Ce que disent les plantes au Grenier à sel à Avignon

Avec : Donatien Aubert - Karl Blossfeldt - Betty Bui - Miguel Chevalier - Thierry Cohen - Jean Comandon - Valère Costes - Jean-Henri Fabre - Jérémy Griffaud - Fabrice Hyber - Benjamin Just - Laurent Pernot - Sabrina Ratté - Max Reichmann - aurèce vettier


Jusqu’au 22 décembre 2023, le Grenier à sel présente « Ce que disent les plantes » et propose à douze artistes de « livrer leur regard sur le végétal ». Très attendue, cette exposition affirme l’ambition de construire un dialogue entre créations contemporaines, herbiers anciens et ouvrages scientifiques pour nous inviter à « repenser notre relation au vivant »…

Véronique Baton, commissaire de l’exposition, précise ainsi ses intentions :

« Que nous disent les plantes, qu’inspirent-elles aux artistes, à l’heure des bouleversements climatiques, des grands défis de l’agriculture et d’une nature de plus en virtuelle ou artificielle qui nous enjoint de repenser notre relation fondamentale avec elle ? (…) Entre éloge de la beauté, célébration de la vie, ou volonté de préserver la biodiversité face à l’altération des écosystèmes, “Ce que disent les plantes” propose de s’immiscer au cœur d’une société non-humaine et de s’ouvrir à la diversité des approches artistiques. Portant un éclairage sensible sur les préoccupations actuelles, elles invitent toutes à se délester d’une vision anthropocentrique séculaire et à se reconnecter avec la nature ».

Formulé ainsi, le projet ne pouvait qu’attirer l’attention, éveiller de multiples curiosités et susciter aussi quelques interrogations sur l’étendue du périmètre retenu.

Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Chrysalides n°1 et n°2), 2020. Dispositifs interactifs sonores et lumineux, électroniques, tubes et demie sphère en inox poli, nœuds imprimés en 3D par frittage de poudre, plaques de PMMA, boite en aluminium, billes d’argile, terre, végétaux. 82,2 x 64,8 x 75,1 cm. 75,9 x 62,3 x 78 cm. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard
Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Chrysalides n°1 et n°2), 2020. Dispositifs interactifs sonores et lumineux, électroniques, tubes et demie sphère en inox poli, nœuds imprimés en 3D par frittage de poudre, plaques de PMMA, boite en aluminium, billes d’argile, terre, végétaux. 82,2 x 64,8 x 75,1 cm. 75,9 x 62,3 x 78 cm. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Nombre des œuvres sélectionnées répondent en partie aux objectifs du commissariat. La plupart illustrent ce que les plantes inspirent aux artistes et certaines portent « un éclairage sensible sur les préoccupations actuelles ». Par contre, il est beaucoup plus difficile d’entendre à travers elles « Ce que disent les plantes » et en parcourant l’exposition, de « se délester d’une vision anthropocentrique séculaire et à se reconnecter avec la nature »…

Trois thèmes devaient structurer l’exposition : Célébrer, Conserver et Recréer.
La volonté de construire le parcours en entremêlant ceux-ci ne permet pas de dégager des articulations et des rapprochements éclairants. Très vite, la déambulation dans les espaces du Grenier à sel se réduit à un enchainement d’œuvres, souvent spectaculaires, qui nous parlent toutes de plantes, mais où l’on peine à entendre ce que celles-ci ont à nous dire.

Karl Blossfeldt,  4 planches extraites de Wundergarten der Natur (Le jardin des merveilles de la nature), 1932 et 4 planches extraites de Urformen der Kunst (Les formes originelles de l’art), 1928 Collection privée, New-York.  - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard
Karl Blossfeldt, 4 planches extraites de Wundergarten der Natur (Le jardin des merveilles de la nature), 1932 et 4 planches extraites de Urformen der Kunst (Les formes originelles de l’art), 1928 Collection privée, New-York. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Curieusement, ce sont les planches de l’herbier photographique de Karl Blossfeldt, les séquences cinématographiques de Max Reichmann et Jean Comandon et surtout les quelques dessins du fabuleux Atlas racinaire qui paraissent être au plus près de ce que les plantes ont à nous dire. On peut toutefois regretter que le cartel associé à ces dessins, extraits du Wurzelatlas des mauvaises herbes des champs et plantes cultivées d’Europe centrale, n’évoque pas du tout les recherches sur la communication souterraine entre les végétaux et encore moins les débats autour du comportement végétal et de formes d’« intelligence » à la fois individuelle et collective des plantes…

Atlas racinaire, Wurzelatlas, Mitteleuropaischer Ackerunkrauter und Kulturplanzen à partir de 1960. Sous la direction de Lore Kutschera.  - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard
Atlas racinaire, Wurzelatlas, Mitteleuropaischer Ackerunkrauter und Kulturplanzen à partir de 1960. Sous la direction de Lore Kutschera. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

À l’inverse, une troublante fascination pour les « intelligences artificielles » conduit certains artistes à « entraîner » des algorithmes pour donner corps à des formes végétales. Ainsi, aurèce vettier, une identité formée à l’aide d’un algorithme par Paul Mouginot, propose une planche de botanique peinte à l’huile sur une toile (A. real. collect, 2021) et quelques sculptures en bronze (Bitter-hemp, 2022) assez ternes et déprimantes.

aurèce vettier, A.real.collect, 2021. Huile sur toile à partir d’images générées par une IA. 180 x 270 cm. Courtesy Darmo collection.  - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard, ADAGP 2023
aurèce vettier, A.real.collect, 2021. Huile sur toile à partir d’images générées par une IA. 180 x 270 cm. Courtesy Darmo collection. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard, ADAGP 2023

De son côté, Miguel Chevalier, pionnier de l’art numérique dont a pu quelquefois apprécier le travail, propose Meta-Nature IA, 2023, une spectaculaire installation numérique générative infinie produite en utilisant une application de Midjourney dont les effets pourraient évoquer chez certains/certaines le souvenir des kaléidoscopes de leur enfance ou des Psychedelic light shows de leur jeunesse. L’œuvre projetée au Grenier à sel est très probablement une version réduite de la monumentale projection sur le Dongdaemun Design Plaza – un complexe architectural de Zaha Hadid – pour Seoul Light DDP 2023.

Miguel Chevalier, Meta-Nature IA, 2023. Installation numérique générative infinie. Logiciel : Claude Micheli
Dim. Variables.  - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard, ADAGP 2023.
Miguel Chevalier, Meta-Nature IA, 2023. Installation numérique générative infinie. Logiciel : Claude Micheli Dim. Variables. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard, ADAGP 2023.

Miguel Chevalier et ses fleurs artificielles ont peut-être quelque chose à nous dire… Mais qu’en est-il des plantes ? Qu’en pensent-elles ?

D’autres œuvres paraissent plus à l’écoute du monde végétal. Ainsi, le premier épisode de La Vallée (2022) où la caméra de Karim Hapette et Michaël Huard suit Fabrice Hyber mérite qu’on lui accorde 15 minutes d’attention.

Fabrice Hyber y raconte le lien très particulier et déterminant qu’il entretient avec le lieu-dit La Serrie en Vendée. On regrette qu’au moins une de ses œuvres ne soit accrochée au Grenier à sel…

L’installation Forêt résiliente (2021-2023) de Benjamin Just est certainement une des propositions les plus captivantes proposées par « Ce que disent les plantes ».

Benjamin Just, Forêt résiliente, 2021-2023 (projet en cours). Installation de sculptures interactives, bois, moteur, arduino, spatialisation sonore, vidéo projection 4K. Dim. Variables. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard
Benjamin Just, Forêt résiliente, 2021-2023 (projet en cours). Installation de sculptures interactives, bois, moteur, arduino, spatialisation sonore, vidéo projection 4K. Dim. Variables. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Les sept souches de bois issues de différentes forêts françaises « nous plongent dans l’intimité d’un rapport où, pulsations, sons et rayons de lumière nous éclairent sur l’histoire de ces arbres disparus ». Leurs cernes s’animent progressivement chaque fois qu’une déforestation est détectée sur le site globalforestwatch.org. Une projection vidéo d’une image satellite matérialise ces disparitions et un environnement sonore restitue la vie des espèces qui vivent dans ce milieu et celle des hommes qui y travaillent.

C’est sans doute une des rares œuvres de l’exposition où l’artiste tente de nous faire entendre ce que les plantes ont à nous dire, en particulier à propos de la manière dont on les exploite.

En face, un grand tirage photographique monté sur un caisson lumineux (Carbon catcher #20, 2018) de Thierry Cohen superpose deux images en créant un paysage étrangement muet.

Thierry Cohen, Carbon catcher #20, 2018. Photographie, tirage pigmentaire, caisson lumineux
154 x 229 cm. Courtesy Danziger Gallery, New York. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard
Thierry Cohen, Carbon catcher #20, 2018. Photographie, tirage pigmentaire, caisson lumineux 154 x 229 cm. Courtesy Danziger Gallery, New York. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Plus loin, sur un papier peint, Sabrina Ratté propose les quatre vidéos de sa série Floralia (2021). Comment ne pas être interloqué par cette inquiétante et angoissante « simulation d’écosystèmes nés de la fusion entre technologie et matière organique, où passé et futur cohabitent dans une perpétuelle mise en tension du présent »…

Sabrina Ratté, Floralia, 2021. Conception sonore par Andrea-Jane Cornell. Dim. Variables. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard
Sabrina Ratté, Floralia, 2021. Conception sonore par Andrea-Jane Cornell. Dim. Variables. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Mais qui parle ici ? Sabrina Ratté ? Donna Haraway, Ursula Le Guin et Greg Egan, les auteur·e·s qui l’ont inspiré ou les images spectrales d’hortensia, de rosiers, de sous-bois ou de troncs d’arbre que l’on croit reconnaitre ?

On retrouve avec beaucoup d’intérêt plusieurs œuvres du projet « Les jardins cybernétiques » de Donatien Aubert. On avait eu le privilège de les découvrir lors d’une courte visite, pendant le confinement, de « Que voulons-nous faire pousser sur les ruines ? », la deuxième partie d’Éternité, l’exposition centrale de Chroniques 2020, seconde édition de la Biennale des Imaginaires Numériques organisée par Seconde Nature et Zinc.

Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Chrysalides n°1 et n°2), 2020. Dispositifs interactifs sonores et lumineux, électroniques, tubes et demie sphère en inox poli, nœuds imprimés en 3D par frittage de poudre, plaques de PMMA, boite en aluminium, billes d’argile, terre, végétaux. 82,2 x 64,8 x 75,1 cm. 75,9 x 62,3 x 78 cm. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard
Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Chrysalides n°1 et n°2), 2020. Dispositifs interactifs sonores et lumineux, électroniques, tubes et demie sphère en inox poli, nœuds imprimés en 3D par frittage de poudre, plaques de PMMA, boite en aluminium, billes d’argile, terre, végétaux. 82,2 x 64,8 x 75,1 cm. 75,9 x 62,3 x 78 cm. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Sculptures sonores et interactives, les Chrysalides n° 1 et n° 2 sont des couveuses futuristes pour végétaux qui font écho aux fermes verticales dans les espaces urbains. Elles expriment clairement que notre présence les perturbe. Les sons harmonieux d’espaces naturels qui les environnent se font plus électroniques. Un désordre sonore s’installe et l’éclairage devient intermittent à mesure que l’on s’en approche.

Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Disparues – Bouquet), 2020. Sculpture en polyamide, impression 3D par frittage de poudre, rail de LED, aluminium, vitrine en plexiglas, légende tracée à la fraiseuse numérique, contreplaqué bakelisé. 164 x 45 x 45 cm. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard
Donatien Aubert, Les jardins cybernétiques (Disparues – Bouquet), 2020. Sculpture en polyamide, impression 3D par frittage de poudre, rail de LED, aluminium, vitrine en plexiglas, légende tracée à la fraiseuse numérique, contreplaqué bakelisé. 164 x 45 x 45 cm. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

Disparues (Bouquet) est une sculpture immaculée en impression 3D, protégée par une vitrine en plexiglas sur laquelle la légende suivante a été tracée à la fraiseuse numérique : « Disparues (vers 1800-2004) ». Des icônes permettent d’identifier dans ce bouquet les espèces suivantes : Trochetiopsis melanoxylon ; Ochrosia tahitensis ; Streblorrhiza speciosa ; Nesiota elliptica ; Psiodia schweinfurthii.

En face sont accrochées les restitutions en images de synthèse imprimées sur verre de ces cinq espèces végétales disparues depuis l’essor de la révolution industrielle (Disparues [Rendus], 2020).

Miguel Chevalier et Donatien Aubert partagent une des deux grandes salles du Grenier à sel avec quelques planches de « l’herbier corse » résultat d’une collaboration étroite du botaniste Jean-Henri Fabre avec Esprit Requien. Un manière pour le Grenier à sel de s’associer à la célébration nationale du bicentenaire de la naissance du naturaliste qui s’installe en 1879 au domaine de l’Harmas à Sérignan dans le Vaucluse…

Peu de choses à dire à propos de l’installation de Valère Costes (ESA (Extrapolation for Space Agriculture), 2021-2022) au sous-sol ou de l’animation interactive en réalité virtuelle de Jérémy Griffaud (The Origin of Things, 2022) sur la mezzanine… Dans une lumière qui « écrase » tout et une odeur très désagréable, il est difficile d’accorder beaucoup d’attention la première. L’interface de la seconde ne nous a pas semblé très « user friendly », peut être à cause de dysfonctionnements matériels…

Jérémy Griffaud, The Origin of Things, Powerplant, 2023. Film d’animation en réalité virtuelle 360°. - « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon.  Photo : Grégoire Edouard
Jérémy Griffaud, The Origin of Things, Powerplant, 2023. Film d’animation en réalité virtuelle 360°. – « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel à Avignon. Photo : Grégoire Edouard

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