Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles

Pascal Convert, Latif Eshraq, Ferrante Ferranti, Morteza Herati, Zahra Khodadadi, Zolaykha Sherzad, Mohsin Taasha, Naseer Turkmani. Photographies de Ria Hackin et Marc Riboud, témoins de l'histoire. Courts-métrages réalisés par Barmak Akram et Oriane Zerah


Jusqu’au 7 janvier 2024, la Chapelle Méjan à Arles présente « Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles », une magistrale exposition, sans aucun doute une des plus réussies et indispensables de cette rentrée dans le midi de la France.

Impulsé par Zolaykha Sherzad et produit par Étoffe d’artistes, ce projet est initié après la rencontre de la créatrice avec Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, lors de la clôture de l’exposition « Sur le fil, création textile des femmes afghanes » au Musée Guimet, l’hiver dernier.

L’intention déclarée est de proposer « un regard croisé inédit entre artistes contemporains afghans et français, entre création actuelle et témoignages du passé, pour tisser l’histoire de l’Afghanistan et préserver le souffle des corps ».

L’exposition est construite avec l’ambition de donner une place singulière au corps, d’abord à celui de la femme auquel Zolaykha Sherzad consacre ses créations et son combat depuis plus de vingt ans.

Sous le commissariat talentueux et inventif de Guilda Chahverdi, « Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles » rassemble une très belle sélection de créations textiles, de photographies, de peintures, d’installations et de courts-métrages. Conseillée par Sandra Calligaro et Nicolas Engel, la commissaire présente une mise en scène sobre et élégante, construite autour d’une œuvre emblématique de Zolaykha Sherzad (Hawa-e Azad (Espace Libre), Kaboul, 2018).

Suspendue au centre de la chapelle, en plein envol, cette magnifique pièce de soie plissée et tissée à la main avec une calligraphie sérigraphiée structurait également l’accrochage de l’inoubliable « Kharmohra – L’Afghanistan au risque de l’art » au Mucem en 2019/2020.

Trois majestueuses créations textiles de Zolaykha Sherzad – assemblages de pans de chapans, d’ikats et de suzanis anciens anciens – s’imposent comme des sculptures à la beauté hiératique. Accrochées au plafond par des fils presque invisibles, d’imperceptibles mouvements les animent au passage des visiteurs. Entre les morceaux d’étoffe qui les constituent, sont incrustés de vœux écrits sur des bouts de papier…

Aux murs, des pièces de toile de coton teintes à la main, brodées et sérigraphiées évoquent la paix, le souffle, un cœur qui bat ou l’éclosion de tulipes. Elles sont accompagnées de magnifiques manteaux en taffetas de soie grège, calligraphiée et brodée de la créatrice.

À gauche, les teintes rouges dominent. Elles répondent au lapis-lazuli qui s’impose sur la droite. Ces deux ensembles rythment et architecturent l’accrochage.

Dans le chœur, on découvre une merveilleuse robe de soie blanche et pourpre, inspirée à Zolaykha Sherzad par l’espace de la Chapelle.

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Le cartel précise que cette pièce « rend hommage à la femme afghane brimée sous le régime des talibans, bannie de l’espace public, privée d’éducation et de travail ». Les broderies recourent à la technique du boutis ou broderie de Marseille qui illustre la volonté de marquer une rencontre forte entre l’Orient et l’Occident.

Cette robe est accompagnée de trois pièces réalisées par des brodeuses de l’atelier Zarif Design. Le motif de la tulipe et les couleurs rouge et bleu illustrent l’éclosion de ces fleurs au printemps.

Zolaykha Sherzad écrit à propos de cette pièce qu’elle dédie à Jean-Paul Capitani :

« Quelques soient les drames et le noir qui soudainement s’abat dans le pays, les tulipes poussent et leur beauté illumine. Au printemps, mon équipe se rend dans le nord de l’Afghanistan à Mazar-e Charif pour contempler les tulipes, pour respirer la force de la nature et se recueillir. […] Les tulipes ne meurent jamais. Le rouge et le bleu sont ces couleurs qui contrastent avec le noir du deuil. L’expérience répétée de la beauté est source d’espoir et de renaissance. Notre souffle devient éternel ».

Sur la droite, un espace de projection présente deux courts-métrages d’Oriane Zérah et de Barmak Akram sur le travail de Zolayra Sherzad et de l’atelier Zarif design à Kaboul.

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Au préalable, un ensemble de broderies traditionnelles et en boutis, réalisées par le groupe de jeunes femmes en formation à Kaboul, leur permet d’exprimer librement leurs souhaits et leurs rêves. On peut regretter que ce «point de rencontre entre Orient et Occident » n’ait pas bénéficié de meilleures conditions d’exposition…

Les créations textiles de Zolayra Sherzad et de l’atelier Zarif design, qui sont au cœur de l’exposition, dialoguent avec des œuvres d’artistes afghans arrivés en France en 2021 après la prise de pouvoir des talibans. On avait découvert le travail de plusieurs d’entre eux lors de « Kharmohra – L’Afghanistan au risque de l’art » au Mucem.

On retrouve, sur la droite, deux toiles saisissantes de Latif Eshraq (Farkhunda et Donbal (La poursuite), Kaboul, 2017) qui témoignent de la période précédant le retour des talibans au pouvoir.

Elles font face à de terrifiants petits formats qui appartiennent à des séries récentes (Ébats 1 et 2 et Étreinte de la série Éclat de chair, Kaboul, 2021 et Corps cendré 1 et 2, 2022).

À gauche, la série La renaissance du rouge de Mohsin Taasha continue d’évoquer la persécution des Hazaras. Ici deux œuvres produites à Kaboul en 2019 et 2022 sont accompagnées par une pièce réalisée à Nice cette année (La renaissance du rouge, Série III Dehmazang, 2023).

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Gouache, feutre, feuilles d’argent sur papier wasti irradient avec incandescence dans l’espace d’exposition… Ces œuvres captivantes font écho avec le rouge, l’or et le noir des pièces voisines de Zolayra Sherzad.

On reconnaît également plusieurs photographies de Morteza Herati appartenant à ses séries Les murs d’Hérat et Les garçons du fleuve II qui étaient accrochées au Mucem.

Il est impossible de détourner son regard de celui du Vieil homme et ses mains (Série Identité, Hérat, 2017) et d’être impassible devant La jeune fille et le vent (Hérat, 2016)…

Plusieurs très beaux tirages de Zahra Khodadadi témoignent de la vie quotidienne à Kaboul. Un de ses paysages de la vallée de Bamiyan est habilement rapproché avec celui de Ferrante Ferranti.

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Deux superbes images de Naseer Turkmani encadrent un imposant polyptyque photographique de Pascal Convert.

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Au début du parcours, des photographies conservées par le Musée Guimet témoignent du regard de Ria Hackin sur le Turkestan en 1936, et de celui de Marc Riboud en 1955 sur le quotidien à Kaboul, dans la vallée de Bamiyan et à Pul-i-khumri.

Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini - Regards croisés, de Kaboul à Arles - Chapelle du Méjan
Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles – Chapelle du Méjan

Cette remarquable exposition est accompagnée par des rencontres et des lectures-performances dont le programme est disponible sur le site l’association du Méjan.

On espère qu’une publication prolongera cette incontournable exposition.

À lire, ci-dessous, le texte de présentation de « Afghanistan, tisser l’horizon à l’infini – Regards croisés, de Kaboul à Arles ».

En savoir plus :
Sur le site du Méjan
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افغانستان Afghanistan, Tisser L’horizon À L’infini – Regards Croisés De Kaboul à Arles : Texte de présentation

Pascal Convert, Latif Eshraq, Ferrante Ferranti, Morteza Herati, Zahra Khodadadi, Zolaykha Sherzad, Mohsin Taasha, Naseer Turkmani.

Photographies de témoins de l’histoire Ria Hackin et Marc Riboud. Courts-métrages réalisés par Barmak Akram Et Oriane Zerah

Commissaire : Guilda Chahverdi

N’est-il pas vrai que perdre nous soulève après que la perte nous a terrassé ?
N’est-il pas vrai que perdre nous fait désirer après que le deuil nous a immobilisés ?

Georges Didi Hubermann, Désirer, désobéir. Ce qui nous soulève

Cette exposition est née de la rencontre en 2023 entre des personnalités d’Arles, passionnés d’art du fil et de culture afghane, et Zolaykha Sherzad, qui clôturait une exposition au Musée national des arts asiatiques – Guimet (octobre 2022 — février 2023) « Sur le fil, création textile des femmes afghanes ».

L’histoire des Afghans est marquée par l’effacement de la vie et de la terre, toutes deux porteuses de la mémoire d’une civilisation et d’une culture millénaires, par les migrations et l’éloignement avec les siens par la dépossession, l’humiliation, mais aussi la résistance. Inlassablement, le peuple Afghan ou qu’il soit — au-delà des frontières ou dans le pays même — s’est relevé à chaque perte, pour construire, maintenir une verticalité et préserver une mémoire.

Cette exposition réunit les œuvres d’artistes afghans et français contemporains ainsi que des témoins du passé, pour tisser l’histoire de l’Afghanistan et préserver le souffle des corps. Parmi les artistes afghans, certains, photographes et peintres, sont arrivés en France en 2021 après la prise de pouvoir des talibans. Leur travail témoigne de la période précédant le renversement récent et de celle qu’ils traversent aujourd’hui. Les œuvres d’art rencontrent des pièces artisanales brodées récemment par de jeunes femmes en Afghanistan, comme un acte de résistance pour l’expression d’une liberté et l’affirmation de leur appartenance à une société qui leur est hostile. Leurs ouvrages marquent la passation d’un savoir-faire. Elles utilisent le procédé du boutis, qui dessine un pont entre l’Afghanistan et la France. Entre Kaboul et Arles.

Le corps est à l’honneur. Entre les corps, il y a le silence nécessaire à l’écoute des âmes. L’exposition offre un dialogue sensible entre la vie des corps que le fil habille, l’art du tissage dans le temps et l’histoire de l’Afghanistan. Il s’agit d’abord du corps de la femme, auquel l’artiste Zotaykha Sherzad consacre ses créations et son combat depuis une vingtaine d’années, puis de celui des êtres qui ont habité et habitent l’Afghanistan. Les artistes expriment son absence, les empreintes de la cruauté qui le marque, l’amour dont il est le témoin, le deuil qui dilue le temps et l’horizon, source d’espoir et d’élévation.

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