Soleil Triste au MO.CO. Montpellier Contemporain – La Panacée

SOL! La biennale du territoire #2
Avec : Soufiane Ababri, Joy Charpentier, Enna Chaton, Robert Combas, Johan Creten, Sophie Crumb, Robert Crumb, Aline Kominsky-Crumb, Sylvain Fraysse, Vir Andres Hera, Renaud Jerez, Sofia Lautrec, Paul Maheke, Lou Masduraud, Marion Mounic, Jean-Michel Othoniel, Blaise Parmentier, Dominique Renson, Nesrine Salem, Samuel Spone, Chloé Viton.


Jusqu’au 28 janvier 2024, le MO.CO. présente avec « Soleil Triste » la deuxième édition de SOL ! La Biennale du territoire. On attendait avec beaucoup de curiosité et quelques interrogations ce deuxième opus d’un projet qui affirme sa volonté de « valoriser la création territoriale et de tenter de caractériser la singularité de ce paysage qui nous est proche »…

La Panacée accueille les œuvres d’une vingtaine d’artistes (dessins, peintures, sculptures, installations et vidéos). Plusieurs y sont montrées pour la première fois et quelques-unes ont été produites pour l’exposition.

Pour cette seconde édition, l’équipe curatoriale a fait le choix de s’appuyer le passage du Marquis de Sade à Montpellier en 1776, où il aurait rencontré la jeune femme qui lui inspirera l’héroïne de Justine, ou Les Malheurs de la vertu

Dans sa préface au catalogue, Numa Hambursin – Directeur général du MO.CO. – ajoute cet argument qui justifie pleinement la réunion des artistes de cette Biennale du territoire :

« Au-delà du sujet qu’il offrait, nous avons souhaité associer la seconde édition de la biennale du territoire SOL ! à cet épisode montpelliérain de la vie du marquis de Sade pour témoigner d’une vision dynamique de l’appartenance à un territoire, qui participe ainsi d’un double mouvement : non seulement vous pouvez vous réclamer de celui-ci sans y être né, mais celui-ci peut encore s’approprier votre histoire alors même que vous ne l’avez fréquenté que par accident ou hasard. Il existe pour cette allégeance des formes aussi variées que celles de l’amour, depuis les liens de la naissance jusqu’à ceux du choix, exclusif ou multiple, subi ou consenti, réciproque ou non ».

Le communiqué de presse qui annonçait l’exposition, expliquait :

« Soleil Triste embrasse l’ordre éthique et esthétique sadien. (…) À l’instar de Sade, le corps et le langage, deux alliés pour la transgression des normes sociétales, morales et institutionnelles, sont au cœur du travail des artistes présentés. Le corps, monstrueux, mutant ou violenté, désirable ou répugnant, y côtoie le langage, son pendant, qui cherche à donner forme à l’informe et à l’interdit ».

L’ambition d’un tel « programme » attirait immanquablement l’attention, mais elle pouvait aussi susciter quelques questions sur la correspondance qui s’établirait entre les œuvres choisies et l’univers sadien…

Dans la plupart des propositions, l’évocation du corps, du désir, de la répulsion, de la souffrance est sans équivoque. Rares sont celles qui apparaissent comme plus désincarnées (Blaise Parmentier, Samuel Spone). Pour certaines, souvent les plus magnétiques, la présence des corps « se dissout parfois ou n’est suggérée que comme trace fantomatique » (Marion Mounic, Lou Masduraud, Johan Creten, Jean-Michel Othoniel).

On a souvent apprécié l’engagement d’Anya Harrison dans les commissariats de plusieurs projets à La Panacée. On se souvient entre autres de ses collaborations aux expositions de Marilyn Minter et Betty Tompkins en 2021, comme à celle de Max Hooper Schneider en 2022. Dominant parfaitement les espaces parfois compliqués de l’ancien collège royal de médecine, Anya Harrison réussit à établir un équilibre délicat entre des œuvres hétérogènes pour proposer un accrochage et un parcours élégants, même si quelques « fils conducteurs » de ce « Soleil Triste » restent à l’occasion un peu obscurs.

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

Certains rapprochements sont particulièrement réussis, à la fois subtils et éloquents (Lou Masduraud et Johan Creten), d’autres proposent des contrechants plus dissonants (Jean-Michel Othoniel et Soufiane Ababri). Avec tact, « Soleil Triste » sait mettre les regardeurs·euses face à leurs désirs, leurs fantasmes ou leurs angoisses.

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

Avec un profit évident, les œuvres vidéo sont isolées. Ce choix permet d’offrir aux visiteurs·euses d’excellentes conditions pour en apprécier la force et la puissance (Enna Chaton, Nesrine Salem, Paul Maheke et Vir Andres Hera).

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

Cependant, quelques séquences paraissent plus énigmatiques et confuses, les dialogues y semblent plus difficiles et empruntés. C’est notamment le cas pour la première et la troisième salle et dans une moindre mesure pour la grande salle à colonnes qui ouvre sur la droite du patio.

Le début du parcours est marqué par L’amour n’est pas un crime (2022-2023), un imposant dessin mural de Marion Mounic. Plusieurs couches de colle et de henné imprègnent la surface du mur comme une peau. Sur cet épiderme dont les nuances évolueront au cours de l’exposition, apparaissent en négatif et en arabe ce message : « L’amour n’est pas un crime ».

Marion Mounic - L’amour n’est pas un crime, 2022-2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Marion Mounic – L’amour n’est pas un crime, 2022-2023 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée


Marion Mounic explique : « Il s’agit d’une phrase utilisée comme slogan de manifestation par les femmes marocaines dans les années 60 pour revendiquer leurs droits et accéder à de nouvelle libertés (en tant que femmes, au sein du couple et dans la société marocaine), reprit par la communauté LGBTQI+ marocaine après la vague de outing en 2020 ». La longueur de sa fresque qui ici s’enroule autour de la cimaise est exactement de 4 mètres et 89 centimètres, référence à 489 du Code de procédure pénale marocain qui criminalise l’homosexualité, un héritage du protectorat français.

La salle suivante est sans doute une des plus réussies de « Soleil Triste ».

Lou Masduraud - Wet Men, 2022 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Lou Masduraud – Wet Men, 2022 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Au centre, Wet Men (2022) de Lou Masduraud s’impose d’emblée par ses dimensions et par son étrange pouvoir troublant et provocant. Cette installation a été produite en 2022, pour une exposition personnelle à Mayday, un centre d’art contemporain situé dans un ancien bâtiment du quartier industriel du port de Bâle. Wet Men faisait alors écho à l’histoire et à l’ancienne utilisation de la salle d’exposition qui était utilisée comme vestiaire et salle de douche de la compagnie maritime.

Dans le texte qui accompagnait la présentation, la curatrice Eva-Maria Knüse analysait ainsi ce projet :
« Les représentations associées [à cette œuvre] vont de l’odeur de sueur du travail prolétarien aux flaques d’urine des nuits de beuverie, jusqu’aux fantasmes érotiques entourant la vie des marins sur les quais. Lou Masduraud s’intéresse aux images fortement liées au travail des hommes, à leurs équipements et aux machines, mais aussi aux aspects socialement peu représentés de l’intimité et de la vulnérabilité masculines. Lou Masduraud s’est inspirée des dessins de l’artiste américain Lee Lozano (1930-1999) qui représentait les objets et les outils comme porteurs d’une masculinité normative en les exacerbant dans des formes sexualisées. Lou Masduraud montre le corps comme quelque chose (au sens marxiste du terme) qui a été mis au travail, utilisé, déformé et abîmé dans le processus de production. En juxtaposant ces deux formes d’objectivation des corps humains et leur sexualisation d’une part, et l’aliénation en tant que force de travail d’autre part, Lou Masduraud remet en question les images héroïques du travailleur et le regard masculin sur le corps qui domine l’histoire (de l’art). »…
L’installation a été naturellement adaptée aux espaces de La Panacée.

L’installation de Lou Masduraud dialogue de manière inattendue et avec une évidence incroyable avec une sculpture de Johan Creten de la série Odore di Femmina, inspirée de l’opéra Don Giovanni de Mozart et conservée par le Frac Occitanie Montpellier.

Johan Creten - Odore di Femmina, de la série Odore di Femmina, 1991 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Johan Creten – Odore di Femmina, de la série Odore di Femmina, 1991 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

La notice du Frac rédigée en 1994 par Céline Mélissent souligne à propos de cette sculpture :
« Odor de Femmina [est recouverte d’entrelacs], dont la noirceur suscite quelques interrogations. Ces corps seraient enrobés d’un conglomérat de coquillages, prisonniers d’une robe mortuaire, endeuillés, ou bien s’agirait-il avec indécence, de la représentation d’une nature proliférante ? Entre le tragique, l’érotisme et le comique, la séduction et la répulsion, les excès de matière donnent une vision complexe de la féminité. Ces œuvres semblent faire l’archéologie d’une histoire commune, où la femme est tantôt perçue comme une Gorgone, une prostituée, une femme fatale, tantôt comme une femme vulnérable, une mère en deuil. Entre Eros et Thanatos, la femme est bien le lieu de toutes les métamorphoses et Johan Creten en a rendu l’essence dans un esprit baroque ».

Johan Creten - A black bat – A bat black, 1995 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Johan Creten – A black bat – A bat black, 1995 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

En face, des pétales de céramique de Johan Creten envahissent peu à peu un gourdin sombre suspendu par une corde (A black bat – A bat black, 1995) où il est difficile de ne pas voir l’évocation d’un sexe masculin plutôt que celle d’une batte de baseball, d’une chauve souris ou d’un super héros…

Sofia Lautrec - Les vers (la prospérité du crime), 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Sofia Lautrec – Les vers (la prospérité du crime), 2023 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Face aux Wet Men de Lou Masduraud, Anya Harrison a choisi d’installer une pièce de Sofia Lautrec (Les vers (la prospérité du crime), 2023) produite pour l’exposition. Dans ce poème gravé sur des plaques de verre sablé qui reprenant le sous-titre de Justine de Sade, Sofia Lautrec « écrit sur les dualités inhérentes à l’existence, telles que le chaos et l’harmonie, la création et la destruction, la lumière et l’obscurité. Elle y évoque le concept sadien de l’isolisme, le fait de considérer le moi comme une île, et la complexité des choix et des interprétations morales. Selon Sade, ne pas exalter les passions mais les condamner constitue un crime contre la nature humaine ».

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

La troisième séquence du parcours nous a semblé être la plus confuse. Les œuvres paraissent y cohabiter avec difficulté et le regard a du mal a se poser. Sur le bord d’une ouverture, le Collier-Cicatrice (1997) de Jean-Michel Othoniel est un peu à l’écart.

Jean-Michel Othoniel - Le Collier-Cicatrice, 1997 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Jean-Michel Othoniel – Le Collier-Cicatrice, 1997 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Protégé ici par un globe de mariée, ce collier que l’on avait vu dans l’inoubliable « Se collectionner soi-même (le Verre 1992 – 2016) » au Carré Sainte-Anne en 2017 est une œuvre totem d’Othoniel. En 2013, il en racontait ainsi l’histoire dans un entretien avec Marie Godfrain publié dans Le Monde :
« C’est en 1996-1997, lors de ma résidence à la Villa Médicis de Rome, que m’est venue l’idée de créer ce collier-cicatrice. Il est inspiré de la sculpture en marbre de sainte Cécile, une martyre à laquelle on avait coupé le cou et que l’on voit gisante, portant la cicatrice de sa décollation, dans l’église romaine qui porte son nom. Elle m’a touché, car, à mon sens, chacun d’entre nous porte une cicatrice, un moment douloureux dans sa vie qui lui permet de se transcender. J’ai cherché comment représenter cette cicatrice et j’ai eu l’idée de ce collier rouge sang en verre de Murano ».
L’œuvre est à l’origine des grands colliers exposés dans les jardins de Peggy Guggenheim à Venise en 1997 que l’artiste considère comme un moment fort de sa carrière.

Jean-Michel Othoniel - Le Collier-Cicatrice, 1997 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Jean-Michel Othoniel – Le Collier-Cicatrice, 1997 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Le Collier-Cicatrice a aussi été l’élément central d’une performance réalisée la même année pour la Gay Pride à Paris que Jean-Michel Othoniel résume ainsi :
« En 1996, Félix Gonzalez Torres mourrait du virus du sida. En 1997, avec un collectif d’artistes, nous lui avons rendu hommage lors de l’Europride, à Paris. J’avais pour l’occasion créé Le Collier-Cicatrice, 1001 petits colliers de verre rouge à porter avec fierté que j’offrais en échange d’un portrait photographique. Chacun d’entre nous a une cicatrice sur laquelle il se construit et ce collier en est le symbole. Depuis 40 ans nous vivons avec le virus, longtemps il nous a empêchés d’avoir des enfants, de donner notre sang, d’aimer librement. Nous avons dû accepter d’en porter les stigmates et de ne plus jamais être les mêmes ».

Actuellement, une photographie du Collier-Cicatrice est utilisée comme visuel pour l’exposition « Aux temps du sida » présentée par le MAMCS (Musée d’ArtModerne et Contemporain de Strasbourg).

La salle suivante est consacrée à la diffusion de la vidéo À l’intérieur, le collier de perles (2010-2012) réalisée par Enna Chaton avec la collaboration de Stéphane/Claire Despax.

Enna Chaton et Claire Despax - À l’intérieur, le collier de perles, 2010-2012 et - Claire Despax, portrait, 2014 Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Enna Chaton et Claire Despax – À l’intérieur, le collier de perles, 2010-2012 et – Claire Despax, portrait, 2014 Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Sur son site internet, Enna Chaton fait la description suivante des 17 séquences qui composent son film : « À l’intérieur est la cohabitation de fragments de vie socialement invisibles : un homme âgé mène une double vie, il rencontre sa maitresse dans une forêt, un master SM manipule “ses jouets pour les grands” à la demande d’un soumis, une aquarelle représentant un gang bang sur une plage est censurée par un site internet de rencontre, les messages de rendez-vous fantasmés, un adolescent solitaire nu face caméra, une drague et un amour naissant entre deux jeunes travesties, un mannequin pose pour des photos érotiques, la tendresse de deux hommes, un corps recouvert de pétales de cire rouge, une jeune femme parle de ses relations sexuelles sans protection, des propos lumineux sur une séance de masturbation aux orgasmes multiples… »
Au préalable, elle explique les enjeux de son projet : « Le projet n’est plus d’une seule nature, il est multiple : des vidéos, des photographies, des dessins, du son et des paroles. Un univers toujours en marche dans lequel nous ne sommes pas que des spectateurs ou des voyeurs, nous sommes a l’intérieur, physiquement, sexuellement et moralement impliqués. Nous visitons des lieux de plaisirs. Comment vivons-nous ces lieux spécifiques ? À travers l’individu, on rencontre des pratiques sensuelles, des espaces sensoriels et des corps sexuels. »

Faire l’expérience de À l’intérieur, le collier de perles est sans doute un des moment les plus forts de « Soleil Triste ».

Un peu plus loin, on découvre une autre pièce de Jean-Michel Othoniel (Trois étoiles, Passe au Fumoir, 1992) conservée par le Frac Occitanie Montpellier. Elle témoigne d’une période où Othoniel réalisait des œuvres en cire ou en soufre, avant que le verre prenne une place majeure, époque où il avait été accueilli en résidence à la Villa Saint Clair par Noëlle Tissier comme Johan Creten ou Yan Pei-Ming.

Jean-Michel Othoniel - Trois étoiles, Passe au Fumoir, 1992 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Jean-Michel Othoniel – Trois étoiles, Passe au Fumoir, 1992 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Dans la notice de l’œuvre, Sabine Alzéari décrit ainsi cette sculpture : « La sculpture de Jean-Michel Othoniel est composée de deux parties. En premier lieu se trouve un pantalon ouvert, tombé en accordéon sur des godillots. Le pantalon, faisant office de vasque débordante, est rempli de soufre qui dégouline sur des chaussures comme si celui qui le portait s’était liquéfié. En vis-à-vis, un manteau redingote suranné est disposé à la surface du sol en éventail. Du col se répand aussi du soufre solidifié qui recouvre les pans du manteau. (…) Dans Trois étoiles, Passe au Fumoir, les coulures jaunes du soufre évoquent la matière résiduelle d’une entité humaine. Cette absence révélée, cette volonté de ne pas représenter l’homme est pourtant une allusion à son existence. Le vide n’est pas simple vacuité, mais au contraire chargé de sens. Cet état d’abandon témoigne de ce qui perdure quand le corps, l’enveloppe charnelle n’est plus. À ce passage d’un état physique à un état immatériel se substitue la mort, implacable. Il y a dans ces mises en scène de vêtements dépouillés de toute forme charnelle comme une tentative d’exorciser les angoisses existentielles ».

Jean-Michel Othoniel - Trois étoiles, Passe au Fumoir, 1992 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Jean-Michel Othoniel – Trois étoiles, Passe au Fumoir, 1992 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Puis à propos du souffre, elle ajoute : « L’attirance pour ce matériau lui est sûrement venue en observant sur le port de Sète le déchargement des bateaux. L’artiste n’utilise pas le soufre seulement pour sa logique plastique, esthétique, mais aussi pour sa logique métaphorique ; le soufre est le lieu des métamorphoses et des transmutations. Cette matière, ce corps, permet de jouer avec les formes et les langages. Le soufre est en effet un corps qui passe de la pierre au liquide ou à la vapeur pour redevenir pierre. Le soufre renvoie aussi à plusieurs signifiants, soufre, souffrir, sulfureux, souffreteux et bien sûr au “foutre divin” ».

Autour de la sculpture d’Othoniel, un ensemble de dessins de Soufiane Ababri offre un contrepoint aux harmonies criardes et dissonantes. Aux allusions d’Othoniel, à son usage métaphorique des matériaux, Soufiane Ababri répond les stridences iconoclastes de ses « scènes inspirées de rencontres fictives ou réelles d’homme arabe homosexuel ». Dans sa série des Bedworks, il dessine depuis son lit, mélange crayon de couleur, pastel à l’huile et parfois matières fécales… Pour ces dessins présentés dans Soleil Triste, la lecture de Faut-il brûler Sade ? de Simone de Beauvoir lui aurait servi d’outil critique pour en faire la sélection…

L’artiste convoque Frank O’Hara pour un dialogue avec le dieu égyptien Ra et il place ses ébats réels ou fantasmés sous les regards sévères de Paul Bowles, Allen Ginsberg et William Burroughs qui avec d’autre acteurs de la Beat Generation avaient fait du Café de Paris ou du Dean’s Bar leurs repaires à Tanger. La nostalgie du temps de l’ « Interzone », comme Burroughs avait baptisé Tanger dans le Festin nu, n’est-elle pas aujourd’hui remise en cause par les jeunes artistes marocains qui veulent se réapproprier la ville et son histoire ?

Dans la grande salle qui ouvre à droite du patio, l’accrochage laisse à chaque proposition les possibilités de s’exprimer.

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

En entrant dans l’espace, une nouvelle œuvre de Sylvain Fraysse (Melancoliate, 2023) composée de 91 pointes sèches sur plexiglass tirées sur papier et rassemblées en cinq planches. Pour ce projet, il pose son regard sur Chaturbate, un site porno où les acteurs se livrent à divers rapports sexuels en direct par webcam avec lesquels il est possible de dialoguer par chat.

  • Sylvain Fraysse - Melancoliate, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
  • Sylvain Fraysse - Melancoliate, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
  • Sylvain Fraysse - Melancoliate, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
  • Sylvain Fraysse - Melancoliate, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Les gravures de Melancoliate montrent des moment où il ne se passe rien, des «  moments de solitude et de mélancolie où des personnes anonymes, solitaires ou en couple, se retrouvent dans l’ennui inhérent à la réception constante d’un flux massif d’images »…

Au centre de la salle, une imposante sculpture de Chloé Viton,Hématie, The Birth of Oni Baba, (2023) attire irrésistiblement l’attention. Produite pour « Soleil Triste », cette installation écarlate est inspirée d’un personnage du folklore japonais.

Chloé Viton - Hématie, The Birth of Oni Baba, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Chloé Viton – Hématie, The Birth of Oni Baba, 2023 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Le texte du catalogue précise : « Cette sorcière qui se cache sous les attributs d’une vieille femme pour attaquer et dévorer ses victimes incarne également l’image d’une femme puissante dans un ordre patriarcal. Comme dans plusieurs autres de ses œuvres, la figure d’Oni Baba lui a été révélée dans un rêve.

Elle prend forme à la suite des recherches menées par l’artiste lors d’une résidence au Japon, à la quête des traces de cette figure mystérieuse ». Comme toujours, Chloé Viton a activé sa sculpture lors d’une performance pour le vernissage.

Autour de cette figure d’Oni Baba, les ténébreuses et dystopiques sculptures de Renaud Jerez, produites pour « Soleil Triste », ont un peu du mal à s’imposer.

Bien que plus éloignées, il en va de même pour ses deux huiles sur toile qui dialoguent difficilement avec Park (2023), une nouvelle peinture très aboutie de Samuel Spone, réalisée pour l’exposition.

Samuel Spone - Park, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Samuel Spone – Park, 2023 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Dans un des deux petits espaces qui ouvrent dans cette salle, Paul Maheke présente When The bodies Dissolved Into The Ether, The Orb Sang Notes of The Heavens (2021), une troublante vidéo où il danse dans la lumière de la lune. Le catalogue précise que « l’écran, fait de HoloGauze, tissu holographique, brouille la vision et produit l’illusion d’un corps dédoublé ».

Paul Maheke - When The bodies Dissolved Into The Ether, The Orb Sang Notes of The Heavens, 2021 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Paul Maheke – When The bodies Dissolved Into The Ether, The Orb Sang Notes of The Heavens, 2021 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Derrière celui-ci, on découvre deux dessins de sa série As The Days Move Into Nights (Green Ray) dont l’un est utilisé pour la communication de l’exposition.

Dans le deuxième espace, Vir Andres Hera propose Le Daftar, 2023, une importante installation vidéo.
Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Beziers qui coproduit le projet le résume ainsi :
« Le Daftar met en scène le voyage atemporel et symbolique de quatre personnages. Iels traversent des ruines datant de l’âge de bronze, une maison coloniale abandonnée, un monastère enfoui dans le sable, un ancien port d’esclave ; autant de lieux symptomatiques du passé colonial de l’Europe. Les histoires personnelles des personnages y côtoient celles, collectives, des pays dont iels sont issu·e·s, interrogeant les trajectoires migratoires, les repères mémoriels, l’intraductibilité des peines, des communions et des manières de percevoir et de retranscrire le temps ».

Exposition SOL! La Biennale du territoire - Soleil triste - MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros
Exposition SOL! La Biennale du territoire – Soleil triste – MOCO Montpellier Contemporain- Photo Pauline Rosen-Cros

Dans le dossier de presse de son exposition au centre d’art contemporain Les Tanneries, Vir Andres Hera explique : « Pour parler de Le Daftar, il faut évoquer mon inscription depuis plusieurs années dans des échanges épistolaires avec d’autres artistes et penseur·euses qui comme moi, sont concerné·e·s par des réflexions partagées sur l’histoire de plusieurs contextes et pays colonisés et sur le fait de constater la difficulté de prolonger la force de ces échanges une fois que l’échange épistolaire est fini. Pour Le Daftar je voulais créer un cadre temporel pour matérialiser ces échanges à l’image d’une Chinampa, mot nahuatl qui définit une forme de permaculture ancestrale utilisée par les aztèques, système dans lequel chaque plante a besoin des apports de l’autre afin de germer sur des ilots de boue flottants. Ceci est la métaphore d’entraide, de partage de ressources et de méthodologies, du faire « ensemble ».

Lors des multiples étapes de construction de cette installation, qui durent depuis trois ans, chaque invité·e vient avec son univers artistique. Personne ne sait ce qui va se passer, personne ne sait exactement ce qu’on va filmer ou comment on va le filmer, on trouve des solutions ensemble, le sens de nos individualités vient être brouillé et les pratiques debordent, se polluent, ceci est très important pour que les images apparaissent. Je prépare le terrain en amont pour faire en sorte de réunir les conditions de travail les plus propices. Il y a des lieux chargés de mémoire que j’ai choisis pour elleux, des lieux dans lesquels je me suis imaginé être avec elleux, déambuler ensemble, laisser la place pour nos imaginaires de choisir de les habiter, ou pas.

Vir Andres Hera - Le Daftar, 2023 - Soleil Triste au MO.CO. La Panacée
Vir Andres Hera – Le Daftar, 2023 – Soleil Triste au MO.CO. La Panacée

Le projet est traversé par une idée photographique, au sens étymologique, de faire du film. Capter l’impression « première », la sensation première, le moment où chaque collaborateur·ice est sur le point rentrer en contact avec le lieu. À ce moment-là, nous nous empressons tous·te·s de rentrer en lien avec les un·e·s avec les autres afin d’enregistrer et de capter des fragments épars. Il ne faut pas trop de préparation en amont, cela pourrait nous faire rater ce premier moment de « contact » photosensible. J’amène mes invité·e·s à abandonner un savoir-faire et à la place, on apprend toustes à savoir-écouter, à savoir agir ensemble, cela est essentiel et important pour que le film apparaisse. Dans cette version installée de Le Daftar, une narration nous est livrée sur 5 écrans et temporalités differentes, nous invitant à habiter l’espace, à être saisi·e·s et à s’en saisir. »

Le parcours de « Soleil Triste » est ponctué par des dessins de la famille Crumb installée à Sauve.
Si les œuvres de Robert Crumb, monstre sacré de l’Underground américain dans les années 60, sont mondialement connues, les dessins d’Aline Kominsky-Crumb et de leur fille Sophie Crumb sont restés plus confidentiels. On demeure un peu perplexe sur le choix des feuilles présentées. On a confusément l’étrange sentiment que dans le monde de Robert en particulier des échos plus pertinents et audacieux auraient sans doute pu être faits avec l’univers sadien…

Pour la quatrième de couvertue de « Mes femmes », un recueil d’histoires écrites par Robert Crumb dans les années 80, Georges Wolinsky écrivait :

« Le problème de Crumb c’est qu’il ne raconte pas ce qu’il ose faire, mais qu’il dessine surtout ce qu’il n’osera jamais faire. Il est même allé très loin dans cette voie puisque sa bande dessinée la plus célèbre décrit les amours d’une typique famille américaine où la fille se fait sauter par le père, pendant que le fils baise affectueusement sa mère. Crumb est une sorte de Sade américain, c’est-à-dire un Sade honteux et puritain qui n’aura jamais l’œil froid du libertin. Il souffre d’être un obsédé sexuel. Nous sommes tous les psy à qui il confie ses misérables fantasmes, ses pauvres vices, et ses dépravations de potache attardé: « je suis un cochon, un vieux bouc, une vipère lubrique, un branleur. J’aime les gros culs, les culs de juments, les chattes juteuses et les vieux disques de jazz en 78 tours. Honte sur moi! Je suis possédé par le démon et condamné de mon vivant à rôtir dans l’enfer de l’underground ». Pauvre Crumb ! »

Catalogue aux Editions Silvana à paraitre en novembre 2023.
Commissariat : Anya Harrison, assistée de Julie Chateignon et Salomé Ydjedd.

En savoir plus :
Sur le site du MO.CO. Montpellier Contemporain
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