Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti


Jusqu’au 28 juillet 2024, Fræme présente « Des grains de poussière sur la mer» une incontournable exposition qui s’inscrit avec « Astèr Atèrla » dans le programme Un champ d’îles, dédié aux artistes des territoires ultramarins par la Friche la Belle de Mai..

«Des grains de poussière sur la mer – Sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti » a été conçue par la chercheuse et curatrice Arden Sherman avec Katie Hood Morgan et Marie Vickles du Hunter College à New York, où elle a été initialement présentée à la Hunter East Harlem Gallery au cours de l’hiver 2018-2019.
L’exposition a ensuite circulé aux États-Unis au Little Haiti Cultural Center de Miami en 2020, puis au 516 ARTS à Albuquerque en 2021 et à la Villa Albertine – San Francisco Art Institute à l’hiver 2021-2022.

En France, la Villa du Parc à Annemasse a accueilli le projet au court de l’été 2022 et la Ferme du Buisson (Noisiel, Seine-et-Marne) de l’automne jusqu’à la fin janvier 2023.

Vues de l’exposition « Des grains de poussière sur la mer », La Ferme du Buisson, 2022-2023

Pour Véronique Collard Bovy, l’enjeu de cette proposition est de montrer sans ambiguïté une scène trop mal connue, parfois même ignorée et la plupart du temps réduite à quelques acteurs. Il s’agit clairement de mettre en lumière et de promouvoir la diversité, l’originalité et l’inventivité d’artistes contemporains des Caraïbes françaises et d’Haïti, en évitant les travers de perspectives « ethnologiques » que certaines institutions ont encore trop souvent tendance à privilégier.
Souhaitant enrichir l’exposition avec de nouvelles pièces, la directrice de Fræme confie avoir été surprise par les choix restreints offerts par les collections des grandes institutions…

Aussi, souligne-t-elle, ce n’est sans doute pas par hasard si ce projet a été initié par une universitaire américaine et s’il fut d’abord exposé dans une galerie située dans East Harlem. Surnommé El Barrio, connu aussi comme le Spanish Harlem, ce quartier est peuplé par des immigrants caribéens et notamment portoricains. De nombreux écrivains, artistes et musiciens y vivent ou y ont vécu. L’histoire de la salsa et de quelques figures du rap est également liée au Spanish Harlem. Dans son texte initial, Arden Sherman soulignait que dans ce contexte new-yorkais l’histoire des Caraïbes françaises était alors presque inconnue.

Vues de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Dans son texte d’introduction, Arden Sherman explique que le titre « Des grains de poussière sur la mer » fait écho à un propos de Charles de Gaulle, lors d’un survol en 1964 de la mer des Caraïbes, décrivant les îles comme autant de « grains de poussière sur la mer ». Pour la curatrice ce propos est évidemment révélateur « de la perspective surplombante depuis laquelle est perçue la région – une perspective dont les racines plongent dans l’histoire de la France comme puissance coloniale dans les Antilles ».

En réunissant des sculptures de vingt-huit artistes originaires de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane française et d’Haïti, « Des grains de poussière sur la mer » entend défier cette image coloniale. L’ambition affirmée est de « mettre en scène plusieurs approches matérielles et conceptuelles qui témoignent des pratiques des artistes de cette région du monde tout en posant la question de savoir qui est au “centre” et qui est à la “périphérie” ».

Toutefois, la curatrice affirme : « si l’histoire est indéniablement présente, les artistes ne réalisent pas des œuvres d’art d’apparence “caribéenne” ou qui démontrent de manière didactique les conditions de leur contexte ou du traumatisme colonial. Les Caraïbes françaises et Haïti ne sauraient ainsi se laisser définir ni par leur beauté exotique ni par leur histoire traumatique. Les artistes jouent au contraire sur tous les tableaux, en exprimant leurs relations personnelles avec le patrimoine, en naviguant dans un monde de l’art contemporain mondialisé et en regardant par-delà leurs origines culturelles pour trouver idées et inspirations ». Dans le texte qui accompagnait l’exposition new-yorkaise, la curatrice ajoutait avoir conçu un accrochage dont « le résultat est un espace qui n’est ni complètement caribéen, ni complètement européen, ni complètement indépendant ; l’exposition et ses œuvres d’art vivent quelque part dans la zone grise entre les trois ».

Ernest Breleur, Sans titre, série Féminin, 2014 & Jean-François Boclé, Consommons racial !, 2005-2017 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Ernest Breleur, Sans titre, série Féminin, 2014 & Jean-François Boclé, Consommons racial !, 2005-2017 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Pour cette étape à la Friche la Belle de Mai, Fræme propose une version de « Des grains de poussière sur la mer », enrichie par une sélection une sélection de pièces empruntées au CNAP dont trois superbes sculptures de la série féminin d’Ernest Breleur, une spectaculaire installation de Kenny Dunkan, trois œuvres de Gaëlle Choisne et deux pièces de Louisa Marajo. L’installation Consommons racial ! de Jean-François Boclé en dépôt au Mrac de Sérignan et la vidéo Caravage Créole de Françoise Sémiramoth complètent cet ensemble..

Françoise Sémiramoth, Caravage Créole, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Françoise Sémiramoth, Caravage Créole, 2022 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

L’exposition devrait ensuite connaître un nouvel épisode l’automne prochain à la Passerelle, centre d’art contemporain d’intérêt national à Brest.

« Des grains de poussière sur la mer » se développent au troisième étage de la Tour. Elle reprend les cimaises aménagées pour la section édition art et design d’Art-o-rama 2023 dans la perspective qu’elles puissent – par de légères modifications – êtres utiles aux projets suivants. Saluons ce travail de réflexions menées par Fræme sur l’impact environnemental de ses productions.
L’accrochage et la mise en espace installent les œuvres « à proximité et en conversation directe les unes avec les autres, forment un réseau d’idées autour du patrimoine, de l’histoire, de l’identité, du corps social et de la politique ». L’ensemble est particulièrement réussi.

Au côté d’artistes dont on a pu voir les œuvres ici et là (Raphaël Barontini, Jean-François Boclé, Ernest Breleur, Gaëlle Choisne, Kenny Dunkan, Yoan Sorin…), les découvertes sont nombreuses et passionnantes.
Elles imposent un passage par la Friche avant la fin juillet !

  • Julie Bessard, Ailes, 2008 & Sans titre, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Raphaël Barontini, Eurydice et Toussaint Bréda de la série Solar Cloaks, 2019 & Louisa Marajo - BoMb - de cendres s’élevant dans l’art d’aimer la Vie - cette fleur, ce cocotier chaotique, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Kenny Dunkan, COSMOS, 2021 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Vladimir Cybil Charlier - Sans titre (Guédé Mani), 2018 & Alex Burke, La Bibliothèque 2, 2010 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Yoan Sorin, Pièces détachées, 2024 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Jérémie Paul, Les Tiags de mon Oncle, 2017 & Écume de ma mère, 2016 - Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head, 2017 - Tabita Rezaire, Peaceful Warrior, 2015 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Édouard Duval-Carrié, Ogu Feraille, 2015 - Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Fingers, 2017 - Ronald Cyrille AKA B-Bird, Key Escape, 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Marielle Plaisir, Oh! What a Mirage!, 2018 & Kira Tippenhauer, série Dambala (sélection), 2020 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon,Who’s The Fool? How To Patch A Leaky Roof, (Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapli), 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
  • Kenny Dunkan, EXOROTIC, 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024    - photo © Jean-Christophe Lett

Vues de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

On peut s’étonner qu’aucune œuvre de Julien Creuzet n’ait été sélectionnée par Arden Sherman et par les institutions qui ont accueilli l’exposition depuis 2018… Nul doute que sa nomination pour représenter la France à la Biennale de Venise sera un pas important vers une reconnaissance plus large des artistes franco-caribéens.

Les très intéressantes tables rondes, organisées lors des rencontres professionnelles « Loin ne veut pas dire petit – Langages et imaginaires artistiques des Outre-mer» pendant le week-end du vernissage, ont été, entre autres, l’occasion de rappeler l’injuste « octroi de mer » imposé aux artistes pour tout déplacement de leurs œuvres ou encore les conséquences désastreuses sur le développent d’Haïti de la « double dette » imposée après son indépendance, en 1804.

« Des grains de poussière sur la mer » rassemble des œuvres de Raphaël Barontini, Sylvia Berté, Julie Bessard, Hervé Beuze, Jean-François Boclé, Ernest Breleur, Alex Burke, Vladimir Cybil Charlier, Gaëlle Choisne, Ronald Cyrille, Jean-Ulrick Désert, Kenny Dunkan, Edouard Duval-Carrié, Adler Guerrier, Jean-Marc Hunt, Nathalie Leroy Fiévée, Audry Liseron-Monfils, Louisa Marajo, Ricardo Ozier-Lafontaine, Jérémie Paul, Marielle Plaisir, Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon, Tabita Rezaire, Françoise Sémiramoth, Yoan Sorin, Jude Papaloko Thegenus et Kira Tippenhauer.

Ci-dessous, quelques regards sur l’exposition accompagnés par les cartels et le texte de Arden Sherman..

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Regards sur « Des grains de poussière sur la mer »

Le parcours commence sur le palier du troisième étage avec Pièces détachées (2024), une imposante installation de Yoan Sorin en partie réorganisée pour l’étape marseillaise « Des grains de poussière sur la mer ». Derrière trois piliers travestis en arbres tropicaux, l’artiste qui vit et travaille actuellement à Arles a mis en place son « bricolage intuitif ». Ses Pièces détachées assemblent des objets et des formes en placo, en papier mâché, en bois, en carton couvertes de liant acrylique où se mélangent pigments, poussières d’atelier et poudre de coquillage. Yoan Sorin a été en résidence à Triangle France en 2020 et plus récemment au 3 bis f où il a présenté l’automne dernier Désordres, une inénarrable exposition.

Yoan Sorin, Pièces détachées, 2024 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Yoan Sorin, Pièces détachées, 2024. Assemblages de formes en placo, papier mâché, bois, carton, pigments, poussières d’atelier, poudre de coquillage et liant acrylique – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Yoan Sorin pratique la performance au même titre que la sculpture ou la peinture dont le tout participe autant d’une pensée de la trace que d’une forme de « Chaos Monde » pour emprunter une notion d’Édouard Glissant. À la manière d’un journal intime, sa pratique se fonde sur des mythologies éclatées que l’artiste actualise via des dessins, installations, peintures et performances. Puisant son inspiration dans le monde qui l’entoure, Sorin collectionne des objets abandonnés trouvés lors de ses trajets quotidiens, ou bien des restes d’installations pour fabriquer ses propres espaces immersifs et empiriques. Influencés par son héritage caribéen, les vestiges qu’il collecte le relient intrinsèquement à ses racines, racontant l’histoire de sa généalogie de manière indirecte et profondément poétique. Yoan Sorin combine la prise de note et la fabrication d’objets appréhendés sous la forme de puzzles, slogans ou proverbes.
À l’image de ses nombreux carnets remplis de dessins réalisés quotidiennement, sa production mêle artisanat et low-tech, indiscipline et sens de la dérision. Puisant dans les matériaux utilisés au cours d’expositions passées et expérimentant par « bricolage intuitif », Yoan Sorin, conçoit une nouvelle installation à Marseille. (Texte du cartel)

Françoise Sémiramoth, Caravage Créole, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Françoise Sémiramoth, Caravage Créole, 2022. Vidéo 3’ 42’’ – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

En face, un espace projection propose Caravage Créole (2022) de Françoise Sémiramoth où « au rythme de la voix de Maryse Condé et du récit des mémoires de l’écrivaine à propos de la couleur et de l’environnement, la vidéo s’affirme puissamment dans l’époque postcoloniale complexe actuelle »…

La pratique de Françoise Sémiramoth explore les histoires caribéennes en se concentrant sur la couleur et la forme. Pour sa série Caravage Créole, Sémiramoth réinvente les histoires représentées dans les peintures du Caravage dans une perspective révisionniste où ses personnages se fondent dans des paysages tropicaux lumineux. Travaillant principalement la peinture et la gravure, elle dépeint ces personnages dans une teinte rouge-orange représentant la peau des peuples indigènes qui vivaient dans les Caraïbes avant l’ère précolombienne. Ceux-ci s’enduisaient le corps de graines écrasées de la plante roucou, utilisée pour se protéger du soleil et des insectes. Les peintures et gravures de style graphique de Sémiramoth mettent l’accent sur la couleur, la forme et la simplicité en s’inspirant de la culture pop contemporaine, du pop-art et de l’abstraction géométrique.

Dans sa vidéo intitulée Caravage Créole, Sémiramoth a collaboré avec son amie l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé pour créer un essai et un paysage sonore en réponse à la série de l’artiste. Le montage d’images filmées en Guadeloupe offre une vision à la fois entêtante et magnifique sur l’île – de son histoire coloniale à l’impact de l’industrie en passant par ses merveilles naturelles – dichotomies de la réalité caribéenne. Au rythme de la voix de Condé et du récit des mémoires de l’écrivaine à propos de la couleur et de l’environnement, la vidéo s’affirme puissamment dans l’époque postcoloniale complexe actuelle. (texte du cartel)

Le Frac Sud conserve une sérigraphie réalisée à partir d’un dessin de l’artiste réinterprétant Garçon mordu par un lézard du Caravage.
Site de l’artiste : https://francoise-semiramoth.com/
Site de l’agence Krystel Ann Art : https://www.krystelannart.com/fr/artiste/francoise-semiramoth/

Avant de pénétrer dans la salle d’exposition, sur la droite sous le texte de Arden Sherman, deux vitrines présentent quelques publications en lien avec « Des grains de poussière sur la mer » (Essais, catalogues, romans, articles de presse…).

Julie Bessard, Ailes, 2008 & Sans titre, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Julie Bessard, Ailes, 2008. Paille, agrafes et cuivre, 150 × 73 × 28 cm & Sans titre, 2022. Pastels à l’huile sur toile – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Dans la salle d’exposition, le parcours commence avec un espace dédié à Julie Bessard. Sa sculpture The Wings/Ailes (2008) assemblage de paille, d’agrafes et de cuivre voyage avec l’exposition depuis sa présentation à la Hunter East Harlem Gallery en 2018. Elle a été rejointe par deux grands pastels à l’huile Sans titre (2022) produits par la Villa du Parc, puis proposé dans une installation sculpturale au centre d’art de la Ferme du Buisson que l’on retrouve à Marseille.

La pratique de Julie Bessard explore la forme et la composition, expérimentant souvent l’illusion et la lumière dans l’espace.
L’artiste a conçu une peinture in situ pour l’exposition à la Villa du Parc qui fut redéployée en installation sculpturale au cœur du centre d’art de la Ferme du Buisson, puis aujourd’hui ici à la Friche la Belle de Mai. Il s’agit de toiles monumentales qui font partie d’une série ininterrompue de peintures au pastel à l’huile, présentant des compositions frontales, aux fortes tensions colorées très vives que Julie réalise rapidement. Émergeant d’un fond noir ténébreux, un tourbillon abstrait de formes, lignes et couleurs évoque le mouvement, l’envol, le souffle et agit à la façon d’une composition musicale ou chorégraphique.
Dans un registre sculptural et plus symbolique, Ailes, deuxième œuvre présentée dans l’exposition, interagit avec l’architecture dans un jeu d’ombre et de lumière. Elle est réalisée avec des matériaux courants, dont du filet, des agrafes métalliques et du ruban adhésif d’emballage. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.juliebessard.com/

Jude Papaloko Thegenus, Ezili Dantò, 2004 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Jude Papaloko Thegenus, Ezili Dantò, 2004. Métal (acier) – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

En face, Ezili Dantò (2004) un masque de métal de Jude Papaloko Thegenus, esprit senior de la famille Petro dans le vaudou haïtien et manifestation d’Erzulie, la divinité de l’amour, semble observer avec attention les visiteur·euses qui passent…

Jude Papaloko Thegenus crée des œuvres d’art à partir de méditations et de transes. Pour réaliser ses œuvres, Papaloko entre dans un état d’hypnose et se laisse guider par les esprits.

Son œuvre sculpturale Ezili Dantò ressemble à un masque de cérémonie dont le visage humain, orné de pointes métalliques, confère à l’objet un caractère singulier. L’artiste a étudié la prêtrise catholique romaine avant de trouver une pratique spirituelle en accord avec ses racines culturelles haïtiennes et caribéennes et de se lancer dans une étude approfondie du temple vaudou. Outre de la sculpture, Papaloko réalise des peintures, des projets éducatifs, des illustrations, des panneaux, des peintures murales publiques et des compositions texturales singulières. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://judepapalokothegenus.com/

Jean-François Boclé - Consommons racial ! (2005 - 2017) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Jean-François Boclé – Consommons racial ! (2005 – 2017) – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Sur la droite, l’installation Consommons racial ! (2005 – 2017) de Jean-François Boclé est sans aucun doute une des pièces maîtresses de l’étape marseillaise de « Des grains de poussière sur la mer». On se souvient avoir vu cette œuvre conservée par le Cnap en dépôt au Mrac de Sérignan.

Sur son site, l’artiste martiniquais commente longuement cette œuvre qu’il décrit ainsi :
« Ce rayonnage – une étagère de 7 à 8 mètres de long – rassemble des produits de consommation courante vendus aujourd’hui dans les supermarchés. Je les ai achetés en Europe, États-Unis, Amérique… Latine/Caraïbe et au Moyen Orient entre 2005 et 2018. (…) Consommons racial ! donne à voir une étagère où on ne se mélange pas. Cela va du tout blanc sur la gauche au tout noir sur la droite. Au centre la dite “découverte” de l’Amérique ». On renvoie à la lecture de ce texte indispensable…

  • Jean-François Boclé - Consommons racial ! (2005 - 2017) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
  • Jean-François Boclé - Consommons racial ! (2005 - 2017) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
  • Jean-François Boclé - Consommons racial ! (2005 - 2017) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Lors d’une visite de l’exposition, Véronique Collard Bovy, a attiré notre attention sur un des objets qui peut passer inaperçu, mais qui est sans doute essentiel : l’emballage des sacs-poubelle La Negrita — Bolsas para basura Made in Colombia que Jean-François Boclé a acheté en 2005 à Cali.

Jean-François Boclé - Consommons racial ! (2005 - 2017) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Jean-François Boclé – Consommons racial ! (2005 – 2017) – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

À son sujet, il explique :
« Ici, la femme noire est devenue au sens propre une poubelle de couleur noire dont la partie supérieure est ficelée (cela évoque des cheveux), des yeux écarquillés, un nez, une bouche largement souriante, forcément rouge, deux pieds et deux mains gantées de blanc tenant balai et ramasse-poussière. Le corps de cette femme de ménage est devenu le contenant des ordures des maîtres.
Cette installation, je l’ai montrée pour la première fois en Colombie à Bogota au Mapa Teatro Laboratorio des artistas en 2005. J’étais allé à Cali invité par un ami artiste avant l’accrochage de l’exposition. Comme je le fais toujours quand j’arrive dans un pays, avant toute chose, je vais dans les supermarchés. Des supérettes aux hypermarchés. À Cali j’ai fait face à La Negrita – Bolsas para basura, le produit le plus racisant et violent qu’il m’ait été donné de voir, c’est de l’ordre d’un vandalisme. Imaginons ici le ressenti d’une femme, d’un homme, d’un enfant africain-colombien face à La Negrita – Bolsas para basura »…

Jean-François Boclé utilise des objets trouvés pour créer des sculptures, des installations et des vidéos qui traitent du consumérisme, du capitalisme et de l’histoire de la diaspora africaine. Tel un rayon de supermarché, Consommons racial ! présente une multitude de produits de consommation courante. À une extrémité, des produits véhiculent les images du paisible quotidien de familles blanches et à l’autre, des personnes noires assignées à des tâches domestiques au service des premières. Les objets sont rangés en une frise de l’idéologie racialiste qui représente pour Boclé « la perdurance de la colonialité ». (Texte du cartel)

Sur le site de l’artiste : https://www.jeanfrancoisbocle.com/works/installation/consommons-racial/05.html

Ernest Breleur - Sans Titre de la série Féminin, 2014. Film polyester imprimé, agrafes, tissu synthétique, plastique, fourrure et plumes synthétiques, fil nylon, 220 x 47 x 40 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Ernest Breleur – Sans Titre de la série Féminin, 2014. Film polyester imprimé, agrafes, tissu synthétique, plastique, fourrure et plumes synthétiques, fil nylon, 220 x 47 x 40 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Sur la gauche, on découvre trois magistrales scuptures suspendues (Sans Titre de la série Féminin, 2014) d’Ernest Breleur, conservées par le Cnap – Centre national des arts plastiques.

Dans un texte d’octobre 2012, qui accompagnait l’apparition de la série Féminin dans l’exposition « Le vivant de questions en questions » à Maëlle Galerie, Ernest Breleur écrivait :
« Je m’aperçois que ce titre est celui qui couvre l’ensemble de mon travail artistique. Les questions que je me pose sont certes philosophiques, mais elles concernent aussi et surtout une certaine approche de la sculpture. Je donne corps à mon projet sculptural. Une ambition, donner une forme au vide. Ici la matière et la lumière se liguent pour l’apparition d’un étrange. Mes sculptures donnent à voir le moins de matière que possible. Chacun des objets trouve sa consistance physique dans une superposition de lamelles fines construites de matière et de lumière. Cette élaboration je la nomme processus de “laméllisation”. Dans cette pratique de “lamellisation” la question du vide est une de mes préoccupations, tant du point de vue sculptural que du point de vue de ma pensée philosophique. Il s’agit de donner corps à la métaphore de la genèse du vivant, il n’est point question de mimer ou encore de trouver une explication au surgissement de l’être au monde, mais de mettre en évidence une poétique du monde se peuplant ». Texte extrait d’un porfolio de 2018 sur le site de la Fondation Drapper où l’on peut également trouver des textes d’Alexandrine Dhainaut, Yolanda Wood, Patrick Chamoiseau et Seloua Luste Boulbina.

Ernest Breleur travaille la peinture, le dessin et la sculpture, chacun de ces médiums façonnant les autres. L’intérêt artistique de Breleur est formel, ses sculptures sont spatiales et interactives, et les lignes de ses dessins dansent sur du papier blanc dans des motifs soigneusement contrôlés. Les trois sculptures présentées dans Des grains de poussière sur la mer sont extraites de la série Féminin, dans laquelle il explore la matérialité sous un prisme féminin. Mêlant, contorsionnant et tissant entre eux différents matériaux récupérés dont des radiographies, des guirlandes et des monofilaments, ses sculptures incarnent une présence biomorphique, presque mystique ou issue des tréfonds de l’océan. Le travail de Breleur se trouve à la lisière entre son identité martiniquaise et celle d’artiste, où les contours de l’île forment simultanément le contexte conceptuel de sa pratique et l’étendue de son impératif à créer. Nourrie de ses rencontres avec des écrivains martiniquais comme Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, l’œuvre de Breleur interroge les relations entre les Caraïbes et un monde de plus en plus globalisé. (texte du cartel)

Ernest Breleur sur le site de la galerie Maëlle : http://www.maellegalerie.com/ernest-breleur/

Adler Guerrier - Sans titre (Unité nodale - une tribune pour faire campagne en faveur d’une réorganisation), 2018. Contreplaqué, teinture pour bois, peinture émail, peinture acrylique et coroplast, 45,7 × 38 × 38 cm et Sans titre (Partager dans un marché - stade économique à accès facilité), 2015. Panneau aggloméré, fil de fer, peinture émail, bois et coroplast, 45,7 × 38 × 38 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Adler Guerrier – Sans titre (Unité nodale – une tribune pour faire campagne en faveur d’une réorganisation), 2018. Contreplaqué, teinture pour bois, peinture émail, peinture acrylique et coroplast, 45,7 × 38 × 38 cm et Sans titre (Partager dans un marché – stade économique à accès facilité), 2015. Panneau aggloméré, fil de fer, peinture émail, bois et coroplast, 45,7 × 38 × 38 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Dans le prolongement des sculptures aériennes d’Ernest Breleur, deux œuvres d’Adler Guerrier empilées l’une sur l’autre sont posées au sol. Elles sont fabriquées à partir de matériaux trouvés : affiches politiques déchirées, matériaux de construction urbains, articles ménagers et bric-à-brac de jardin.

Adler Guerrier utilise aussi bien la photographie, le dessin et la gravure que la vidéo ou la sculpture. Son œuvre considère l’espace public de la rue comme un site potentiel de discours et de désobéissance civile ; l’artiste se tourne aussi parfois vers les espaces privés de la maison et de la cour et aborde ainsi les enjeux politiques, thérapeutiques et esthétiques de ces lieux. Pour Des grains de poussière sur la mer, Guerrier présente deux structures fabriquées à partir de matériaux trouvés : affiches politiques déchirées, matériaux de construction urbains, articles ménagers et bric-à-brac de jardin. L’œuvre de Guerrier représente le point de vue d’un Haïtien vivant à Miami, une ville très largement peuplée d’immigrant·es haïtien·nes, ainsi que l’impact global que provoque l’absence de réponses satisfaisantes face aux demandes historiques de prospérité, de justice et de droits civiques, persistant aussi dans son environnement étatsunien. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.adlerguerrier.com/studio/dust-specks-on-the-sea-contemporary-sculpture-from-the-french-caribbean-haiti-at-the-little-haiti-cultural-complex-center/

Édouard Duvalcarrié - Ogu Feraille, 2015. Fibre de verre teintée, 127 × 50,8 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Édouard Duvalcarrié – Ogu Feraille, 2015. Fibre de verre teintée, 127 × 50,8 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

En face, une imposante sculpture incandescente en résine moulée d’Édouard Duvalcarrié (Ogu Feraille, 2015) symbolise les luttes passées et présentes du peuple haïtien. Ogun est un orisha dans la mythologie yoruba, et un lwa du vaudou haïtien, qui se présente sous plusieurs aspects. Il préside au feu, au fer et à la guerre. Comme tel, il est le patron des forgerons. Ogou Feray ou Ogoun Ferraille est le guerrier qui lutte contre la misère. Ses attributs sont le sabre, le coq rouge, le rhum et le tabac. C’est aussi un chef politique, qui a servi d’inspiration aux esclaves pour la révolution haïtienne en 1804.

Sculpteur et peintre, Édouard Duval-Carrié s’inspire largement des traditions d’Haïti au travers des thèmes du vaudou, du racisme, de la folie et de l’érotomanie. L’artiste crée des oeuvres qui parlent des difficultés des Caraïbes et de leur diaspora, avec un intérêt particulier pour la communauté haïtienne de Miami à laquelle il appartient.

Dans l’exposition, il présente un grand buste d’Ogun (un orisha, ou dieu spirituel, dans la religion Yoruba) – un guerrier qui symbolise l’esprit puissant du travail du métal. Sculpture incandescente en résine moulée, Ogu Feraille (2015) symbolise les luttes passées et présentes du peuple haïtien. Sa matérialité reflète un sentiment simultané d’espoir et de puissance qui se juxtapose à l’imagerie féroce des guerriers traditionnels que l’on peut rencontrer dans les objets exposés dans les musées. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : http://duval-carrie.com/

Jean-François Boclé, Sans titre, série Caribbean Hurricane, 2010 & Kira - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Jean-François Boclé, Sans titre, série Caribbean Hurricane, 2010. Installation, ventilateurs, bandes de tissus et de sacs en plastique, dimensions variables. – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Au centre de l’exposition, face à Ogu Feraille, une deuxième installation de Jean-François Boclé, issue de la série Caribbean Hurricane, s’impose par la puissance de ses trois ventilateurs qui soufflent des bandes de tissus et des sacs en plastique recyclé. Les trois couleurs rouge, noir et vert ont été déclarées couleurs officielles du peuple africain par l’UNIA (Universal Negro Improvement Association and African Communities League) en 1920 et sont devenues celles du drapeau panafricain. Mouvement militant d’émancipation, d’affirmation et de réappropriation politique et culturelle de l’identité des sociétés africaines contre les discours colonisateurs des Européens.

Sur son site, Jean-François Boclé souligne que Caribbean hurricane est une série d’installation pour nombre variable de ventilateurs et couleurs politiques variables. Pour lui, ces trois ventilateurs renvoient aussi aux « trois couleurs des étendards de la Black Line Company fondée par Markus Garvey. Un projet hétérotopique dans le contexte américain et caribéen vis-à-vis des Noirs au début du XXe siècle. (…) La Black Star line avait pour vocation de redistribuer le rapport à l’espace : ces navires reliaient en premier lieu les États-Unis, l’Amérique Centrale et la Caraïbe. Cette hétérotopie faisait face à une dystopie que Garvey connaissait bien, celle des cargos bananiers de la United Fruit Company et ses Républiques bananières. En effet Garvey a fait partie avant de migrer aux États-Unis de ces travailleurs jamaïcains employés au Costa Rica dans la production bananière ».

Jean-François Boclé - Untitled, serie Caribbean Hurricane, 2010. Installation, ventilateurs, bandes de tissus et de sacs en plastique, dimensions variables - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Jean-François Boclé – Untitled, serie Caribbean Hurricane, 2010. Installation, ventilateurs, bandes de tissus et de sacs en plastique, dimensions variables – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Véronique Collard Bovy rappelle que ces trois couleurs étaient aussi celles de l’éphémère république du Biafra, état sécessionniste situé dans la partie sud-est du Nigeria, la plus riche en réserves de pétrole qui n’a pas résisté à une guerre et à un blocus qui a fait plus d’un million de morts, notamment du fait de la famine.

Nathalie Leroy Fiévée, EX VOTO : ISI-A NWÈ BLAN BLUES, 2018. Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Nathalie Leroy Fiévée, EX VOTO : ISI-A NWÈ BLAN BLUES, 2018. Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Sur la droite, on découvre une émouvante installation de Nathalie Leroy Fiévée où elle rend hommage à sa grand-mère.
Sur le mur en face, on trouve la traduction du texte de cet hommage  :

La Terre notre poésie
EX-VOTO: ICI Noir Blanc Blues

Je ne suis pas une enfant
Je ne suis plus une enfant
Pourtant je suis une enfant
Je suis l’enfant de la grand-mère
De ma grand-mère
Ma terre
Là-terre
Là-Taire.
La terre de ma grand-mère
Est un jardin
Un jardin de couleurs aux fleurs
Pleine terre
Terre propre
Taire propre
Ma grand-mère arrose
Tous les jours les couleurs
Elle fait de l’aquarelle
Ma grand-mère balaie
Tous les jours la Terre
Là-Taire
Elle fait des gouaches
Ma grand-mère enlève les fleurs mortes
Elle en fait des huiles
Elle ma grand-mère
Peint tous les jours
C’est sa nourriture
De l’eau
Du pain
Des couleurs
Propres
Ma grand-mère aime la Terre
Là-Taire.

Nathalie Leroy Fiévée crée des peintures, des sculptures et des installations dans l’espace public. À partir d’une méthodologie faite de formes libres et de gestes forts, elle utilise la création artistique comme une expérience émotionnelle destinée à saisir la vie humaine et le deuil.
Dans son œuvre Ex Voto : Isi-A Nwè Blan Blues [Ex Voto : Ici, Noir Blanc Blues] elle rend hommage à sa grand-mère récemment décédée, qui eut une influence majeure dans sa vie et à qui elle attribue son intérêt pour l’abstraction et l’art in situ. L’œuvre, qui s’inspire également du paysage naturel de la Guyane où elle a grandi, est tout à la fois un monument et une expression. Leroy Fiévée se considère comme une citoyenne du monde destinée à incarner une identité holistique nourrie par la beauté de l’environnement naturel et l’angoisse de l’environnement artificiel. (Texte du cartel)

Le musée d’arts de Nantes conserve une œuvre de Nathalie Leroy Fiévée ainsi que le Fonds d’art contemporain – Paris collections.

Kira Tippenhauer - Dambala (series selections), 2020. Faïence, grès, fibres naturelles, coton - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Kira Tippenhauer – Dambala (series selections), 2020. Faïence, grès, fibres naturelles, coton – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Dans le couloir qui s’ouvre après l’installation de Nathalie Leroy Fiévée, deux ensembles de céramiques de Kira Tippenhauer se font face. Issues de sa série Dambala, ces œuvres ornées de fibres naturelles de la céramiste d’origine haïtienne multiplient les références à l’artisanat précolombien.

Kira Tippenhauer - Dambala (series selections), 2020. Faïence, grès, fibres naturelles, coton - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Kira Tippenhauer – Dambala (series selections), 2020. Faïence, grès, fibres naturelles, coton – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

La pratique multidisciplinaire de Kira Tippenhauer couvre aussi bien les arts plastiques que le design. Ses éditions d’articles de décoration en céramique s’inspirent de ses racines tropicales et afro-caribéennes haïtiennes. Dans sa série Dambala, Tippenhauer crée des œuvres qui font référence à l’artisanat précolombien comme aux artefacts utilitaires. En ornant ses objets de fibres naturelles, elle crée des pièces qui se situent entre la sculpture et l’art décoratif et reflètent son identité hybride d’haïtienne vivant et travaillant aux États- Unis. Son engagement pour l’enseignement et les pratiques artistiques collaboratives a conduit Tippenhauer à développer un atelier de céramique local à Miami. (Texte du cartel)

Marielle Plaisir - Oh! What a mirage! [Oh, quel mirage !], 2018. Tissu, broderie, boutons, poids de plomb et ventilateurs, 122 x 88,9 x 96,5 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Marielle Plaisir – Oh! What a mirage! [Oh, quel mirage !], 2018. Tissu, broderie, boutons, poids de plomb et ventilateurs, 122 x 88,9 x 96,5 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Un peu plus loin, Marielle Plaisir présente une installation poétique et énigmatique. Un tissu léger retenu par des poids de plomb flotte au-dessus de ventilateurs. Le recours au cartel est indispensable pour comprendre que Oh ! What a Mirage ! (2018) est une métaphore visuelle de la Guadeloupe et du survol de l’île par Charles de Gaulle en 1964 dont un commentaire est devenu le titre de cette exposition itinérante !

Marielle Plaisir combine la peinture, le dessin, les installations monumentales et la performance et présente des expériences plastiques profondes. Son oeuvre mêle vie et fiction dans des récits personnels et historiques issus de son enfance caribéenne.
Avec Oh! What a Mirage!, l’artiste propose une métaphore visuelle de la Guadeloupe et de son histoire, depuis le survol de l’île par Charles de Gaulle en 1964 jusqu’aux perceptions contemporaines de la région. Lorsque de Gaulle arriva en Guadeloupe et en Martinique, il fut accueilli par une population en liesse. Ce qu’il ne vit pas dans ce paysage idyllique, ce sont les effets de l’histoire sur les habitant·es de l’île, de l’esclavage jusqu’aux mouvements d’émancipation sociale, de la négritude jusqu’à la créolité, mouvements toujours d’actualité pour les Guadeloupéen·nes et les Martiniquais·es dans leur tentative de trouver une place dans l’histoire des Caraïbes et dans un paysage mondialisé. Oh! What a Mirage! est une sculpture-nuage, positionnée autour d’une « île » sur fond de ciel bleu clair, imaginaire et ensoleillé. Comme son titre le suggère, l’œuvre est une illusion exotique, l’idée artificielle d’une « bonne » vie alimentée par une machine coloniale dont les effets se font encore sentir. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.marielleplaisir.com/

Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon,Who’s The Fool? How To Patch A Leaky Roof, (Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapli), 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon – Who’s The Fool? How To Patch A Leaky Roof, (Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapli), 2018 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Le couloir s’assombrit pour accueillir deux installations remarquables. La première assemble des parapluies rouges sur lesquels sont imprimés « Little Haïti » et le proverbe en créole haïtien « Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapl » qui peut se traduire par « l’abri de jardin trompe le soleil, mais il ne trompe pas la pluie ». Ils entourent un court vidéo qui témoigne d’une intervention de Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon pour dénoncer l’embourgeoisement de Little Haiti, à Miami…

Michelle Lisa Polissaint et Najja MoonWho’s The Fool? How To Patch A Leaky Roof, (Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapli), 2018 – Projet artistique participatif, installation, dimensions variables, vidéo, 4 min

Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon ont développé en 2018 un projet dans leur quartier de Little Haiti, à Miami, pour lequel elles utilisent des parapluies comme métaphore de la gentrification de leur lieu de vie. Inspirées par l’omniprésence de ceux de couleur bleue créés par une société de marketing et distribués gratuitement à la clientèle du Design District de Miami, quartier commercial aux loyers exorbitants, les artistes ont conçu leurs propres parapluies cette fois de couleur rouge vif. Elles les ont offerts aux habitant·es de leur quartier, comme une invitation à se joindre à la lutte contre le surdéveloppement urbain de Miami. En titrant l’œuvre d’après un proverbe en créole haïtien – « Kay Koule Twonpe Soley, Men Li Pa Twonpe Lapl » (soit : « l’abri de jardin trompe le soleil, mais il ne trompe pas la pluie ») – les artistes filent la métaphore pour expliquer leur geste. « Tenter de réparer un toit qui fuit alors qu’il pleut », écrivent-elles, « n’a pas plus d’intérêt que de vouloir nettoyer une maison avec des chaussures boueuses aux pieds. Ici, le toit, c’est le gouvernement local ; la pluie, c’est la gentrification effrénée ; la fissure, c’est le capitalisme ; et juste en-dessous, ce sont les habitant·es de Little Haiti qui tentent de colmater les fuites. » L’œuvre réalisée in situ dans l’espace public est documentée par des photographies et vidéos, des parapluies rouges ont été déposés sur les pas de porte de Little Haiti, en commençant par les maisons situées sur la route où vivent les artistes jusqu’à atteindre toutes les habitations du voisinage. (texte du cartel)

Site de Michelle Lisa Polissaint : https://www.michellelisap.com/howtopatchaleakyroof/


Michelle Lisa Polissaint et Najja Moon à propos de Who’s The Fool? How To Patch A Leaky Roof sur le site 516 ARTS
Jean-Ulrick Désert - Still Life with Flowers (The Spectacle of Tragedy), 2018. Ruban réfléchissant sur carton, métal, PVC et textile, 68,6 × 35,6 × 216 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Jean-Ulrick Désert – Still Life with Flowers (The Spectacle of Tragedy), 2018. Ruban réfléchissant sur carton, métal, PVC et textile, 68,6 × 35,6 × 216 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Au fond de couloir, Jean-Ulrick Désert présente une installation faite de peu, mais qui est sans aucun doute une des plus poignantes de l’exposition. La lecture du cartel est indispensable pour en comprendre les enjeux.

Jean-Ulrick Désert décrit sa pratique artistique comme la visualisation d’une « invisibilité manifeste ». Son installation Nature morte aux fleurs (Le spectacle de la tragédie) se compose de guirlandes de ruban et de pétales de fleurs, dont les froufrous et la couleur rose pastel rappellent les éléments visuels attendus d’une chambre d’adolescente. La guirlande affiche le nom de Fabienne Cherisma, une jeune fille de quinze ans qui, ayant survécu aux tremblements de terre de 2010 en Haïti, mourut tragiquement une semaine plus tard, assassinée par la police pour avoir tenté de dérober deux chaises en plastique et trois tableaux. Lors du drame, les images de son corps sans vie furent exploitées sans vergogne par les médias internationaux, superposant ainsi des récits de violence, de victimisation, de criminalité et d’innocence à l’histoire de Fabienne Cherisma comme à celle de la nation haïtienne. L’installation fait ainsi office de site commémoratif qui proposerait aux publics de réfléchir aux perspectives occidentales sur les tragédies et les traumatismes du « tiers-monde ». Cette œuvre questionne les systèmes de valeurs qui privilégient la dignité de certaines vies au détriment de nombreuses autres. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://jeanulrickdesert.com/

Jean-Ulrick Désert à propos de Still Life with Flowers (The Spectacle of Tragedy) sur le site de 516 ARTS
Jean-Marc Hunt - Bananas Deluxe, 2013-2022. Bananes, cadre en métal, dimensions variables - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Jean-Marc Hunt – Bananas Deluxe, 2013-2022. Bananes, cadre en métal, dimensions variables – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

En revenant vers le centre du plateau, on découvre Bananas Deluxe (2013-2022) de Jean-Marc Hunt. Un lustre métallique suspendu au plafond – certains y sans doute verront une allusion au porte-bouteille de Duchamp – sert à accrocher des bananes qu’il faut régulièrement renouveler… Évocation du costume de Joséphine Baker ou des funèbres Strange Fruit que chantait Billie Holiday ?

Jean-Marc Hunt travaille le dessin, la peinture, la sculpture et l’installation, utilisant l’accumulation et l’appropriation comme force motrice. Bananas Deluxe est une oeuvre temporelle qui prend la forme d’un lustre suspendu au plafond et décoré de bananes jaunes. L’artiste accroche les fruits en référence à l’emblématique costume de la célèbre artiste noire Joséphine Baker – une jupe-ceinture faite de bananes artificielles portée lors d’un spectacle en 1927, et qui fit sensation à Paris à l’époque de l’empire colonial français. Hunt rend également hommage à Strange Fruit (1939), la chanson légendaire de Billie Holiday dont les paroles prirent un accent particulier lors du mouvement américain pour les droits civiques dans les années 1960. Les bananes peuvent également être perçues comme des symboles de luxure, de la richesse de l’impérialisme et de la vanité tirée de l’exotisation des Caraïbes dans le contexte postcolonial. Avec Bananas Deluxe, Hunt crée une icône aux multiples facettes dont les arguments artistiques, paradoxaux et cycliques, sont rendus visibles. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.jeanmarchunt.fr/

Kenny Dunkan - Exorotic, 2018. Bidons d’essence métalliques et becs articulés, 580 × 50 × 40 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Kenny Dunkan – Exorotic, 2018. Bidons d’essence métalliques et becs articulés, 580 × 50 × 40 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Bananas Deluxe fait un évident clin d’œil à Exorotic (2018) de Kenny Dunkan, un alignement sur presque six mètres de bidons d’essence métalliques dont les « érections » plus ou moins fermes des becs phalliques forme une vague… Ces deux œuvres dialoguent depuis la première exposition à New York.

Pour l’étape marseillaise, l’imposante installation Cosmos de Kenny Dunkan est sans doute un des moments les plus spectaculaires de l’exposition. Entrée dans les collections du Cnap, Cosmos (2021) est composé d’un ensemble de photographies imprimées sur bâche qui tel un scroll semble glisser des cimaises vers le sol… Quatre écrans présentent une sélection de performances de Dunkan qui attire depuis quelques années tous les regards.
À l’occasion de l’édition Offscreen 2022 où il était représenté par la galerie Les filles du calvaire, il déclarait : « Par un jeu de collages et d’accumulations de symboles, je tente de traduire mon être fragmenté et ambivalent. Être tout à la fois, contradictoire, composite, patchwork. Rencontre du naturel et de l’artificiel, de la matière et du spirituel… »

Kenny Dunkan - Cosmos, 2021. 20 photographies imprimées sur bâche, vidéos (4:51/6:39/11:31/4:30) - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Kenny Dunkan – Cosmos, 2021. 20 photographies imprimées sur bâche, vidéos (4:51/6:39/11:31/4:30) – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

La pratique artistique de Kenny Dunkan, entre sculpture et performance, est souvent marquée par ses souvenirs d’enfance de la culture du carnaval en Guadeloupe. Il utilise son identité comme point de départ pour aborder les frictions au sein du pays et sa place dans l’histoire.
EXOROTIC est une sculpture composée de bidons d’essence métalliques dont les becs phalliques sont positionnés pour symboliser la forme ondulante d’une vague tout en faisant érotiquement allusion au corps. La question de la fétichisation du corps noir apparaît régulièrement dans les œuvres de Dunkan : ici, la répétition de ces bidons vise à réifier et à accentuer la persistance des stéréotypes et des clichés lorsqu’on parle de négritude, du corps, d’érotisme ou des Caraïbes. Les bidons d’essence, exhibés comme dans une vitrine de magasin, matérialisent également les liens entre le souvenir du commerce humain, l’exploitation du corps et l’impérialisme.
L’installation COSMOS présente une accumulation d’images, un scroll dans lequel l’intime est narré au monde par l’action de regarder. Objets, corps et mots se percutent dans des rapports directs et sensibles accentués par les vidéos de performances de Dunkan invoquant le mouvement, la danse et la cérémonie. (Texte du cartel)

Outre Cosmos, dans les collections du Cnap, le Fonds d’art contemporain – Paris Collections conserve deux œuvres de Kenny Dunkan : UDRIVINMECRAZ, 2014 et Mwen Paré, 2014.
Kenny Dunkan à l’occasion de Offscreen 2022 : https://2022.offscreenparis.com/fr/artistes/kenny-dunkan
Présentation de Kenny Dunkan par Reiffers Art Initiatives : https://www.reiffersartinitiatives.com/artistes/kenny-dunkan-artiste-reiffers-art-initiatives/

Audry Liseron-Monfils, Driftwood That Is Equal to the Same Driftwood, 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Audry Liseron-Monfils, Driftwood That Is Equal to the Same Driftwood, 2018 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Côté fenêtres, le discret bois flotté de Audry Liseron-Monfils (Driftwood That Is Equal to the Same Driftwood, 2018) montre que la modestie peut être très efficace…

Pour Audry Liseron-Monfils, la question du déplacement est liée à l’histoire de l’émancipation des Caraïbes françaises. Dans son œuvre Driftwood That Is Equal to the Same Driftwood, l’artiste synthétise le parcours d’un morceau de bois flotté depuis une île des Caraïbes jusqu’en Europe en passant par les États-Unis. Le bois flotté de Liseron-Monfils est d’abord déplacé par des flux humains et mécaniques – les mains de l’artiste puis les avions et les camions de transport – avant d’être présenté en tant que sculpture dans le cadre de l’exposition, valorisant ainsi son précédent statut de détritus naturel. L’horizontalité de la sculpture qui en résulte souligne le bois flotté comme étant, in fine, un corps inerte ou au repos. Placée sur un miroir, l’œuvre fait référence aux sculptures minimalistes des années 1960 et 1970 comme au Land Art, dans lesquelles les substances naturelles interagissent avec les matériaux fabriqués par les humain·es en vue d’entamer de nouvelles conversations. (Texte du cartel)

Alex Burke - La Bibliothèque 2, 2010. Bois et sacs en tissu brodé, 200 × 200 × 20 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Alex Burke – La Bibliothèque 2, 2010. Bois et sacs en tissu brodé, 200 × 200 × 20 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Les œuvres d’Alex Burke sont marquées par la mémoire antillaise d’un artiste issu de la diaspora caribéenne vivant et travaillant en France. Admis à l’École des Beaux-Arts de Nancy, il s’installe en métropole dès 1963 ; sa pratique reflète depuis lors son expérience de l’effacement de l’histoire des Caraïbes dans les récits occidentaux.
La Bibliothèque 2 se compose d’une étagère pleine de sacs en tissu fermés rappelant les sacs en toile de jute utilisés pour le transport des marchandises sèches, et sur lesquels l’artiste a brodé les dates importantes de l’histoire coloniale des Amériques. Ces sacs fermés contiennent métaphoriquement des moments méconnus de l’histoire et représentent la négligence de l’Occident vis-à-vis de son héritage colonial. Burke choisit de broder ces dates en raison de l’histoire symbolique de cette technique et, en se servant de fils ton sur ton, fait allusion à leur invisibilité et à l’état fragile de leur mémoire collective. Pour l’artiste, cette dernière est l’outil le plus précieux pour reconstruire et regarder vers l’avenir. (Texte du cartel)

Hervé Beuze - Manufacture Coloniale, 2004. Plaque d’aluminium, mousse de polyuréthane,
acrylique, corde et fibre de verre, 100 × 100 × 350 cm - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Hervé Beuze – Manufacture Coloniale, 2004. Plaque d’aluminium, mousse de polyuréthane, acrylique, corde et fibre de verre, 100 × 100 × 350 cm – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

L’œuvre d’Hervé Beuze explore l’identité, la mémoire, le peuple et la géographie de la Martinique. Ses peintures, assemblages et installations monumentales, montrent des éléments d’une identité historique martiniquaise latente, en prise directe avec le rythme rapide du monde. L’artiste fait usage de nombreux matériaux – morceaux de machines industrielles, bois ou fil de fer – qui sont autant de gestes symboliques en direction de l’histoire de la Martinique post-coloniale.
Son installation Manufacture Coloniale fonctionne comme une allégorie de l’exploitation coloniale des Amériques par les puissances européennes. Préférant des notions controversées et intenses, Beuze travaille un symbolisme fragmenté et hybride, dressant ainsi un portrait réaliste des complexités de son identité caribéenne. (Texte du cartel)

Le site de l’artiste : https://hervebeuze.com/

Vladimir Cybil Charlier - Sans titre (Guédé Mani), 2018 & Alex Burke, La Bibliothèque 2, 2010 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Vladimir Cybil Charlier – Sans titre (Guédé Mani), 2018 & Alex Burke, La Bibliothèque 2, 2010 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

La pratique de Vladimir Cybil Charlier se nourrit de ses liens avec la culture haïtienne. L’artiste se réfère à ses souvenirs d’enfance comme à l’imagerie historique haïtienne pour raconter les complexités de la diaspora et de l’identité culturelle. Elle cite la mythologie, la littérature et la musique comme des références pour ses peintures, collages et sculptures.
Dans son œuvre Sans titre (Guédé Mani) l’artiste associe poétiquement son histoire personnelle à la mythologie haïtienne dans une installation de bustes trônant sur des boîtes de cigares, dont les têtes sont ornées de lunettes, inspirés des esprits haïtiens Guédé qui représentent la mort et la fertilité. Ces esprits accompagnent Baron, le dieu de la mort, et ont le don de divination. Charlier a modelé la sculpture de la tête d’après celle de son propre frère, en hommage à sa force vitale malgré les handicaps dont il souffre depuis sa naissance. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.vladimircybil.com/

Vladimir Cybil Charlier à propos de Untitled (Guédé Mani), 2018 sur le site 516 Arts

Raphaël Barontini, Eurydice et Toussaint Bréda de la série Solar Cloaks, 2019 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Raphaël Barontini crée des installations et des assemblages qui combinent images photographiques sérigraphiées, impressions numériques et matériaux textiles de couleurs vives. Ses œuvres sont souvent inspirées de figures marginalisées tirées de l’histoire de l’art, de la religion et de la culture populaire. La sélection présentée dans l’exposition est issue de Solar Cloaks, une série de capes ornées d’images et de passementeries qui évoquent les costumes traditionnels portés lors de la saison des carnavals. Eurydice a été créée en écho au film brésilien Orfeu Negro (1959), une adaptation contemporaine de la tragédie grecque, réinterprétant cette histoire d’amour au cœur d’une favela de Rio de Janeiro pendant le Carnaval dans le contexte des complications liées aux luttes raciales et économiques. L’œuvre Toussaint Bréda dépeint le héros de la révolution anti-esclavagiste victorieuse de Haïti contre la France en 1804 (aussi connu sous le nom de Toussaint Louverture). Enfin, Black Minerva fait référence à Minerve, déesse de la sagesse, de l’intelligence, des métiers ainsi que de la guerre comprise sous l’angle de la réflexion stratégique et du savoir-faire tactique dans la mythologie romaine. (Texte du cartel)

Des œuvres de Raphaël Barontini sont dans les collections du Frac Poitou Charente , des Abattoirs à Toulouse et du Mac VAL.
Site de l’artiste : https://www.raphaelbarontini.art/

Raphael Barontini à propos d’Eurydice sur le site 516 Arts
Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head 2017 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head 2017 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

La pratique artistique pluridisciplinaire de Gaëlle Choisne s’appuie sur une juxtaposition poétique de matériaux et d’images afin d’aborder les thèmes de l’héritage colonial, de l’exploitation des ressources et des catastrophes mondiales. Ses œuvres présentées dans Des grains de poussière sur la mer sont des réponses aux « désordres du monde ».

Dans Les amulettes et les trophées – l’huître, une coquille d’huître gravée est suspendue à une chaîne en or, comme si elle se trouvait dans les limbes. La tension de l’œuvre naît du contraste entre force et fragilité, entre organique et artificiel. Pour Choisne, l’huître représente une offrande, créant de fait une sorte d’autel élargi ou de site cérémoniel ; comme le suggère le titre, cet objet mystérieux est conçu comme une amulette ou un trophée. Pour accompagner cette sculpture, l’artiste a demandé à deux musiciens d’interpréter la Sonate Vaudouesque (1966) de Carmen Brouard (1909-2005), une compositrice haïtienne tombée jusqu’à récemment dans l’oubli. Comme Choisne, qui vit principalement en Europe, Brouard a vécu la majeure partie de sa vie en France et au Canada, mais ses compositions font souvent référence à la culture haïtienne. Audible pendant toute la durée de l’exposition, le paysage sonore de Brouard brouille les marqueurs interculturels qui constituent l’identité caribéenne en tant que telle.

La série Sculptures : War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head, montre des dessins de colons provenant des archives de la Rijksakademie, scannés et imprimés sur plaques offsets. Pendant le processus de création, l’artiste y introduit des parties de son corps pour souligner l’« altérisation » qui subsiste dans la société contemporaine. (Texte du cartel)

Les œuvres de Gaëlle Choisne sont présentes dans les collections du Frac Champagne Ardennes, du Frac Nouvelle Aquitaine MECA, du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, du Centre national des arts plastiques, du Fonds d’art contemporain – Paris Collections, du MAC VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
Site de l’artiste : https://gaellechoisne.com/

Ronald Cyrille AKA B-Bird, Key Escape, 2018 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Ronald Cyrille AKA B-Bird, Key Escape, 2018 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Connu sous son nom de street artist B-Bird, Ronald Cyrille a grandi en Dominique, surnommée « l’Île Nature des Caraïbes ». Dans sa sculpture Key Escape, Cyrille présente des mains noires, mystérieuses et cartoonesques, sculptées à partir de gants en tissu et ornées d’ongles rose vif, qui surgissent d’un petit bateau. L’embarcation est échouée sur le sable de la Guadeloupe et remplie d’une mousse verte en décomposition, comme pour affirmer son inutilité en tant que moyen de transport. L’œuvre rappelle la traite transatlantique des esclaves, et malgré sa taille modeste, Key Escape pourrait servir de prototype pour un monument teinté d’ironie. Les Keys sont de petites îles sablonneuses typiques des Caraïbes ; le titre de l’œuvre, Key Escape pourrait désigner les personnes de la diaspora afro-caribéenne qui ont émigré vers d’autres parties du monde, notamment la côte est de l’Amérique du Nord, et l’Europe où ce bateau a trouvé le repos au sein de l’exposition. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://ronaldcyrille.com/

Ronald Cyrille Aka B.Bird à propos de Key Escape, 2018 sur le sire 516 ARTS
Louisa Marajo, BoMb - de cendres s’élevant dans l’art d’aimer la Vie - cette fleur, ce cocotier chaotique, 2022 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 photo © Jean-Christophe Lett
Louisa Marajo, BoMb – de cendres s’élevant dans l’art d’aimer la Vie – cette fleur, ce cocotier chaotique, 2022 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 photo © Jean-Christophe Lett

Louisa Marajo crée des installations et des œuvres sculpturales multimédias à grande échelle en utilisant des photographies manipulées, des matériaux de construction, de la peinture et des objets trouvés. « Le chaos peut-il être utile ? », la question fascine Marajo, et son travail explore la manière dont les environnements façonnés par l’être humain peuvent devenir les paysages d’autres mondes.

Son installation BoMb — de cendres s’élevant dans l’art d’aimer la Vie — cette fleur, ce cocotier chaotique conçue pour l’exposition, présente les restes d’une vague océanique à la suite d’une éruption volcanique, là où des traces de vie fleuriraient une fois les cendres emportées. Images photographiques et peinture dialoguent directement avec des débris de construction ou de chantier. Elle propose ici une scène de paysage qui fait écho à un monde qui évolue rapidement, et qui peut-être s’effondre.

Louisa Marajo - Into the Wave, 2020. Mine de plomb sur papier - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Louisa Marajo – Into the Wave, 2020. Mine de plomb sur papier – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Le paysage d’Into the Wave recompose le même souvenir d’ouragan avec des éléments issus d’installations de l’artiste dont des fragments de bois, des morceaux d’échelles, des rebus de châssis et des pinceaux. Au travers d’une esthétique de la catastrophe ou de l’apocalypse, elle repositionne les regardeur·euses dans une nouvelle posture, celle de la rêverie et de la réinvention.

La sculpture Or de Sargasse réhabilite la plante nuisible en un outil de résistance à la conquête des eaux. Le travail de Marajo propose la cartographie d’une identité personnelle qui n’est ni complètement enfermée dans sa Martinique natale ni pleinement installée dans son nouveau foyer européen, mais évolue quelque part entre les deux. (Texte du cartel)

Deux œuvres de Louisa Marajo sont dans les collections du Cnap
Site de l’artiste : https://louisamarajo.com/

Ricardo Ozier-Lafontaine - Martinique, l’île aux fleurs, 2018. Acrylique sur toile, 998 × 198 cm et 8 ballons de football, 21 cm de diamètre chaque - Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai
Ricardo Ozier-Lafontaine – Martinique, l’île aux fleurs, 2018. Acrylique sur toile, 998 × 198 cm et 8 ballons de football, 21 cm de diamètre chaque – Des grains de poussière sur la mer à La Friche la Belle de Mai

Les dessins, peintures et installations à grande échelle de Ricardo Ozier-Lafontaine sont créés à l’aide d’une méthode de dessin automatique qui plonge l’artiste dans une transe graphique faite de rythmes, de sensations et de tensions. Son œuvre combine les percussions rituelles afro-caribéennes et l’exploration de la thérapie par les arts visuels.

Martinique, l’île aux fleurs est une installation sur toile constituée de lignes noires et blanches accompagnée de ballons de football ornementés. Dans la cartographie onirique de l’œuvre se trouvent des personnages hybrides que l’artiste appelle les « Zigidaws », développés au plus profond de son imagination. En révélant des géographies mythiques et des réseaux entrelacés, le dessin d’Ozier-Lafontaine démontre le dynamisme de la psyché humaine et propose une histoire aussi dense que complexe de la Martinique. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.ricardozierlafontaine.com/

Sylvia Berté, Sans titre, 2019 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Sylvia Berté, Sans titre, 2019 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

« Les diseuses de bonne aventure évoquent notre enfance, ses prédictions irréalistes, ses désirs démesurés, parfois déraisonnables. Comment faire face à nos désillusions ? »

Artiste et bijoutière d’origine martiniquaise, Sylvia Berté développe une pratique respectueuse des relations entre les humains et la nature à partir de matériaux obtenus de manière responsable. Dans son œuvre, Berté explore le jeu et le pouvoir de suggestion de ces derniers.

Pour créer cette collection de minuscules sculptures, elle a soigneusement façonné, comme le font les enfants, des cocottes en argent recouvert d’une patine diaphane. Ici, Berté explore les limites entre l’usage et la décoration – une dualité qui reflète sa propre identité, dont les racines plongent tout autant dans les cultures caribéennes que françaises. (Texte du cartel)

Site de l’artiste : https://www.sylviaberte.com/

Sylvia Berté à propos de Untitled, 2019 sur le site 516 ARTS
Tabita Rezaire, Peaceful Warrior, 2015 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Tabita Rezaire, Peaceful Warrior, 2015 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Tabita Rezaire se considère comme la vectrice d’une guérison par l’art et la technologie faisant évoluer les consciences. L’artiste s’intéresse particulièrement aux liens entre technologie et spiritualité ; elle adopte une approche transdimensionnelle dans son travail et utilise principalement les outils numériques pour naviguer dans les espaces de pouvoir.

Son œuvre Peaceful Warrior se compose d’une vidéo nichée dans une grande géode d’améthyste, une pierre précieuse violette connue pour ses vertus curatives. Rezaire se lance dans un voyage de guérison spirituelle à travers ce qu’elle décrit comme une « automédication décoloniale », guidant le public à travers un paysage hypnotique composé de la cosmologie de l’Égypte ancienne, de corps célestes et d’« ovules » d’améthyste violette.
Dans son film, elle utilise des images oniriques comme forme de méditation, passant d’une « guerrière en colère » à une « guerrière pacifique ». L’imagerie complexe et magnétique de Rezaire s’accompagne de divers sons qui commencent par un discours clair et instructif avant de muer en une cacophonie de grognements pour finir en douceur dans des sonorités méditatives et apaisantes. L’artiste propose dans son travail un nouvel ordre — un futur libéré de toute temporalité et géographie, qui rassemble autour des pouvoirs curatifs de la technologie. (Texte du cartel)

Deux œuvres de Tabita Rezaire sont dans les collections publiques, Peaceful Warior au Frac Bougogne, l’autre aux Abattoirs
Site de l’artiste : https://tabitarezaire.com/

Jérémie Paul, Les Tiags de mon Oncle, 2017 & Écume de ma mère, 2016 - Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head, 2017 - Tabita Rezaire, Peaceful Warrior, 2015 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Jérémie Paul, Les Tiags de mon Oncle, 2017 & Écume de ma mère, 2016 – Gaëlle Choisne, Sculptures: War of Images – Distortion and Temporal Ellipses, Foot, Fingers et Head, 2017 – Tabita Rezaire, Peaceful Warrior, 2015 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Le travail de Jérémie Paul, entre peinture et installation, tire son inspiration de la Guadeloupe, sa terre natale. Dans ses œuvres, l’artiste met en scène un monde de « figures » – symboles d’une présence émotionnelle dans la vie de l’artiste. Les œuvres de Paul tendent vers une histoire élargie sans que celle-ci ne se laisse complètement définir par le genre, les concepts ou les sentiments.

Sa sculpture Les Tiags de mon Oncle se compose de trois bottes de cow-boy imprégnées d’une symbolique aussi riche que personnelle. L’oncle de l’artiste est décédé dans les années 1990, lors de la première vague de la crise du VIH. Ici, des répliques en porcelaine de ses bottes ont été reconverties en vases et installées comme si elles grimpaient un escalier fait d’encyclopédies. Ce que propose Jérémie Paul, c’est un mémorial à la fois personnel – qui révèle la relation de son oncle à sa structure familiale – et collectif, en ouvrant une véritable discussion sur la perte, le mythe et la mémoire.

Jérémie Paul, Les Tiags de mon Oncle, 2017 & Écume de ma mère, 2016 - Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 - photo © Jean-Christophe Lett
Jérémie Paul, Les Tiags de mon Oncle, 2017 & Écume de ma mère, 2016 – Vue de l’exposition Des grains de poussière sur la mer, Friche la Belle de Mai, Fræme, Marseille 2024 – photo © Jean-Christophe Lett

Sa série d’œuvres Écume de ma mère associe les branches d’un arbre à des drapeaux en soie peints d’une image de l’océan. Ici, l’artiste joue à la fois avec la sémantique et les matériaux en brouillant le sens de « mère » et « mer ». L’artiste explore les liens entre la nature et les récits personnels, en dialogue avec la flore locale où l’œuvre se trouve exposée. (Texte du cartel)

Jérémie Paul sur le site de la galerie Maëlle : http://www.maellegalerie.com/jeremie-paul/

« Des grains de poussière sur la mer » par Arden Sherman, commissaire de l’exposition et directrice de la Hunter East Harlem Gallery, New York

En 1964, effectuant un voyage d’État en Martinique, Guadeloupe et Guyane française, Charles de Gaulle survole en avion la mer des Caraïbes, et décrit les îles comme autant de « grains de poussière sur la mer » (1). Si cette citation du président de la République d’alors évoque l’effet mystérieux et presque surnaturel que peut susciter une vue aérienne de l’archipel des Caraïbes, elle est aussi révélatrice de la perspective surplombante depuis laquelle est perçue la région – une perspective dont les racines plongent dans l’histoire de la France comme puissance coloniale dans les Antilles.

Les Caraïbes françaises se composent de deux îles – la Guadeloupe et la Martinique – et de la Guyane française, qui se situe à l’extrémité nord-est de l’Amérique du Sud. Ces départements français d’outre-mer sont officiellement administrés par la métropole européenne et lui sont économiquement et socialement liés. Dans la partie nord des Caraïbes, connue sous le nom de Grandes Antilles, la nation d’Haïti partage l’île d’Hispaniola avec la République dominicaine. En 1804, après plus de dix ans d’affrontements provoqués par la rébellion des esclaves, Haïti arrache enfin son indépendance à la France et révolutionne à jamais l’histoire de la souveraineté française dans les Caraïbes.

Dans l’exposition Des grains de poussière sur la mer, si l’histoire est indéniablement présente, les artistes ne réalisent pas des œuvres d’art d’apparence « caribéenne » ou qui démontrent de manière didactique les conditions de leur contexte ou du traumatisme colonial. Les Caraïbes françaises et Haïti ne sauraient ainsi se laisser définir ni par leur beauté exotique, ni par leur histoire traumatique. Les artistes jouent au contraire sur tous les tableaux, en exprimant leurs relations personnelles avec le patrimoine, en naviguant dans un monde de l’art contemporain mondialisé et en regardant par-delà leurs origines culturelles pour trouver idées et inspirations.

L’exposition met en scène plusieurs approches matérielles et conceptuelles qui témoignent des pratiques des vingt-huit artistes de cette région du monde tout en posant la question de savoir qui est au « centre » et qui est à la « périphérie ». Les œuvres, placées à proximité et en conversation directe les unes avec les autres, forment un réseau d’idées autour du patrimoine, de l’histoire, de l’identité, du corps social et de la politique.

Arden Sherman

(1) L’histoire est rapportée par Betsy Wing dans son « Introduction», in Édouard Glissant, Poetics of Relation, Ann Arbor: University of Michigan Press, 2010, p. 13

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