L’incontournable exposition « Fashion folklore » au Mucem à été prolongée jusqu’au 8 janvier 2024. C’est à voir, à revoir, à re-revoir !!!
Marie-Charlotte Calafat (conservatrice du patrimoine, responsable du département des collections et des ressources documentaires du Mucem) et Aurélie Samuel (conservatrice du patrimoine) proposent avec « Fashion folklore » de multiples et passionnants dialogues entre costume traditionnel et haute couture.
À l’origine du projet, la volonté du Mucem était d’imaginer une exposition d’ampleur pour faire connaître au public sa collection de textiles composée de milliers de costumes traditionnels d’Europe et de Méditerranée collectés depuis la fin du XIXe siècle. En effet, celle-ci n’avait pas été montrée depuis plus de 30 ans. La question pour les deux commissaires était de savoir comment la présenter.
Les deux commissaires ont choisi de réactiver les concepts très pertinents mis en œuvre pour « Folklore », une exposition coproduite avec le Centre Pompidou Metz en 2020 et qui avait malheureusement souffert des restrictions liées à la crise du Covid. Il s’agissait alors d’explorer les croisements entre arts populaires et arts moderne et contemporain. « Fashion folklore » prolonge cette démarche et cette réflexion autour de la création textile, en mettant en dialogue costumes populaires et haute couture, avec l’ambition de mettre en évidence la circulation de modèles et d’idées, entre ces deux mondes.
« Fashion folklore » rassemble près de 300 pièces issues des fonds du Mucem, de collections françaises et étrangères et de nombreuses archives des plus grands couturiers et maisons de haute couture.
Le parcours s’articule en trois sections qui elles-mêmes se déploient en plusieurs thématiques :
Appartenances et identités propose une approche géographique qui commence par analyser l’influence du costume des paysannes et femmes de cour russes sur la mode parisienne. Ensuite un regard passionnant est posé sur la manière dont le vêtement traditionnel et la création contemporaine avec les cas de l’Estonie, de la Finlande et de l’Ukraine. Couleurs et nations met en évidence la p affirment des identités lace du noir et du rouge dans le costume en Albanie et en Espagne. Enfin, au travers d’exemples particulièrement bien choisis, l’exposition montre comment les créateurs ont multiplié les emprunts de formes, de motifs ou de techniques aux costumes alsacien, breton et provençal.
La seconde section présente une approche anthropologique pour décrypter les codes et langages des vêtements. Les rites de passage sont analysés avec l’exemple des catherinettes et des mariages. Un très bel ensemble de pièces de Franck Sorbier récemment entré dans les collections du Mucem sont mises en relation avec des échantillons de broderies et dentelles pour évoquer l’héritage et le réemploi dans la création. Enfin, quelques modèles pertinents illustrent comment certains éléments du costume traditionnel sont utilisés pour inverser les codes et permuter les genres.
La troisième séquence interroge la transmission et l’inspiration, la patrimonialisation des savoir-faire avec les exemples des communautés nomades liées au pastoralisme et ceux de la broderie hongroise ou à la blouse roumaine.
Très bien construit, le parcours enchaine les rapprochements entre les silhouettes de mode habillées de costumes traditionnels et de pièces de haute couture. Il offre ainsi une lecture fluide et très enrichissante de ce que les créateurs n’ont cessé d’emprunter au vêtement populaire, et plus largement au folklore. Ces dialogues sont présentés sur les arrière-plans graphiques très bien choisis où alternent documents ethnographiques, photographies ou vidéo de défilé, croquis et planches de collections. Occasionnellement, le propos est émaillé avec quelques accessoires et des échantillons de tissus, de broderies ou de dentelles…
Sur toute la longueur du plateau, une frise met en valeur quelques pièces emblématiques de l’exposition en les mettant en dialogue avec des fonds iconographiques et photographiques, dans des superpositions graphiques très réussies.
L’ensemble est servi par une scénographie sobre et imaginative de l’Agence NC Nathalie Crinière… À signaler la mise en lumière particulièrement efficace et discrète de ACL, Alexis Coussement et Élodie Salatko.
Catalogue coédité par le Mucem et Gallimard. Textes de Marie-Charlotte Calafat et Aurélie Samuel, commissaires de l’exposition et d’Emilie Hammen, Anne Monjaret, Nicole Pellegrin et Jean-Pierre Lethuillier.
Prêts du Palais Galliera, musée des Arts décoratifs de Paris, du musée de Quimper, du Musée Yves Saint Laurent – Paris, du Musée de la Mode de Marseille, Musée municipal de Bucarest.
Couturiers et maisons de haute couture présents : Cristobal Balenciaga, Balmain, Hussein Chalayan, Gabrielle Chanel, Maria Grazia Chiuri, Chloé, Dior, Mariano Fortuny, John Galliano, Jean-Paul Gaultier, Givenchy, Philippe Guilet, Hermès, Marit Ilison, Simon Porte Jacquemus, Pascal Jaouen, Kenzo Takada, Christian Lacroix, Karl Lagerfeld, Nadejda Lamanova, Jeanne Lanvin, Lilia Litkovska, Alexander McQueen, Martin Margiela, Val Piriou, Paul Poiret, Yves Saint Laurent, Paco Rabanne, Elsa Schiaparelli, Franck Sorbier, Riccardo Tisci, Giambattista Valli, Iris van Herpen, Dries Van Noten, Clare Waigth Keller, Victor Weisanto, Bernard Wilhelm.
Ci-dessous, quelques regards sur « Fashion folklore » accompagnés des textes de salle
En savoir plus :
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« Fashion folklore » – Regards sur l’exposition
Le dialogue entre costume traditionnel et haute couture, au cœur de cette exposition, semble être fondé sur de multiples contradictions : le costume traditionnel serait créé par un groupe, alors que la haute couture serait le fait d’individualités créatrices. Symbole de permanence, le costume traditionnel s’opposerait au secteur professionnel de la haute couture, adossé à des principes comme l’éphémère et le renouvellement.
Enfin, le costume traditionnel serait systématiquement associé à un territoire, alors que la haute couture serait un phénomène mondialisé. Pourtant, force est de constater que, depuis le tout début du XXe siècle, les créateurs de mode ne cessent de convoquer les formes et les imaginaires attachés au costume populaire, invitant à une histoire croisée et inédite entre les deux domaines.
Au cœur de cette exposition se trouvent les collections textiles du Mucem, pour l’essentiel constituées au XIXe et au XXe siècle. Mises en regard avec des pièces de haute couture, elles témoignent de la porosité des frontières entre création artistique et cultures populaires. Si ces costumes offrent leur profondeur historique aux œuvres des couturiers, la création permet, en réponse, de poser un nouveau regard sur eux.
L’exposition s’ouvre sur une pièce de Franck Sorbier qui a été inspirée par les expéditions du musée d’Ethnographie du Trocadéro. Elle met en valeur des techniques de vannerie traditionnelle. Cette robe d’une grande technicité témoigne de la puissance créatrice du couturier, entre artiste et artisan. Franck Sorbier se nourrit particulièrement des savoir-faire traditionnels, de culture et de patrimoine et affectionne les costumes traditionnels dont il est connaisseur. Il a fait don de cette pièce au Mucem en 2022.
Appartenances et identités
Le costume traditionnel est lié à l’affirmation des identités régionales et nationales. D’abord étudié par les amateurs de folklore, il s’inscrit dans un goût pour le pittoresque et l’exotisme. Perçu comme intemporel, il est garant d’un savoir-faire du peuple qu’il incarne. Au cours du XXe siècle, les collectes ethnographiques sur le terrain ont permis de faire de précieuses acquisitions, étudiées comme des éléments constitutifs d’un mode de vie et d’une culture parfois révolus. À travers les références convoquées dans les créations des couturiers, l’exposition explore les voyages, réels ou imaginaires, proches ou lointains, dans lesquels ils se sont engagés.
Paysannes et femmes de cour russes
Les Ballets russes de Diaghilev, présentés à Paris de 1906 à 1914, s’imposent comme une nouvelle référence de la modernité artistique. Dans ce contexte, la haute couture s’empare du costume traditionnel russe. Les couturiers créent une synthèse de deux modèles : le costume de la bourgeoise, en référence à un âge d’or de l’histoire russe, géographiquement situé au cœur de la Russie, et le costume rustique et rural, localisé aux frontières du territoire, évocation des origines d’une paysannerie fantasmée.
Le baron Joseph de Baye, archéologue, écrivain et voyageur, rencontre en 1909 la princesse Tenichev, créatrice d’un centre d’art et d’artisanat à Talachkino, et d’un musée d’art populaire à Smolensk, dans l’ouest du pays, près de la frontière biélorusse. Elle montre sa collection en France et promeut l’idée que la beauté du style national réside dans l’art du peuple, dans un contexte général de valorisation des folklores.
Paul Poiret confectionne cette robe à partir d’une nappe à motifs géométriques qu’il rapporte de Russie en 1911. De son périple, il ramène plusieurs échantillons de textiles, qu’il réutilise dans ses créations des années 1912-1913. Pendant son séjour, il loge chez la couturière Nadejda Lamanova, qui lui a « révélé toute la fantasmagorie de ce pré-Orient qu’est Moscou ».
Jeanne Lanvin crée en 1923 le modèle Toutankhamon, qui évoque par sa coupe tubulaire et son décor géométrique les chemises traditionnelles russes aux manches brodées. Ses sources proviennent de ses archives personnelles, la couturière ayant collectionné toute sa vie des échantillons, des broderies et des vêtements traditionnels qui lui servaient de références et d’inspirations.
Jeanne Lanvin – Robe de jour Toutankhamon, Paris, été 1923. Crêpe, lamé or et broderie. Patrimoine Lanvin, Paris – Jeanne Lanvin – Chapeaux, Paris, années 1920. Lamé bronze et Lamé or, perles fines, tubes de verre or. Patrimoine Lanvin, Paris – Jeanne Lanvin – Album de dessins, robe Toutankhamon, Paris, été 1923. Gouache sur papier – Fichu d’épaule, Moravie, actuelle République tchèque, début du XXe siècle. Coton, broderie. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille, (dépôt du musée Galliera, don des Dames de Prague et de l’Association chorale des instituteurs de Moravie) – Fashion folklore au Mucem
« Il n’est pas un couturier qui s’est documenté autant que Lanvin. […] Elle a interrogé tous les folklores pour tenter d’en faire traduire les trouvailles ornementales par ses ateliers de broderie. » Lucien François, Comment un nom devient une griffe, Gallimard, 1961.
Estonie, Finlande, Ukraine : affirmer des identités
L’impérialisme russe a conduit les pays voisins à affirmer la spécificité de leurs cultures. Les costumes traditionnels ont joué un rôle central dans la construction et la défense des identités nationales estonienne, finlandaise, ukrainienne. C’est dans ce contexte que ces textiles ont été collectés, étudiés et parfois offerts au musée. Les créateurs contemporains de ces pays frontaliers de la Russie continuent à s’approprier et à revisiter les costumes traditionnels, démarche rendue plus significative encore dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Estonie
Cette chemise, encore portée à la fin du XIXe siècle par Efimia Legri, a été collectée en 1937 dans le Setomaa, en Estonie. Elle possède des manches d’une longueur d’un mètre cinquante qui, une fois enfilées, forment sur les avant-bras une grande quantité de plis. Pour travailler, celle qui la porte passe les bras dans les fentes et noue les bouts des manches soit sur la nuque, soit dans le dos.
Marit Ilison crée sa collection « Longing For Sleep » [désir de dormir] – en référence à la nouvelle d’Anton Tchekhov L’Envie de dormir, en utilisant des couvertures soviétiques en laine des années 1970-1980. Elle évoque, avec ces modèles fabriqués et brodés dans un atelier à Tallinn, ce désir de dormir pendant les périodes sombres de l’hiver, appelées kaamos, où les jours sont courts et la luminosité faible.
Finlande
Considérée par les Finlandais comme le berceau de leur culture, la Carélie a été en grande partie rattachée à l’URSS en 1944. En 1961, une association de femmes finlandaises fabrique et offre au musée la réplique d’un costume trouvé lors de fouilles archéologiques en Carélie. Elles se réapproprient ainsi les techniques artisanales anciennes, tout en affirmant le caractère finlandais de la région.
Ukraine
Cette chemise s’appelle une vyshyvanka. Richement brodée de motifs géométriques, elle provient de Volhynie, dans le nord-ouest de l’Ukraine actuelle. Célébrée par une journée internationale au mois de mai, la vyshyvanka est devenue un emblème de l’identité ukrainienne et de l’unité d’un peuple, symbole de l’insoumission et de l’espoir.
La créatrice prend le contrepied de la chemise traditionnelle, dont seules les manches sont habituellement brodées, en couvrant l’ensemble de la surface du manteau de motifs, à l’exception des manches laissées noires. Elle montre une vision à la fois moderne et émouvante de la tradition, marquée par le travail de la costumière Lidiya Bajkova dans le film Les Chevaux de feu – Ombres des ancêtres oubliés de Serhiy Parajanov (1965).
Couleurs et nations
Les couleurs ont un sens. En Albanie, le rouge et le noir du drapeau se déploient dans les textiles des différentes appartenances religieuses, comme pour rassembler autour du pays l’ensemble des communautés. En Espagne, depuis Charles Quint, le noir, associé à l’austérité et à une majesté grave, est devenu récurrent dans le costume. Au-delà du lien qu’il entretient avec le deuil, le noir permet de signaler la richesse de ceux qui le portent, car il s’agit d’une couleur particulièrement complexe et coûteuse à fixer en teinture.
Albanie
Les couleurs ont un sens : depuis 1912, malgré quelques modifications suite aux changements de régime politique, le drapeau de l’Albanie est constitué d’un aigle noir à deux têtes représentant la souveraineté, sur un fond rouge symbole de bravoure et de courage. Entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe, l’Albanie compte une part égale de chrétiens et de musulmans. Ce manteau de mariée musulmane, ainsi que celui d’une mariée catholique, est exposé. Tous deux sont caractéristiques de ces broderies noires sur fond rouge.
Espagne
Cristobal Balenciaga puise son inspiration dans ses racines espagnoles. Fuyant la guerre civile d’Espagne, il s’installe à Paris en 1937 et ressent très vite le besoin de renouer avec ses origines. Il s’attache à simplifier les vêtements traditionnels, les transformant pour créer une garde-robe élégante en utilisant des matériaux variés, traités en privilégiant le contraste.
La collection « Croisière 2023 », faisant appel à de multiples artisans espagnols, est inspirée par La Capitana, surnom donné à la danseuse Carmen Amaya. La créatrice Maria Grazia Chiuri est fascinée par les savoir-faire des costumes traditionnels espagnols, en particulier ceux de Séville, du cavalier andalou à la danseuse de flamenco. La collection rend également hommage à la robe Bal à Séville, créée en 1956 par Christian Dior.
Les costumes régionaux
En France, à partir du XVIIIe siècle, les costumes régionaux s’opposent à la mode de la cour en vogue dans la capitale. Les costumes d’Alsace, de Provence et de Bretagne ont leurs spécificités formelles et techniques, qui vont être mises au service d’une valorisation identitaire et touristique. Entre quête des origines et mythologie personnelle, les créateurs les mobilisent pour leur ancrage dans le temps long de la tradition, entre hommage et simplification ou exagération des formes, des techniques ou des motifs.
Alsace
Le grand nœud noir est symbole de toute l’Alsace. Les différentes façons de placer le nœud ont engendré la variété des coiffes d’Alsace. La largeur du ruban, la façon de le nouer, la dimension de la coiffe ont varié selon les époques.
Bretagne
Lors d’une exposition qui s’est tenue en 1993 au musée national des Arts et Traditions populaires (« Artisans de l’élégance »), il a été demandé à Christian Lacroix de choisir une pièce brodée dans les collections du musée. C’est ce plastron breton de la région de Pont-l’Abbé dans le Finistère qui a retenu son attention.
Provence
Fichu, Provence, 2e moitié du XIXe siècle. Toile de coton imprimé ; Christian Lacroix – Ensemble jupe et body. Collection haute couture printemps-été 1994. jupe : satin de soie imprimé cachemire ; body : tulle lycra, dentelle. Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Marseille ; Fichu, Provence, 2e moitié du XIXe siècle. Toile de coton imprimée. Mucem, Marseille ; Jean Patou par Christian Lacroix – Ensemble du soir Fleur de pois, Paris, collection haute couture printemps-été 1987. Toile de soie, broderie en perles de verre, paillettes et fils de soie, taffetas, broderie anglaise, tulle, satin. Musée des Arts décoratifs, Paris – Fashion folklore au Mucem
Capeline – Nice, Provence-Alpes-Côte d’Azur, XIXe siècle.
Paille, soie, velours. Mucem, Marseille. Inv. 1896.8.75.
Photo © Mucem / Marianne Kuhn
Simon Porte Jacquemus investit, au fil de ses collections de prêt-à-porter, les formes de sa Provence natale. Il imagine une collection inspirée du Sud de la France intitulée « Les Santons de Provence ». L’Arlésienne, le Boulanger, le Berger, la Lavandière… tous les codes de l’identité provençale y sont présents, et en particulier la capeline de paille.
La capeline est devenue le chapeau provençal en paille par excellence. À larges bordes, il permet aux paysannes de s’abriter du soleil pendant les heures de travail. Dans les années 1960, il devient un accessoire de mode, mis à l’honneur dans le célèbre film Les Demoiselles de Rochefort et une source d’inspiration pour de grands couturiers tels Yves Saint Laurent et Gabrielle Chanel.
Christian Lacroix – Friandise, passage no 47, blouse nouée, jupe longue, collection haute couture automne-hiver 1991-1992. Blouse : taffetas à manches bouillonnées et appliquées de dentelle ; jupe : crin, velours de soie, application de dentelles. Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Marseille , Buste d’arlésienne de Georges Delpérier ; Costume d’arlésienne, Arles, 2e moitié du XIXe siècle. Laine, coton, dentelle, soie. Mucem, Marseille – Fashion folklore au Mucem
Codes et langages
Le vêtement est considéré comme un signe social et constitue un véritable langage compris par tous les individus d’un même groupe. Dans les sociétés traditionnelles, le vêtement féminin peut indiquer si celle qui le porte est une jeune fille, une fiancée, une mariée, une épouse, une mère, dotée ou non d’un mari.
Le vêtement a aussi une fonction érotique : conçu à la fois pour dissimuler et pour mettre en valeur, il attire le regard sur une partie du corps tout en le dérobant à la vue. Dans une démarche anthropologique, les costumes sont notamment étudiés pour leur rôle dans les rites de passage.
Arborés à l’occasion des fêtes, ils peuvent être protecteurs et vecteurs de messages symboliques.
Rites de passage : catherinettes et mariages
On appelle « catherinettes » les célibataires de vingt-cinq ans ou plus, fêtées en jaune et vert le jour de la Sainte-Catherine. Cette pratique perdure dans les maisons de couture qui célèbrent la patronne des modistes. Les costumes liés à un autre rite de passage, le mariage, rassemblent une variété de marqueurs sociaux et culturels, dont font partie les couleurs vives et la richesse des ornements. La robe de mariée est introduite dans la haute couture au début du XXe siècle, et c’est avec elle que se clôt le défilé.
La guazze est une coiffure féminine populaire en usage entre le XVIIe et le XIXe siècle en Lombardie. Elle est composée d’épingles qui se positionnent en éventail tels des « rayons d’un halo » d’après l’écrivain Alessandro Manzoni, auteur des Fiancés, considéré comme l’un des écrits majeurs de la littérature italienne.
Catherinettes
Maison Schiaparelli – Chapeau et voile de catherinette, Paris, vers 1937. Soie, tulle, crêpe, velours – Maison Balmain – Bonnet de Sainte-Catherine, Paris, 1958. Tulle de soie, velours de soie, feutre, fil de fer – Jean Barthet – Casquette de catherinette – Hermès – Chapeau de catherinette – Atelier Chloé – Chapeau de catherinette- Fashion folklore au Mucem
À partir du début du xx siècle, le jour de la Sainte-Catherine, les célibataires âgées de 25 ans et plus pouvaient porter des chapeaux aux couleurs associées à la sainte patronne des modistes: le vert symbolise son savoir, alors que le jaune est lié à sa foi. Les maisons de couture célèbrent les catherinettes, comme en témoignent ces chapeaux des maisons Balmain et Schiaparelli.
Mariages
Costume de mariée. Viana do Castelo, Portugal, 2e moitié du XXe siècle
Ce costume féminin est célèbre au Portugal pour sa couleur rouge très vive et l’inscription Amor sur son aumônière. L’abondance et la richesse des ornements marquent le statut social de celle qui le porte. Elsa Schiaparelli a réalisé un gilet très semblable, reprenant les mêmes couleurs, motifs et forme, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York.
La robe Pop de la collection automne-hiver 1970-1971 du même Yves Saint Laurent, très colorée, présente un message en double lecture : « Love me for ever » sur le devant, « or never » dans le dos, affichant un discours revendicatif sur le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes, une année avant l’adoption de la loi autorisant le divorce en France (1972).
La couronne de mariée est considérée comme un élément si précieux que la pratique de la mettre sous globe devient courante dans les milieux populaires en France à partir du milieu du XIXe siècle. Cette coutume est reprise par John Galliano pour la Maison Martin Margiela dans sa robe du printemps-été 2015, qui arbore sur la poitrine un motif inspiré de cet objet traditionnel.
Ce costume de jeune mariée paysanne est endossé pour la première fois le jour du mariage et ensuite les jours de fête, jusqu’à la naissance du premier enfant. Il est composé d’une chemise dite à la croix», qui distingue les chrétiennes orthodoxes, d’un fichu tosca de toile blanche à motifs en coton rouge, en forme de croix également, et d’une jaquette sans manches, appelée zubun, de bure bleue. Porté en 1890, il a été transmis de mère en fille jusqu’à son entrée au musée en 1955.
Façonnée par le couturier japonais Kenzo Takada, cette robe est faite de multiples rubans brodés de fleurs, que le créateur collectionnait depuis près de vingt ans. Ils sont cousus à la main en patchwork. Comme un symbole, elle clôture le défilé automne-hiver 1982, consacré à la thématique des fleurs. Cette pièce unique n’a jamais été destinée à la vente et est conservée dans les collections de la maison Kenzo.
Héritage et réemploi
Les vêtements traditionnels étaient sans cesse réparés, rapiécés, raccommodés, transformés, et souvent transmis sur plusieurs générations. Le réemploi a tendance aujourd’hui à être reconsidéré par certains couturiers qui travaillent des fragments de vêtements ou des coupons de tissus pour créer de nouveaux modèles.
Cette pratique n’est pas sans rappeler celle des ethnologues, qui ont collecté pour les musées des centaines d’échantillons textiles, afin de documenter leur diversité technique et formelle.
Cette partie de l’exposition donne à voir des oeuvres de Franck Sorbier en lien avec des échantillons de broderies et dentelles du Mucem afin de montrer comment il s’empare de ses matériaux pour les détourner et les réemployer dans ses collections
La Robe La Grande Ivresse de Paul Fort témoigne du processus créatif de Franck Sorbier, en partie fondé sur la réutilisation, le recyclage et le détournement de matières. Elle est un travail de reprise d’échantillons rassemblés par le couturier, de provenances géographiques et d’époques diverses. Il les détourne, rendant ainsi hommage aux archives et à l’histoire du costume.
Renversement du genre
Le costume traditionnel a davantage perduré dans son usage chez les femmes que chez les hommes. Certaines pièces emblématiques du costume traditionnel masculin sont ici montrées en dialogue avec les créations de couturiers qui les détournent, les réinventent pour inverser les codes et permuter les genres : la coiffe du Tyrolien comme le fez deviennent des pièces destinées aux femmes, tandis que le catsouli des Macédoniennes dériverait, selon la légende, du casque des soldats d’Alexandre le Grand.
Tout au long de sa carrière, Paco Rabanne a travaillé des matériaux nouveaux (papier, plastique, bois…) et développe des techniques Innovantes (pièces assemblées par des anneaux ou rivets, vêtements moulés, fourrures tricotées. La notoriété du couturier, surnomme le métallurgiste de la mode, est en partie due à ses silhouettes métalliques évoquant des armures de combat.
La coiffe catsouli rappelle un casque antique. Son origine remonterait, selon la tradition orale, à l’époque d’Alexandre le Grand. Pour punir les soldats de leur comportement lâche sur le champ de bataille et souligner le courage de leurs épouses à l’arrière, le conquérant aurait ordonné aux hommes d’enlever leurs casques et de les poser sur la tête des femmes.
À partir des années 1950, la mode féminine s’est réappropriée le vestiaire masculin. L’idée n’était pas de faire ressembler une femme à un homme mais plutôt de lui donner la possibilité de revêtir des vêtements de pouvoir pour lui permettre d’assumer les mêmes responsabilités. L’image de la femme forte en armure guerrière participe de cette démarche. La robe de Givenchy légère et délicate contraste avec le casque à cornes hérité de l’Antiquité et qui donne une allure martiale à l’ensemble.
Pour la collection Métiers d’art « Paris-Salzbourg » 2014-2015, Karl Largerfeld revisite les éléments du style tyrolien et le vestiaire traditionnel autrichien dans des lignes très contemporaines. Chaque année, dans une ville du monde, le défilé Métiers d’art de Chanel rend hommage aux savoir-faire.
Transmissions et inspirations
Les œuvres conservées par le musée constituent aussi un répertoire de motifs, de matériaux et de techniques. Démonstrations de créativité et de diversité culturelle, certains savoir-faire représentés dans les collections du Mucem sont classés sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco (la broderie des Matyó en Hongrie, la blouse traditionnelle brodée en Roumanie et en Moldavie) ; certains, menacés de disparition, sont même inscrits dans la catégorie de sauvegarde urgente (la xhubleta albanaise). Parallèlement à cette volonté de protection, depuis deux décennies, la question de l’appropriation culturelle se pose dans le domaine de la mode et du textile pour devenir un sujet de société, révélateur des positions et des rapports de force entre dominants et dominés, entre « haute » et « basse » culture.
Circulations et migrations : bergers et nomades
Les costumes des minorités peuvent être considérés comme des manifestes identitaires silencieux, signes de reconnaissance et de distinction. Là où les frontières sont particulièrement mouvantes au cours du XXe siècle, des communautés, en particulier celles liées au pastoralisme, circulent entre plusieurs pays, et leur appartenance nationale fait l’objet de débats. En marge des représentations liées à la construction des États-nations, leurs costumes ont aussi été collectés pas les ethnologues, qui ont mis en avant leurs singularités techniques, formelles et symboliques.
Manteau de berger aroumain, dit kapa flokata, montagnes de Pinde, Épire, Grèce, XIXe siècle. Skouti ou sayaki toisonné, laine de mouton, coton, laine. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille. – Manteau de berger, dit klasnik, Tatarevo, région de Haskovo, Bulgarie, XXe siècle. Laine, galon. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille. Inv. DMH1968.23.453, don du comité d’amitié et de relations culturelles avec l’étranger – Franck Sorbier – Gilet de la Servante, collection « L’Esprit des lieux » hiver 2021-2022. Laine tressée, frange. Mucem, Marseille – Cape berbère, dite akhnif, territoire des Aït Oumalou, région de Telouet, Maroc, fin du XIXe siècle – début du XXe siècle. Laine tissée. Mucem, Marseille – Chloé par Clare Waight Keller, blouson, collection automne 2017. Empiècements contrastés en peau lainée, bord côtes en laine, fermeture en laiton. Patrimoine Chloé, Paris – Fashion folklore au Mucem
Cette pièce qui couvre le corps du berger hongrois provient de Hortobágy, l’immense plaine de Hongrie orientale consacrée en majeure partie à l’élevage au XXe siècle. Elle est appelée bunda (« fourrure » en français), et un dicton hongrois disait : « Sans bunda, un berger n’est pas berger. » Elle était portée avec le poil à l’intérieur pour se préserver du froid, ou bien à l’extérieur pour se protéger de la pluie.
Cape berbère, dite akhnif, territoire des Aït Oumalou, région de Telouet, Maroc, fin du XIXe siècle – début du XXe siècle. Laine tissée. Mucem, Marseille – Franck Sorbier – Cape de la Servante, collection haute couture « L’Esprit des lieux » hiver 2021-2022. Laine bouillie. Mucem, Marseille – Manteau de pluie, Portugal, XIXe siècle, Paille. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle – Val Piriou – Veste à cape, Bretagne, années 1980-1990. Veste à cape et pantalon de sequins imitant le bois, doublure et ganse en coton, matières plastiques, coton, élasthanne, broderie de sequin. Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Marseille – Costume de femme saracatsane, monts Rhodope, Bulgarie, début du XXe siècle. Bure, toile, laine, drap foulonné, fils dorés. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille – Dries Van Noten – Deux ensembles de jour, collection automne-hiver 2004-2005. Jupe : laine et coton ; chemise : soie ; mitaine : laine ; Manteau : alpaga et coton ; jupe : laine ; pull : laine ; bas : laine. Dries Van Noten, Anvers – Bernhard Willhelm – Ensemble pour homme, robe, caleçon long, paire de bas, collection prêt-à-porter printemps-été 2009, Allemagne. Tunique (modèle Wiesloch), caleçon de ville (modèle de Haarot), paire de bas (modèle Creutz silk) et de mocassins. Palais Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris, Paris – Fashion folklore au Mucem
Entre mondialisation et patrimonialisation
Si la haute couture est un art qui permet de perpétuer des savoir-faire et des métiers d’exception, de nouveaux défis juridiques et économiques se présentent aujourd’hui. L’emprunt de motifs et de techniques sans référence à leur contexte d’origine constitue-t-il une spoliation ? Autrement dit, peuvent-ils et doivent-ils être protégés, labellisés, soumis à un droit d’auteur ? Ces questions se posent pour de nombreux éléments du patrimoine dont se sont emparés les créateurs, comme la broderie hongroise ou la blouse roumaine.
Échantillon de voile de mariée matyó ayant appartenu à Jacques et Andrée Doucet, Mezőkövesd, région de Borsod, Hongrie, XXe siècle. Broderie. Mucem, Marseille – Costume de fête de jeune femme, Mezőkövesd, région de Borsod, Hongrie, fin du XIXe siècle – Kenzo par Kenzo Takada – Veste brodée, collection automne-hiver 1987. Soie, jacquard de coton et rayonne. Kenzo Heritage – Chemise d’homme, Mezőkövesd, région de Borsod, Hongrie, début du XXe siècle. Broderies matyó Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille – Kenzo par Kenzo Takada – Robes, collection automne-hiver 1971. Laine bouillie, sergé, toile de coton. Kenzo Heritage – Hermès – Gilet à motifs de fleurs, années 1950. Laine brodée. Conservatoire des créations Hermès, Paris – Gilet pour femme, Sioagard, région de Tolna, Hongrie, XXe siècle. Toile de coton brodée de fils de coton. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille
Blouses, Roumanie, XIXe-XXe siècles. Coton, broderies. Mucem, collection d’ethnologie d’Europe, dépôt du Muséum national d’histoire naturelle, Marseille – Fashion folklore au Mucem
Les blouses roumaines, toujours portées actuellement, sont l’un des rares exemples de longévité des pièces textiles traditionnelles. La blouse roumaine a une structure morphologique simple. Son ornementation est située sur les parties visibles (manches, épaules, tour du cou, poitrine) et au niveau des coutures d’assemblage des morceaux constituant la blouse.