits de Richard Baquié – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Deux grands portraits de Baquié par Yves Gallois sont également accrochés dans l’exposition. Le photographe signe dans le catalogue quelques lignes très émouvantes sur sa relation avec l’artiste.

Yves Gallois – Portraits de Richard BaquiéAngles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Après quelques désillusions liées à la réception de Cockpit au Centre Pompidou en 1987 et à celle de son installation L’Aventure dans la cité des Cèdres à Malpassé, un quartier sensible de Marseille, Baquié part vivre quelques mois au Japon. Sans quitter définitivement Marseille, il se consacre de plus en plus aux voyages et conçoit des œuvres où il juxtapose des cartes, des objets et des photographies à des fuseaux métalliques. De ces tentatives pour « fixer » le temps et l’espace dans un même support, « Angles de vision » présente Tokyo (1989) et Alexandrie (1990).

Richard Baquié – Tokyo, 1989 et Alexandrie, 1990 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Malheureusement mal éclairés, deux dessins de sa série Approches (Approche frontale et Approche de face) semblent fonctionner comme des rébus énigmatiques qui concluent l’exposition…

Richard Baquié – Approche frontale et Approche de face , 1992 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Sculpture d’architecte – Jean Amado et François Stahly

Pour cet été 2023, la Friche de l’Escalette présente dans son parcours extérieur quelques œuvres de Jean Amado et François Stahly dont les itinéraires croisent plusieurs architectes.

Jean Amado

L’Aixois Jean Amado a plusieurs fois collaboré avec Fernand Pouillon, notamment pour les Cactus (1950-51), sculptures en céramique émaillée installées au-dessus des portes d’immeubles de La Tourette dans le cadre de la reconstruction du Vieux-Port.

En 1958, il invente le Cérastone, un matériau composé d’un mélange de ciment et de sable de basalte cuit à 1 000° qui lui permet de créer de très grands bas-reliefs émaillés et de tours-sculptures pour Jean Dubuffet. Jean Amado est l’auteur de très nombreux bas-reliefs et panneaux muraux pour des édifices publics et privés à Marseille, dans la région et dans l’ensemble de la France. Recommandé par Jean Dubuffet, il expose entre 1970 et 1990 à la Galerie Jeanne Bucher Jaeger. Plusieurs de ses sculptures monumentales font partie de collections muséales françaises et étrangères.

Jean Amado – Giron minéral, 1992 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Jean Amado – Degrés vertigineux, 1991 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Quatre œuvres imposantes sont présentées : Giron minéral (1992) au dessus du Bungalow du Cameroun de Jean Prouvé, Degrés vertigineux, (1991) au pied du mur cyclopéen où sont accrochés les reliefs en acier corten de Pierre Tual, Le doute et la pierre (1960) et Le passage (1992) dans les anciens ateliers de l’Escalette, en dialogue avec Claustra d’Héloïse Bariol.

Jean Amado – Le doute et la pierre, 1960 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Jean Amado – Le passage, 1992 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Ces sculptures étonnent par les étranges architectures quelles évoquent. En faire l’expérience, c’est convoquer de multiples souvenirs de voyages et/ou d’images où s’entremêlent songes, mirages, fictions, visions fantastiques et réminiscences littéraires et archéologiques.

Ces œuvres intriguent également par leur processus de montage et d’assemblage… Le compte Instagram de la Friche de l’Escalette dévoile les coulisses de l’installation de Giron minéral.

François Stahly

Deux nouvelles sculptures de François Stahly viennent rejoindre celles qui sont présentes dans le parcours de la Friche de l’Escalette et dans la collection.

François Stahly - Théâtre en plein air, 1964 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
François Stahly – Théâtre en plein air, 1964 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Face au pavillon de Jean Prouvé avec lequel Stahly a collaboré, on découvre Théâtre en plein air (1964), une maquette en bronze composé de quatre éléments posés au sol. L’horizontalité de cette pièce répond avec audace à la verticalité du tirage en bronze des Cinq stèles Rämibühl (vers 1970) installé sur la terrasse.

François Stahly - Cinq stèles Rämibühl, vers 1970 - Anges de vision à la Friche de l'Escalette 2023
François Stahly – Cinq stèles Rämibühl, vers 1970 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Cette œuvre avait été montrée à l’été 2020 avec la Chaine d’eau (1959-60) que l’on retrouve à l’entrée des anciens ateliers de l’Escalette.

François Stahly – Chaine d’eau, 1959-60 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Pour trouver la seconde sculpture de François Stahly, il faut grimper dans les ruines en direction de la fabuleuse installation L’été de la forêt exposée en permanence depuis 2020. Un peu plus loin, Labyrinthe (1963) et sa centaine de petits menhirs de granit semble répondre avec discrétion à la monumentalité du « bois sacré » de Stahly.

François Stahly - Labyrinthe, 1963 - Angles de vision à la Friche de l'Escalette 2023
François Stahly – Labyrinthe, 1963 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Cet extraordinaire assemblage de poutres sculptées qui s’élance vers le ciel a pu rejoindre la Friche de l’Escalette après plusieurs décennies passées dans le domaine des Rockefeller au nord de New York, dans la vallée de l’Hudson.

François Stahly – L’été de la forêt, 1964–1966 – Angles de vision à la Friche de l’Escalette 2023

Parcours permanent des sculptures

Cette magistrale installation de François Stahly est, avec les Reliefs (vers 1970) en acier corten de Pierre Tual et la superbe Cabane perchée de Marjolaine Dégremont, une des pièces majeures du parcours permanent des sculptures dans les ruines de l’ancienne usine de traitement du plomb.

Pierre Tual – Reliefs, vers 1970 à la Friche de l’Escalette 2023

Marjolaine Dégremont – Cabane perchée, 2022 à la Friche de l’Escalette 2023

On retrouve un tirage en bronze d’une sculpture de Marjolaine Dégremont avec l’Œil du chat ou Le guetteur (2006-2016) installé à côté du Bungalow de Prouvé. À ses pieds, L’Envol (1967) de Costas Coulentianos voisine avec une sculpture inconnue.

Costas Coulentianos - L’Envol, 1967 à la Friche de l'Escalette 2023
Costas Coulentianos – L’Envol, 1967 à la Friche de l’Escalette 2023

Héloïse Bariol – Claustra, 2022 et Gérard Traquandi – Méduse noire, 2009 et Jarre noire, 2010 à la Friche de l’Escalette 2023

Derrière le Claustra d’Héloïse Bariol, se cachent deux céramiques baroques de Gérard Traquandi (Méduse noire, 2009 et Jarre noire, 2010). Dans un des anciens ateliers en chantier, une autre des Cabanes perchées de Marjolaine Dégremont semble résister dans un équilibre précaire…

Marjolaine Dégremont - Cabane perchée, 2022 à la Friche de l'Escalette 2023
Marjolaine Dégremont – Cabane perchée, 2022 à la Friche de l’Escalette 2023

Bungalow du Caméroun de Jean Prouvé

Installé au centre de ce qui fut le bâtiment principal de l’ancienne usine de traitement du plomb, le Bungalow du Cameroun (1958-1964) de Jean Prouvé témoigne des ambitions de la Friche de l’Escalette à proposer une réflexion sur l’architecture légère et sur la « philosophie du cabanon ».

Jean Prouvé - Bungalow du Cameroun, 1958-1964 à la Friche de l'Escalette 2023
Jean Prouvé – Bungalow du Cameroun, 1958-1964 à la Friche de l’Escalette 2023

À l’intérieur de la construction de Prouvé, plusieurs éléments de mobilier et de décor sont exposés dont une table tropique de Prouvé et des chaises Méribel de Charlotte Perriand du début des années 50, des placards Brazza de Prouvé & Perriand ou encore des banquettes Consado (1958) également de Perriand. À l’extérieur, des tables de jardin (1950/60) de Colette Guéden sont entourées de chaises italiennes des années 60.

Jean Prouvé - Bungalow du Cameroun, 1958-1964 à la Friche de l'Escalette 2023
Jean Prouvé – Bungalow du Cameroun, 1958-1964 à la Friche de l’Escalette 2023

Pop-up Galerie 54

L’exposition consacrée à Richard Baquié partage le bâtiment avec un Pop-up de la Galerie 54 qui propose plusieurs œuvres d’art moderne & contemporain, d’art primitif et des pièces de design historique de la galerie d’Eric Touchaleaume. Celui-ci est un des partenaires majeurs de la Friche de l’Escalette, une initiative privée.

Incontournable, la visite gratuite, sur réservation, est accompagnée par un·e étudiant·e de l’École d’Architecture de Marseille. Tous les jours jusqu’a la fin aout et le week-end en septembre et octobre.

En savoir plus :
Sur le site de la Friche de l’Escalette
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